CRIER NOTRE COLÈRE

Alors que cela fait maintenant plus de 6 mois que 7 de nos camarades sont toujours poursuivi.es et mis.es en examen pour « association de malfaiteurs terroristes » suite aux arrestations du 8/12, c’est avec horreur que nous venons d’apprendre le renouvellement du maintien à l’isolement de l’un d’entre elleux ! Alors que la prison est déjà en elle-même une terrible mise au ban de la société, destructrice des liens sociaux et implique de graves conséquences pour les enfermé.es et leurs proches, Stéphane Scotto, le Directeur Interrégional des Services Pénitentiaires, n’hésite pas à en rajouter une couche ! Après consultation du juge, du directeur et du médecin de la prison, celui-ci a rendu sa décision vendredi dernier de prolonger pour 3 mois supplémentaires l’isolement de notre camarade.

« Avant même d’être jugé, je devrais cesser d’exister* »

Nous ne sommes pas dupes ! Outre la barbarie des mesures d’isolement, encore souvent utilisées en fRance alors qu’elles sont pourtant très contestées par plusieurs institutions, ONG et jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui affirme qu’un « isolement social total peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par les exigences de sécurité ou d’autres raisons », nous tenons à les dénoncer comme des moyens de pression utilisés de la manière la plus vicieuse à l’encontre de notre camarade.

Malgré les chef-d’inculpations, à ce jour, aucun « projet » d’action violente quel qu’il soit, n’a, semble-t-il, été démontré et aucun fait de violence n’est reproché aux mis.es en examen. Ce maintien à l’isolement n’a pas d’autre but que de poursuivre la stigmatisation à l’œuvre, essayer de valider par une bonne couche de mise en scène, le profil dessiné par la DGSI et déstabiliser le camarade alors qu’il doit encore affronter des auditions.

Cette mesure s’ajoute aux autres dispositions particulières toujours subies par les 2 autres inculpés encore en détention provisoire dans l’Affaire du 8/12, à travers le statut de DPS (Détenu Particulièrement Signalé) par exemple, qui implique une surveillance accrue et peut notamment se traduire par un rapport quotidien de la matonnerie sur ce que fait le détenu, un réveil toutes les 2h la nuit (pourtant jugé cruel, inhumain et dégradant par la CEDH, l’OIP et le CPT), ou encore, lors des déplacements internes à la prison, la surveillance par 2 matons+1 supérieur pour un seul détenu ainsi que l’usage de la ceinture abdominale et de la chaîne de conduite (dispositif pourtant prohibé par les règles pénitentiaires européennes).

L’ensemble de ces mesures vise à effacer l’humanité des enfermé.es pour tenter de les présenter comme des entités monstrueuses et dangereuses.

Nous ne les laisserons pas faire ! Les seules violences bien tangibles dans cette affaire, ce sont celles de la DGSI et de la prison envers les inculpé.es, celles d’un monde policé et discriminant où l’a-justice prend toujours le pas sur la justice. Face aux rouleaux compresseurs de la prison, nos moyens sont fragiles mais nous pouvons crier. Faire savoir, hurler au monde. Comment accepter qu’un sadisme de l’administration pénitentiaire et judiciaire puisse venir broyer des vies déjà transformées en cauchemar ? C’est de torture blanche dont on parle ici, alors si monstruosité il y a, où est elle?

Un recours au Tribunal administratif va être demandé par ses avocat.es contre ce renouvellement d’isolement.

Nous, nous continuerons de nous battre pour la fermeture des quartiers d’isolement et des mitards, pour la libération des enfermés du 8/12, pour l’abandon de la qualification “terroriste” et pour la relaxe finale !!!

LIBERTÉ POUR TOUS ET TOUTES!!

Pour soutenir, nous vous invitons à télécharger nos visuels (faites-en ce que vous voulez!) et continuer d’écrire aux inculpé.es !

*Lisez la Lettre du camarade Libre Flot à propos de son isolement à la prison de Bois d’Arcy, publiée le 7 mai dernier dans L’envolée.

