[Procès812] Communiqués devant le Tribunal – 27 octobre

Nous étions une petite centaine en ce dernier jour d’audience, après 4 semaines de procès. Beaucoup de proches des inculpé·es : famille et ami·es. Du café, du thé, des jus faits maison, quelques brochures, des chants et de la bonne humeur. Il y a eu plusieurs prises de parole, que nous reproduisons ici. Plusieurs organisations étaient aussi présentes : collectifs féministes, le Réseau Entraide Vérité et Justice, les Mutilées pour l’Exemple, le NPA, Soutien aux Inculpé·es du 15 Juin Limousin, etc. Le délibéré sera rendu le 22 décembre… le suspens est à son comble. Retrouvez les compte-rendus des audiences ici.

COMMUNIQUÉ DU COLLECTIF SOUTIEN812

Il faut déjà y entrer, dans ce gratte ciel de 160 mètres de haut, 120 000m2 de surface, droit et transparent comme… la Justice ? Ce qui est sûr, c’est que ce grand building penche indéniablement… à droite!

Il faut passer un premier contrôle des sacs, puis un second avec rayons X et portiques détecteurs de métaux, surveillé par des dizaines de caméras et des policiers armés de fusils d’assaut. Tu es de nouveau fouillé devant la salle, elle même surveillée par des flics, payés à attendre toute la journée et à mater les meufs qui sortent.

Il faut supporter la condescendance et le mépris de ces gens qui se croient au dessus de tout, et surtout de nous. A commencer par Madame la Présidente, ou devrait on dire Son Altesse, qui, à une personne lui demandant de parler plus fort car elle n’entendait pas, répond : « je ne vous permet pas de m’apostropher de la sorte, passez par un avocat si vous avez quelque chose à me dire ». Et qui prend un plaisir non dissimulé à nous laisser debout devant elle jusqu’au silence complet avant de nous autoriser à s’asseoir… bienvenue au collège, ou à l’armée.

Violence de cette justice complice dès le départ, qui refuse d’emblée, sans aucune justification, toutes les demandes de la Défense pour accéder à des informations retenues par la DGSI. Une demande pourtant basique: auditionner 1207SI et 856SI, deux gradés de la DGSI auteurs de plus de 150 procès verbaux suspects. Sous la plume de certains agents à l’imagination fertile, une « chouette team » devient une « shot team » ; et quelques coups de marteaux et de spatule deviennent une séance de tirs de deux heures. Lorsqu’une vidéo, issue d’un dispositif d’espionnage aurait pu lever le doute sur ce point, elle est « involontairement » détruite par la DGSI. Du jamais vu selon une avocate.

Tout comme le doute aurait pu être levé concernant les déclarations en GAV par l’obtention des vidéos. Mais, malgré les témoignages de menaces, malgré les « coupures techniques » durant lesquelles les flics te manipulent, et malgré la contestation quasi unanime des propos tenus lors de ces GAV, là encore ce sera refusé par le Tribunal.

Dans d’autres procès, comme celui des Barjols par exemple, le Tribunal l’avait autorisé.

« Qu’est-ce que c’est que ce mépris ?, a fini par s’emporter une avocate. Ces gens sont au dessus de quel code ? On nous dit : “Les policiers font bien leur travail, il n’y a aucun doute à avoir”. Mais qu’est-ce que c’est que cette tautologie ? On est là pour douter et votre tribunal aussi. »

Mais non ! Ces gens semblent au dessus des lois et n’auront pas à répondre de leur actes. Ils pourront continuer d’écrire peinards des faux PV et des notes blanches qui envoient des gens au trou. Et le Tribunal leur donne carte blanche.

Violence des questions, posées à chaque inculpé·e dans des « entretiens de personnalité » emprunts de préjugés de classe : quelles sont vos ressources, avez vous des personnes à charge, avez vous des addictions… dont le but est clairement exprimé : « nous en tiendrons compte lors de notre décision ». C’est donc le statut social qui dicte la peine.

Derrière son sourire mielleux et sa fausse politesse (« c’est juste pour mieux vous connaître »), la juge se permet des leçons de morale sur des choix de vie (squat, nomadisme, travail au black…) et de donner des conseils allant du psychologique à de l’orientation professionnelle. Une infantilisation permanente.

Les questions reviennent toujours autour des thèmes de l’angoisse (par rapport à l’avenir, au confinement, au fascisme…), sur les séjours en ZAD, la violence, le ressentiment envers la police ou les institutions. Le sous-titre est clair et nauséabond : vous avez des traumas et de la haine anti-flics, ce qui vous rend fragile et dangereux. Ou comment les horreurs commises par les forces de l’ordre sont retournées pour tenter de criminaliser les compagnon·es du 8 décembre.

Violence d’être comparés à l’État islamique, au djihadisme et à l’extrême-droite, sous prétexte de l’accusation fourre-tout de terrorisme ! Une assimilation entretenue par Darmanin et s’illustrant dans les lapsus du Procureur confondant un inculpé avec Mohamed MERAH.

Violence de devoir exhiber tes tripes, tes problèmes, ton intimité, d’être obligé d’étaler ta vie pour te justifier devant des gens qui t’ont enfermé et meurtri. Violence de devoir, en plus, utiliser leur langage, leurs codes, être poli, cohérent, ne pas avoir de trou de mémoire, quand chaque parole inexpliquée est frappée de soupçon… Ce sont leur règles et soit tu t’y plies soit tu ramasses.

Violence de savoir que tout ça n’est pas une exception, une « bavure », mais bien le fonctionnement de la justice française. S’expliquer pendant une heure sur ses opinions de la justice car on a eu l’audace de citer une sociologue pour expliquer son refus de se soumettre à l’enquête de personnalité et aux expertises psychologique et psychiatrique.

« Vous donnez l’impression que vous étiez presque en colère qu’on cherche à vous connaître », se voit-on reprocher. L’envie de s’énerver : je venais de vivre les pires violences de ma vie (arrestation antiterro, détention, fouilles à nu) !!! Mais il faut rester calme: « je préfère parler par moi même lorsqu’il s’agit de me définir. »

Rester calme face à des juges au ton agressif: « Cette lettre en dit long sur vos convictions. La question ici est de s’en prendre violemment aux institutions. La justice en est une. Vous critiquez la justice et ne lui faites pas confiance ? La juge que je suis se doit de vous poser la question : est ce que vous reconnaissez la justice française ? ». Que répondre à ça ? Heureusement, on se verra quand même rappeler que: « Nous ne sommes pas là pour vous juger sur vos opinions politiques et il n’y a pas de question pièges. »

Et pourtant. De jour en jour, l’absurdité nous saute aux yeux et le procès s’apparente de plus en plus à un plateau de CNEWS. Mais le Tribunal ne semble pas s’en rendre compte. Les témoins sur le Rojava, sur les outils de communication, sur l’isolement carcéral, sont malmenés par les Juges tandis que les procureurs scrollent sur leur téléphone. Indifférence totale.

Et face à tout ça, pour les soutiens remplissant la salle il faut se taire, ravaler sa colère, sous peine d’exclusion temporaire (comme c’est arrivé dès le 2e jour). Mais rassurons nous, « la justice est rendue au nom du peuple français! ». Amen.

Il faut se blinder pour faire face à toute cette violence. Surtout, il faut du soutien pour tenir. Des rires dans la salle, des doigts qui claquent et des pieds qui tapent, des sandwichs trop bons à la pause, de la dérision, des dessins et des caricatures qui font du bien, des embrassades…

Mais il faut également du soutien politique! Car ce procès du 8 décembre nous concerne tous·tes.

L’antiterrorisme est l’avant-garde du processus de fascisation de la France. Il n’y a plus un jour sans que le terrorisme ne fasse la une des médias. Et plus le pouvoir en parle, moins on comprend ce que cela signifie réellement. Ce qu’on comprend en revanche, c’est que le panel des terroristes s’élargit en permanence jusqu’à atteindre son réel objectif : disqualifier tout opposition politique.

Il n’a jamais été aussi clair aujourd’hui que l’antiterrorisme a vocation à durcir tout l’appareil répressif de l’Etat, à mesure que l’Etat doit redoubler de violence pour se maintenir. Violences sociales, violences économiques, violences policières, carcérales et judiciaires.

Terroriser les pauvres, terroriser les étranger·ères, terroriser les opposant·es, et terroriser les masses. L’antiterrorisme est l’outil le plus efficace pour gouverner par la peur.

Depuis trois ans nous soutenons les inculpé·es du 8 décembre, et depuis trois ans nous exprimons notre solidarité avec les cibles de la répression antiterroriste :

Solidarité avec les militants kurdes qui passent actuellement en appel, et qui ont été très durement réprimés par la justice antiterroriste, alors qu’Erdogan poursuit sa politique écocidaire et génocidaire au kurdistan.

Solidarité avec les révolté·es par la mort de Nahel, qui on fait face à un déploiement meurtrier des forces antiterroristes.

Solidarité avec les inculpé.es du 15 juin 2021 dans le Limousin suspectés d’avoir offert à un million de francais quelques jours sans télévision.

