Libre Flot a mis fin à sa grève et est libéré « pour raison médicale ».

Il y a des jours qui paraissent une éternité pesante.

Ce lundi 4 avril, Libre Flot a fait le choix du printemps, après 36 jours de refus de s’alimenter. Il nous transmettait alors ce communiqué, pendant que des actions de solidarité s’organisaient de Lisbonne à Helsinki, de Thessalonique à Lille.

« Alors que ces presque 16 mois de détention en isolement m’ont laissé beaucoup plus de séquelles à la fois physiques mais surtout mentales et psychologiques
que 10 mois de guerre en Syrie,

Alors même que j’ai survécu à la libération de Raqqa,
face aux troupes de Daesh défendant bec et ongles
la capitale de leur califat,

Je reste estomaqué, non seulement de la censure qui est faite autour de ma situation, mais surtout devant le silence vis-à-vis de ma légitime et raisonnable requête, de la part du gouvernement français, du Parquet National Anti-Terroriste, du juge d’instruction Jean-Marc Herbaut,
démontrant ainsi leur choix de me laisser mourrir!

Pourtant en ce jour d’anniversaire, après 36 jours de grève de la faim, au moment où mon état de santé devient plus hasardeux que jamais, je fais le choix de la vie comme une renaissance, une nouvelle vie qu’accompagne ce printemps et tourne le dos à un potentiel dénouement fatal.
Ce 4 avril 2022, à 18h, j’ai décidé de me réalimenter.

Mais rien ne s’achève maintenant, je demeure enfermé, enterré vivant et plus que jamais, j’espère votre soutien
et appelle à la solidarité.

Je réitère que je ne demande qu’à être traité comme tou.tes mes co-inculpé.es, à savoir être mis en liberté le temps de pouvoir démontrer le côté calomnieux de cette honteuse accusation terroriste qui ne tient pas la route.

Salutations et respect,
Libre Flot. »

Dans le même temps était arraché du bout des doigts à l’Instruction une libération « pour raison médicale », donc provisoire et tout aussi révocable qu’une mesure d’isolement l’est, espérons que cela dure plus de 16 mois cette fois.

Le moment est à la joie et au soulagement pour les proches,et au renouveau pour Libre Flot. Il est très fatigué et on ne sait pas combien de semaines durera l’hospitalisation, mais il a commencé à se réalimenter très progressivement. Des soins de rééducation vont lui être donnés aussi. Il nous transmet ce message ce soir :

« Aujourd’hui, le 7 avril 2022, j’ai été remis en liberté, sous vracelet électronique,
pour raisons médicales…

J’ai donc été transféré dans un établissement hospitalier, libre, afin de profiter de tous les soins nécessaires en conséquence de cette longue période d’inanition. Je vais pouvoir me focaliser sur la reconstruction de mon corps, mon intellect et ma psyché.

C’est une excellente nouvelle pour moi, bien que le chemin qu’il reste à parcourir pour faire voler en éclat la mascarade de l’accusation terroriste, connue sous le nom d’affaire du 8.12
demeure probablement longue.

Mais je ne vous oublie pas et je tiens à remercier du plus profond de mon coeur toustes les personnes, collectifs et organisations m’ayant soutenu et ayant propagé l’information.

Je n’ai plus les mots pour exprimer ma gratitude!

Merci encore,

BERXWEDAN JIYAN E!

Libre Flot. »

 

En tant que comité de soutien, nous souhaitons aussi remercier les camarades qui ont vécu cette grève avec nous, et qui ont élevé leur voix contre l’antiterrorisme français. Nous avons visibilisé l’ignominie de cette affaire du 8 décembre, dénoncé la criminalisation historique des kurdes et de leurs soutiens, réappris l’importance de rompre l’isolement des frontières et des murs. On n’oublie pas.

« La guerre produit des dictatures comme les générations vivantes n’en ont jamais vu » avertissent les socialistes et communistes russes contre la guerre. Ce n’est qu’un début.
 
Pour que le monde ne devienne pas une prison, ABOLITION!
Pour la vie, REVOLUTION!