Malfaiteurs de tous les pays, unissons-nous!

Texte publié par le RAJCOL (Réseau d’Autodéfense Juridique COLective) à l’occasion du procès des opposant.es à CIGEO:

Renforçons nos solidarités face à la police, la prison et la justice

Le 20 juin 2018, le village de Bure se réveillait avec près de 200 gendarmes déployés, l’arrestation de 8 personnes et la perquisition de 11 lieux de vie et d’organisation de la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Le procès se tiendra le 1er, 2 et 3 juin prochains. Les personnes arrêtées sont accusées de former une « association de malfaiteurs », accusation fourre-tout, à la fois très lourde de conséquences en termes de peine (jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d’amende) et dont l’usage est éminemment politique.

Un objectif clair : écraser la lutte

La mobilisation du délit d’association de malfaiteurs vise explicitement à terroriser, à défaire les liens, et à dissuader les opposant.es de s’engager. Le champ d’application contemporain de l’association de malfaiteurs élargit la notion « d’association », permettant ainsi une criminalisation de masse. Ainsi, comme le soulignent des opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure : « Prêter sa voiture, participer à l’achat de tissu avant une manifestation, avoir ses empreintes sur une bouteille plastique, son ADN sur une écharpe, être co-propriétaire ou co-gérant·e d’un lieu collectif où sont trouvées des fusées d’artifice, etc. tout devient présomption de culpabilité, de complicité, et donc de participation à une Association de Malfaiteurs. Nourrir, accueillir, loger, mettre à disposition des moyens de communication (téléphone, internet, photocopieur, etc.) dans un lieu privé ou collectif relève directement de l’Association de Malfaiteurs, si les personnes accueillies prennent part, ailleurs, à des manifestations où sont commis des actes délictueux ».

Ce qui s’est passé à Bure n’est pas anodin. Et d’ailleurs les questions posées lors des auditions et les moyens de l’enquête mobilisés ne laissent aucun doute : l’objectif est clairement de s’en prendre aux structures qui permettent à nos luttes de vivre et de se défendre, à toutes ces petites ou grandes solidarités qui font vivre nos luttes. À travers les personnes arrêtées, et les questions posées, ce sont en effet les outils collectifs que représentent le soutien juridique, les groupes de soin ou encore les groupes d’automedia qui sont visés.

On se rappelle à ce titre de la fermeture du site Linksunten Indymedia en Allemagne en 2017 après le flamboyant G20 à Hambourg, et des menaces d’interdiction adressées à Indymedia Grenoble en France après la publication de revendications d’actions. L’offensive de l’État vise à détruire les réseaux d’entraide, de soutien et de communication, tout en faisant planer un climat de peur au-dessus de toutes celles et ceux qui s’organisent politiquement, ou qui se montrent simplement solidaires des luttes. À peu de choses près la même stratégie que pour les manifestations : terroriser, par la peine de prison, ou par la menace de la blessure ou de la mutilation, pour dissuader de se joindre à la lutte.