Solidarité avec les compagnon anarchiste Ivan, arrêté par la SDAT, incarcéré pendant 1 an (préventive), accusé d’incendies de véhicules de grandes entreprises et de diplomates.

Solidarité avec Kamel Daoudi, enfermé à résidence à vie pour satisfaire les pulsions tortionnaires du ministère de l’intérieur.

Solidarité avec Boris, visé par une enquête antiterroriste pour l’incendie d’une antenne 5G à Besançon.

Solidarité avec S, arrêté à Limoges avec l’aide de la DGSI, puis condamné à 3 ans de prison ferme, suspecté d’incendie de véhicules de gendarmerie.

Solidarité avec les camarades de la Pride Radicale de Metz, dont un de leurs membres a été ciblé par une arrestation antiterroriste en mai dernier.

Solidarité avec George Ibrahim Abdallah, enfermé illégalement par la France depuis plus de 40 ans.

Solidarité avec les camarades arrêté·es par la SDAT en lien avec Lafarge.

Et plus généralement, solidarité avec tous les camarades visé·es ces dernières années par le renseignement, la surveillance, les dissolutions administratives et l’antiterrorisme. De la Russie à la Palestine : ne nous laissons pas antiterroriser!

Depuis quatre semaines nous sommes dans ce Tribunal, aux côtés des inculpé·es du 8 décembre. Et depuis 4 semaines, les inculpé·es répètent inlassablement :

Il n’y a jamais eu de projet d’action terroriste ! Il n’y a jamais eu d’entraînement paramilitaire ! Il n’y a jamais eu de groupe, ni de leader !

Toutes ces accusations sont fausses et ont été construites par la DGSI puis validée par des magistrats qu’on a du mal à dissocier des flics.

Ce procès a fait apparaître au grand jour la violence de la DGSI. Les méthodes pour obtenir des faux aveux en garde à vue, les PV erronés, les manipulations dans les retranscriptions et la rétention d’informations essentielles. Les arrestations aux fusils d’assaut, les cagoules sur la tête et les camisoles. Les gardes à vue, les manipulations, les mensonges, les menaces, les drogues pour altérer la conscience, la privation sensorielle et les menaces d’agression sexuelle.

Plusieurs de ces agissements sont des crimes, dont la DGSI n’aura jamais à répondre.

Ce procès aura aussi fait apparaître à quel point le PNAT préfère des aveux sous la torture blanche et la menace, que des paroles réfléchies devant un tribunal. Comment leurs biais cognitifs et leur perversité les aveuglent face au ridicule de cette affaire.

Comme l’indique une inculpée : « Contrairement à l’affaire de Tarnac où l’enquête est construite pour essayer de trouver des responsables à un sabotage, là nos vies sont passées au peigne fin pour essayer de les faire coller au récit qui est déjà annoncé et préconstruit par la DGSI ».

Ce procès s’inscrit dans un contexte de répression violente des luttes et contestations sociales en France, tant physiquement par des crimes contre les personnes, que symboliquement par la qualification « terroriste » des opposants politiques.

L’affaire du 8 décembre va encore plus loin : l’enjeu principal est, non pas d’étendre le « terrorisme » au sabotage, mais plutôt de créer les possibilités légales de réprimer des expressions politiques révolutionnaires dans le cadre du « pré-terrorisme ». C’est le crime de la pensée qu’on tente de réintroduire ici.

Nous sommes touxtes concerné·es !

ZADistes, féministes, antifascistes, anticapitalistes, écologistes, antiracistes, et autres anarcho-punk campagnards,

NE NOUS LAISSONS PAS ANTI-TERRORISER !

SOLIDARITÉ AVEC LES INCULPÉ·ES DU 8 DÉCEMBRE !

COMMUNIQUÉ DU RÉSEAU INTERNATIONALISTE SERHILDAN

En tant que Réseau internationaliste Serhildan, réseau de solidarité avec les luttes du Kurdistan et la révolution du Rojava, nous tenons à envoyer nos salutations les plus chaleureuses aux camarades qui font face en ce moment à la répression, dans un monde où les États mènent des guerres pour lesquelles nous devons payer, si ce n’est fuir ou mourir.

Un système qui assure à quelques-uns une richesse incommensurable laissant aux autres l’exploitation, de la famine au burnout. Un système qui rend notre planète inhabitable pour une grande partie de l’humanité.

Face à de si sombres perspectives, il est juste de s’organiser et de lutter contre ce système. Se retrouver accusé-e de terrorisme par un Etat qui protègent un système d’une telle violence est un signe qu’on a réussi à le faire trembler. Et quand des failles s’ouvrent cela renforce notre détermination et notre confiance en notre force collective. Même les médias libéraux le reconnaissent, le dossier à charge dans ce procès est pour le moins bancal. Pourtant ce procès représente un enjeu majeur pour les co-inculpé-es mais également pour tout le mouvement contestataire de gauche.

Au cœur des accusations, se retrouve l’engagement internationaliste de l’un des inculpé-es au Rojava. Depuis 2014, des dizaines d’internationalistes de France se sont rendu-es au Rojava pour participer au processus de construction d’une société basée sur la démocratie de base, la libération des femmes et l’écologie sociale. C’est ces internationalistes, dont beaucoup ont contribué à la lutte contre Daech, qui sont dans le viseur de la DGSI. Celles et ceux qui sont partis sans but politique, uniquement pour participer à la lutte armée contre Daech ou pour des motifs islamophobes ne sont pas inquiétés.

Dans un contexte de contestations sociales toujours plus fortes en France, pas étonnant que la propagation des idées de la révolution sociale au Rojava et d’une union internationale entre les forces socialistes partout dans le monde, fassent trembler les tyrans qui nous dirigent. La répression contre les idées politiques du mouvement kurde à une longue histoire en France.

On rappellera que récemment, en 2021, dans le cadre de l’enquête des inculpés du 23 mars plus de 800 personnes ont été interrogées par la DGSI et 11 d’entre elles ont ensuite été condamnées pour appartenance au PKK, qui est considéré comme une organisation terroriste.

Face à cette tentative d’intimidation et de criminalisation de l’internationalisme, nous répondons qu’elle ne fait que renforcer notre détermination à continuer notre travail de solidarité, à propager les idées et les pratiques de la révolution du Rojava et à les faire dialoguer avec nos luttes locales.

Force aux camarades inculpé-es !
Le site du Réseau Serhildan.

PRISE DE PAROLE DE MANU (INCULPÉ)

Merci à toi qui vient de loin, qui parfois a dû frauder l’train
Merci à vous les « écrivains », tant d’articles, billets, chroniques ça fait du bien
Et merci à toustes les cuistots, midi, soir et à toutes les pauses

Merci à touste les dessinateurs, vos coups d’crayons réchauffent le coeur
Merci à vous les agité·es, ça siffle, grogne, pour les faire vriller
Merci à toustes les musiciens, concert, freestyles, on vous entend d’loin
Merci à toustes les créateurs d’banderoles, aux graffeurs et les casseurs

Merci aux journaux qui nous soutiennent, pour que le grand public comprenne
Et merci à toi L’Envolée, qui brise les chaines d’toustes les enfermé·es

Merci, Amour à toustes les familles, les ami·es et les anonymes
Depuis l’début personne n’a lâché, la répression c’est pas qu’pour les inculpé·es
Et merci à toustes pour vos sourires, câlins, forces, vos bras, vos rires

Spéciale dédicace aux procs-horreurs, greffière, juge et assesseures
Vot’ fantasme est d’venu réalité, on a tissé des liens d’amitié
Merci à vous autres d’votre solidarité, sans ça on aura d’jà toustes vrillé
Et pour pour les squats et l’hospitalité, les potes c’est mieux que Levallois-Perret

Bref tellement un grand merci à toustes, et histoire qu’il n’y ai plus de doutes
On vous l’renvoie aussi, recevez le bien, ce A d’amour dans un cercle de liens

Pardon pour ceux que j’ai zappé,
Merci à vous, merci à toi, on se sent armé·es -euh… AIMÉ·ES!

COMMUNIQUÉ DU COMITÉ TOULOUSAIN

Au coeur du réquisitoire se trouve 3 lieux de luttes, d’émancipation, et de conflit. La zad de sivens, le rojava et le squat du pum a toulouse.

D’abord il y a la zad de sivens, cette lutte écologiste où punk et hyppies se sont retrouvés pour tenter de s’opposer à un projet de barrage en 2014 dans le tarn. Ce sont les meilleurs et les pires souvenirs de ma vie dira un inculpé. Là où nous avons découvert une forme de résistance par l’occupation d’une foret, pour en faire le lieu de notre utopie, nous avons aussi découvert l’autorité mortifère de l’État prêt à raser, broyer et assécher illégalement une foret, une zone de vie et de biodiversité pour assoir un projet idiot au service de l’Agro-industrie. Nous avons vu la désolation et la mort au travers de la violence des forces de l’ordre qui voulait à tout prix nous chasser: saccages, humiliations, blessures et finalement le décès d’un jeune manifestant dans la nuit du 25 octobre. Nous n’avons toujours pas les mots pour vous raconter cela.

