« POURQUOI JE FAIS LA GRÈVE DE LA FAIM » – Libre Flot

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Cela fait plus de 14 mois que la DGSI m’a expliqué que je n’étais pas arrêté pour ce qu’elle voulait me faire croire, à savoir mon engagement auprès des forces kurdes contre Daech au Rojava.

Cela fait plus de 14 mois que rien ne valide la thèse élaborée de toutes pièces par la DGSI alors même que pendant au moins 10 mois j’ai été suivi, tracé, sous écoute 24 heures sur 24 dans mon véhicule, mon lieu de vie, espionné jusque dans mon lit.

Cela fait plus de 14 mois que je comprends que ce sont mes opinions politiques et ma participation aux forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech qu’on essaie de criminaliser.

Cela fait plus de 14 mois qu’on reproche une association de malfaiteurs à 7 personnes qui ne se connaissent pas toutes les unes les autres.

Cela fait plus de 14 mois à répondre aux questions d’un juge d’instruction utilisant les mêmes techniques tortueuses que la DGSI : la manipulation, la décontextualisation, l’omission et l’invention de propos et de faits afin de tenter d’influencer les réponses.

Cela fait plus de 14 mois que je subis les provocations de ce même juge d’instruction qui, alors que je croupis dans les geôles de la République, se permet de me dire que cette affaire lui fait perdre son temps dans la lutte contre le terrorisme. Pire encore, il se permet la plus inacceptable des insultes en se référant aux barbares de l’État islamique comme étant mes« amis de chez Daech ». Bien que verbal, cela reste un acte inouï de violence. C’est inadmissible que ce juge s’octroie le droit de m’injurier au plus haut point, tente de me salir, et crache ainsi sur la mémoire de mes amis et camarades kurdes, arabes, assyrien.ne.s, turkmènes, arménien.ne.s, turc.que.s et internationaux.les tombé.es dans la lutte contre cette organisation. J’en reste encore aujourd’hui scandalisé.

Cela fait plus de 14 mois d’une instruction partiale où contrairement à son rôle le juge d’instruction instruit uniquement à charge et jamais à décharge. Il ne prend pas en considération ce qui sort du scénario préétabli et ne sert qu’à valider une personnalité factice façonnée de A à Z par la DGSI, qui loin de me représenter ne reflète que les fantasmes paranoïaques de cette police politique. Ainsi, je suis sans cesse présenté comme « leader charismatique » alors même que tout mode de fonctionnement non horizontal est contraire à mes valeurs égalitaires.

Cela fait plus de 14 mois que sans jugement on m’impose la détention dite provisoire que je subis dans les plus terribles conditions possibles : le régime d’isolement (voir les lettres de mars 2021 et juin 2021) considéré comme de la « torture blanche » et un traitement inhumain ou dégradant par plusieurs instances des droits humains.

Cela fait plus de 14 mois que je suis enterré vivant dans une solitude infernale et permanente sans avoir personne à qui parler, à juste pouvoir contempler le délabrement de mes capacités intellectuelles et la dégradation de mon état physique et ce, sans avoir accès à un suivi psychologique.

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Après avoir sous des airs faussement neutres fourni à l’administration pénitentiaire des arguments fallacieux pour s’assurer de mon maintien à l’isolement, le juge d’instruction demande le rejet de ma demande de mise en liberté, tout comme le parquet national antiterroriste. Pour ce faire, ils reprennent presque en copier / coller le rapport de la DGSI du 7 février 2020, base de toute cette affaire dont nous ne savons pas d’où viennent les informations et dont la véracité n’a pas été démontrée. On est en droit de se demander à quoi ont servi les écoutes, les surveillances, les sonorisations et ces deux ans d’enquête judiciaire et d’instruction puisque sont occultés les faits qui démontrent la construction mensongère de la DGSI.

Le parquet national antiterroriste et le juge d’instruction n’ont de cesse d’essayer d’instiller la confusion et de créer l’amalgame avec des terroristes islamistes alors même qu’ils savent pertinemment que j’ai combattu contre l’État islamique, notamment lors de la libération de Raqqa, où avaient été planifiés les attentats du 13 novembre.

Le juge d’instruction prétend craindre que j’informerais des personnes imaginaires de ma situation alors que celle-ci est publique notamment parce que la DGSI ou le PNAT eux-mêmes ont fait fuiter l’information dès le premier jour. Il prétend ainsi empêcher toute pression sur les témoins, les victimes et leurs familles alors même qu’il n’y a ni témoin, ni victime puisqu’il n’y a aucun acte. C’est ubuesque. Est aussi évoquée sa crainte d’une concertation entre coinculpé.es et complices même si toutes et tous les coinculpé.es ont été mis.es en liberté, qu’il n’a plus interrogé personne d’autre que moi depuis octobre 2021, et que j’ai attendu patiemment qu’il ait fini de m’interroger pour déposer cette demande de mise en liberté.

Il aurait pu être comique dans d’autres circonstances de constater l’utilisation à charge de faits anodins comme : jouir de mon droit à circuler librement en France et en Europe, de mon mode de vie, de mes opinions politiques, de mes pratiques sportives, de mes goûts pour le rap engagé ou les musiques kurdes.