L’utilisation de l’association de malfaiteurs a une histoire, réactualisée à chaque nouvelle affaire : elle a déjà servi à fragmenter des réseaux de lutte et d’amitié grâce à des constructions policières fomentées par les services de renseignement. En janvier 2008, c’était l’affaire dite «des mauvaises intentions » qui envoyait plusieurs personnes en détention, accusées d’avoir fabriqué des engins explosifs (en l’état, des fumigènes artisanaux et des crève-pneus) alors qu’elles se rendaient à une manif au CRA de Vincennes. C’est alors l’association de malfaiteurs à caractère terroriste qui est mobilisée, tout comme à l’encontre des 9 de Tarnac, en 2009, accusé.es d’avoir endommagé des caténaires avec des crochets posés sur les lignes TGV. Le procès signera la défaite retentissante, pour un temps, de la mobilisation de l’antiterrorisme à l’encontre de militants. Les fois suivantes, c’est donc la seule association de malfaiteurs qui est mobilisée : à Rennes en 2016, pendant la loi Travail, contre des actions de sabotage de composteurs de métro à l’aide de mousse expansive ; à Briançon en juillet 2018 pour suspicion d’aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière, dans le cadre d’une mobilisation entre l’Italie et la France contre Génération Identitaire ; à Lyon, le 13 novembre 2018 contre une action antifasciste de construction d’un mur en parpaings devant l’entrée du Bastion Social, à Bordeaux dans le cadre des Gilets Jaunes, le 7 décembre 2019, avec l’arrestation de 16 personnes accusées de fomenter des actions violentes dans un « appartement conspiratif » (l’enquête sera entièrement annulée en mars 2021, les avocat.es ayant pu démontrer l’illégalité de la perquisition). En septembre 2020, à côté de Grenoble, 6 personnes sont arrêtées de nuit près de jardins collectifs, accusées d’avoir voulu monter une ZAD, ou d’être, peut-être, à l’origine des incendies qui illuminent la région depuis quelques années. Les mises en examen pour association de malfaiteurs sont annulées en avril 2021. Plus récemment, l’affaire dite du 8 décembre 2020 reprend le qualificatif d’association de malfaiteurs terroriste à l’encontre de plusieurs personnes arrêtées à Toulouse, Rennes, Vitry-sur-Seine et Cubjac, soupçonnées d’avoir prévu des actions violentes contre les forces de l’ordre, avec comme toile de fond le soutien à la lutte des Kurdes…

Quand le moyen contient la fin

À l’approche du procès, on pourrait être tenté de considérer ce qui va se dérouler le 1er, 2 et 3 juin comme le moment-phare, l’instant de dévoilement, l’aboutissement de toute cette procédure. Ce serait manquer quelque chose : le plus important s’est sans doute déroulé, pour le pouvoir, durant ces presque trois années, de 2018 à aujourd’hui.

Les moyens d’enquête considérables que permet l’instruction sous le motif d’association de malfaiteurs ont ainsi servi leur but : permettre aux services de police d’amasser un savoir considérable (même si toujours désincarné) sur ceux et celles qui osent défier la sainte trinité du Nucléaire en France.

À Bure, 29 personnes ont été mises sur écoute, 765 numéros de téléphone ont fait l’objet de demandes de vérification d’identité, 85.000 conversations et messages ont été interceptés, cumulant plus de 16 ans de temps de surveillance téléphonique, 118 personnes ont été fichées dans un organigramme type ANACRIM (logiciel d’analyse criminelle mobilisé dans l’affaire du petit Grégory), 25 perquisitions ont été menées, pour un total d’exactement 20.164 pages de dossier d’instruction.

Avant le verdict, la peine a déjà été appliquée : interdiction de se voir, interdiction de séjour, interdiction de communication, interdiction dans les faits de manifester, contrôles judiciaires contraignants, voire incarcération. Des liens disloqués, une intrusion insupportable dans l’intimité de dizaines de personnes…. Des personnes mises en examen faisaient le parallèle en avril 2020 entre le confinement imposé à toute la population française et leur situation :

« Ne pas avoir le droit de voir des amis. Leur faire courir un risque grave si on essayait malgré tout. C’est la douloureuse réalité de dizaines de millions de personnes depuis plus d’un mois. C’est la nôtre depuis bientôt deux ans. Deux ans, rien que ça, mais sans apéros en visioconférence et sans coup de fil pour savoir si ça va. Rien que des bribes de nouvelles qui passent de proche en proche : « X a pas mal déprimé ces derniers mois mais ça va mieux, tu lui manques », « Y s’est marié, tu ne savais pas ? », « Z vient d’être rajouté au dossier, tu ne peux plus lui parler non plus, je suis désolée ». Des choses comme ça, abstraites, désincarnées. »

(Extrait de la tribune Pour que cesse le confinement de notre lutte et de nos amitiés)

La solidarité est notre arme !