Le procureur nous parle ici de la forme la plus récente de la violence de l’ultra-gauche. Nous on se souvient surtout d’après midi entières à essayer de construire des cabanes dans les bois, développer toutes sortes de tactiques farfelues pour ralentir les travaux et surtout des débats infinis entre vegan, eleveurs, naturalistes, citoyennistes, squatteurs, feministes, teufeurs bref une expérience de la démocratie directe, où on évolue et on fait grandir ensemble une lutte.

C’était pas un truc de ouf non plus, on ne voudrait pas vous faire croire que c’était le paradis mais pour celles et ceux qui y sont resté.es, ça nous a tellement marqué que les liens que nous y avons construits sont puissants et nous unissent encore. On remercierai presque le Pnat de nous avoir à nouveau réunis 9 ans plus tard. Mais nous n’oublions pas, alors qu’à l’époque ou on nous disait déjà, en se faisant courser ou détruire nos caravanes que nous étions des terroristes, que la répression nous coûte et nous abime.

Puis le Rojava, ce territoire élargi aujourd’hui au Nord Est Syrien, regroupe des population Kurdes, Arabes, Turkmènes etc et de différentes religions. Il est certes connu pour être un lieu de combat contre DAECH depuis 2014 mais aussi un territoire d’expérimentation du Confédéralisme Démocratique : c’est une alternative basée sur un fonctionnement sans Etat, théorisé par Abdullah Öcalan, créateur du PKK (Partie des travailleurs du Kurdistan). Rappelons-le, emprisonné et mis à l’isolement par l’Etat Turc depuis 1999, il lutte depuis des décennies pour la reconnaissance de la culture Kurde, de sa langue et son droit à exister, qui résonne avec celles de milliers de prisonniers politiques en Turquie (Maires, Élus, profs, militants des droits humains, journalistes etc).

Le PKK, n’est pas une organisation terroriste comme l’Etat Turc voudrait nous le faire croire et comme le PNAT nous en fait le raccourci, sans rappeler le contexte et les milliers de morts causés par cet dictature Turque, pays de l’OTAN, qui n’a de cesse de perquisitionner, torturer, enfermer, assassiner, bombarder les Kurdes en Turquie mais aussi dans le Nord-est Syrien et en Europe.

Au Rojava l’expérimentation de ce système politique se base sur la complexité de ce territoire : pouvoir vivre ensemble sur un même espace peu importe sa religion ou sa culture, développer une économie respectueuse et solidaire, donner les mêmes droits aux femmes que les hommes offrir à chacun la possibilité de s’auto-défendre, écouter la jeunesse, mais aussi des bases écologiques et démocratiques, et une justice restaurative ; dans le civil comme dans l’armée.

Enfin le squat du Pum, là où furent arrêtés 2 des prevenu.es le 8 décembre 2020 et qui serait un repère de l’ultragauche violente. Un immense squat d’un hectare de hangars en plein Toulouse, ouvert juste avant le confinement et qui aura tenu 3 ans. Dans cette ville en marche forcée pour la gentrification, défigurée par les ambitions d’un maire au service de l’industrie de l’armement et de l’aéronautique, se loger est inaccessible pour des milliers de personnes pauvres.

Tenir un lieu de vie squatté sans être assiégé par des milices antisquat, des journalistes et des flics n’est pas une mince affaire aujourd’hui à toulouse.

Au Pum on a pu accueillir, expérimenter, organiser et partager un paquet de trucs sans se faire trop emmerder, jusqu’au 8 décembre 2020. Après l’enfermement de nos ami.es nous n’avions plus d’autre choix que la solidarité et se serrer les coudes. Dans cette tourmente on a quand même continuer de faire ce en quoi on croyait, on ne voulait pas que la répression nous en empêche, on a mis les bouchées doubles, on s’est un peu épuisé.es. Et mr le procureur et mme la juge c’etait un peu plus que des « activités ouvertes a tous » ou des « ateliers ». On essayait ici de partager des valeurs politiques et des modes de fonctionnements. On questionnait nos rapports empreint d’oppressions systémiques, on accueillait ouvertement tout en assumant des valeurs politiques radicales, on tentait de construire l’autogestion, on a fait vivre la solidarité en acte.

On va pas se mentir non plus, ya eu quelques contradictions, on aimait un peu trop faire la fête et parfois c’était un peu crado. Mais ce qu’il nous reste et qu’on ne nous prendra pas même si le pum n’existe plus ce sont ces liens encore une fois si forts qu’ils continuent de nous unir et de nous rassembler, c’est cette solidarité, puissante qui n’en déplaise aux procureurs, n’est pas un  » mot d’ordre » mais une force politique et humaine. On pense à Zurab et Abdel. C’est aussi le sentiment qu’on est capable de vivre au coeur d’un ville l’autonomie et la résistance à un monde qui nous oppresse.

PRISE DE PAROLE DES MAMANS DES INCULPÉ·ES

Mères dinculpé.e.s

Nous, des mères d’inculpé.e.s du 8 décembre, nous ne nous connaissions pas mais nous sommes toutes prises dans la même tourmente et nous voulons apporter notre témoignage.

Éparpillés aux 4 coins de France ils ne se connaissaient pas tous, et pourtant ils sont accusés « d’association de malfaiteurs à caractère terroriste » : les inculpé.e.s du 8 décembre 2020.

Les choix de vie de nos enfants, qui peuvent être différents des nôtres, sont guidés par des valeurs humanistes, altruistes et de solidarité (soutien aux migrants, sdf, personnes en situation de handicap, protection animale, nature…), valeurs que nous leur avons inculquées.

Celles-ci les ont menés à s’engager pour des causes environnementales auprès de populations en souffrance ou persécutées.

Le 8 décembre 2020 a été pour nous toutes un cataclysme. Depuis, nos vies ont été complètement bouleversées, mises entre parenthèses. C’est ce qui nous a amené à nous rencontrer, pour partager notre stupéfaction, nos incompréhensions, nos blessures, et nous épauler.

Soutenir nos enfants dans cette épreuve est devenu notre principale préoccupation. Nous déplorons le portrait que l’on a dressé d’eux et, plus encore, que l’on puisse leur tenir des intentions terroristes ou une volonté de causer du mal à autrui.

Cette épreuve nous permet de mieux comprendre les engagements de nos enfants et notre confiance en eux reste intacte.

COMMUNIQUÉ FÉMINISTE

Nous nous adressons à vous ce vendredi 27 octobre en tant que féministes de différents horizons, en tant que proches et soutien de cette affaire du 8 décembre.

27 octobre, le fameux, le désiré 27 octobre que nous avons souhaité de tout notre coeur parce qu’il marque la fin du procès de nos camarades et, nous le souhaitons, la fin de trois longues et terribles années de souffrances et harcèlements judiciaires. Nous réclamons la relaxe de l’ensemble des inculpées du 8 décembre pour l’Association de malfaiteur terroriste dont iels sont accusées.

En tant que féministes , nous avons réagit tout le long de ces trois années. Pour dénoncer par des tribunes  » des arrestations sans fondement et les pressions exercées contre les personnes cherchant à exercer leur droit à la critique et à la manifestation.  » et contre la répression d’État en affirmant « nos peur et notre colère face à la course sécuritaire menée par le gouvernement », nous étions là le 3 octobre lors du rassemblement d’ouverture de ce gigantesque procès dont les contours flamboyants ont laissés d’autant plus apparaître la « coquille vide » de ce dossier d’instruction.Nous étions là pendant ce mois de procès et nos yeux se sont parfois ecarquillés, et nous avons souri devant la nécessité pour certains inculpés d’expliquer leur comportement de gros virilo, rigolo, parfois pas très malin devant 3 juges femmes, les regardant de haut et ne comprenant pas très bien ce qui était là en jeu. Mais si la nécessité de continuer à porter nos combats dans nos milieux nous ai apparu alors, c’est bien à coté de nos camarades que nous nous tenons fières.

Nous sommes particulièrement féministes, notre féminisme est intersectionnel, et nos intérêts politiques ne se limitent pas aux violences sexistes et sexuelles. Nous sommes là où l’on nous attend, et là où on nous attend moins. Les affaires de répression politique nous concernent. Les affaires de répressions nous concernent. Nous serons toujours là et nous apporterons notre soutien indéfectible à toutes les victimes d’un Etat policier qui souhaite museler nos luttes, d’un Etat capitaliste et patriarcal qui nous exploite et nous place au service. Nous serons toujours là pour apporter nos critiques, nos analyses et à chaque endroit où le patriarcat prend forme et s’exerce.Si ce procès a laissé apparaître l’importance de nos luttes féministes, c’est bien auprès de la société toute entière et auprès de nos institutions qu’elle s’est rendu visible, cette importance. Au point de nous éblouir.

Nous revendiquons le droit à la critique de nos institutions.

Durant ce procès, Quand une critique politique de l’institution judiciaire est apportée par une des inculpée, une juge s’étonne : « croyez-vous en la justice ? » 

Il a suffit de dire que cette institution étatique ai des biais sexistes, racistes, et classistes, pour que les juges se sentent attaquées, et que la suspicion croisse. « Dans quel cadre portez-vous ces réflexions ? » Renchérit cette juge assesseure. « La justice se rend au nom du peuple français ! » scandé comme une cape d’invinsibilité ou un talisman de protection.