Le juge d’instruction s’en prend à ma mère en la désignant comme n’étant pas une garantie valable pour la simple raison qu’elle n’a pas empêché son fils âgé de 33 ans à l’époque de rejoindre les forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech. Encore une fois, c’est ma participation dans ce conflit qu’on criminalise. Il lui reproche également l’utilisation d’applications cryptées (WhatsApp, Signal, Télégram…) comme le font des millions de personnes en France. Enfin, il dénigre tout d’un bloc toutes les autres options de garanties (travail, hébergement…) sans rien avoir à leur reprocher alors même que les personnels du SPIP dont c’est le métier ont rendu un avis favorable.

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Comment alors comprendre qu’après avoir ordonné ces enquêtes de faisabilité signifiant la possibilité de me remettre en liberté avec bracelet électronique, le juge des libertés et de la détention malgré le rendu refuse ensuite de la mettre en place ? Nous sommes nombreux et nombreuses à constater que dans toute cette affaire la « justice » viole ses propres lois et est soumise à l’agenda politique de la DGSI.

J’ai récemment appris de la bouche même du directeur des détentions de la maison d’arrêt des Yvelines (Bois d’Arcy), que je remercie pour sa franchise, que mon placement et mon maintien à l’isolement étaient décidés depuis le premier jour par des personnes très haut placées et que quoi je dise ou que lui-même dise ou fasse, rien n’y ferait, que cela le dépasse, le dossier ne sera même pas lu et je resterai au quartier d’isolement et que de toute façon rien ne pourrait changer avant les élections présidentielles.

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Puisque l’on cherche à criminaliser les militants et militantes ayant lutté avec les Kurdes contre Daech,

Puisque l’on utilise la détention soi-disant provisoire dans le but de punir des opinions politiques,

Puisque cette histoire n’existe qu’à des fins de manipulation politique,

Puisqu’aujourd’hui on ne me laisse comme perspective que la lente destruction de mon être,

Je me déclare en grève de la faim depuis le dimanche 27 février 2022 à 18 heures, je ne réclame à l’heure actuelle que ma mise en liberté en attendant de démontrer le côté calomnieux de cette honteuse accusation.

Libre Flot.

Libre Flot : L’UCSA normalise la torture blanche

Trois lettres de Libre Flot lues au micro de L’Envolée dans l’émission du 21 janvier 2022. Il revient sur la normalisation des souffrances infligées par le régime d’isolement. STOP A L’ACHARNEMENT CARCERAL! ABOLITION DU QI ET DU MITARD!

Retrouvez d’autres témoignages sur l’accès aux soins en prison dans L’Envolée et sur le site de l’OIP. Images de la prison de Bois d’Arcy sur Carceropolis.

Coursive et cellules de Bois d’Arcy.

Lettre du 31 décembre 2021

Salut salut, un petit coucou pour vous donner quelques nouvelles.

Après des mois de plaintes répétées à propos de douleurs articulaires, on m’a refilé un rdv avec un.e kiné, puis un autre (puisque le premier n’a pas eu lieu) et j’espère en avoir un autre bientôt, puisque le second n’a pas eu lieu non plus. La cause ? Je suis au QI. Et le dentiste ? Merci au sentiment de culpabilité! Je m’explique.

Comme d’hab j’ai rendez-vous, les surveillant.es et le.a gradé.e sont au courant et je ne vois rien venir. Le matin je vais à l’opprimenade du QI (c’est dans le même couloir) en précisant « si le.a dentiste appelle, vous me sortez et vous m’y emmenez » -« oui oui! » Début d’après midi, on m’emmène à la salle de sport, je précise « si le.a dentiste appelle, vous me sortez et vous m’y emmenez ». A ce moment là, le.a gradé.e me dit que le rendez-vous n’aura pas lieu, que le.a dentiste ne peut pas me reçevoir. Dépité, ça doit se voir un peu sur ma tronche, je lui dit que c’est comme d’habitude, que mes rendez-vous sont toujours repoussés. Celui ci, depuis 4 mois, qu’hier encore celui du kiné aussi. Et là je découvre sur son visage comme un malaise (mal à l’aise), un air un peu gêné, comme une once d’empathie melée à de la culpabilité.

Je finis le sport, iel me dit qu’iel a rappelé le.a dentiste, qu’iel a fait pression pour que mon rendez-vous soit honnoré. Oui oui, c’est un peu gros, iel en fait trop, c’est pas crédible. Quelques minutes après, j’apprend par le personnel médical que mon rendez-vous était ce matin et que le personnel de l’AP (c’était le.a même gradé.e de ce matin) avait déclaré que je n’irai pas à mon rendez-vous. Bon évidemment, comme mon rdv qui devait être le dernier ne s’est pas déroulé au moment prévu, ça foutait la merde à l’UCSA. Et suite à un cognage de porte et un échange non verbal que je n’ai pas pu voir à cause de ma posture, ma consultation s’est finie plus vite que prévu (selon ma perception) et un autre rdv m’a été redonné. Bon en tout cas, là où j’avais le plus mal ça a été rebouché.