Et pourtant, la lutte ne s’est pas éteinte, et la solidarité n’a pas disparu. Personne n’a rendu les armes, et le procès sera l’occasion d’inviter des centaines de nouvelles personnes dans la lutte.

Nous sommes des collectifs de soutien juridique et de lutte contre la répression, situés un peu partout en France. Au quotidien, nous luttons, avec un réseau d’avocat.es engagé.es, à contrer l’individualisation des responsabilités et des peines, à se redonner du pouvoir face à la machine judiciaire qui nous veut impuissant.e.s et dociles. À créer des liens là où ils nous voudraient isolé.es.

Si les gouvernements successifs semblent s’évertuer à criminaliser les formes les plus élémentaires de solidarité, en poussant vers la prison des personnes qui ne font que résister légitimement à l’inacceptable (à travers le « délit de solidarité » notamment) et en menaçant de représailles tout·es celles et ceux qui refusent de déserter les rues et les luttes, qu’ils ne se détrompent pas : aucun État, même les plus totalitaires, n’a jamais eu et n’aura jamais raison de cette solidarité instinctive, de cet élan qui est au cœur du fait même de lutter.

Les liens qui unissent toutes celles et ceux qui se soulèvent sont intouchables.

Tous et toutes à Bure le 1er juin !

[Le Club de Mediapart] De Tarnac à Cubjac, qui dit que la jeunesse n’avait pas de projet ?

« Au nom de la division pré-crime du district fédéral de Colombia, je vous arrête pour le futur meurtre que vous alliez commettre aujourd’hui 22 avril à 8h04 du matin » (Minority Report)

Le 8 décembre dernier, après plusieurs mois d’une savante « information judiciaire », neuf personnes sont interpellées à Cubjac, Vitry-sur-Seine, Rennes et Toulouse au motif de leur participation supposée à une « association de malfaiteurs terroriste criminelle », selon une source judiciaire qui ne manque pas d’adjectifs. La terrible « mouvance d’ultragauche » s’apprêtait donc de nouveau à sévir. Deux personnes sont laissées libres sans charges, deux sont placées sous contrôle judiciaire et cinq sont incarcérées jusqu’au jour où nous écrivons. La République, une fois de plus, est sauve.

L’opération de police menée avec brio arrive à point nommé. La police française vient en effet de démontrer par deux fois son talent inégalable pour se ridiculiser. Alors que le Parlement essaye de faire passer la loi « sécurité globale » qui interdit entre autres de filmer les forces de l’ordre, on les voit le 24 novembre démanteler à la matraque un camp de migrants en plein Paris avant de s’adonner à une chasse à l’homme, puis le 27 décembre rouer de coups un producteur de musique noir dans son propre studio. Et si on voit les brutes se déchaîner, c’est précisément qu’elles ont été filmées.

Sur les crânes des ronds-de-cuir, on dût s’arracher les derniers cheveux pour trouver comment faire diversion. Il était temps de ressortir l’ultragauche terroriste du placard, d’agiter le fantasme des intentions d’envisager de projeter des attentats contre la République et en somme de protéger tous les citoyens contre les crimes de pensée. Aussitôt les arrestations faites, on apprit donc en toute logique que « le meneur était ancré dans une idéologie prônant la révolution ». Diable !

Si nous décidons d’écrire ce communiqué – bien que nous ne connaissons pas les personnes incarcérées –, de créer un comité de soutien aux inculpé.es, et d’appeler partout à multiplier les marques de solidarité, c’est que cette histoire nous rappelle étrangement la nôtre, ici, à Tarnac. Il y a 12 ans, des proches, des amies, des sœurs, des compagnons, se sont fait « enlever » par les services de police dans notre petite commune de Corrèze, brutalement sortie de l’anonymat pour servir la communication du cabinet de la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie.