Un frisson nous a toustes traversé alors. Bourdonnement, sueur. Mauvais film. 

Nous devons l’affirmer haut et fort : la critique des institutions, nous les portons aussi. Et c’est bien la base de tout fonctionnement démocratique : les critiques du fonctionnement de la cité concernent tout le monde, elles sont nécessaires pour l’amélioration des institutions, quand il s’agit de les améliorer. Si on voulait parler leur langage, on parlerait de « devoir citoyen ».

«  Ne soyez jamais d’accord avec le monde tel qu’il est », reprendra Mr Arnaud à la fin de sa plaidoirie. C’est bien de ça dont il s’agit ici, c’est bien ce droit ou ce devoir moral que l’on se doit de plaider, et pourtant on nous dit que ce ne sont pas pour leurs idées que les prévenues sont à la barre.

Nous devons critiquer, et nous devons dénoncer les oppressions commises par la Justice, la Police, la Prison. Nous sommes trop nombreux.ses à l’avoir répéter, depuis trop longtemps : les prisons sont rempli.es de personnes pauvres et subissant le racisme. La surveillance et les violences policières sont exercées en majorité sur les personnes des quartiers populaires, ou des départements ulta-marins, et en majorité par les personnes qui ne sont pas perçues comme blanches. Cette surveillance et ces violences ne sont pas seulement plus fréquentes, régulières, banales, elles sont aussi d’une intensité incomparable avec ce que vivent les personnes plus bourgeoises, et les personnes blanches. Et lorsque des crimes policiers sont dénoncés, c’est quasiment systématiquement des non-lieux que la « Justice » conclue. Idem pour les meurtres commis par les représentants de l’État dans les prisons françaises. Les vidéos sont perdues, les agents ne répondent pas, ne se présentent pas au tribunal, les éléments ne sont pas rassemblés pour faire la vérité sur les faits.

Nous avons l’habitude de voir l’institution judiciaire couvrir des violences commises par d’autres services de l’État. Comme si l’institution Judiciaire n’avait pas comme seul horizon le fait de faire apparaître la vérité, et de le faire de manière juste et équitable pour tout le monde.

Des crimes sont des « non-lieux » quand ce sont des policiers ou des matons qui les commettent. Mais quand des personnes pauvres, punk dont les modes de vie sont éloignés des normes de la bourgeoisie, et qu’elles sont assimilées à « l’ultra-islamo-gauche », alors elles n’ont pas besoin d’avoir haussé le ton sur un policier pour être accusées de vouloir le tuer. Un policier ou n’importe quel autre « représentant de l’État » d’ailleurs, comme le dit la note de judiciarisation : pas besoin de préciser la cible, du moment qu’elle a l’air de faire partie de ce bloc solidaire des « institutions étatiques » Alors c’est un ennemi qui est désigné. Et ici, c’est revenu, toujours et continuellement revenu au point de connaître les retranscriptions des sonorisations par coeur, ces mots et cette colère contre les agissements de la police devenues preuves de culpabilité.

Alors oui, nous faisons difficilement confiance aux institutions étatiques. Ce procès, ça nous a pas aidé. Et il était dur à entendre lors du réquisitoire des procureur.es, qu’il était reproché aux inculpé.es de ne pas se remettre suffisamment en question. C’est un peu dur à entendre si on peut se permettre. De la part de celleux qui se sont continuellement insurgés que ce soit une possibilité.

Alors oui, nous sommes scandalisées que tout au long du procès ce soit beaucoup des colères, des critiques, des livres politiques et des lectures subversives qui soit reprochés, analysés, martelées. Nous sommes scandalisé.es que l’on doive s’expliquer à la barre sur les livres de nos bibliothèques.

Conflit intérieur, doit-on prendre note des nombreux éléments sur la securité informatique devoilés dans cette affaire et se rendre aux cryproparties dont on a eu la publicité, doit-on prendre note des lectures qui peuvent passer en éléments à charge et les mettre sous tails en arrivant à la maison ? Ou doit-on revendiquer haut et fort notre droit à la critique? Nous choisissons la seconde option. La première à l’air contre productive. 

Nous avons noté et observé que dans ce procès , de nombreuse femmes entouraient les prévenues, nous ne sommes pas étonnées. La plupart des femmes qui subissent les violences du système carcérale sont des proches de personnes jugées, punies, enfermées. Ce sont surtout des femmes que l’on retrouve aux parloirs, « près de 9 visiteurs sur 10 sont des visiteuses. Si l’on pouvait s’y attendre pour les conjointes, puisque les hommes représentent 96,6 % de la population carcérale, c’est plus étonnant pour les autres proches (8 fois sur 10 une mère) ou les frères et sœurs (3 fois sur 4 une soeur ) »Elles tiennent dans la durée pour soutenir leurs proches, elles prennent soin. Mais il y a aussi des femmes et des minorités de genre en prison : nombre d’entre elles ont lutté contre des violences patriarcales qu’elles subissaient, en faisant « usage de la violence » parfois, pour s’en tirer. Et toutes les personnes qui ne sont pas cisgenre subissent la transphobie à son apogée dans les prisons. Les prisons ne constituent pas des solutions pour nous, nous en dénonçons la violence et l’inefficacité. Notre féminisme est anti-carcéral, nous agissons pour la transformation des comportements et de notre culture, nous souhaitons combattre les oppressions en tant que systèmes et non pas les personnes qui les commettent. Car nous savons que les réalités des prisons à l’heure actuelle n’améliore pas les vies, elles ne font que faire tourner un système où les pauvres sont punis, et les bourgeois punissent, ou alors s’enrichissent sur ce système, ou s’enrichissent malgré ce système. Car quand on a le sou dans ce monde capitaliste, on n’a pas peur d’aller en prison, cela n’arrive pas. On vaut mieux que ça. Alors oui, nous l’affirmons même si cela semble répréhensible : nous critiquons les institutions étatiques : l’action de la Police, de la Justice et des prisons françaises augmente les violences racistes, classistes et sexistes dans nos vies. Même si parfois, nous ne trouvons d’autre solution que de demander la reconnaissance et l’action de la Justice quand nous sommes en danger, ou victimes d’actes répréhensibles, et que nous ne pouvons nous le reprocher. Malgré cela, nous ne sommes pas dupes : l’État n’est pas notre allié dans la lutte contre les oppressions, il est plutôt notre ennemi politique, et tant mieux si cela hérisse les poils de M. le procureur.

Durant ce mois de procès, nous a été rendu visible un combat, celui de camille, la seule inculpée femme. Il a pris de l’importance, il a eu ses victoires parfois parce que répété et porté à bout de bras. Nous savons que c’est tout au long de l’instruction judiciaire que ce combat à du se mener. Ayant partagé une relation intime avec le principal accusé , elle a du d’abord combattre pour ne pas être réduite à cette place dans cette relation. Elle a du s’en défendre, et se battre pour être considérée pour elle-même, pour que sa parole soit entendue, prise au sérieux. Pour son auto-détermination. Alors, le parquet et les juges l’ont bien entendues, ont compris au fur et a mesure que les questions qui ne la concernait pas, ne la concernait pas et diront qu’elle n’est pas poursuivi pour etre LA compagne. Mais comme dira son avocate Maitre chalot, c’est sous le prisme d’un aveuglement amoureux qu’elle est apprehendée dans le dossier et on la pense toujours plus determinée par la passion que par la raison remettant en cause la crédibilité de sa parole et lui niant sa possibilité d’indépendance. Et cela jusqu’au bout. Elle a du se battre pour se défendre de stéréotypes et placer de la nuance dans chaque portrait qu’on a essayé de lui coller, les rendre inefficient en apportant de la complexité.Il y a eu La compagne, puis, à s’en défendre pour réclamer le droit d’être entendue, la manipulatrice, celle qui serait la plus empreinte  d’une idéologie violente et qui insidieusement influencerait le groupe et La passionnée qui soutient inconditionnellement sans penser par elle meme.

Nous ne pouvons accepter d’être caricaturées selon ces stéréotypes sexistes. Si ceux-ci nous cantonnent dans des rôles souvent  infantilisants nous assignant au silence, quand nous sommes renvoyées à la figure de la femme perfide ou passionnée , ils peuvent aussi nous mettre en danger.

La juge n’a pas eu de retenue quand il s’agit de fouiller l’intimité des femmes. L’instruction  notera que camille n’a pas d’enfants alors que cela ne sera pas mentionné chez ses compagnons d’infortune comme le précisera son avocat. 

Alors oui, nos combats se mènent partout et nos critiques nous apparaissent nécessaires.