Donc oui, je remercie le sentiment de culpabilité, car ce n’est hélas pas étrange que des personnes, pour en faire le moins possible, annulent les soins des personnes isolées. Encore moins étrange qu’on sait que ce/cette même gradé.e (peut-être pour éviter le surmenage?) a tendance à « oublier » d’emmener les personnes en opprimenade, ou en les oubliant dedans, ou en les oubliant dans la salle de sport, ou en les oubliant dans la douche. Comme si l’enfermement en régime d’isolement n’était pas suffisant, il faudrait encore nous faire galérer toute la journée à poireauter. C’est vrai qu’on est chiant à vouloir profiter de tous ces fantastiques bienfaits et des nombreuses activités auxquelles on a le droit: on veut sortir, rentrer, se dépenser, se laver, et même retourner s’instruire en cellule. Mince, cela l’oblige à faire son travail. Peut être que iel en nous faisant subir ces « attentes abusives » espère qu’on se lasse et reste enfermés en cellule 24h sur 24 pour lui permettre de se tourner les pouces ? Raté.

Sinon, lundi dernier j’ai pu constater le retour des plexiglass au parloir. Au moins il n’y a plus cette table qui prend toute la place. D’ailleurs en lisant certains témoignages d’autres détenus dans L’Envolée il est question d’intimité lors des parloirs. Ici, à Bois L’arsouille, d’intimité il n’y en a point. Les parloirs d’architecture panoptique sont vitrés des deux cotés où circulent en permanence plusieurs surveillants.tes qui nous épient sans cesse.

Je termine cette lettre là pour qu’elle parte ce matin, je vous écoute ce soir (surement une émission enregistrée).

Merci à vous pour votre soutien.
Courage à toutes et tous les enfermé.es et leurs proches.

Salutations et respect,
Libre Flot.

 

Lettre du 31 décembre 2021

Après 4 mois de plaintes répétées à propos de douleurs généralisées aux articulations, j’ai enfin, après trois rdv repoussés, vu le kiné. Verdict: c’est normal dans ces conditions! Etrangement, c’est toujours et encore la même rengaine, quels que soient mes maux.

Mes maux de tête semi permanents? C’est normal dans ces conditions qu’est l’isolement. Mes pertes de mémoire, mon incapacité de concentration, la perte de repères spatio-temporels, mes douleurs cardiaques, mon opression thoracique, mes troubles visuels, mes vertiges, mon hébétude, etc. Pareil. « C’est normal, au vu de mes conditions de détention. »

Dans un environnement normal, et même en détention classique, subir l’ensemble de ces maux n’est pas considéré comme chose normale. Y introduire le facteur « Quartier d’Isolement » ne la rend pas plus normale. Tout comme ce que l’on dit avant un « mais… » n’a pas vraiment de sens. (« Je suis pas… mais… ») Définir quelque chose de normal, mais uniquement sous des conditions spécifique, ôte automatiquement toute notion de normalité. On ne peut dès lors plus parler de conséquences logiques ou de réaction systématique. Si le fait d’obtenir les mêmes résultats, en prenant n’importe quelle personne et en la plaçant dans une cellule 22 ou 23 heures par jour sans interactions sociales, est considéré par les médecins de l’UCSA comme « normal au vu des conditions de détention en isolement », cela veut en fait dire que ces conséquences subies par la majorité des personnes en QI sont donc bien des réactions systémiques et sont aussi très bien connues. L’utilisation mensongère du terme « normal » associé au « dans ces conditions » est en fait un euphémisme ayant pour but de masquer la vérité toute simple qui est que la détention en QI provoque de grave souffrances aux individus. Souffrances tant physiques, cérébrales et psychologiques qui, étant connues et systématiques, sont donc acceptées et voulues par l’Admin Pen ou ses commanditaires. C’est ce que l’on appelle de la torture.

Le personnel médical, lorsqu’il ab-use volontairement de cet euphémise falacieux pour éviter d’énoncer la vérité qu’il connait, n’oeuvre plus à la santé de ses patient.es mais leur ment, les trompe, couvrant ainsi les méfaits de l’Admin Pen et lui permettent ainsi le maintien en isolement, ce qui dégrade profondément les invididus. L’UCSA se rend donc complice de cette torture. Mais bon, on ne mord pas la main qui, même indirectement, nous nourris. L’utilisation normale d’un euphémisme médical pour une torture carcérale.

PS: hé oui j’vous ai encore glissé quelques phrases à rallonge, vous allez kiffer pour une lecture à voix haute! hihi non c’est promis c’est pas du sadisme 😉

Lettre du 13 janvier 2022

Salut à tous et toutes!

Juste un petit coucou pour vous partager une réflexion sur le langage utilisé par l’UCSA pour dédouanner l’Administration Pénitentiaire des conditions inacceptables de la détention en QI. N’ayant pas envie de passer 15 ans dessus, et d’ailleurs l’écriture devenant de plus en plus difficile, la forme de ce bref texte peut être un peu lourd et redondant, tout en simplifiant et réduisant les processus de réflexion. Toujours est-il, et c’est le principal, que l’on comprendra aisément, je l’espère, le fond et le sens du propos.

En ce qui concerne ma situation, je ne m’étalerai pas sur mes différents « soucis » (moi aussi j’utilise les euphémismes médicaux), vous comprendrez que rien ne s’est amélioré. Cela ne se peut sans l’élimination des causes provoquant les maux. J’ai juste ajouté à ma routine les exercices conseillés par le kiné.