Tous les mauvais récits ont des airs de famille. Et ceux de l’imagination policière sont aussi frustes que sa brutalité. Voyez plutôt comme on nous ressert la même soupe rance : « Coup de filet dans l’ultragauche » ! « Ils préparaient un projet d’action violente » ! Mais attendez le décor, les éléments d’ambiance et les personnages. Le tableau général est grossier, macho, ringard, comme la boîte crânienne des fonctionnaires assermentés. Posez d’abord un leader, passionnément violent, puisqu’il est parti combattre Daech au Rojava. Ajoutez-y une compagne discrète, qui a naturellement été embrigadée. Et puis le bras droit, également violent et dangereux : il est artificier à Disney Land. Enfin le bras gauche, trouble et nomade : il aurait voyagé en Amérique latine. Quelques jeunes recrues fanatisées… Mélangez le tout et ajoutez l’épice : un fascicule explosif, la preuve des preuves, la charge des charges. En 2008, c’était « L’insurrection qui vient », en 2020 : « Comment créer et entraîner une unité milicienne ».

Aucun acte ne leur est reproché, excepté celui d’avoir projeté, et on sait bien où mènent les mauvaises pensées. On commence par écrire ACAB sur un banc d’école, on porte un tee-shirt Che Guevara, on déteste les milliardaires et on finit par poser des bombes. Heureusement, les hommes de bonne volonté savent deviner et pister les crimes de pensée. « Chaque jour, les femmes et les hommes de la DGSI protègent la République contre ceux qui veulent la détruire. Merci, une nouvelle fois, pour leur action contre ces activistes violents de l’ultragauche. » Merci Darmanin. Pour un peu, on oublierait que tu es soupçonné d’abus de confiance, de harcèlement sexuel et de viol. Encore quelques épisodes de ta série policière et on oubliera que toi et tes copains vous formez une association de malfaiteurs.

Après douze années de lutte acharnée, l’affaire dite de Tarnac s’est soldée par une relaxe et la phrase d’aveu du procureur, que l’on n’oubliera pas : « Le groupe de Tarnac n’existe pas… ». Mais entre temps, il y eut toute une suite de malfaiteurs, de malfaiteurs associés, d’associations de malfaiteurs, d’associations de malfaiteurs criminels, etc. Depuis, l’antiterrorisme n’avait plus découvert de cellule terroriste d’ultragauche, et peut-être ses chefs avaient-ils juré qu’on ne les y reprendrait plus. Mais voilà, la police est au plus mal, elle a besoin d’éclat. Et l’institution tente toujours de prendre ses revanches. « C’est un peu le match retour après Tarnac », confie un magistrat proche de l’instruction.

Les inculpé.es se défendront comme ils l’entendent et nous les soutiendrons. Comme le disait Foucault en 1981 : « Se défendre, c’est refuser de jouer le jeu des instances de pouvoir et se servir du droit pour limiter leurs actions. Ainsi entendue, la défense a valeur absolue. […] On ne se défend qu’au présent : l’inacceptable n’est pas relatif ». Mais au présent, justement, nous avons déjà tout à faire pour les soutenir. Le pouvoir joue la partie de la discrétion et de l’occultation. Craignant probablement un second fiasco, il ne fait pas le malin dans les médias. Il compte sur les règlements, les dossiers et les serrures, il compte sur la justice des oubliettes. Il fait tourner la grande machine à disparitions.

Pensons aux Indiens des plaines d’Amérique du Nord à qui Lévi-Strauss exposait notre système carcéral et qui jugeaient, horrifiés, que cette façon de faire est barbare, car elle met les hommes au secret et les enterre dans le silence du béton. Par tous les moyens possibles, nous devons faire savoir aux inculpé.es qu’ils ne sont pas seuls, et à l’appareil médiatique policier, que son récit est bouffon. Que chacun, chacune, là où il est, là où elle peut, trouve des manières financières et morales de les soutenir et que se multiplient les comités de soutien.

