[RadioParleur] Affaire du 8 décembre: la procédure comme peine

Le premier épisode d’une série de 5 podcasts sur l’Affaire du 8 décembre. Des témoignages exclusifs des inculpé·es et des mécanismes répressifs à l’oeuvre.

Un spectre hante aujourd’hui la République et la DGSI : “l’ultragauche”.  En ce moment, au tribunal de Paris, est jugée l’affaire “du 8 décembre 2020”. Sept personnes, qui ne se connaissent pas toutes, sont accusées de vouloir “déstabiliser les institutions républicaines par l’intimidation et la terreur” sans qu’il y ait pour autant de “projet terroriste”. Une affaire qui a nécessité tout l’arsenal anti-terroriste et les moyens les plus liberticides, sans jugement, sans défense.

Le 8 décembre 2020 à 6h du matin, neuf personnes sont arrêtées aux quatre coins de la France, puis conduites dans les locaux de la DGSI à Levallois-Perret pour une éprouvante garde à vue de plusieurs jours. Comme l’affirme Coline Bouillon, membre du barreau de Val de Marne et avocate d’un des prévenus : “La procédure est déjà une peine en soi puisqu’elle a imposé à des personnes une garde à vue extrêmement difficile, au quatrième sous-sol des locaux de la DGSI, dans des conditions quasiment intenables.” 

Le 11 décembre 2020, cinq personnes sont placées en détention provisoire, deux sous contrôle judiciaire et deux sont relâchées sans poursuite. Finalement, sept personnes sont aujourd’hui poursuivies pour “délit d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme”. Le Parquet national antiterroriste les accuse d’en son réquisitoire de vouloir s’en prendre « à l’oppression et au capitalisme », de vouloir « renverser l’État » et d’« attenter à la vie de ses représentants » ou encore de chercher à « s’en prendre aux institutions républicaines par l’intimidation et la terreur ».

En prison sans jugement

Si les contrôles judiciaires des prévenu·es leur interdisaient d’entrer en contact, ce n’est pas tout, comme le développe Coline Bouillon  : “Ce n’est pas seulement le fait de ne pas pouvoir se voir entre co-prévenu·es. C’est le fait de devoir demander à une juge pour pouvoir aller voir sa mère, de devoir demander une autorisation pour aller voir un spécialiste médical à 50km de chez soi… C’est aussi le fait de se rendre toutes les semaines dans un commissariat, d’être pendant ce temps-là soumis·e à des surveillances, et j’en passe.”

W. se souvient de ses quatre mois à la maison d’arrêt d’Osny dans le Val d’Oise : “Au début, j’étais en DPS, “détenu particulièrement surveillé”. Dès que je sortais, il y avait un gradé et deux autres matons, du coup, il y avait des fouilles tout le temps : 50 mètres de trajet, trois fouilles. Après les 10 ou 14 jours dédiés aux nouveaux arrivants, j’ai été placé avec les autres taulards”.

Une lutte contre “l’isolement”

Un des sept prévenu·es, Libre Flot, accusé d’être le “chef” du groupe qu’il aurait “formé” et “entraîné”, a passé 16 mois sous les verrous, en isolement. Les rares moments hors de la cellule, à savoir le sport et la promenade, il les a vécus seul et sous haute surveillance.

Après le sport, c’est-à-dire 30 minutes d’exercice dans une pièce de la taille de deux cellules, vient la “promenade” : “Il faut savoir que tu es au quatrième étage, dont tu ne sors jamais, précise-t-il. Tu as le droit à une heure de promenade dans la cour de ce quatrième étage de l’isolement. C’est quelque chose qui fait 30 mètres carrés au sol avec des murs hauts de quatre mètres, donc le ciel c’est 20 mètres carrés avec des grillages et des barbelés. Cette promenade est tellement anxiogène que quand j’étais dedans, donc dehors, je demandais à en sortir.”

Après plus d’un an isolé derrière les verrous, ainsi que des tonnes de recours pour sortir de cette prison dans la prison, se profile la seule lutte a la portée de l’enfermé : “ça fait longtemps que, si on lit les lettres, ça a déraillé. Psychologiquement, mentalement, je perdais mes capacités intellectuelles… Donc la seule lutte qui reste, c’est une lutte politique face à une lutte politique, c’est la grève de la faim”. C’est donc après 37 jours sans manger que Libre Flot sera placé à l’hôpital-prison de Fresnes, puis libéré. Une lutte qui n’aurait pas pu être menée jusqu’au bout selon lui sans les soutiens extérieurs “en France et à l’étranger”.