Après la mise à nue imposée par l’incarcération, les interrogatoires, la surveillance extrêmement intrusive dont les accusé.es ont fait l’objet, il a fallu lutter pour leur dignité, pour être entendu, pour être cru. Et la juge s’etonnera durant le procès : « vous avez l’impression qu’on ne vous écoute pas ? » Oui, c’est un constat. Il suffit de compter le nombre de fois où une seule question est posée. On doit atteindre une dizaine pour les questions favorites.         Cette procédure de surveillance et de contrôle à l’encontre de nos camarades a été beaucoup contestée par la défense lors de ce procès, sur de nombreux points. Pourquoi si peu d’écoutes retransmises ? Pourquoi est-il si difficile d’accéder aux enregistrements originaux ? Pourquoi les agents qui ont produit la plupart des PV versés au dossier ne sont-ils pas convoqués ? Pourquoi le procureur est-il si agressif lorsque la défense cherche à équilibrer les droits des parties dans ce procès ? Quasiment toutes les demandes de la défense ont été reléguées à la fin du procès – autrement dit : rejetées.        Non, ce que nous avons vu durant ces 4 semaines de procès, ce n’est aucunement la « recherche de la vérité ». Au contraire, il s’est plutôt agit d’une guerre de discours, avec de multiples tentatives – relativement foireuses – de faire correspondre des paroles et des actes à des suspicions préalablement établies.

Alors oui, nos critiques nous paraissent nécessaires.

On nous dira, que non, ce n’est pas l’engagement au Rojava dont il est question ici et pourtant Rojava, rojava , rojava… comme un bruit de canard en trame de fond.

Nous revendiquons un féministe internationaliste et nous nous nourrissons des réflexions et des analyses de nos camarades kurdes, iraniennes, chiliennes et de toutes les femmes qui luttent au quotidien pour la vie et la liberté et contre un monde mortiphère.

Une internationaliste s’etant rendue au Rojava dira : « Je suis touchée à la fois par l’esprit internationaliste de ces femmes et par leur perspective historique. Malgré la menace permanente de guerres et de violences patriarcales sans nom, elles entendent lutter non seulement pour leur propre libération, mais pour celle des femmes du monde entier. »

Femme, vie , liberté . Nous resterons debout.

La Défense des inculpé·es du 8/12 alertent sur les glissements dangereux de l’antiterrorisme

Le 8 mars 2021, l’agent 1273SI rédige un Procès-Verbal de « recherches en sources ouvertes » depuis les locaux de la DGSI à Levallois-Perret. La recherche porte sur un numéro retrouvé dans le téléphone d’une personne arrêtée 2 mois après le 8 décembre 2020 puis relachée sans suites après deux jours de GAV. C’est un numéro de la LegalTeam de Paris.

L’agent va ensuite s’orienter vers un article de conseils juridiques pour les lycéen·nes qui souhaitent bloquer leurs établissements dans le cadre de mouvements sociaux dans lequel apparait la liste des avocat·es de la LT de Paris. L’agent constate par « corrélation » que certains des ces avocat·es ont été choisis par certains mis en examen.

Il constate également qu’une personne, elle aussi arrêtée, placée en GAV mais libérée sans suite, a utilisé ce numéro à 4 reprises.

L’agent va faire des recherches sur d’autres LegalTeam pour vérifier si les autres avocat·es en font partie. Il trouve le nom de l’une d’elle dans un document de la LT de Rouen « Arrestations – garde à vue 6 points essentiels ».

On ne comprend absolument pas ce que fait ce PV de renseignement dans ce dossier, cela n’ayant rien à voir avec les faits reprochés. Me BOUILLON fera remarquer au Tribunal qu’aucune recherche n’a été effectuée sur l’Airsoft, alors que c’est un point sur lequel reposent des soupçons, par contre la DGSI et le PNAT ont cru pertinent d’ajouter ces informations sur le choix des avocat·es.

Comment ne pas y voir une volonté de criminaliser l’activité militante de ces avocat·es, afin de saper leur Défense et d’élargir à ces dernier·ères le spectre de la présomption de culpabilité au delà des mis·es en examen, comme cela a été fait pour leurs proches ?

Le PNAT reviendra dessus dans son réquisitoire sur ce qu’il nomme « l’opposition concertée à la manifestation de la vérité« . Manifestement, il est insupportable pour ces magistrats radicalisés que des personnes puissent s’exprimer librement, surtout quand elles démentent les fantasmes avérés de la DGSI.

Au cours des audiences, le PNAT demandera plusieurs fois aux mis·es en examen : « avez-vous l’habitude de prévenir vos avocat·es avant de comettre un délit ?« . Les preuves s’estompant à mesure que le procès avance, le PNAT pointe désormais le soupçon du mensonge pour faire tenir le scénario initial de la DGSI.

Il est difficile de ne pas voir dans le jeu du PNAT la lente chute vers la légitimation de formes de tortures blanches.

En effet, alors que les propos obtenus en GAV dans les geôles de la DGSI sont contestés par les prévenu·es: avec des preuves d’écriture de faux par les agents, mais aussi de pressions psychologiques intenses, des « off » nauséabons, des mensonges pervers, des menaces (15 années de prison), des analyses de personnalité (basées sur plusieurs mois d’écoutes), des menaces d’agression sexuelle et des administrations de Tramadol et d’Antarax ; le PNAT s’évertue à s’appuyer sur ces propos et à instiller la présomption de mensonge sur les déclarations faites devant le Tribunal, en concertation avec les avocat·es. C’est un glissement dangereux et grave.

On a pu voir comment des élus d’extrême-droite assimilent les avocat·es en antiterrorisme aux « terroristes » qu’ils défendent. On a pu voir à Bure le Parquet tenter d’inclure un avocat dans l’association de malfaiteurs. On voit dans des pays où l’antiterrorisme s’est sur- développé que les avocat·es sont toujours les prochain·es sur la liste, à l’instar des journalistes, des artistes, des activistes, syndicalistes, etc. La Turquie et la Russie en sont des exemples effrayants.

Nous dénonçons l’extension dangereuse de la présomption de culpabilité et la lente extension du non-droit planifiée par le PNAT. L’antiterrorisme est l’avant-garde de la deshumanisation.

Soutien812bzh.

Le Syndicat des Avocats de France dénonce : « Au-delà de la grossièreté d’un tel sous-entendu, il est surtout incroyablement dangereux et alarmant dans ce qu’il révèle de la conception des droits de la défense de la part du Ministère Public, et donc du ministre de la Justice, pourtant ancien avocat, et de la DGSI.« 

Le Conseil National des Barreaux dénonce : « l’existence même d’un tel procès-verbal ayant conduit à commenter ou même à simplement rapporter les modalités du choix d’un avocat qui, par les sous-entendus qu’il induit, laisse entendre que ce choix serait considéré comme un indice de la commission d’une infraction ; et la violation par le Ministère public du principe d’impartialité auquel il est tenu en vertu de l’article 31 du code de procédure pénale.« 

La Défense des inculpé·es du 8 décembre dénonce : « la façon dont la police et le parquet se sentent pousser des ailes, dès qu’il s’agit de terrorisme, quitte à oublier quelques principes de base.« 

L’Association des Avocats Pénalistes dénonce : « toute forme de pression mise en oeuvre la Défense et l’exercice de ses droits.« 

#Procès812 : un procès politique contre la gauche d’en bas.

Le procès des inculpé·es du 8 décembre a démarré ce mardi 3 octobre dans une ambiance tendue. Vous pouvez suivre les chroniques publiées chaque jour sur AuPoste ! et les compte-rendus de la première semaine d’audience.

L’audience est publique, du mardi au vendredi, à partir de 13h30. Le verdict est prévu pour le vendredi 27 octobre, venez nombreux·ses pour soutenir les camardes !

Cette première semaine d’audience aura validé une certitude : ce procès est guidé par la présomption de culpabilité et ce sont les opinions politiques des inculpé·es qui sont criminalisées.

Si Olivier Cahn dénonce dans le reportage de Blast ! une association entre le « terrorisme » et l’« action directe », les enjeux de ce procès vont pour nous bien plus loin car en l’occurrence: aucune action directe n’est reprochée aux inculpé·es.

C’est sûrement le cas pour les opérations menées par la SDAT ces derniers années (Ivan Alocco, 15 Juin Limousin, Lafarge), mais concernant l’affaire du 8 décembre, les enjeux répressifs vont bien au-delà de la répression de l’action directe. L’enjeu principal est, non pas d’étendre l’interprétation du « terrorisme » dans le droit à ce qui relèverait de dégradations et de sabotages, mais plutôt de créer les possibilités légales de réprimer des engagements politiques révolutionnaires (vrais ou supposés) dans le cadre du « pré-terrorisme ».

Les exemples de l’évolution de la législation antiterroriste turque, italienne ou étasunienne sont parfaitement illustratifs de cette stratégie qui vise à long terme à faire entrer toute expression subversive dans le champ répressif de l’antiterrorisme.

Comme l’écrit le PNAT dans son réquisitoire : « l’ultragauche est multiple et protéiforme » et son action va de la distribution de tracts à l’engagement armé, en passant par toutes les formes de militantisme (la quasi-entièreté étant légales : syndicalisme, associatif ou autonome).