Quant à ma détention provisoire, cela fait plus de trois mois que je n’ai pas de nouvelles du juge d’instruction, que rien ne se passe. Récemment, lors du renouvellement de mon mandat de dépôt, le JLD (juge de la liberté et D) avait ordonné une enquête de faisabilité pour une liberté conditionnelle (je ne suis pas sûr de ce terme, mais en gros, prison à la maison avec bracelet). Cela fait désormais plus d’une semaine que nous savons que le juge d’instruction a la réponse, que mes avocat.es ont demandé qu’on la leur transmette, mais rien. Encore une fois, le juge d’instruction fait durer le plaisir.

Cela ne pourra pas, dommage pour lui, durer éternellement. Pendant ce temps, je ne peux que constater ses pratiques humanistes.

Voilà pour aujourd’hui, au plaisir de vous écouter.
Merci encore pour votre soutien à tous.tes les enfermé.es et à leurs proches.
Force et courage à elles et spécialement aux isolé.es!

Salutations et respect,
Flo.

[France Bleu] Une opération antiterroriste au pays basque visant l’ultragauche fait pschitt à Ustaritz

L’opération menée le 8 février dernier par les policiers du Raid et les hommes de la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, a tourné court à Ustaritz. Une quinzaine d’agents cagoulés ont pénétré au petit matin chez une étudiante.

L’événement aurait pu passer inaperçu. Marianne n’en revient toujours pas.  Des agents du RAID et de la DGSI cagoulés et armés ont fait irruption chez elle au petit matin. Elle ne comprend pas de suite ce qui se passe. « J’étais dans mon lit en fait, je dormais profondément et la première chose à laquelle j’ai pensé c’est au procès d’un gars l’an dernier qui avait tué une jeune femme enceinte à Ustaritz ; j’ai pensé à des cambrioleurs et là, j’entends un gros boum. J’ai cru que c’était un coup de pistolet. Et du coup, j’ai cru qu’ils avaient tué quelqu’un dans le couloir« 

Terrorisée au réveil, emmenée cagoulée, menottée, gardée à vue… pour rien

Lumières bleues, des voix, des boucliers, des armes pointées sur elle : « J’étais terrorisée. J’ai cru que j’allais mourir. »  Elle finit par comprendre qu’elle a affaire à des policiers, « et donc je me suis assise sur mon lit, ils m’ont menottée ». Des agents qui lui demandent si elle a des explosifs ou des armes. Elle répond que non, ils peuvent rapidement s’en rendre compte dans le studio de 20m2 qu’ils investissent à quinze agents en faisant exploser les verrous de la portes : « C’est là que j’ai vu les débris de la porte partout par terre, mon tapis, tout sale,… je ne me rappelle pas ce qu’ils m’ont dit, j’étais terrorisée. »

« C’était humiliant surtout d’être traitée comme un criminel. »

« Je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont fait ça, parce qu’ils savaient très bien que je n’étais pas mêlée à l’affaire, je ne comprends pas pourquoi ils sont venus me chercher avec tout ce fracas », s’interroge l’étudiante de 28 ans. « C’était humiliant. C’était humiliant surtout d’être traitée comme un criminel. Moi, je suis une étudiante. Je n’ai jamais eu affaire à la police. S’ils m’avaient convoquée en me disant ‘Mademoiselle, on aimerait vous entendre pour une affaire’, je serais venue. » 

La maison a été encerclée par cinq véhicules de la police antiterroriste, puis Marianne a été emmenée avec la tête cagoulée. Son tort ? Elle a vécu durant le premier confinement en Dordogne avec certains personnes qui ont été interpellées trois mois plus tôt. Le 8 décembre dernier le Parquet National Anti Terroriste (PNAT) fait procéder à neuf arrestations par la DGSI à Toulouse, à Rennes, en Dordogne et dans le Val de Marne.

Des militants présentés comme appartenant à « l’ultragauche ». Sept personnes sont mise en examen « pour association de malfaiteurs » et cinq incarcérées. Marianne, elle, est sur écoute et sous surveillance depuis quelques temps. Sollicité, le Parquet national antiterroriste n’a pas donné suite à nos demandes de précisions.

[Mediapart] « Ultragauche » : les proches des militants arrêtés le 8 décembre témoignent

Pour la première fois depuis douze ans et le fiasco de l’affaire Tarnac, la justice antiterroriste enquête sur un groupe « d’ultragauche ». Sept personnes ont été mises en examen en décembre, cinq sont en prison. Leurs proches racontent ces interpellations et leurs conséquences.

Dans leur maison paisible à la campagne, les grands-parents de C., 30 ans, ont préparé des crêpes. Sa mère et son frère s’installent dans le salon, deux de ses colocataires les rejoignent près du feu. Depuis plus de trois mois, cette famille élargie vit au rythme des parloirs, des courriers et des trajets jusqu’à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis. Mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placée en détention provisoire, C. risque jusqu’à dix ans de prison. 


Le 8 décembre 2020, à 6 heures du matin, la DGSI arrête neuf personnes à Toulouse (Haute-Garonne), Rennes (Ille-et-Vilaine), Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et Cubjac (Dordogne). Cette vague d’interpellations est l’aboutissement d’une information judiciaire ouverte par le parquet national antiterroriste (Pnat) en avril 2020. Elle vise un groupe « d’ultragauche » soupçonné de « projeter une action violente » contre les forces de l’ordre. S’appuyant sur des mois d’écoutes téléphoniques et de sonorisations, la justice leur reproche notamment d’avoir manié des explosifs et des armes.