LibreFlot: « À vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’auto-défense de l’Ukraine »

Après 15 mois de quartier d’isolement, au 22e jour de sa grève de la faim, après une première hospitalisation ce week-end et ayant perdu plus de 10 kilos, Libre Flot le sait mieux que quiconque : « si vous êtes des militant.es politiques, vous êtes les potentiel.les terroristes de demain ». Aujourd’hui il souhaite faire passer ce message de soutien et d’avertissement aux volontaires qui partent combattre actuellement contre l’invasion russe en Ukraine. Ses mots sont durs, et malgré le difficile accès à l’information en prison, il voit juste. Selon un article de Europe1, la DGSI est déjà entrain de contruire son récit et de tisser sa toile autours de certains volontaires.

« À vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’auto-défense de l’Ukraine. »

L’actualité en Ukraine et les engagements individuels de certain.es résonnent étrangement avec les engagements des volontaires contre Daesh. Je ne m’adresse pas aux militant.es d’extrême-droite, aux idéologies basées sur la haine de l’autre, mais à vous, volontaires internationalistes qui partez combattre en faveur de l’auto-défense de l’Ukraine par amour de la vie. A vous qui aujourd’hui êtes encensé.es par les médias et les politiques, sachez ceci: si vous êtes des militant.es politiques, vous êtes les potentiel.les terroristes de demain, car à votre retour, tout comme moi qui ai rejoint les Unités de Protection du Peuple (YPG) et combattu les barbares daeshiens, cette expérience sera une épée de Damoclès que la DGSI et le gouvernement feront planer au dessus de vos têtes. Vous serez sûrement épié.es et surveillé.es, toute votre vie pourra être redessinée, réécrite, réinterprétée et de simples blagues pourront devenir des éléments à charge lorsque ces institutions auront décidé de vous instrumentaliser pour répondre aux besoins de leur agenda politique.

Depuis le 27 février, je suis en grève de la faim pour que l’on cesse de me traiter comme les terroristes contre lesquels j’ai combattu et ce, dans l’indifférence des médias et des politiques, sous une chape de plomb semblable à une pierre tombale.

Je finirai par ces mots d’anarchistes ukrainien.nes : « Liberté aux peuples, Mort aux empires! »

Libre Flot.

 

« Ya plus de parole perdue. »

Ce sont les mots d’un autre volontaire ayant combattu Daesh au Rojava. Alex, auteur du livre Hommage au Rojava, il témoignait au micro de Lundisoir de cette épée de Damoclès constante qui pèse au dessus de chacun de leurs mots : « c’est assez dur pour l’entourage de comprendre qu’en fait on peut pas parler librement, c’est pas possible ».

Un article d’avril 2021 du Monde Diplomatique intitulé « Combattre les jihadistes, un crime?« , constatait que « le Parlement français a adopté de nombreuses lois « antiterroristes » qui permettent de substituer le soupçon à la preuve. Comble de la perversité, ces textes servent aujourd’hui de base juridique pour traquer ceux qui ont voulu combattre le djihadisme en Syrie. »

Cela saute aux yeux, l’Etat français, via la DGSI, opère à un tri idéologique entre les personnes qui partent combattre au nom d’idéaux patriotiques et nationalistes (bons volontaires), et ceux qui partent au nom d’idéaux libertaires, anti-coloniaux et socialistes (menaces terroristes). La DGSI est une police politique, profondément antigauchiste, qui a pour mission de maintenir dans le domaine de l’impossible l’avènement d’organisations politiques bien plus émancipatrices que la forme autoritaire qu’est l’Etat-Nation.

Force à toi Libre Flot!
Liberté aux peuples, mort aux empires!

 

–> Pétition pour sa libération immédiate <–

–> Tribune pour sa libération immédiate <–

Rejoignez les signataires en écrivant à pourledroitaladefense@riseup.net

Crève la taule, grêve pour la fin…

A toi camarade qu’on laisse croupir dans une cage, à toi camarade qui lutte, qui résiste dans un 9m2.

Nous sommes nombreux-ses à être solidaires de ton engagement et de tes convictions ! Tu n’es pas seul, notre soutien reste et restera sans faille face à cette machination.

Nous resterons debout, la tête haute et nous n’abandonnerons pas, quoi qu’il arrive.

Crève la taule, grêve pour la fin… de cette mascarade au seul but de nous diviser, nous soumettre, nous détruire, ainsi que nos idées.

Mais sachez, VOUS, le soi disant juge, défenseur de l’absurde, que peu importe ce que vous direz, peu importe ce que vous ferez, nous en serons encore plus uni-es, plus fort-es et plus déterminé-es.