Le PNAT se place dans la droite lignée des doctrines de « contre-subversion » théorisées par les militaires de la DGR, enseignées dans leurs « écoles du terrorisme » et appliquées cruellement pendant la guerre d’Algérie (voir Terreur et Séduction de Jérémy Rubenstein et L’Ennemi Intérieur de Mathieu Rigouste). Cette doctrine considère qu’il existe un mécanisme de « pourrissement révolutionnaire », qui partirait des actions de « basse intensité » et aboutirait au renversement de l’État. Il faut donc, pour maintenir l’ordre et la sécurité à moindre frais, tuer dans l’oeuf.

Là est l’enjeu répressif du procès des inculpé·es du 8 décembre. C’est d’ailleurs mot pour mot ce qui est au cœur des soupçons contre les inculpé·es : iels auraient aimé l’idée de « renverser l’État ».

« Un procès qui va mal se passer » : la Défense en tension.

Ce procès est un moment clé du processus de fascisation mondiale dans sa déclinaison française. Rien d’étonnant donc que les juges aient méticuleusement refusé toutes les demandes de la Défense dès le premier jour.

Selon le PNAT, il n’y a aucune raison de « douter de la loyauté » des agents de la DGSI. La juge semble approuver. Son pouvoir de faire citer de force des témoins ne sera pas appliqué pour 1207SI et 856SI, auteurs de plus de 150 PV au dossier, dont beaucoup présentent des « erreurs matérielles ».

Aucune raison non plus de renvoyer l’audience au jugement du Conseil d’État qui doit statuer sur la légalité des écoutes administratives à l’encontre de Libre Flot depuis son retour du Rojava. C’est la productivité de l’appareil judiciaire qui prime.

Ce procès qui « commence très mal » selon Kempf, risque aussi de se finir très mal. Un retard d’au moins une journée est déjà pris et les sujets les plus importants ont été mis à la fin au risque de passer à la trappe : la question du « projet » et de la « clandestinité » (par les moyens de communication).

« Pour mieux vous connaître » : pathologisation des victimes de la barbarie policière.

Suite à cette première journée de refus d’entendre la Défense, deux journées d’audience ont été consacrées à « la personnalité des prévenu·es ». Leurs parcours de vie et leurs états d’âme les plus intimes sont ainsi passés au crible pendant en moyenne deux heures par inculpé·e.

Les profils de chacun·e, liés à des parcours de grosse galère parfois ; et de liberté et de projets d’autonomie face à l’avenir le plus souvent ; ne semblent guère intéresser les magistrates que dans leur potentialité « violente » et pathologisante.

Les questions reviennent en permanence sur : les addictions (drogues et alcool), la période de confinement, les traumatismes liés aux violences policières sur les ZAD.

Les juges sont obnubilées par le ressentiment que pourraient avoir les inculpé·es face à « des mains arrachées, des viols par la police » et à « la mort » de Rémi Fraisse, assassiné par un gendarme armé d’une grenade.

Le sous-titre est clair et nauséabond : vous avez des traumas et de la haine anti-flics, ce qui vous rend fragile et dangereux vu les faits reprochés. Ou comment les horreurs commises par les flics sont retournées pour tenter de criminaliser les compagnon·es du 8 décembre.

Un exemple effarant :

– une juge assesseure revient sur l’enfance de Svink et un accident de scooter dont il paye encore les frais aujourd’hui. Il a 39 ans, il en avait 15 à l’époque. Il est renversé par un ivrogne au volant, un flic en fin de service. Il voit ensuite débarquer sur son lit d’hôpital, le flic et ses collègues qui font pression sur lui pour qu’il ne porte pas plainte. La juge ne se questionnera pas sur le dénouement, mais sur les liens avec son tatouage « ACAB » et surtout, les « faits » qu’on lui reproche aujourd’hui, 21 ans plus tard, à savoir : être passionné d’effets spéciaux et avoir le droit de manipuler des matières « actives », – mais pas avec quelqu’un qui revient du Rojava semblerait-il.

« Au nom du peuple français » : les critiques universitaires érigées en intentions terroristes.

« Nous ne sommes pas là pour vous juger sur vos opinions politiques » affirmait la Présidente le premier jour d’audience, laissant la salle plus que dubitative. Le doute s’est très vite levé les jours suivants, lorsque -entre autres- Camille a dû s’expliquer pendant une heure sur une lettre adressée au juge d’instruction dans laquelle des sociologues et historien·es critiques de la justice étaient cité·es.

Elle avait lu en détention des ouvrages tels que : « Sous l’œil de l’expert. Les dossiers judiciaires de personnalité » de Ludivine Bantigny et Jean-Claude Vimont ; « Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants » de Véronique Blanchard et Mathias Gardet ; ou encore la criminologue Louk Hulsman citée dans « Crimes et Peines » de Gwenola Ricordeau.

Selon l’assesseure donc, les citations suivantes « en disent long » sur ses opinions politiques ; et par glissement dangereux sur « les faits que l’on vous reproche » :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

« La notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

La juge assesseure va très vite laisser tomber les questions de personnalité pour s’enfoncer dans un face à face agressif : « La juge que je suis se doit de vous poser la question » assènera-t-elle avant de stupéfier la salle en s’écriant : « Le Tribunal rend la Justice au nom du peuple français ! ».

Cette démonstration d’autoritarisme suscitera des réactions de soutien dans la salle, que le Procureur fera sanctionner immédiatement (par l’expulsion d’une personne). La mère, le père, le frère et des proches de la mise en examen sortiront en guide de protestation.

Inscrivez greffier : dans la France de 2023, on ne critique pas la justice ; le concept universitaire de « criminalisation » est un « néologisme » ; et un mémoire de littérature une pièce à conviction dans un dossier terroriste.

« Pouvez-vous être à deux endroits en même temps ? » : la DGSI et la fiction judiciaire.

Certains disent, dans le monde pénal, que les renseignements intérieurs ont gardé un réel traumatisme du fiasco de l’affaire dite « de Tarnac ». C’est sûrement faux : les effectifs ont largement changé et leur image a été redorée jusque dans la gauche radicale (grâce aux attentats djihadistes et les sources de Médiapart).

Cependant on remarque d’autres types de troubles dont l’ensemble de la chaîne pénale présente des symptômes : la paranoïa et la mythomanie.

Nous avions déjà ironisé sur le fait qu’une « chouette team » puisse devenir, -passant le prisme d’un agent de la sécurité intérieure sous pression politique-, une « shot team ». Cette fois, nous avons d’un côté une sonorisation qui enregistre ce que Svink fait : « tapoter avec un marteau et une spatule dans un plat » (selon ses explications). Et de l’autre côté, un rapport de filature qui affirme entendre « des tirs d’airsoft en rafale ». Encore un PV faux qui en dit long sur la subjectivité des agents.

Mais la supercherie policière prend toute sa gravité quand elle fait loi en terminant dans la tête d’une juge. Ce n’est qu’à la fin de l’audience qu’on se rendra compte que, plusieurs heures durant, un inculpé a été sommé de s’expliquer sur des propos qu’il n’a pas tenu il y a trois ans.

Il aura fallu attendre qu’un avocat demande à passer l’audio « original » d’une sonorisation pour qu’on se rende compte que les propos retranscrits n’ont tout simplement pas été dits.

L’extrait en l’occurrence était une phrase banale : « il faudra prendre des bonnes habitudes » transformée en « prendre des objectifs ». Qu’est-ce que ces objectifs, demandait la juge solennellement ? Que peut bien cacher cette phrase ? Tout simplement, rien.

Ni la juge, ni le PNAT n’ont pris la peine de vérifier leur sources. Pas plus que la juge ne se soit renseignée sur la loi concernant le statut d’artificier. Une vraie parodie qui se donne des airs graves.

Les retranscriptions de sonorisations sont pourtant la matière première de ce dossier explosif, raison pour laquelle la Défense demandait la citation des deux agents les plus prolifiques. Des expertises sont réalisées sur la base de ces retranscriptions, des accusations graves aussi. Tout laisse à penser que des manipulations opérées par les agents eux-même rendent beaucoup de retranscriptions fausses.

La juge était pourtant prévenue.

Relaxe pour les inculpé·es du 8 décembre !

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Lettre considérée comme indice d’intentions terroristes par la justice française en 2023.

À Jean-Marc HERBAUT,
Juge d’instruction antiterroriste
Tribunal Judiciaire de Paris
Parvis du Tribunal de Paris
75859 PARIS CEDEX 17

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Monsieur,

Je reviens vers vous à la suite du refus exprimé par mes conseils de me soumettre à l’enquête de personnalité et aux différentes expertises ainsi que mon refus de répondre aux questions de l’enquêtrice venue me rencontrer à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fleury-Merogis.

Je tenais par ce courrier à vous réaffirmer mon refus mais surtout à vous en expliquer les raisons.

Si je comprends que la demande de ces enquêtes s’inscrit dans le protocole du traitement des affaires criminelles, je tiens tout d’abord à rappeler que je refuse le chef d’inculpation pour lequel je suis poursuivie. Il me semble en outre que la démarche même de ces enquêtes est problématique pour plusieurs raisons.

Les mois d’enquête préliminaire dont j’ai fait l’objet n’ont visiblement servi qu’à dresser un portrait falsifié de ma personne, ne retenant de mes mots et de mes activités qu’une infime partie, toujours décontextualisée et uniquement destinée à m’incriminer au détriment de tout autre élément me caractérisant.