Six hommes et une femme sont finalement mis en examen le 11 décembre, par le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle. Cinq personnes sont incarcérées, les deux autres placées sous contrôle judiciaire. La plupart se définissent comme des militants « libertaires, écologistes, pro-Kurdes, féministes et anti-racistes », comme l’indique le site de leur comité de soutien ; d’autres pas.


Le ministre de l’intérieur félicite aussitôt les policiers de la DGSI, qui « protègent la République contre ceux qui veulent la détruire ». « Merci une nouvelle fois pour leur action contre ces activistes violents de l’ultragauche », ajoute Gérald Darmanin. Dans l’entourage des inculpés, plusieurs tribunes sont publiées. 


Le « projet » exact attribué à ces trentenaires, pour certains fichés S, reste flou. La DGSI estime que Florian D., parti combattre Daesh avec les forces kurdes, de mars 2017 à janvier 2018, a mis sur pied une sorte de groupe armé à son retour en France. Dans son camion, écrit la presse au moment des arrestations, les policiers ont découvert « des produits servant à fabriquer du TATP » (un explosif), « des billes d’acier, un fusil de chasse à canon scié, un revolver, un couteau et des munitions ». 


Son portrait ainsi dressé colle parfaitement aux craintes exprimées par les services de renseignement français, depuis quelques années, sur les Français de retour du Kurdistan. À leurs « fantasmes », répond le « Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava », dans une tribune en soutien à Florian D. : « En rentrant chez nous, nous ne nous attendions pas à recevoir la Légion d’honneur, ni même à être remerciés par qui que ce soit, mais nous ne pouvions pas imaginer que nous serions désignés comme des ennemis de l’intérieur et traités à l’égal des djihadistes que nous avions combattus. »  


Dépeint comme le « meneur » du groupe, Florian D., 36 ans, est le seul point commun évident entre tous les mis en examen, qui pour la plupart ne se connaissent pas. C. est présentée comme sa compagne et complice. Selon plusieurs proches de la jeune femme, ils se fréquentaient mais leur relation n’était pas suivie. Les enquêteurs la soupçonnent, en tout cas, d’avoir accompagné Florian D. dans l’Indre, au printemps 2020, où se serait tenu un « camp d’entraînement » et de confection d’explosifs, sous couvert de pratiquer l’airsoft [une activité de loisir avec des armes à billes]. 


Au matin du 8 décembre, C. et ses quatre colocataires sont réveillées par le fracas de la porte vitrée, dans leur maison rennaise. Une quinzaine de policiers viennent de la défoncer, alors qu’elle n’était pas fermée à clé. 

« J’ai pensé à des gens bourrés qui se seraient trompés de maison, ou à des voleurs », se souvient Bénédicte, 37 ans, qui s’est précipitée sur le pas de sa porte, à l’étage. « Éblouie par une lumière », elle est repoussée dans sa chambre par un bouclier. Sa colocataire Aurélie, 33 ans, entend les policiers investir chaque pièce, « en hurlant : “Les mains sur la tête !” » aux occupantes. « Paniquée », elle reste « terrée dans [son] lit jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la porte ». 


Menottées chacune dans leur chambre, les colocataires sont surveillées par des policiers armés, cagoulés et silencieux. Aurélie n’a « pas arrêté de leur poser la question : “Mais qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ?” Je ne comprenais pas. Dans ma tête, j’allais partir en garde à vue ». « Ils nous ont pas dit que c’était l’antiterrorisme, ni qu’ils venaient pour C. », reprend Bénédicte, qui tente de déchiffrer les écussons sur les uniformes. Elles finissent par comprendre que la DGSI est entrée chez elles. « Je ne savais pas exactement ce que c’était, la DGSI, raconte Aurélie. Je me disais juste que c’était vraiment grave. » 


Dans l’intervalle, les policiers ont trouvé C., raconte sa mère. « Elle les a entendus arriver et les attendait, les mains en l’air. Elle s’est dit qu’il ne fallait pas paniquer parce qu’ils auraient pu la tuer. Il y en a un qui lui a pointé le canon sur le torse. Elle était en culotte, au bout d’un moment elle a demandé à passer un tee-shirt. Elle n’a pas été frappée, mais c’était violent. » 
Au bout d’une heure, les policiers font descendre toutes les colocataires dans le salon, à l’exception de C., et les asseyent autour de la table. « On n’avait pas le droit de se parler. Ça a duré un peu plus de deux heures. Les flics discutaient de tout et de rien, se relayaient. On posait des questions, mais leur seule réponse était : “Vous en entendrez parler dans les journaux.” » 


La DGSI fouille la chambre de C., saisit son matériel informatique et la box de la maison. Trois heures après leur arrivée, les policiers repartent avec leur suspecte, à qui ils ont passé une cagoule. « On a juste échangé des regards », se souvient Aurélie. « D’un coup ils nous ont enlevé les menottes, et voilà. » « Tout ça doit laisser des séquelles », commente la grand-mère de C. en secouant la tête. 