Pour Coline Bouillon, “ce qui est significatif du caractère invivable de ces détentions provisoires, ce sont les condamnations qui ont été rendues concernant deux des détentions provisoires“. En effet, le tribunal administratif de Versailles a rendu coupable l’État sur les fouilles à nu à répétition subies par une des prévenu·es ainsi que pour le maintien illégal à l’isolement de Libre Flot. Finalement, difficile de différencier la peine et la procédure, à moins que la procédure ne soit déjà une peine en soi.

La Défense des inculpé·es du 8/12 alertent sur les glissements dangereux de l’antiterrorisme

Le 8 mars 2021, l’agent 1273SI rédige un Procès-Verbal de « recherches en sources ouvertes » depuis les locaux de la DGSI à Levallois-Perret. La recherche porte sur un numéro retrouvé dans le téléphone d’une personne arrêtée 2 mois après le 8 décembre 2020 puis relachée sans suites après deux jours de GAV. C’est un numéro de la LegalTeam de Paris.

L’agent va ensuite s’orienter vers un article de conseils juridiques pour les lycéen·nes qui souhaitent bloquer leurs établissements dans le cadre de mouvements sociaux dans lequel apparait la liste des avocat·es de la LT de Paris. L’agent constate par « corrélation » que certains des ces avocat·es ont été choisis par certains mis en examen.

Il constate également qu’une personne, elle aussi arrêtée, placée en GAV mais libérée sans suite, a utilisé ce numéro à 4 reprises.

L’agent va faire des recherches sur d’autres LegalTeam pour vérifier si les autres avocat·es en font partie. Il trouve le nom de l’une d’elle dans un document de la LT de Rouen « Arrestations – garde à vue 6 points essentiels ».

On ne comprend absolument pas ce que fait ce PV de renseignement dans ce dossier, cela n’ayant rien à voir avec les faits reprochés. Me BOUILLON fera remarquer au Tribunal qu’aucune recherche n’a été effectuée sur l’Airsoft, alors que c’est un point sur lequel reposent des soupçons, par contre la DGSI et le PNAT ont cru pertinent d’ajouter ces informations sur le choix des avocat·es.

Comment ne pas y voir une volonté de criminaliser l’activité militante de ces avocat·es, afin de saper leur Défense et d’élargir à ces dernier·ères le spectre de la présomption de culpabilité au delà des mis·es en examen, comme cela a été fait pour leurs proches ?

Le PNAT reviendra dessus dans son réquisitoire sur ce qu’il nomme « l’opposition concertée à la manifestation de la vérité« . Manifestement, il est insupportable pour ces magistrats radicalisés que des personnes puissent s’exprimer librement, surtout quand elles démentent les fantasmes avérés de la DGSI.

Au cours des audiences, le PNAT demandera plusieurs fois aux mis·es en examen : « avez-vous l’habitude de prévenir vos avocat·es avant de comettre un délit ?« . Les preuves s’estompant à mesure que le procès avance, le PNAT pointe désormais le soupçon du mensonge pour faire tenir le scénario initial de la DGSI.

Il est difficile de ne pas voir dans le jeu du PNAT la lente chute vers la légitimation de formes de tortures blanches.

En effet, alors que les propos obtenus en GAV dans les geôles de la DGSI sont contestés par les prévenu·es: avec des preuves d’écriture de faux par les agents, mais aussi de pressions psychologiques intenses, des « off » nauséabons, des mensonges pervers, des menaces (15 années de prison), des analyses de personnalité (basées sur plusieurs mois d’écoutes), des menaces d’agression sexuelle et des administrations de Tramadol et d’Antarax ; le PNAT s’évertue à s’appuyer sur ces propos et à instiller la présomption de mensonge sur les déclarations faites devant le Tribunal, en concertation avec les avocat·es. C’est un glissement dangereux et grave.