Nous ne plierons pas !

Nous avons la rage, et vos actions n’alimenteront que notre détermination.

Force et courage à notre ami, à notre frère sous les verrous ! Nous ne t’oublions pas, et sommes là à tes côtés en ces temps difficiles.

Hèz ji te re heval, Azadi

Nous continuerons à nous battre afin de se réapproprier l’entièreté de nos vies ! Nous envoyons nos pensées et tout notre amour à tous-tes nos sœurs et frères qui luttent en toutes circonstances face à l’enfermement.

 

Valtra, inculpé du 8 décembre.

Message de Libre Flot au 17e jour de grève de la faim

Aprés 17 jours de grève de la faim, les institutions bien conscientes de ce qui se passe, restent totalement indiferentes. Alors que mes proches se font de plus en plus d’inquietudes des conséquences et sequelles irrémédiables que cette grève de la faim ne tardera plus bien longtemps à me faire souffrir pour le restant de ma vie, que puis-je leur répondre?

Que de toutes façons les conséquences de cet enfermement existent déjà, que je souffre déjà dans mon corps et que mon esprit n’est déjà plus que l’ombre de lui même. Que les sequelles sur ma psyché necessitent déjà de longs soins et que si je reste ici ça ne va que s’empirer.

Ici je suis temoin de la perte de raison de mes voisins, je les entend changer au cours des mois qui passent, j’en entends certains perdre pied, si ce n’est sombrer dans la folie.

Et qu’en est il de moi? Ma situation est elle plus saine, emmuré dans mon mutisme? Dans un pantomine de vie étudiante qui ne me trompe même plus? A apprendre une langue étrangère alors que ma mémoire s’éffiloche, à m’imaginer évoluer en passant une semaine sur une leçon d’une demi heure qui n’est pourtant que des revisions. Alors, dégradation pour dégradation, séquelles pour séquelles, autant que ce soit de mon choix, autant que ce soit pour pousser ce cri de vie, autant que ce soit pour lancer cet appel à l’aide: Sortez moi de ce tombeau !

Salutations et respect.
Merci pour votre soutien.

[LundiAM] Récit d’une mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste

« Ce qu’on nous reproche ? Une sorte de fantasme construit autour de nos opinions politiques. »

paru dans lundimatin#328, le 28 février 2022.
 
Une des inculpé.es de l’affaire dite du 8 décembre 2020 revient sur la mécanique infernale (et toujours en cours) dans laquelle les services de renseignement et le parquet antiterroriste l’ont plongée, avec huit autres personnes, il y a un peu plus d’un an maintenant.
 

Depuis plus d’un an maintenant, vous êtes mise en examen dans une affaire d’association de malfaiteurs terroriste, dont on a régulièrement parlé dans lundimatin et qu’on appelle communément « l’affaire du 8 décembre », jour de vos arrestations en 2020. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu’il se passe pour vous, ce 8 décembre au matin ?

Les 8 décembre on a été neuf personnes arrêtées un peu partout en France, à 6 h du mat’, par des équipes du Raid et de la DGSI. Chez moi, ils devaient être une vingtaine, toute la rue était bloquée, ils étaient très nombreux dans la maison, j’ai un peu du mal à estimer le nombre. On a été emmenés en train ou en avion dans les locaux de la DGSI, pour passer trois jours de garde-à-vue antiterroriste. Puis on a été sept mis en examen avec ce chef d’inculpation de « participation à une association de malfaiteurs terroristes en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes ». Deux personnes on pu directement sortir sous contrôle judiciaire et on est cinq à avoir été envoyés en détention – quatre mois et demi en ce qui me concerne. Depuis tout le monde est sorti sauf une personne qui est actuellement toujours maintenue en détention, sous le régime de l’isolement.Tout part de la surveillance de cet ami qui était parti au Rojava quelques temps avant. Comme toutes les personnes qui se sont rendues sur place, cela a attiré l’attention de la DGSI à son retour. De cette surveillance est née un rapport, qui va servir à « judiciariser » notre affaire. Ça, c’est en février 2020. À partir de là, il y a donc dix mois d’enquête avant nos arrestations, enquête qui se base sur l’idée que cette personne revenue du Rojava chercherait à monter un groupe « en vue de commettre des actions violentes contre les forces de l’ordre ou des militaires ». En gros, ce qui nous est reproché, c’est ça : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes.C’est un chef d’inculpation un peu particulier, dans le sens où il est complètement fourre-tout. Les jurisprudences de ces dernières années, alimentées par l’islamophobie ambiante, ont élargi les possibilités de condamnation. Un « esprit de projet » suffit à établir une culpabilité, sans qu’il n’y ait besoin d’actes ou de préparation, ce qui permet de donner une place légale au fantasme et à l’interprétation dans un dossier. Tu peux faire partie d’une association de malfaiteurs sans en avoir conscience.
D’ailleurs la première chose à dire c’est que parmi les neuf personnes arrêtées le 8 décembre, on ne se connaît pas toutes et tous. Pour certain.es, on ne s’est rencontrés une seule fois, pour d’autres on ne s’est jamais vu. Pour valider cette notion de « groupe », dans le rapport de la DGSI à l’origine de l’affaire, il est écrit qu’on aurait tous l’intention d’habiter ensemble dans un squat. Dix mois plus tard, ils nous arrêtent aux quatre coins de la France. On ne se connaît déjà pas tou.tes, alors habiter ensemble c’est pas à l’ordre du jour !