Les colocataires préviennent immédiatement Pierre-Henri*, le frère de C., qui habite la même ville. Jusqu’au soir, ils appellent ensemble des avocats et cherchent où se trouve C., placée en garde à vue dans les locaux de la DGSI, à Levallois-Perret. « Elle a été transportée de Rennes à Paris en train, avec des lunettes noires, un masque et ses menottes dissimulées », précisent ses proches. 


Marqués par « la violence de l’arrestation », ils ignorent encore aujourd’hui ce qui est précisément reproché à C. « C’est une affaire politique », estime son frère, qui fréquente comme elle les milieux militants. « On partage sa vision politique, mais cette vision politique n’est pas criminelle », ajoute Bénédicte. « C’est une personne engagée, oui, mais qu’est-ce qu’ils sont allés inventer ? » « Savoir C. en prison, pour nous tous, c’est juste insupportable », complète sa grand-mère.


Les proches de C. ne font pas mystère des causes qu’elle défend. « Féministe, écologiste », C. est bénévole dans « des associations de solidarité avec les personnes exilées », dont l’une « conventionne des maisons pour trouver des logements à des gens dans la rue ». Elle met en forme des tracts pour les manifs. « C’est une fille très manuelle, précise Bénédicte. Elle donnait des coups de main dans les maisons conventionnées, pour le bricolage, l’électricité, la peinture. On fait le jardin ensemble à la maison, elle s’y connaît très bien en plantes, elle est proche de la nature. »  


Au moment de son arrestation, C. allait commencer une formation d’ambulancière, après un premier stage. Sa famille rappelle qu’elle avait déjà « fait des colos avec des personnes non valides ou des jeunes en difficultés sociales, travaillé dans le service à la personne, donné des cours ». « Elle est très altruiste, dans l’aide et dans l’écoute, quitte à s’oublier parfois elle-même. » 


La famille et les amis de C. s’indignent des accusations portées contre elle. Bénédicte parle de « montage de la part de la police », qui « n’arrive pas à n’importe quel moment » : « L’antiterrorisme, c’est quelque chose qu’on agite pour faire peur aux gens. Venir nous placarder cette étiquette “d’ultragauche” ne veut rien dire. C. nous a été arrachée, elle vit ça toute seule, c’est inhumain. » 


« Ça faisait plusieurs semaines qu’ils matraquaient sur le thème “il faut casser du black bloc”, ajoute Pierre-Henri. On veut alerter sur le fait que l’antiterrorisme concerne tout le monde. À chaque fois que des lois ultra-répressives sont appliquées sur des minorités de personnes, ça implique un durcissement pour toute la société. Et ça fonctionne très bien. »


Choqué du sort de sa sœur, il s’étonne aussi du traitement réservé à Florian D., « parti au Rojava pour soutenir la révolution écologiste, féministe et communaliste menée par les Kurdes contre deux États fascistes, la Turquie et l’État islamique ». « Les Kurdes sont théoriquement nos alliés », complète son grand-père. 


Depuis l’arrestation de C., c’est la première fois que ses proches se confient. « Tout ce qu’on dit peut avoir des répercussions », s’inquiète Bénédicte, craignant que tel ou tel élément soit « repris contre elle ». Dans leurs lettres à C., ses amis restent vagues. « Je ne sais même pas si je peux lui parler de trucs qui ont un rapport, même éloigné, avec des sujets militants : un bouquin, une émission de radio… », raconte Aurélie. Même sa grand-mère écrit des courriers « bateau de chez bateau ». 


Très peu de membres de la famille savent que C. est incarcérée. Ils gardent le secret pour l’instant et suivent de près la situation. « Comme tous les proches de détenus, nos vies ont une autre temporalité, précise Bénédicte. Ce qui arrive à C. bouleverse énormément de vies autour. On est suspendus à quelque chose. »  


« Sur les dernières marches, je me fais braquer par quatre armes » 


Parmi les neuf personnes arrêtées le 8 décembre 2020, deux sont relâchées sans poursuites à l’issue de leur garde à vue. Clo M., 35 ans, est l’une d’entre elles. Son compagnon, S. G., 36 ans, a été mis en examen et écroué. Il est « artificier effets spéciaux » à Eurodisney, elle technicienne dans le cinéma et la télévision. En couple depuis quinze ans, ils sont propriétaires d’une petite maison, à Vitry-sur-Seine. 


Au matin du 8 décembre 2020, Clo M. entend du bruit en bas et pense à « des cambrioleurs ». Elle dévale les escaliers en culotte et en tee-shirt, espérant que sa présence « les fasse fuir ». « Sur les dernières marches, je me fais braquer par quatre armes. Mon copain me passe devant, il s’arrête net quand il voit que c’est la police. Il se fait attraper par les cheveux et tirer par terre, moi par les bras. On est séparés dans la seconde. » 

Les policiers leur annoncent qu’ils sont placés en garde à vue pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Clo M. n’en revient pas. « Comme ils disent mon nom et mon prénom, je me dis qu’ils ne se sont pas trompés de maison. J’avais été en manif les deux samedis d’avant, je me suis dit que c’était lié à ça. C’était complètement dingue. J’arrivais pas à penser, j’avais peur. »  


Menottée à un fauteuil, Clo M. voit une trentaine de policiers s’activer dans la maison : les démineurs, le « groupe d’appui opérationnel », la brigade canine qui tient en laisse les deux chiens du couple. Elle assiste à une partie de la perquisition, qui dure dix heures. « J’ai énormément d’ordinateurs, de disques durs, de clés, de caméras et d’appareils photo. C’est mon métier. Ça prenait du temps. » 


Vers 14 h 30, Clo M. est conduite à la DGSI en voiture, entravée et cagoulée. Elle n’est jamais entrée dans un commissariat contre son gré auparavant. Après une heure en cellule, la police la transporte en Seine-et-Marne pour une nouvelle perquisition : celle d’un poids-lourd aménagé en camping-car, appartenant au couple. Elle n’a pas mangé depuis la veille et la température est négative. « Même eux avaient du mal à écrire, tellement ils avaient froid. » Là-bas, les policiers saisissent un ordinateur et « des produits liés aux effets spéciaux ». 