N’est il pas alors ironique que l’appareil judiciaire cherche désormais à déterminer qui je suis ? Ce processus réducteur m’ayant déjà valu plusieurs mois de détention provisoire, n’est il pas étrange de vouloir me soumettre à de telles enquêtes et expertises alors même que la possibilité de me décrire et de m’auto-identifier m’a préalablement été enlevée ? Et comment croire en la sincérité et en l’objectivité de telles enquêtes après avoir observé l’emploi d’une telle méthodologie ?

La sociologie nous enseigne depuis des décennies qu’il ne peut y avoir d’expertises neutres lorsque la personne est préalablement mise en situation d’infériorité (physique, psychologique, morale, etc…). Lorsque Véronique Blanchard décrit « l’aridité des rapports médicaux et sociaux aux allures d’autopsie » je ne peux déjà m’empêcher de penser aux rapports de la DGSI par lesquels vous m’avez rencontrée, ainsi que mes co-inculpés, et dans lesquels des moments de nos vies ont été machinalement disséqués, vidés de leur contenu et décontextualisés à foison.

Il apparaît dès lors dans ce type d’enquête que la personne s’efface pour devenir un « sujet », observé, analysé, comme je l’ai déjà vu noté dans plusieurs rapports joints à ce dossier. Je ne suis pas un sujet et je ne pense pas qu’une personne m’ayant vue une fois dans un contexte si particulier soit apte à retranscrire un portrait fidèle de qui je suis.

Il ne fait guère de doute pour moi que ces nouvelles enquêtes demandées constitueront, une fois de plus, autant de filtres déshumanisants et d’écrans posés sur des propos, mettant inéluctablement à distance la personne expertisée de son interlocuteur.

Les analyses de ce types de processus sont nombreuses. On peut parmi elles retenir les constats implacables de Véronique Blanchard ainsi que Mathias Gardet ou encore ceux exposés dans le recueil d’analyses de Ludivine Bantigny et Jean Claude Vimont :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

Ainsi, au vu de la présomption de culpabilité incessante et harassante à laquelle nous faisons face dans ce dossier, je ne peux que vous demander sous quelles « normes d’époque » mes propos sont-ils et seront encore analysés, interprétés et jugés ?

Pour finir, si l’incapacité de ces enquêtes à répondre à la recherche d’objectivité qui serait leur mission première ne fait plus de doutes, il me semble important de souligner que, comme le fait remarquer le criminologue Louk Hulsman, « la notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

En effet, si l’auteur insiste sur le fait que « le crime n’a pas de réalité ontologique », il souligne par ailleurs la difficulté d’expression et de défense des personnes qui en sont accusées : « Les conflits qui se produisent dans la société entre des personnes ou des groupes sont définis dans le système pénal non pas selon les termes des parties impliquées, mais plutôt en terme de régulation (droit pénal) et d’organisation du système lui même. Les parties directement impliquées dans un conflit n’ont que peu d’influence sur le cours des événements dès lors que le problème a été défini comme criminel et a été pris en charge en tant que tel par le système ».

Dans un soucis de manifestation de la vérité, ceci laisse entrevoir en quoi il est important de réhabiliter largement la parole des accusé·es et judiciarisé·es. Cela montre aussi l’importance de ne pas laisser la justice s’auto-alimenter dans ses propres mécanismes psycho-institutionnels.

Alors que cette enquête semble reposer bien plus sur de la présomption et de l’interprétation que sur ce qui pourrait être considéré comme des preuves ou des faits par la justice, vous comprendrez ainsi que je ne peux me permettre de laisser mes propos en proie à des tels mécanismes.

Je réaffirme alors par la présente ma capacité à parler par moi même et pour moi même.

En vous souhaitant bonne réception de ce courrier.

Camille,

Le 3 novembre 2021.

Affaire du 8 décembre : L’antiterrorisme à l’assaut des luttes sociales

paru dans lundimatin#396, le 25 septembre 2023.

Le 8 décembre 2020, une opération antiterroriste visait 9 militants politiques français. Les quelques éléments de langage et de procédure distillés dans la presse par la police laissent alors songeur. Une association de Paint Ball, un artificier qui travaille à Disneyland et quelques discussions de fin de soirée où l’on dit tout le mal que l’on pense de la police nationale captées par des micros cachés par la DGSI. À partir du 3 octobre, sept personnes seront jugées à Paris, soupçonnées de participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Afin de mieux saisir les enjeux comme le fond de cette affaire, nous avons reçu cette analyse détaillée et politique du dossier d’instruction.

Militant·es des Soulèvements de la Terre détenues par la Sous-Direction-Antiterroriste (SDAT), unités antiterroristes mobilisées contre des militant.e.s antinucléaire, syndicalistes CGT arrêtés par la DGSI, unités du RAID déployées lors des révoltes urbaines… La mobilisation récurrente des moyens d’enquête antiterroriste pour réprimer les mouvements sociaux associée à la diffusion d’éléments de langage sans équivoque – « écoterrorisme », « terrorisme intellectuel » – ne laissent aucun doute.

Il s’agit d’installer l’amalgame entre terrorisme et luttes sociales afin de préparer l’opinion publique à ce que les auteurices d’illégalismes politiques soient, bientôt, inculpées pour terrorisme. Et donner ainsi libre cours à la répression politique en lui faisant bénéficier de l’arsenal répressif le plus complet que le droit offre aujourd’hui : la législation antiterroriste.

C’est dans ce contexte que se tiendra, en octobre, le premier procès pour« terrorisme » de militant.es de gauche depuis l’affaire Tarnac [1]. L’enjeu est majeur. Une condamnation viendrait légitimer le glissement répressif souhaité par le gouvernement. C’est la ligne de partage symbolique entre ce qui peut être, ou non, qualifié de terrorisme que le pouvoir cherche dans ce procès à déplacer.

Car, du côté du droit, rien ne protège les luttes sociales de l’antiterrorisme. Comme le rappelle Olivier Cahn [2], « le flou de la notion de terroriste » – associé à la nature préventive de la justice antiterroriste – aboutit à une situation où « on a mis le droit en état de permettre à un régime autoritaire de se débarrasser de ces opposants sans avoir à changer la loi ».

C’est cet avertissement que vient illustrer de manière caricaturale l’affaire du 8 décembre dans laquelle sept personnes, sélectionné·es sur la base de leurs opinions politiques, doivent se défendre d’avoir participé à un projet… inconnu. Face à cette situation kafkaïenne, il s’agit de revenir sur la façon dont est construit un dossier antiterroriste. Il s’agit de montrer à quel point la place offerte au récit policier rend toute défense compliquée et ouvre la voie à une répression politique débridée. Il s’agit, enfin, de rappeler pourquoi la justice antiterroriste est un monstre juridique qui doit être combattu en soi.

Des terroristes…. sans projet terroriste

Dans cette affaire, le chef d’inculpation d’ « associations de malfaiteurs terroristes » a été maintenu alors même que l’accusation admet… qu’aucun « projet d’action violente » ne peut être reproché aux inculpé·es. A l’issue de deux années d’instruction, le parquet antiterroriste reconnaîtra que l’instruction n’a pas « mis en exergue un projet d’action violente finalisé ». Un aveu partagé par le juge d’instruction qui écrira de son côté qu’« aucun passage à l’acte imminent ne semble avoir été envisagé ».

Et pourtant, la DGSI n’avait pas lésiné sur les moyens de surveillance. A la sonorisation de lieux d’habitation, s’ajoutent des milliers d’heures d’écoutes téléphoniques, le recours à la géolocalisation en temps réel, des dizaines d’opération d’IMSI catching, des centaines de filatures et bien entendu l’analyse des dizaines de supports numériques saisis lors des arrestations et des comptes associés (mails, réseaux sociaux…). Soit sept intimités violées pour venir satisfaire la curiosité malsaine des quelques 106 agent.es du renseignement ayant travaillé sur ce dossier.

Tout ça pour rien… Pas de cible, pas de date, pas de lieu. Pas même une seule discussion évoquant la préparation d’une quelconque action violente. En d’autres termes : le dossier d’instruction est vide.

Un vide qui n’a pourtant pas empêché cette « justice d’exception » de recourir à toute la violence que le droit lui permet [3]. Plus de trois années de détention provisoire cumulées, le recours à la torture blanche via la mise à l’isolement, des fouilles à nues systématiques, des amitiés détruites à coup d’interdiction de communiquer et de restrictions de déplacements. Fait rare, des propos sexistes du juge d’instruction ont par ailleurs été dénoncés lors des interrogatoires eux-mêmes [4]. Quant à la surveillance, elle ne s’est jamais arrêtée et les inculpé·es doivent préparer leur défense sous l’oeil inquisiteur de leurs accusateurs.

Un récit pour toute accusation (en collaboration avec Mediapart)

A défaut de projet terroriste, toute l’accusation repose sur un récit construit par la DGSI entourant les « revenants du Rojava » où LibreFlot, le principal inculpé, est parti combattre Daech pendant 10 mois.