LIBÉRATION IMMÉDIATE DES INCULPÉ.ES DU 8 DÉCEMBRE !
5 février 2020, depuis le plateau de Millevaches, le comité de soutien de Tarnac

Les invités de Mediapart – Féministes, nous luttons contre la répression d’État

Des intellectuels et des artistes, dont Françoise Vergès, Isabelle Stengers, Paul B. Preciado et plusieurs collectifs féministes s’allient pour affirmer « leur peur et leur colère face à la course sécuritaire menée par le gouvernement », et réclamer la libération des militants arrêtés le 8 décembre 2020.

Le 8 décembre dernier, sept personnes ont été arrêtées et mises en examen pour association de malfaiteur terroriste « en vue d’attaques contre les forces de l’ordre ».

Seulement, de l’aveu même des services de police et/ou du parquet qui ont fait fuiter des morceaux de l’affaire dans la presse, aucun projet concret d’« attentat » ne leur est pourtant attribué. Dans cette construction digne de Minority Report, la justice prédictive n’a besoin que du rapprochement de faits mineurs voire anodins1 , d’un prétendu groupe (alors que les sept inculpé·e·s ne se connaissent pas tous entre eux) et d’une idéologie, qualifiée « d’ultragauche ».

Derrière cette étiquette policière, c’est tout un panel d’idées et de pratiques qui est ciblé, notamment celles qui luttent contre les oppressions systémiques.

En tant que partie prenante du mouvement féministe, nous tenons à nous solidariser avec les personnes interpellées et à dénoncer les diverses formes de répression politique qui cherchent à museler nos luttes2.

Au nom de l’antiterrorisme, la justice française permet qu’on arrête, enferme et condamne des personnes pour de simples suspicions d’intentions.

Durant les 96 heures de leur garde à vue, la DGSI aura d’ailleurs posé plus de questions sur leurs opinions politiques (que pensent-elles·ils du véganisme, de la politique gouvernementale, de l’antifascisme, des violences policières ?) que sur des faits précis qui pourraient leur être reprochés.

Sur ces bases, la justice maintient cinq des sept inculpé·e·s depuis trois mois en détention provisoire, sous le dur régime des « détenus particulièrement signalés » : restriction des visites et du courrier, isolement sévère, réveil toutes les deux heures, limitation de l’accès aux maigres activités qu’offre la prison, humiliation de la fouille à nu à chaque parloir.

L’affaire du 8 décembre est une illustration de plus de la fonction très politique et des ressorts fondamentalement paradoxaux de l’antiterrorisme : il ne s’agit pas de combattre la peur, mais d’en faire un moyen de gouverner. En commençant par la répandre le plus possible, si besoin en inventant une menace de toute pièce, comme c’est le cas ici. En désignant ensuite la figure de qui nous devons avoir peur, ce qui permet à la fois de stigmatiser des parties de la population et d’invisibiliser le fond du problème.

Enfin, en exerçant une répression féroce, ce qui accrédite la menace et fait monter le niveau de tension.

En tant que féministes, nous identifions bien certains de ces ressorts. Nous avons l’habitude que le pouvoir joue avec nos peurs. Peurs d’être pris·e·s pour cible par des fanatiques, peur de nous faire violer dans une ruelle sombre.

Oui nous avons peur.

En tant que femmes, hommes trans ou personnes non-binaires, on nous a scrupuleusement appris à avoir peur, à voir nos corps comme vulnérables et soumis à n’importe quel désir de possession.

Pourtant, aujourd’hui, ces mensonges ne prennent pas. Les peurs qui nous habitent ne sont pas celles qu’on veut nous construire.

Nous avons peur du fascisme, auquel ce gouvernement est en train d’ouvrir la voie. Un fascisme dans lequel nos libertés de femmes, hommes trans ou personnes non-binaires, n’auront plus aucune place, si ce n’est celle d’être la « femme de » quelqu’un. (Il est notable que dans le traitement médiatico-policier des dernières affaires antiterroriste concernant « l’ultragauche », il n’a pas manqué de journalistes d’un autre siècle pour décrire les femmes impliquées comme des personnes sous l’influence de leur compagnon).