Tu peux revenir sur les conditions de ton arrestation ?

Dans ce genre de situation tout se passe très vite. Quand tu te retrouves finalement dans ta cellule en détention, t’as pas vraiment l’impression d’avoir eu le temps de comprendre ou de te saisir de quoi que ce soit et, malgré les trois jours de garde à vue tu te dis « mais du coup quoi ? Ca y est c’est tout ? Je suis en prison et ça s’arrête là ? » C’est assez impressionnant.
En plus une garde-à-vue antiterroriste, c’est quand même pas rien. C’est vraiment pensé pour te désarçonner, te fatiguer.
Déjà il y a le trajet et la manière dont on a été arrêté. Après trois heures de perquisition j’ai d’abord été emmenée dans un premier commissariat, menottée et cagoulée. C’est là, quand on est venu me chercher en cellule, que j’ai compris que c’était la DGSI qui m’emmenait à Paris parce qu’au début on ne me disait pas pourquoi on m’arrêtait et on ne me disait pas quels étaient les chefs d’inculpation. Ils me disaient juste : tu vas rester enfermée un bon moment. Moi, au début, j’étais vraiment assez incrédule, je pensais : « Cause toujours ! Je suis sûre que je suis sortie ce soir ! ». Heureusement quelque part, parce que ça m’a beaucoup aidé à gérer le stress et les conditions de transport. Dans le train j’étais ceinturée par une espèce de camisole, les bras contre le corps, avec un masque de ski opaque sur les yeux, pendant tout le trajet. Ensuite, il y a les conditions dans lesquelles tu passes tes interrogatoires. On te fout dans une cellule et puis tu attends… Alors elle est propre, mais elle est complètement insonorisée, t’as pas de lumière du jour, seulement celle du néon, sans possibilité de l’éteindre. Ce qui, avec les murs hyper blancs, te file de sacrées migraines. Et du coup tu n’as pas de notion du temps qui passe, aucun moyen de savoir où tu en es dans la journée. C’est toute une atmosphère pensée pour créer une perte de repères. Arriver en interrogatoire dans ce contexte, c’est pas évident.On a tous dû avoir au moins deux interrogatoires par jour. Dans l’ensemble, les policiers étaient plutôt corrects de mon côté, mais j’ai quand même donné mon ADN sous des espèces de menaces sexuelles, du genre « de toute façon si tu le donnes pas je vais venir chercher tes poils pubiens dans ta petite culotte »… Après, je crois que c’est qu’au bout du quatrième qu’on a commencé à me parler réellement de ce qu’on me reprochait – c’est-à-dire d’éléments qui étaient gardés contre moi dans le dossier. Avant ça, c’était quasiment que des questions d’ordre personnel et politique, et puis énormément de questions sur le parcours de l’ami qui s’était rendu au Rojava.

