La répression antiterroriste du 8 décembre a été rendue possible par un processus contre-subversif déjà entamé depuis des années.
Il faut remonter en Janvier 2014 lorsque la commune du Rojava est proclamée, dans le nord de la Syrie historiquement kurde. Le PYD (parti de l’union démocratique) proche du PKK (parti des travailleurs du kurdistan) prend le contrôle de la zone et annonce l’instauration d’une zone autonome en s’inspirant du socialisme libertaire et du confédéralisme démocratique. En 2015, un appel à soutien international est lancé et une trentaine de français.es s’organiseront pour aller y « protéger la paix en participant à la guerre de légitime défense contre Daech et l’armée turque », ce qui n’est pas du goût de l’Etat français qui entretient des liens étroits avec le dictateur turc Erdogan.
En effet, ces arrestations interviennent dans une longue tradition de répression des mouvements kurdes et pro-kurdes en Europe. En 2013, deux officiers du renseignement turcs avaient assassiné à Paris trois militantes kurdes : Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez. En mars 2020 en Grèce, sous couvert de « lutte antiterroriste », le Comité de solidarité pour les prisonniers politiques en Turquie et au Kurdistan et le Front anti-impérialiste avaient été la cible d’un raid policier: entre 26 et 35 personnes furent arrêtées. Le 23 mars 2021 en France, il y a eu le plus grand coup de filet dans les réseaux militants kurdes de ces 10 dernières années : 10 personnes ont été interpellées par la DGSI, leurs domiciles ont été violemment perquisitionnés, ainsi que le siège de l’association kurde à Marseille. Elles sont officiellement accusées de participation à une association de malfaiteurs, de financement d’une organisation terroriste et d’extorsion en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste. 7 d’entre elleux ont été envoyé.es en prison. Cela intervient quelques jours après un échange téléphonique entre Macron et Erdogan et une rencontre de leurs 2 ministres des affaires étrangères, en plein Conseil Européen sur la géopolitique internationale ». En décembre 2021, une militante espagnole a été expulsée d’Allemagne et interdite de séjour pendant 20 ans au motif qu’elle travaillait en relation avec des organisations et institutions kurdes. Etc.
C’est dans ce contexte de criminalisation internationale que le collectif des Combattantes et Combattants Francophones du Rojava (CCFR) expliquait dans une tribune de soutien après les arrestations du 8 décembre que :
« La DGSI a immédiatement établi un tri entre les « mauvais » volontaires, se réclamant d’une idéologie révolutionnaire, et les « bons » volontaires, anciens militaires ou apolitiques, qui pour certains ne furent même pas auditionnés à leur retour en France. Ceux qui étaient identifiés comme de potentiels membres de « l’ultragauche » se retrouvèrent systématiquement « fichés S » et firent l’objet d’une surveillance active, tout en étant coupables de rien d’autre que d’un délit d’opinion. Arrestations à l’aéroport, menaces sous forme de conseils paternalistes, pressions sur nos familles, nous sommes nombreux à avoir fait l’objet de tentatives d’intimidation plus ou moins voilées de la part des services de sécurité. Fin 2016, la DGSI fit irruption chez l’un d’entre nous pour lui retirer son passeport et sa carte d’identité, afin de l’empêcher de retourner au Kurdistan syrien. Le ministère de l’Intérieur affirmait alors que ce combattant du YPG pouvait être à l’origine « de graves troubles à l’ordre public » et était susceptible d’utiliser son expérience militaire « dans des attaques contre les intérêts français, en lien avec l’ultragauche révolutionnaire ». Ces accusations complètement fantaisistes furent balayées par le tribunal administratif de Paris quelques mois plus tard. Le ministère de l’Intérieur fut ensuite contraint de lui rendre ses documents d’identité et de lui verser des dommages et intérêts. En dépit de cette victoire judiciaire, nous savions que la DGSI nous garderait dans son collimateur et était prête à tout, y compris à des accusations sans preuves, pour nous faire rentrer dans le moule qu’elle avait créée : celui de dangereux vétérans d’ultragauche cherchant à importer la violence du conflit syrien de retour chez eux. Cette caricature a été construite dès le départ, ex-nihilo, avant même que l’un d’entre nous ne remette les pieds sur le territoire français. Même si de retour en France aucun volontaire n’a jamais été impliqué dans des actions violentes, la DGSI attendait patiemment l’occasion de piéger l’un d’entre nous, pour pouvoir enfin donner une crédibilité à ses fantasmes. »
La présomption de culpabilité était alors lancée sur tout militant ayant mis les pieds là bas. Ce qui fût le cas de notre ami accusé et placé à l’isolement illégalement encore aujourd’hui. Là encore, le CCFR témoigne que :
« Notre camarade était en Syrie pour combattre Daech. Il a pris part en 2017 à la libération de Raqqa, la capitale du groupe jihadiste. Raqqa est aussi la ville où les attentats de Paris ont été planifiés et où la plupart de ses auteurs ont été entraînés. Si la France n’a pas connu d’attentats de grande ampleur depuis des années, c’est grâce à la libération de Raqqa à laquelle notre camarade a participé au péril de sa vie. En combattant en Syrie ce dernier a donc directement contribué à la sécurité des Français, ce que le tribunal médiatique s’est bien gardé de mentionner. Comment en effet faire rentrer dans leur narration à charge que l’accusé ait donné bien plus à la lutte contre le terrorisme que les policiers, procureurs et journalistes qui l’accusent aujourd’hui d’être un « terroriste d’ultragauche » ? »
La France a une longue expérience de contre-subversion.