Nous avons peur de la police. Parce que ses marges de manœuvres semblent sans limite, y compris celles de nous humilier, de nous violer, de nous tuer – tant son impunité est scandaleuse. Parce qu’elle est armée et compte en son sein un nombre non négligeable de conjoints violents et de fascistes.

Depuis différentes positions sociales et politiques, nous nous allions aujourd’hui pour affirmer ensemble notre peur et notre colère face à la course sécuritaire menée par le gouvernement.

Militant·e·s, universitaires, chercheur·euse·s, activistes, travailleur·euse·s sociales, artistes, nous sommes féministes. Et alors que les mouvements féministes n’ont jamais été aussi massifs et puissants, nous souhaitons réaffirmer que nous ne sommes pas dupes du patriarcat qui est au fondement même de l’État qui nous dirige.

Une ligne d’écoute privatisée ou un Grenelle ne nous feront jamais oublier l’invisibilisation des personnes trans et non-binaires, les violences institutionnelles et l’enfermement subis par les personnes exilées, la criminalisation des travailleur·euse·s du sexe, la valorisation de la violence sexiste et de la virilité, la décision de ne protéger que certains corps.

Sur cette base, nous affirmons nous opposer :

– À la loi « sécurité globale », qui donne toujours plus de pouvoir à la police. Alors qu’il n’est plus possible pour personne de nier les violences policières, le gouvernement augmente la possibilité de la surveillance de masse par tous les agents de la sécurité. Renforcer la police, c’est renforcer le patriarcat d’État dont elle est le bras armé. Le texte prévoit de toujours plus pénaliser les moyens à disposition des luttes pour s’en défendre. Nous refusons de laisser la police nous filmer, les agents de sécurité nous palper.

– Au « féminisme » d’État, qui transforme nos souffrances en prétexte à la pénalisation et au sécuritarisme. Nous n’accordons aucune confiance aux sphères étatiques qui refusent de voir que le viol est une culture, la domination une éducation. Si nous reconnaissons que la justice permet à certaines victimes de trouver une sorte de réparation, nous ne doutons pas que le système pénal privilégiera encore et toujours les dominants, quand les corps racisés seront les coupables idéaux. Pénaliser les actes sexistes ne les empêchent pas, et la question reste inaudible pour le gouvernement : que faut-il faire pour empêcher les hommes de violer ? Le projet de loi contre le séparatisme illustre bien ce « féminisme » d’État : que viendra résoudre l’interdiction des certificats de virginité ou une énième loi sur le voile, à part réduire nos libertés en renforçant le contrôle sur nos corps et alimenter l’islamophobie en prétextant une fois de plus nous libérer ?

– À la répression des mouvements de lutte qui s’abat sur celles et ceux qui se mobilisent contre ce monde patriarcal, à travers la répression juridique et la violence physique. Violence physique « contrôlée », qui est la base de la virilité policière. Répression juridique pour laquelle des militant·e·s politiques sont désormais des « terroristes », diabolisé·e·s comme ultra-violent·e·s quand des groupes d’extrême droite tabassent des rassemblements féministes en toute impunité.

Les arrestations du 8 décembre servent opportunément de contre-feu au large mouvement mondial de remise en cause de la police. Mouvement, est-il besoin de le rappeler, dont les figures de proue sont des femmes.

Nous avons le courage de dire nos peurs avec force, et nous appelons toutes celles et ceux qui agissent pour la destruction du patriarcat :

– à militer pour la prévention, l’auto-défense, l’empowerment et la construction d’une justice transformatrice,

– à soutenir toutes celles et ceux qui sont touché·e·s par la répression, et à refuser que la catégorie de terroriste puisse servir à briser celles et ceux qui militent contre la violence de l’État3

– à réclamer en conséquence la libération des cinq personnes encore incarcérées en détention provisoire depuis le 8 décembre.