On a pu voir comment des élus d’extrême-droite assimilent les avocat·es en antiterrorisme aux « terroristes » qu’ils défendent. On a pu voir à Bure le Parquet tenter d’inclure un avocat dans l’association de malfaiteurs. On voit dans des pays où l’antiterrorisme s’est sur- développé que les avocat·es sont toujours les prochain·es sur la liste, à l’instar des journalistes, des artistes, des activistes, syndicalistes, etc. La Turquie et la Russie en sont des exemples effrayants.

Nous dénonçons l’extension dangereuse de la présomption de culpabilité et la lente extension du non-droit planifiée par le PNAT. L’antiterrorisme est l’avant-garde de la deshumanisation.

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Le Syndicat des Avocats de France dénonce : « Au-delà de la grossièreté d’un tel sous-entendu, il est surtout incroyablement dangereux et alarmant dans ce qu’il révèle de la conception des droits de la défense de la part du Ministère Public, et donc du ministre de la Justice, pourtant ancien avocat, et de la DGSI.« 

Le Conseil National des Barreaux dénonce : « l’existence même d’un tel procès-verbal ayant conduit à commenter ou même à simplement rapporter les modalités du choix d’un avocat qui, par les sous-entendus qu’il induit, laisse entendre que ce choix serait considéré comme un indice de la commission d’une infraction ; et la violation par le Ministère public du principe d’impartialité auquel il est tenu en vertu de l’article 31 du code de procédure pénale.« 

La Défense des inculpé·es du 8 décembre dénonce : « la façon dont la police et le parquet se sentent pousser des ailes, dès qu’il s’agit de terrorisme, quitte à oublier quelques principes de base.« 

L’Association des Avocats Pénalistes dénonce : « toute forme de pression mise en oeuvre la Défense et l’exercice de ses droits.« 

#Procès812 : un procès politique contre la gauche d’en bas.

Le procès des inculpé·es du 8 décembre a démarré ce mardi 3 octobre dans une ambiance tendue. Vous pouvez suivre les chroniques publiées chaque jour sur AuPoste ! et les compte-rendus de la première semaine d’audience.

L’audience est publique, du mardi au vendredi, à partir de 13h30. Le verdict est prévu pour le vendredi 27 octobre, venez nombreux·ses pour soutenir les camardes !

Cette première semaine d’audience aura validé une certitude : ce procès est guidé par la présomption de culpabilité et ce sont les opinions politiques des inculpé·es qui sont criminalisées.

Si Olivier Cahn dénonce dans le reportage de Blast ! une association entre le « terrorisme » et l’« action directe », les enjeux de ce procès vont pour nous bien plus loin car en l’occurrence: aucune action directe n’est reprochée aux inculpé·es.

C’est sûrement le cas pour les opérations menées par la SDAT ces derniers années (Ivan Alocco, 15 Juin Limousin, Lafarge), mais concernant l’affaire du 8 décembre, les enjeux répressifs vont bien au-delà de la répression de l’action directe. L’enjeu principal est, non pas d’étendre l’interprétation du « terrorisme » dans le droit à ce qui relèverait de dégradations et de sabotages, mais plutôt de créer les possibilités légales de réprimer des engagements politiques révolutionnaires (vrais ou supposés) dans le cadre du « pré-terrorisme ».

Les exemples de l’évolution de la législation antiterroriste turque, italienne ou étasunienne sont parfaitement illustratifs de cette stratégie qui vise à long terme à faire entrer toute expression subversive dans le champ répressif de l’antiterrorisme.

Comme l’écrit le PNAT dans son réquisitoire : « l’ultragauche est multiple et protéiforme » et son action va de la distribution de tracts à l’engagement armé, en passant par toutes les formes de militantisme (la quasi-entièreté étant légales : syndicalisme, associatif ou autonome).

Le PNAT se place dans la droite lignée des doctrines de « contre-subversion » théorisées par les militaires de la DGR, enseignées dans leurs « écoles du terrorisme » et appliquées cruellement pendant la guerre d’Algérie (voir Terreur et Séduction de Jérémy Rubenstein et L’Ennemi Intérieur de Mathieu Rigouste). Cette doctrine considère qu’il existe un mécanisme de « pourrissement révolutionnaire », qui partirait des actions de « basse intensité » et aboutirait au renversement de l’État. Il faut donc, pour maintenir l’ordre et la sécurité à moindre frais, tuer dans l’oeuf.