 

Ce qui était assez étonnant en lisant les articles dans la presse suite à vos arrestations, c’est qu’on ne parvenait pas à comprendre ce qui vous était reproché. En général, le parquet antiterroriste communique beaucoup et fait feu de tout bois à partir du moindre petit élément du dossier. Là, ce qui était frappant, c’est que quand ils ont mis en avant la présence d’armes, ils ont assez vite précisé qu’il s’agissait certainement d’armes détenues légalement. Dès le début de la médiatisation de l’enquête, ils laissent apparaître qu’il n’y a pas grand-chose dans le dossier. Ils parlent d’un « artificier », dont on apprend assez vite que ce qui lui vaut ce qualificatif c’est d’être salarié de Disneyland où il oeuvre pour le spectacle nocturne et quotidien qui émerveille les enfants. Ça relativise un peu… Évidemment, le but c’est de « colorer » l’enquête, comme ils disent, mais on voit bien que c’est assez vide – d’ailleurs, ils vous ont depuis presque tou.tes relâché.es. Mais le « projet » qui revenait c’était votre prétendue volonté de vous en prendre à la police. Est-ce que tu peux nous expliquer sur quoi se fonde cette accusation de vouloir fomenter un attentat contre la police nationale ?
Ce qu’on nous reproche ? Une sorte de fantasme construit autour de nos opinions politiques. Ce dossier repose sur un ensemble d’éléments disparates qui n’ont globalement rien à voir les uns avec les autres mais qui, décontextualisés et racolés, permettent de construire un décors.Un week-end de retrouvaille entre deux amis – dont l’un passionné d’artifices et a l’habitude de faire des effets spéciaux pour des clips – va être accolée à une après midi d’airsoft quelques mois plus tard à l’autre bout de la France avec d’autres personnes qui se sont retrouvés au hasard du confinement à tuer le temps à la campagne. La DGSI va tenter de faire croire que ces deux évènements convergent vers un même projet, et qu’il y aurait un « groupe » constitué (la plupart ne se sont jamais revus après pourtant…). C’est ça qui va être retranscrit dans le dossier comme un « camp d’entraînement militaire  » et c’est ce genre d’extrapolations délirantes auxquelles on fait face. Pour ce qui est des armes, trois personnes possédaient leur permis de chasse et la DGSI va détourner une phrase de son sens (en l’occurrence, une blague), pour faire planer le doute sur les finalités de ces permis de chasse. Un des inculpé est fils de militaire, il y avait des armes inutilisables de collection chez lui qui ne lui appartenaient pas. Et puis il y a aussi de la manipulation dans les termes, puisque les répliques d’airsoft (des pistolets à billes, donc) saisies sont à chaque fois désignées comme des armes.Dans les conversations téléphoniques qui sont retenues à charge contre moi, il y a une fois où j’étais assez énervée parce que je n’avais pas pu faire encaisser un chèque par ma banque et que j’avais absolument besoin de déposer. Donc j’appelle une copine en disant : « Ah, ça me donne envie de cramer toutes les banques ! » – ce genre d’envolées lyriques qu’on peut avoir dans des moments de colère ! Voilà, ça, par exemple, c’est transformé, noir sur blanc, dans un PV comme : « elle affirme son intention de… » Et j’ai dû m’en expliquer devant le juge d’instruction… Je lui ai rappelé le contexte – c’était pendant le premier confinement, strict et hyper-répressif, dans mon envolée j’ai aussi balancé des trucs contre les drones qui étaient utilisés à ce moment là, etc… Et bref, peut-être que monsieur le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut ne sait pas ce que c’est d’avoir du mal à boucler ses fins de mois, mais je pense que ça parle à plein de gens l’importance de pouvoir déposer un chèque !Et évidemment qu’à l’oral, on comprend la tonalité des propos, mais écrit noir sur blanc, sorti de nulle part et sans contexte, ça participe à renforcer un imaginaire complètement déconnecté de la réalité. C’est un des trucs que j’ai rappelé au juge sur cette citation-là : que même l’enquêteur chargé de retranscrire la conversation avait noté « rires » entre parenthèses à côté de mes propos…Une autre anecdote que je pourrais citer qui est significative de la tournure d’esprit de la DGSI : sur l’une de mes interceptions téléphoniques, il y a une conversation retranscrite où il est écrit que je partirais avec une « shot team  », comme équipe de tir en anglais. Quand j’ai lu ça ça m’a fait beaucoup rire… Shot team ne fait vraiment pas parti de mon vocabulaire, par contre j’utilise beaucoup l’expression « chouette team », comme ce week-end là où j’étais probablement contente de partir avec des copines ! Voilà comment des éléments se trouvent retranscrits à charge dans une procédure judiciaire. Bon, là-dessus leur mauvaise fois est tellement évidente qu’ils n’ont même pas osé m’interroger dessus. Mais ça reste dans le dossier.Ce sont ce types de conversations ou de discours sur le rôle de l’État, de l’armée ou de la police en France qui viennent alimenter et construire cette idée de vouloir s’en prendre aux forces de l’ordre ou aux institutions. Et ce qu’il faut bien comprendre, c’est que comme dans notre histoire, il n’y a pas de faits matériels, les moindres propos relevés font office de preuve et deviennent presque un élément matériel à charge. Un dossier de ce type, ce sont des milliers de pages de documents, de retranscriptions d’écoute ou de filatures, et des mots posés sur vous pour vous décrire : « camp d’entraînement », « leader », « groupe », « artificier », « guérilla », « armes »… Il y a un côté performatif du discours, basé sur les répétitions.L’arsenal juridique s’est largement renforcé ces dernières années avec la mise en place des nouvelles lois antiterroristes. Tout ce qui se fait au nom de la « lutte contre le terrorisme » a été trop peu questionné. Même si pas mal de juristes, chercheurs ou assos dénoncent et s’alarment de la tournure que prennent les choses ils n’ont que peu d’échos, et se bornent à un argumentaire sur « l’État de droit ». Tout ça nous amène à vivre cette histoire dans un contexte politique et judiciaire bien plus hostile qu’à l’époque des affaires de Tarnac et de la dépanneuse, ce qui se traduit par exemple par une grande difficulté à faire relayer nos paroles.