Notre sororité est notre force,

Signataires :

Françoise Vergès, Isabelle Stengers, Paul B. Preciado, Elsa Dorlin, Isabelle Cambourakis, Emilie Hache, Nathalie Quintane, Nacira Guenif, Emilie Noteris, Wendy Delorme, Naruna Kaplan de Macedo, Isabelle Frémeaux, Hourya Bentouhami, Anne Emmanuelle Berger, Tissot Sylvie, Jules Falquet, Yala Kisukidi, Valérie Rey Robert, Fatou Dieng, Awa Gueye et le collectif Vérité et Justice pour Babacar, Aurélie Garand et le collectif Justice pour Angelo, Nous Toutes 35, collectif toutes en grève 31, Marseille Féministe, collectif Nous Toutes 76 Le Havre , Union Pirate, Les Enlaidies, UCL

1Pour plus de précisions sur l’affaire, voir le site du comité : https://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/

2Voir aussi la tribune de soutien rédigée par des combattant·e·s francophone du Rojava, alors que l’un des leurs est inculpé dans cette affaire : https://lundi.am/Operation-antiterroriste-du-8-decembre

3.cotizup.com/soutien-8-12

Communiqué de l’équipe du Lycée Autogéré de Paris en soutien aux inculpé.e.s du 8 décembre

Depuis le 8 décembre 2020, sept personnes sont inculpées et cinq sont toujours détenues dans plusieurs maisons d’arrêt d’île-de-France pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, sans que les charges retenues contre elleux soient clairement définies.
Les membres de l’équipe du LAP dénoncent cet abus de pouvoir et appellent à la libération de toustes les prisonnier.es.

Depuis la loi du 4 janvier 1993, le droit français n’utilise plus le terme «d’inculpé.e». Pour souligner l’importance donnée à la présomption d’innocence l’institution judiciaire parle à la place de «mis.e en examen».

L’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme affirme ce principe : «Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie».

Pourtant l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes reprise dans la loi de 1996 s’accorde mal avec ce principe. En effet, en étant poursuivi.e de «participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme ayant pour objet la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes» (AMT), les soupçons servent à incriminer.

Le blogger Maître Eolas le confirme. Il cherche en vain une décision d’acquittement parmi les centaines de mise en examen dans le cadre d’une AMT.

De plus, la loi définie par l’article 450-1 du Code pénal sert de fourre-tout et l’anti-terrorisme permet de poursuivre et réprimer les luttes sociales : affaire Tarnac, militant.e.s accusé.e.s pour de la mousse expansive dans les bornes de validation du métro rennais, poursuites parmi les anti-nucléaires à Bure suite aux dégradations de l’hôtel-restaurant de l’Andra…

Le 8 décembre 2020, c’est au tour de neuf personnes de se retrouver inculpées dans un coup de filet anti-terroriste : arrestations à l’aube, gardes à vue de 96h, interrogatoires sans relâche, tête encagoulée pour les déplacements, perquisitions, prison préventive avec régime spécial et deux gardiens assignés par détenu… L’arsenal est impressionnant et violent.

Puisque c’est une intention prêtée à ce que la police présente comme un groupe «d’ultra-gauche» qui est poursuivie, les éléments à charge ne se relient qu’à la lecture d’un récit brodé : utilisation de messageries chiffrées, retour des combats au Rojava au côté des YPG pour l’un d’entre eux, métier d’artificier pour un autre, idées anticapitalistes… Cela suffirait à démontrer les intentions violentes du groupe.

S.G. qui fait partie des 5 toujours en détention provisoire était élève au lycée autogéré de Paris il y a vingt ans. Il y affirmait ses pensées anti-autoritaires et son goût pour les groupes punks.

Nous dénonçons une utilisation abusive du régime anti-terroriste et de la détention préventive.

Nous appelons à la libération immédiate des cinq en prison et à la déqualification du caractère terroriste des poursuites.

Les membres de l’équipe du LAP – 30 mars 2021.