C’est elle même qui en a théorisé certains fondements dans les années 50, puis l’a exporté sur le continent américain. L’élément primordial de la contre-révolution était définie par le colonel Lacheroy comme la « prise de possession des âmes », la « guerre psychologique ».
Le journal Médiapart a été un outil du gouvernement pour construire la culpabilité des inculpé.es du 8 décembre, et pour effacer l’esprit critique vis à vis de la police antiterroriste chez les lecteurices de gauche radicale. Toutes les semaines, en Une de Médiapart, un nouvel article vient vanter les mérites de la police antiterroriste française et européenne, alors que la parole même des inculpé.es du 8/12 y est refusée. En 2019, LE « spécialiste » de l’antiterrorisme, Mathieu Suc, écrivait un article dicté de A à Z par la DGSI, qui s’intitulait : « Ces revenants du Rojava qui inquiètent les services de renseignement. »
Encore une fois, loin de ce tribunal médiatique, ces « revenants » témoignent :
« Un camarade parti en vacances en Amérique du Sud se retrouvait accusé d’avoir essayé de nouer des contacts avec une guérilla colombienne, un autre fréquentant la ZAD aurait prétendument tiré une fusée éclairante sur un hélicoptère de la gendarmerie, des dégradations d’antennes téléphoniques, de bornes Vélib ou de fourgons de police nous étaient également associées. Ces fables anxiogènes, parfaitement déconnectées de toute réalité, venaient confirmer ce que nous savions déjà : jusqu’à ce qu’il ait trouvé le coupable idéal, le ministère de l’Intérieur ne renoncerait pas à l’entreprise de diabolisation dont nous faisions l’objet. »
C’est ainsi qu’une surveillance a été mise en place contre notre ami Libre Flot, inculpé du 8 Décembre et fantasmé en « chef de groupe » par la DGSI. En février 2020, la DGSI déballe sa mélasse de notes blanches et d’accusations « secret défense » dans un « rapport de judiciarisation » accablant. Et l’Austice saute à pied-joint dans cette boue sécuritaire. Le jour même: Benjamin CHAMBRE (1er vice procureur au PNAT) se saisit de l’affaire et requière auprès d’un JLD de Paris l’usage de moyens de surveillance hyper instrusifs, qui seront accordés immédiatement par Anne-Clémence COSTA (JLD). Des micros dans un camion habité, interceptions téléphoniques, géolocalisations en temps réel, IMSI catching, filatures, etc.
Pendant deux mois, la DGSI épie leurs moindres mouvements et procède à plusieurs IMSI catching dans des espaces militants ouverts au public qui leur permettront d’attribuer des numéros de cartes SIM prépayées à des identités (par recoupage d’IMSI catching) et de remplir allègrement leurs bases de données sur les milieux militant.es.
En avril 2020, nous sommes en plein confinement, plusieurs personnes ont l’opportunité de se retrouver à la campagne dans un grand lieu pour se ressourcer loin de la ville et de son ambiance policière. La plupart ne se connaissent pas et se rencontrent pour la première fois mais cette petite colonie de vacances va devenir pour la DGSI un « camp d’entrainement à la guérilla ». Durant 3 semaines, certain.es qui aiment le AirSoft vont faire découvrir ce jeu à d’autres: BINGO! Pour tuer l’ennui et par curiosité, certain.es vont essayer de confectionner un pétard: BINGO! Ces éléments vont constituer une base et être mis en corrélation avec des discussions captées tout au long des 10 mois d’écoutes pour affirmer l’existence d’une « association de malfaiteurs en vue de comettre des actes terroristes ». Tout le reste de leurs activités : entretien du bois, lectures collectives, ceuillettes de plantes médicinales, soirées jeux, etc… disparaissent pour ne laisser encore une fois que la parole policière et parachever la manipulation des magistrats par l’imaginaire.
A la fin du confinement, chacuns et chacunes reprennent le cours de leurs vies de leurs côtés, vivants dans des régions différentes et suivants leurs projets personnels. La plupart qui s’étaient connu.es pour la première fois là bas, ne se reverront pas. Qu’importe! Toutes les fréquentations de l’ami Libre Flot sont scrutées par les loupes du renseignement. Alors lorsqu’il revoit un ami de jeunesse un peu plus tard, dont la passion et la profession est l’artifice, rebelotte.
Pendant 11 mois donc, la DGSI va alimenter un dossier rempli d’interprétations à charge qui n’ont d’autre but que de manipuler les juges en jouant avec des clichés et des peurs. La vie des personnes a été disséquée par un imaginaire de la menace paranoïaque, afin de n’en retenir que des éléments disparates n’ayant pas de lien entre-eux. C’est ainsi que, sans raison apparente, le 8 décembre 2020, à 6h du matin : le RAID et la DGSI débarquent chez les 9 d’entre elleux: perquisitions, humiliations, arrestations et garde à vue antiterroriste à Levallois Peret. A partir de là, 7 seront mis.es en examen, 5 mis.es en prison. Plus d’un an plus tard, notre camarade y est encore emprisonné, Dupont-Moretti renouvellant son isolement tous les 3 mois.