Là est l’enjeu répressif du procès des inculpé·es du 8 décembre. C’est d’ailleurs mot pour mot ce qui est au cœur des soupçons contre les inculpé·es : iels auraient aimé l’idée de « renverser l’État ».

« Un procès qui va mal se passer » : la Défense en tension.

Ce procès est un moment clé du processus de fascisation mondiale dans sa déclinaison française. Rien d’étonnant donc que les juges aient méticuleusement refusé toutes les demandes de la Défense dès le premier jour.

Selon le PNAT, il n’y a aucune raison de « douter de la loyauté » des agents de la DGSI. La juge semble approuver. Son pouvoir de faire citer de force des témoins ne sera pas appliqué pour 1207SI et 856SI, auteurs de plus de 150 PV au dossier, dont beaucoup présentent des « erreurs matérielles ».

Aucune raison non plus de renvoyer l’audience au jugement du Conseil d’État qui doit statuer sur la légalité des écoutes administratives à l’encontre de Libre Flot depuis son retour du Rojava. C’est la productivité de l’appareil judiciaire qui prime.

Ce procès qui « commence très mal » selon Kempf, risque aussi de se finir très mal. Un retard d’au moins une journée est déjà pris et les sujets les plus importants ont été mis à la fin au risque de passer à la trappe : la question du « projet » et de la « clandestinité » (par les moyens de communication).

« Pour mieux vous connaître » : pathologisation des victimes de la barbarie policière.

Suite à cette première journée de refus d’entendre la Défense, deux journées d’audience ont été consacrées à « la personnalité des prévenu·es ». Leurs parcours de vie et leurs états d’âme les plus intimes sont ainsi passés au crible pendant en moyenne deux heures par inculpé·e.

Les profils de chacun·e, liés à des parcours de grosse galère parfois ; et de liberté et de projets d’autonomie face à l’avenir le plus souvent ; ne semblent guère intéresser les magistrates que dans leur potentialité « violente » et pathologisante.

Les questions reviennent en permanence sur : les addictions (drogues et alcool), la période de confinement, les traumatismes liés aux violences policières sur les ZAD.

Les juges sont obnubilées par le ressentiment que pourraient avoir les inculpé·es face à « des mains arrachées, des viols par la police » et à « la mort » de Rémi Fraisse, assassiné par un gendarme armé d’une grenade.

Le sous-titre est clair et nauséabond : vous avez des traumas et de la haine anti-flics, ce qui vous rend fragile et dangereux vu les faits reprochés. Ou comment les horreurs commises par les flics sont retournées pour tenter de criminaliser les compagnon·es du 8 décembre.

Un exemple effarant :

– une juge assesseure revient sur l’enfance de Svink et un accident de scooter dont il paye encore les frais aujourd’hui. Il a 39 ans, il en avait 15 à l’époque. Il est renversé par un ivrogne au volant, un flic en fin de service. Il voit ensuite débarquer sur son lit d’hôpital, le flic et ses collègues qui font pression sur lui pour qu’il ne porte pas plainte. La juge ne se questionnera pas sur le dénouement, mais sur les liens avec son tatouage « ACAB » et surtout, les « faits » qu’on lui reproche aujourd’hui, 21 ans plus tard, à savoir : être passionné d’effets spéciaux et avoir le droit de manipuler des matières « actives », – mais pas avec quelqu’un qui revient du Rojava semblerait-il.

« Au nom du peuple français » : les critiques universitaires érigées en intentions terroristes.

« Nous ne sommes pas là pour vous juger sur vos opinions politiques » affirmait la Présidente le premier jour d’audience, laissant la salle plus que dubitative. Le doute s’est très vite levé les jours suivants, lorsque -entre autres- Camille a dû s’expliquer pendant une heure sur une lettre adressée au juge d’instruction dans laquelle des sociologues et historien·es critiques de la justice étaient cité·es.

Elle avait lu en détention des ouvrages tels que : « Sous l’œil de l’expert. Les dossiers judiciaires de personnalité » de Ludivine Bantigny et Jean-Claude Vimont ; « Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants » de Véronique Blanchard et Mathias Gardet ; ou encore la criminologue Louk Hulsman citée dans « Crimes et Peines » de Gwenola Ricordeau.