En parallèle, d’autres fonctionnaires perquisitionnent une yourte dans le Vaucluse, sur un terrain appartenant à la mère de S. G. Celle-ci est interrogée sur place, en audition libre. Clo M. a appris, depuis, que les policiers avaient emporté « une arbalète achetée dans une armurerie » et « un coupe-coupe ramené de Nouvelle-Calédonie, qui nous sert à nous frayer un chemin au milieu des buissons ». À Vitry, la police a aussi placé sous scellés une carabine. « Elle appartient à mon arrière-grand-père et elle n’est évidemment pas chargée. Mon père me l’avait prêtée pour un clip de rock, parce que je la trouvais jolie. J’ai des captures d’écran qui le prouvent. »   


De retour à Levallois-Perret dans la soirée, Clo M. est entendue pour la première fois. Pendant trois heures, les policiers lui posent « des questions politiques très générales » : « Qu’est-ce que je pense des antifas, du black bloc, de la République de Macron, de la violence en manif, où est-ce que j’ai voyagé ? » Clo M. répond à tout. « J’estimais que j’avais rien à faire là et que ça leur permettrait peut-être de se rendre compte de leur erreur. » 


Lors de l’interrogatoire suivant, les policiers veulent connaître ses positions sur le Rojava, la cause kurde, ils lui montrent « des photos de drapeaux ». Ils l’interrogent aussi sur les relations du couple avec Florian D. La jeune femme n’accepte de répondre que sur ce qui la concerne directement. À partir du troisième interrogatoire, elle décide de garder le silence. Comme la plupart des autres gardés à vue. 


Dans sa cellule insonorisée et filmée en permanence, Clo M. rabat sa « capuche à tête de panda » sur ses yeux et tente de faire du yoga. Elle a le temps de réfléchir au rôle que les policiers lui prêtent : « une espèce d’alibi pour S. ». Les enquêteurs lui citent des extraits d’écoutes téléphoniques, insistent sur la profession de son conjoint. « Ils essaient de tordre la réalité pour la faire coller à leurs théories. Tout devient à charge. Oui on parle d’artifices, d’inflammateurs. C’est son métier. » 


« Ils m’ont demandé ce que je pensais de la politique d’Emmanuel Macron » 


À sa grande surprise, Clo M. est libérée le vendredi matin, après trois jours de garde à vue. « Ils m’ont dit plusieurs fois que je serais déférée, donc je pensais vraiment l’être. Dans ma tête, je partais en détention après. Mais ils m’ont remis la cagoule sur la tête pour sortir en voiture, et m’ont déposée devant le métro avec mon sac. » Elle appelle sa belle-mère, retourne à Vitry, découvre qu’en son absence les amis du couple ont fait un peu de rangement et nourri les chiens. 


Clo M. attend le retour de S. G., sans se douter qu’il sera placé en détention provisoire. Elle obtient un permis de visite au bout d’un mois, après sa période d’isolement, et commence à aller le voir au parloir. « Il a demandé tout de suite à faire des activités, une formation, mais le statut de “terroriste” complique tout. Il n’a même pas le droit d’aller à la bibliothèque, les surveillants choisissent les bouquins pour lui. Il a pas mal maigri, il est pâlot et triste, le visage tiré, mais ça va un peu mieux qu’au début. »  


Pour Clo M., le « traumatisme » reste intense. « J’ai été arrêtée un jour “normal”, alors j’ai l’impression que ça peut me retomber dessus à n’importe quel moment. Quand j’entends une portière qui claque ou une sirène, je pense que c’est pour moi. » Elle tente encore de récupérer sa voiture et son matériel informatique, saisis lors de la perquisition, dont elle a besoin pour travailler. Certains employeurs ne la rappelleront plus. « J’ai été honnête, je leur ai dit ce qui s’était passé. J’ai l’impression d’être une pestiférée. » 


« On vit dans une sorte de film dont on a du mal à comprendre les tenants et les aboutissants, explique Mélanie, une amie du couple. À partir du moment où on a su qu’ils étaient accusés de “terrorisme”, c’était ultra-flippant. » Elle décrit deux trentenaires issus « du milieu punk-rock », plutôt « antisystème », mais qui n’ont rien à se reprocher. « S. n’a jamais été violent, en manif ou ailleurs. Il ne se battait pas. Il a fait une seule garde à vue, sans suite, en décembre 2019, parce qu’il s’est fait arrêter avec un masque à gaz en descendant du bus de la CGT. » Mélanie considère que « sa profession, délicate mais autorisée, a été retenue contre lui ».  Trois mois après la première vague, d’autres gardes à vue antiterroristes ont eu lieu le 8 février 2021. Ce matin-là, la police arrête une jeune femme de 23 ans, en Dordogne. C’est l’ancienne colocataire de deux mis en examen, William D. et Bastien A. Elle passe trois jours en garde à vue à Bordeaux, puis à Levallois-Perret, avant d’être relâchée sans poursuites. Avec le recul, elle s’étonne des « moyens disproportionnés » déployés pour « un projet d’attentat qui n’existe pas ».