Lorsque nous avons appris vos arrestations et les raisons invoquées par la DGSI, nous nous sommes rapidement souvenus d’un article hallucinant et halluciné, publié un an plus tôt par nos confrères de Mediapart. Il était intitulé « Ces revenants du Rojava qui inquiètent les services de renseignement ». Reprise grossière d’un rapport de la DGSI, sans nuance et surtout sans contradiction, l’opération policière était tellement vulgaire que nous nous étions fait quelques soucis quant à l’opportunité d’une telle reprise.. Et cela d’autant plus que l’année précédente, cela avait été débattu autour du cas d’André Hébert, revenu lui aussi du Rojava. À son retour, la police avait confisqué son passeport administrativement, sans passer par un juge, pour lui interdire de quitter le territoire. Ses avocats avaient contesté cette décision administrative et la justice avait établi que le fait d’être allé rejoindre la lutte au Rojava ne pouvait être considéré comme une menace, puisque l’armée française elle-même avait appuyé les forces sur place contre Daech.
L’article de Mediapart montre qu’à ce moment là, la DGSI fait le forcing pour faire changer le point de vue général quant aux personnes parties combattre aux côté des Kurdes. Les termes de l’article étaient effarants, dès le titre il est question des « revenants » du Rojava, évidemment pour évoquer les « revenants » djihadistes de Syrie et imposer une symétrie. Un an après, ce récit-là, cette fiction-là, elle prend corps dans votre affaire. Vos arrestations arrivent dans ce contexte-là. Est-ce que tu peux nous dire quelle place tient ce voyage au Rojava dans le dossier ?

 