Selon l’assesseure donc, les citations suivantes « en disent long » sur ses opinions politiques ; et par glissement dangereux sur « les faits que l’on vous reproche » :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

« La notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

La juge assesseure va très vite laisser tomber les questions de personnalité pour s’enfoncer dans un face à face agressif : « La juge que je suis se doit de vous poser la question » assènera-t-elle avant de stupéfier la salle en s’écriant : « Le Tribunal rend la Justice au nom du peuple français ! ».

Cette démonstration d’autoritarisme suscitera des réactions de soutien dans la salle, que le Procureur fera sanctionner immédiatement (par l’expulsion d’une personne). La mère, le père, le frère et des proches de la mise en examen sortiront en guide de protestation.

Inscrivez greffier : dans la France de 2023, on ne critique pas la justice ; le concept universitaire de « criminalisation » est un « néologisme » ; et un mémoire de littérature une pièce à conviction dans un dossier terroriste.

« Pouvez-vous être à deux endroits en même temps ? » : la DGSI et la fiction judiciaire.

Certains disent, dans le monde pénal, que les renseignements intérieurs ont gardé un réel traumatisme du fiasco de l’affaire dite « de Tarnac ». C’est sûrement faux : les effectifs ont largement changé et leur image a été redorée jusque dans la gauche radicale (grâce aux attentats djihadistes et les sources de Médiapart).

Cependant on remarque d’autres types de troubles dont l’ensemble de la chaîne pénale présente des symptômes : la paranoïa et la mythomanie.

Nous avions déjà ironisé sur le fait qu’une « chouette team » puisse devenir, -passant le prisme d’un agent de la sécurité intérieure sous pression politique-, une « shot team ». Cette fois, nous avons d’un côté une sonorisation qui enregistre ce que Svink fait : « tapoter avec un marteau et une spatule dans un plat » (selon ses explications). Et de l’autre côté, un rapport de filature qui affirme entendre « des tirs d’airsoft en rafale ». Encore un PV faux qui en dit long sur la subjectivité des agents.

Mais la supercherie policière prend toute sa gravité quand elle fait loi en terminant dans la tête d’une juge. Ce n’est qu’à la fin de l’audience qu’on se rendra compte que, plusieurs heures durant, un inculpé a été sommé de s’expliquer sur des propos qu’il n’a pas tenu il y a trois ans.

Il aura fallu attendre qu’un avocat demande à passer l’audio « original » d’une sonorisation pour qu’on se rende compte que les propos retranscrits n’ont tout simplement pas été dits.

L’extrait en l’occurrence était une phrase banale : « il faudra prendre des bonnes habitudes » transformée en « prendre des objectifs ». Qu’est-ce que ces objectifs, demandait la juge solennellement ? Que peut bien cacher cette phrase ? Tout simplement, rien.

Ni la juge, ni le PNAT n’ont pris la peine de vérifier leur sources. Pas plus que la juge ne se soit renseignée sur la loi concernant le statut d’artificier. Une vraie parodie qui se donne des airs graves.

Les retranscriptions de sonorisations sont pourtant la matière première de ce dossier explosif, raison pour laquelle la Défense demandait la citation des deux agents les plus prolifiques. Des expertises sont réalisées sur la base de ces retranscriptions, des accusations graves aussi. Tout laisse à penser que des manipulations opérées par les agents eux-même rendent beaucoup de retranscriptions fausses.

La juge était pourtant prévenue.

Relaxe pour les inculpé·es du 8 décembre !

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Lettre considérée comme indice d’intentions terroristes par la justice française en 2023.

À Jean-Marc HERBAUT,
Juge d’instruction antiterroriste
Tribunal Judiciaire de Paris
Parvis du Tribunal de Paris
75859 PARIS CEDEX 17

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Monsieur,

Je reviens vers vous à la suite du refus exprimé par mes conseils de me soumettre à l’enquête de personnalité et aux différentes expertises ainsi que mon refus de répondre aux questions de l’enquêtrice venue me rencontrer à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fleury-Merogis.

Je tenais par ce courrier à vous réaffirmer mon refus mais surtout à vous en expliquer les raisons.