Le 8 février toujours, Marianne, âgée de 28 ans et en formation d’éducatrice spécialisée, est arrêtée à Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques). Elle aussi pense d’abord à des cambrioleurs, mais c’est bien le Raid qui vient de défoncer sa porte. « J’ai eu la certitude que j’allais mourir, je n’oublierai jamais cette peur. »  Lors du premier confinement, au printemps 2020, Marianne s’était réfugiée en Dordogne pour quelques semaines, chez William D. et Bastien A. Florian D. et son amie C. les avaient rejoints, avec leur camion. Les policiers fouillent le studio de Marianne. Ils saisissent son ordinateur, son disque dur, son téléphone, perquisitionnent sa voiture puis la conduisent à Bayonne, cagoule sur la tête.  L’étudiante peine à comprendre ce que lui veulent les enquêteurs de la DGSI, venus de Paris. « Ils m’ont d’abord demandé si j’étais affiliée à un parti, ce que je pensais de la politique d’Emmanuel Macron, des gens qui n’ont pas de carte bleue, du Rojava. » Au fil des interrogatoires, les questions se portent « sur la disposition de la maison et sur Florian ». Marianne se souvient d’un garçon « gentil, cultivé, serviable ».  On lui parle plus clairement d’armes, d’explosifs, « d’entraînements paramilitaires ». « Je ne suis pas au courant. Ce sont des choses qui ne font pas partie de ma vie. Je ne suis pas politisée. »

De cette garde à vue, Marianne garde le souvenir du « mépris » affiché par les policiers et de sa propre « naïveté ». « J’étais étonnée que les deux gars de la DGSI ne me disent même pas au revoir quand j’ai été relâchée. Il était 18 h 30, j’ai demandé un papier pour pouvoir sortir après le couvre-feu. Le policier m’a photocopié une attestation dans Sud-Ouest. »  La jeune femme s’est repliée chez ses parents, agriculteurs, et n’est pas retournée dormir dans son studio d’Ustaritz depuis. Elle a dû faire part de sa garde à vue à son école, son lieu de stage, son propriétaire, « qui doit réparer une porte défoncée par le Raid ». Pour l’instant, elle ne peut pas récupérer ses affaires, placées sous scellés. « C’est important que les gens sachent comment ça se passe. Si la police m’avait envoyé une convocation, j’aurais répondu de la même façon, donné mon ordinateur et mes codes. »

Il est tentant de comparer cette affaire à la dernière incursion de l’antiterrorisme dans le spectre de « l’ultragauche », en 2008. La police avait alors débarqué à Tarnac, un village de Corrèze, et dans d’autres départements, pour arrêter une dizaine de personnes censées appartenir à « l’ultragauche, mouvance anarcho-autonome ». Le groupe, que Julien Coupat est censé diriger, est alors accusé d’avoir commis des sabotages sur des voies TGV.  Dix ans plus tard, cette enquête menée avec les moyens de l’antiterrorisme, largement décrédibilisée par l’action de la défense, a débouché sur un procès de droit commun et une relaxe quasi générale. Depuis, le Pnat ne s’était plus jamais saisi de dossiers liés à « l’ultragauche », malgré les demandes répétées du parquet de Grenoble après des incendies volontaires à connotation politique.

L’affaire du 8 décembre n’a toutefois pas donné lieu au même emballement politico-médiatique que celle de Tarnac. Outre le tweet de Gérald Darmanin et quelques commentaires de Laurent Nunez, coordonnateur national du renseignement, ce dossier a eu relativement peu d’écho. Seuls Le Parisien et Le Point ont divulgué, juste après les arrestations de décembre, les premiers éléments de l’enquête et décrit « le profil hors norme » de certains mis en examen, à partir de leurs auditions en garde à vue et de rapports de police.  Depuis, le juge d’instruction a continué son travail en silence. Comme les avocats de la défense, qui n’ont pas souhaité s’exprimer dans cet article. Mi-février, les mis en examen ont été interrogés sur le fond. De nouvelles auditions sont prévues dans les prochaines semaines.

Boîte noire

Les prénoms suivis d’un astérisque () ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.


La famille et les amis de C., dont le prénom n’a jamais été publié dans la presse, ont demandé à ce qu’elle soit désignée par son initiale. Avec son accord, Mediapart a rencontré ses grands-parents, sa mère, son frère et deux de ses colocataires.  


De son côté, Clo M. a demandé à être désignée par son diminutif, pour des raisons professionnelles. Mediapart l’a rencontrée à plusieurs reprises, en compagnie de ses ami.e.s proches. Son conjoint en était informé. Il a demandé à apparaître sous ses initiales, S. G. 
Marianne et une autre jeune femme, arrêtées le 8 février, ont témoigné par téléphone.
Aucun des avocats des mis en examen n’a souhaité s’exprimer.