Cet article n’est d’ailleurs pas le seul de Matthieu Suc qui soit scandaleux. La DGSI semble avoir trouvé son porte-voix hebdomadaire dans Mediapart, alors que nos communiqués sont considérés comme « sans intérêt journalistique » depuis plus d’un an. Oui la place du Rojava dans ce dossier est vraiment centrale. C’est ce qui le construit et ce qui a permis de le judiciariser. Le rapport de la DGSI qui ouvre l’enquête judiciaire officielle en février 2020 présente en effet cet ami ayant combattu au Rojava comme un potentiel leader cherchant à constituer un groupe pour importer la guérilla et partager des compétences militaires apprises sur place. Et c’est sous ce prisme là que tous nos faits, gestes et paroles ont été retenus. Dans nos interrogatoires de garde à vue puis dans nos auditions avec le juge, on a tous et toutes eu énormément de questions à propos de ce voyage auquel on n’a pas participé. À chaque fois, les enquêteurs ou le juge se défendaient pourtant de criminaliser la lutte qui s’y était tenue ou le simple fait d’y être allé. Ils essayent de manier le sujet avec des pincettes alors même que c’est la pierre angulaire de cette construction. Quand on cherche par exemple à te prouver un lien de cause à effet inéluctable entre s’être rendu au Rojava et une transmission de savoirs militaires dans des parties d’airsoft entre amis, t’as envie de répondre : comme s’il y avait besoin d’avoir été combattre où quoi que ce soit pour faire de l’airsoft ! Et par ailleurs, plusieurs des personnes ayant participé à cette partie d’airsoft ont été auditionnées mais ne sont pas mises en examen, ce qui prouve bien à quel point cette accusation vise plutôt des opinions et des engagements politiques sans rapport réel avec la gravité supposée des éléments qui nous seraient reprochés.Mais pour moi ça n’a rien de très surprenant si l’on considère un peu plus attentivement les enjeux géopolitiques de l’antiterrorisme français. La France mène toutes ses principales guerres au nom de l’antiterrorisme et à un moment donné, pour les valider dans l’opinion publique, il faut bien en faire un peu la pub. Dans ce contexte de participation de la France à la lutte contre Daech, les volontaires étaient donc plutôt « bien vus » ou tolérés. Mais ce n’était pas un soutien à la population kurde dans sa recherche d’émancipation et maintenant que la participation de la France dans la lutte contre Daech en Syrie n’est plus d’actualité, d’autres négociations stratégiques avec la Turquie prennent le dessus. C’est d’ailleurs ce que dénonçaient des militants internationalistes de Marseille suite à la vague d’arrestations de personnes kurdes par l’antiterrorisme le 23 mars dernier. C’est aussi exactement le sujet d’une affiche que j’avais dans ma chambre, faisant partie des rares choses saisies lors de la perquisition. C’est une affiche qui s’intitule Defend Afrin / Defend Kobane et qui met en scène la différence frappante des réactions internationales au moment de ces deux batailles. Un soutien massif pour l’une, une indifférence totale pour l’autre… La criminalisation des luttes kurdes n’est pas nouvelle et l’épisode de la lutte contre Daech a plutôt fait office de parenthèse dans une vieille tradition de répression en Europe.Pourtant c’est quand même impressionnant comment ce retournement dans le discours réussi à éclipser le fait que c’est bien pour répondre à un appel international à protéger la paix au Rojava que plusieurs dizaines de volontaires à travers toute l’Europe se sont rendus sur place à partir de 2014. C’est bien pour défendre un projet écologique, féministe et communaliste (ou tout simplement lutter contre Daech), que ces volontaires y sont allés.

Pour revenir à ce que tu disais tout à l’heure, dans cette affaire comme dans les affaires pour association de malfaiteurs terroristes en général, il y a très peu de cœur mais plein de petits détails périphériques. Comment on fait pour se défendre de mille petits détails absurdes, mais qui sont quand même mille ? Est-ce que tu as l’impression d’être en mesure de te défendre, quand tu es face au juge d’instruction ?

Ça demande beaucoup, beaucoup d’énergie. Le côté « discours performatif » qui fait exister ce qui est énoncé, est prépondérant. À force de répétition, ça ancre une certaine réalité dans la tête des magistrats qui vont lire le dossier et qui nous jugeront.Ça demande vraiment une vigilance de tous les instants et une concentration extrême d’être capable de rebondir sur chaque mot décontextualisé, manipulé. Sachant qu’on nous interroge principalement sur des écoutes. Évidemment que ça va être variable en fonction de ton caractère, ta facilité ou pas à t’exprimer à l’oral. C’est assez compliqué d’y faire face quand tu n’as pas les bons mots au bon moment, quand la moindre hésitation ou contradiction est épiée pour en faire une preuve de culpabilité.En ce qui me concerne, il y a aussi la particularité d’être la seule femme inculpée, en plus en relation avec l’une des personnes arrêtées. C’est un statut qui va tendre à discréditer ma parole, j’ai dû batailler pour qu’elle soit entendue.Et puis évidemment que les conditions dans lesquelles tu arrives à une audition jouent beaucoup. Quand tu arrives devant le juge après plusieurs mois de prison en ayant été menottée et trimbalée toute la journée, tu es déjà épuisée.Il y a aussi l’accès au dossier qui rentre en compte. Moi je n’ai pu avoir accès au dossier qu’au bout de 5 mois, une fois sortie et en ayant déjà passé toutes mes auditions. Et encore après avoir bataillé ! Je ne l’ai obtenu qu’après avoir fait appel du refus des juges d’instruction… Mais du coup des fois ça donne des scènes un peu aberrantes où le juge te demande de t’expliquer sur des propos dont tu n’as jamais eu connaissances, de gens que tu ne connais pas, sans aucun contexte. Que veux tu répondre ?J’ai parfois eu l’impression de réussir à dire ce que j’avais à dire en audition mais au fil des mois, tu te rends compte que tes paroles ne sont jamais prises en considération et par rapport aux centaines de documents officiels qui répètent le même scénario écrit sur toi, elles restent une goutte d’eau dans l’océan. Ça semble vraiment compliqué de rétablir ne serait-ce qu’un vague équilibre. C’est pour ça que j’ai récemment décidé d’écrire une lettre ouverte aux juges d’instruction chargés de notre dossier.