Si je comprends que la demande de ces enquêtes s’inscrit dans le protocole du traitement des affaires criminelles, je tiens tout d’abord à rappeler que je refuse le chef d’inculpation pour lequel je suis poursuivie. Il me semble en outre que la démarche même de ces enquêtes est problématique pour plusieurs raisons.

Les mois d’enquête préliminaire dont j’ai fait l’objet n’ont visiblement servi qu’à dresser un portrait falsifié de ma personne, ne retenant de mes mots et de mes activités qu’une infime partie, toujours décontextualisée et uniquement destinée à m’incriminer au détriment de tout autre élément me caractérisant.

N’est il pas alors ironique que l’appareil judiciaire cherche désormais à déterminer qui je suis ? Ce processus réducteur m’ayant déjà valu plusieurs mois de détention provisoire, n’est il pas étrange de vouloir me soumettre à de telles enquêtes et expertises alors même que la possibilité de me décrire et de m’auto-identifier m’a préalablement été enlevée ? Et comment croire en la sincérité et en l’objectivité de telles enquêtes après avoir observé l’emploi d’une telle méthodologie ?

La sociologie nous enseigne depuis des décennies qu’il ne peut y avoir d’expertises neutres lorsque la personne est préalablement mise en situation d’infériorité (physique, psychologique, morale, etc…). Lorsque Véronique Blanchard décrit « l’aridité des rapports médicaux et sociaux aux allures d’autopsie » je ne peux déjà m’empêcher de penser aux rapports de la DGSI par lesquels vous m’avez rencontrée, ainsi que mes co-inculpés, et dans lesquels des moments de nos vies ont été machinalement disséqués, vidés de leur contenu et décontextualisés à foison.

Il apparaît dès lors dans ce type d’enquête que la personne s’efface pour devenir un « sujet », observé, analysé, comme je l’ai déjà vu noté dans plusieurs rapports joints à ce dossier. Je ne suis pas un sujet et je ne pense pas qu’une personne m’ayant vue une fois dans un contexte si particulier soit apte à retranscrire un portrait fidèle de qui je suis.

Il ne fait guère de doute pour moi que ces nouvelles enquêtes demandées constitueront, une fois de plus, autant de filtres déshumanisants et d’écrans posés sur des propos, mettant inéluctablement à distance la personne expertisée de son interlocuteur.

Les analyses de ce types de processus sont nombreuses. On peut parmi elles retenir les constats implacables de Véronique Blanchard ainsi que Mathias Gardet ou encore ceux exposés dans le recueil d’analyses de Ludivine Bantigny et Jean Claude Vimont :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

Ainsi, au vu de la présomption de culpabilité incessante et harassante à laquelle nous faisons face dans ce dossier, je ne peux que vous demander sous quelles « normes d’époque » mes propos sont-ils et seront encore analysés, interprétés et jugés ?

Pour finir, si l’incapacité de ces enquêtes à répondre à la recherche d’objectivité qui serait leur mission première ne fait plus de doutes, il me semble important de souligner que, comme le fait remarquer le criminologue Louk Hulsman, « la notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

En effet, si l’auteur insiste sur le fait que « le crime n’a pas de réalité ontologique », il souligne par ailleurs la difficulté d’expression et de défense des personnes qui en sont accusées : « Les conflits qui se produisent dans la société entre des personnes ou des groupes sont définis dans le système pénal non pas selon les termes des parties impliquées, mais plutôt en terme de régulation (droit pénal) et d’organisation du système lui même. Les parties directement impliquées dans un conflit n’ont que peu d’influence sur le cours des événements dès lors que le problème a été défini comme criminel et a été pris en charge en tant que tel par le système ».

Dans un soucis de manifestation de la vérité, ceci laisse entrevoir en quoi il est important de réhabiliter largement la parole des accusé·es et judiciarisé·es. Cela montre aussi l’importance de ne pas laisser la justice s’auto-alimenter dans ses propres mécanismes psycho-institutionnels.

Alors que cette enquête semble reposer bien plus sur de la présomption et de l’interprétation que sur ce qui pourrait être considéré comme des preuves ou des faits par la justice, vous comprendrez ainsi que je ne peux me permettre de laisser mes propos en proie à des tels mécanismes.

Je réaffirme alors par la présente ma capacité à parler par moi même et pour moi même.

En vous souhaitant bonne réception de ce courrier.

Camille,

Le 3 novembre 2021.