Qu’est-ce que ça fait d’être considérée comme terroriste ?

(Rires) Ça ne change pas grand-chose parce que moi, je ne me considère pas comme ça et mes proches non plus ! Mais ce qui change c’est d’être toujours sous la pression de l’instruction qui continue. Il y a une commission rogatoire en cours qui ouvre la possibilité d’écoutes téléphoniques, de filatures, et de surveillance numérique sur nous et nos proches. C’est une pression constante sur nous et nos entourages. Il y a eu au moins une vingtaine de convocations de nos proches à la DGSI. Il y a aussi eu deux nouvelles arrestations à la suite des nôtres en janvier 2021, puis une autre avec perquisition, en septembre 2021. Les personnes ont été relâchées sans suite.Et quand on sort de prison, il ne faut pas se dire que c’est un retour à la normale… Mais ce sont des choses qu’il faut arriver à mettre un peu de côté, la possibilité d’être toujours suivie, écoutée, surveillée, sinon ça tétanise. Et puis on n’a pas de perspective de fin, pas de possibilité de se projeter dans l’avenir.

En général, un témoin c’est une personne qui détient des informations quant à un délit ou un crime. Là, les témoins ce sont des gens de vos familles. On leur a demandé de témoigner de quoi, à vos proches ? De votre culpabilité ?

Les interrogatoires des proches, c’étaient beaucoup de question politiques, concernant nos opinions supposées mais aussi posées directement aux personnes. Dans presque toutes les auditions, les gens se sont farci les questions : « Que pensez-vous de la politique d’Emmanuel Macron ? Que pensez-vous de la politique d’Erdogan ? », etc. Et les black-blocs, les Gilets jaunes, les anti-GAFAM… Des questions sur nos personnalités, nos fréquentations, notre enfance…Il y a plusieurs auditions qui se sont assez mal passées. Par exemple, pour ma mère, ils l’ont menacé à demi-mots de la placer en garde-à-vue, pour lui mettre la pression. Ils usaient de méthodes pour détourner tous ses propos, elle avait l’impression d’être Mowgli qui se fait embobiner par le serpent Kaa. Ils jouent sur vos failles. Par exemple, mon frère a étudié pendant un an en Colombie, ils lui ont fait des remarques du genre, « ah bon… et la drogue ? ». Bref, tous les clichés sont bons dans leur tête.Il y a donc plusieurs proches de mis en examen qui ont décidé d’adresser un courrier commun au juge d’instruction pour signifier qu’il et elles refusaient de répondre aux convocations.

Pour conclure, peux-tu nous dire où en est l’affaire aujourd’hui ?

Récemment, il y a eu une étape où on a été plusieurs a déposer des requêtes en nullité, pour tout ce qui est vices de procédure dans l’enquête, qui ont toutes été refusées par la chambre de l’instruction, qui s’est permis d’affirmer encore plus d’accusations que ne l’a fait la DGSI, hallucinant ! Avec le pourvoi en cassation, ça va prendre encore des mois. Les nullités touchent tous les premiers actes de l’enquête, ce sont donc des questions importantes pour nous, parce que tout repose là-dessus et si on gagne, il n’y a plus d’enquête. Mais aussi plus largement, parce que la question posée c’est : « Est-ce que tout est permis à la DGSI ? ». Apparemment, la chambre de l’instruction a considéré que oui. Mais on continuera à se battre la-dessus, parce que cette question, comme beaucoup d’autres dans ce dossier, ne nous concerne pas seulement et pourra être soulevée dans d’autres affaires.