Ce récit fut diffusé par Mediapart plusieurs mois avant l’ouverture de l’enquête. Dans un article écrit par Mathieu Suc – dont le parti-pris fut vivement critiqué [5] -, ce dernier relayait le discours policier de la « menace » que représenterait pour « les institutions françaises » et « les forces de l’ordre » ces « militants d’ultragauche »« ayant suivi une formation militaire » au Rojava. La DGSI s’y inquiétait en particulier que ces « revenants », « déployant de solides techniques de clandestinité », puissent, une fois rentré.es en France, utiliser leur « savoir-faire » dans « le cadre d’actions violentes de l’ultragauche révolutionnaire » visant à s’en « prendre aux symboles de l’état et à ses forces de l’ordre ».

L’ensemble du dossier d’instruction sera, littéralement, construit afin de mettre en scène ce récit. Quant au « projet terroriste » que l’instruction n’a pu mettre à jour, il sera, lui aussi, emprunté à l’article.

Le procureur avancera ainsi que LibreFlot, désormais « vétéran du Rojava », oeuvrerait depuis son retour en France à la « constitution d’un groupe armé » dont le but serait de mener « des actions violentes à l’encontre notamment des forces de l’ordre et des militaires » afin de « déstabiliser les institutions républicaines ».

Conscient que cette formulation est un peu vague – même en antiterrorisme – il se perdra en conjectures en cherchant à la préciser. Le projet sera tantôt une « guerilla visant prioritairement les policiers », tantôt des « opérations violentes visant les symboles de l’oppression ou dans une moindre mesure du capitalisme », voire… un « projet d’intimidation ou de terreur visant l’oppression ou le capital ».

Le juge d’instruction résumera tout ceci dans une phrase dont la grandiloquence peine à masquer la vacuité. LibreFlot, et ses « acolytes », auraient pour objectif « de provoquer une révolution, de renverser l’État et d’attenter à la vie de ses représentants ».

Une mise en scène grotesque…

Dix mois de surveillance, pourtant dotés des moyens techniques les plus avancés, n’auront permis de ne fournir que quatre « faits » à partir desquels l’ensemble de ce récit sera mis en scène :

  • Deux parties d’airsoft – soit du paintball sans peinture, une des activités les plus populaires des enterrements de vie de garçon – qui deviendront des « entraînements para-militaires ».
  • Quelques carabines et fusils de chasse – dont la majorité sont légalement détenues – viendront parfaire l’image d’un « groupe armé ».
  • L’utilisation de messageries chiffrées grand public (Signal, WhatsApp) sera transformée en preuve de l’existence d’un « groupuscule clandestin » dont les membres vivraient « dans le culte du secret », comme l’a montré la Quadrature du Net dans un article détaillé.
  • Un rapprochement fortuit entre un week-end entre LibreFlot et un ami spécialisé dans les effets spéciaux chez Dysneyland et une expérimentation ludique de fabrication de pétards pendant le confinement – à partir de vidéos youtube, comme en font bon nombre d’adolescent·es par simple curiosité – servira à ancrer le récit dans l’imaginaire collectif des attentats des années 70.

    Ces quatre éléments viendront former l’armature du récit policier. Ils seront soigneusement sélectionnés parmi l’ensemble des informations issues de la surveillance puis décontextualisés afin de venir donner corps au scénario écrit d’avance. Pour ce faire, l’accusation – juge d’instruction en tête – s’en tiendra à un principe strict : l’ensemble des faits venant mettre à mal le récit policier peuvent être ignorés.

Et mensongère

A commencer par le fait que l’instruction a démontré qu’aucun groupe n’existe. Les inculpé·es ne se connaissent pas toutes et tous et, a fortiori, ne se sont jamais retrouvé·es. Leur seul point commun est de connaître, à des degrés divers, LibreFlot et de l’avoir croisé au moins une fois en 2020.

En réalité, les inculpé.es semblent davantage avoir été sélectionné·es à l’issue d’une opération de casting afin de doter le soi-disant groupe « des compétences nécessaires à la conduite d’actions violentes », pour reprendre les termes de la DGSI. Soit donc : un artificier chez Disneyland disposant de connaissances en pyrotechnie, une amie disposant de « solides » connaissances en « communications cryptées », deux « survivalistes » détenant – légalement – quelques fusils de chasse et un ami d’enfance à qui l’on semble réserver la place de lieutenant, LibreFlot étant promu au rang de « leader charismatique ».

L’importance donnée aux deux piliers de l’accusation – soit les expérimentations de pétards et les parties d’airsoft – est quant à elle inversement proportionnelle à ce qu’ils représentent dans le temps de l’enquête. Leur place leur est conférée par un simple effet de répétition aboutissant à ce que quelques heures d’activités sans lendemain viennent noircir des centaines et des centaines de pages du dossier d’instruction.

La portée criminelle des parties d’airsoft – ceci vaut aussi pour les jeux autour des pétards – est elle aussi produite par un pur effet de style : le recours au champ lexical de la guerre. Elles deviendront « progressions tactiques », entraînements à la « guerre urbaine » ou encore « progression en milieu clos ». La lecteurice finit par en oublier que les « armes » dont il est question à longueur de page ne sont… que des pistolets à billes. Par ailleurs, le fait qu’une partie d’airsoft – chaque partie ayant impliqué des groupes différents – semble tout de même un « entraînement para-militaire » un peu léger pour qui veut « renverser l’État » – protégé, lui, par plus de 200 000 policier·es disposant d’armes bien réelles – n’est même pas abordé [6]. En antiterrorisme, c’est l’intention qui compte.

Quant aux déclarations des inculpé.es, aucune valeur ne leur est accordée (sauf si elles servent le récit policier). Un exemple parmi tant d’autres est apporté par la description des expérimentations de pétards. La concordance parfaite des déclarations des inculpé·es décrivant qu’elles se sont arrêtées au premier « boum » obtenu dont la portée les a « surpris » et leur a fait « peur » n’infléchira pas le juge d’instruction. Un terroriste ment.

Enfin, la criminalisation des pratiques numériques visant à caractériser la « clandestinité » des inculpé.es sert tant à activer l’imaginaire des années 80 qu’à excuser le manque de preuves récoltées. Pour reprendre les mots de la Quadrature du Net, elles appuient le discours conspirationniste expliquant que « ces preuves existent, mais elles ne peuvent pas être déchiffrées ».

La critique de l’Etat, preuve d’un projet inconnu

Cette mise en scène serait incomplète sans un décor adéquat venant ancrer le récit dans l’imaginaire selon lequel l’ensemble des actes des inculpé·es doivent être interprétés. Dans cette affaire, ce sera celui des « années de plomb ». Ce décor sera construit au fil des dizaines de pages revenant dans le détail sur chaque action violente menée dans les années 70/80.

La continuité historique sera assurée par l’assimilation de l’ensemble des luttes emblématiques de ces dernières années – ZADs, défense collective, démantèlement d’infrastructures néfastes, lutte contre les violences policières et même l’aide aux migrant.es – à autant de signes précurseurs d’un retour du « terrorisme d’ultragauche », comme l’a montré Serge Quadrupanni.

C’est sur la base de cet imaginaire que les opinions politiques des inculpé·es seront criminalisées et transformées en preuves de l’existence d’un projet terroriste. C’est cet imaginaire qui permettra à la DGSI d’écrire, qu’au delà des faits, ce qui prouve qu’un « passage à l’acte violent » est envisagé par les inculpé.es, c’est que ce dernier est « conforme à leur idéologie ».

Dès lors, les milliers d’heures d’écoutes seront mobilisées afin de relever des propos politiques et d’établir ainsi des « profils » d’individus « mus par la même idéologie ». Les moyens de surveillance les plus intrusifs sont paradoxalement utilisés pour mettre en avant… ce dont aucun·e des inculpé·es ne se cache vraiment.

Le procureur et le juge d’instruction notent ainsi qu’un·e inculpé·e traite la police de « milice fascisante armée » et qu’un·e autre évoque les « chiens de garde » que seraient les policiers et les militaires. Ils relèvent qu’un·e inculpé·e déverse dans une conversation privée « sa haine de la police » allant jusqu’à dénoncer son « racisme supposément endémique ». Ailleurs, ils mettent en avant une « violente diatribe contre la France, la révolution française et toutes ses valeurs républicaines et démocratiques », des « propos stigmatisant la violence d’état » ou encore la tendance d’un·e inculpé·e à faire preuve de « virulence dans la contestation systématique des lois et des institutions ».

Fait aggravant, le juge d’instruction notera que les propos tenus sont « en adéquation avec plusieurs livres saisis » ce qui témoigne d’une « totale adhésion à la cause anarchiste ». Sont ainsi cités à charge des textes d’Auguste Blanqui, de Kroptokine, Malatesta, Alfredo Bonanno, des articles critiquant la justice antiterroriste ou le fichage ADN ou encore les mensuels de la CNT et de la fédération anarchiste.

Le procureur ira jusqu’à retranscrire, dans le réquisitoire, des paroles de « chansons de rap engagé » – enregistrés via la sonorisation de lieux d’habitation – qu’il commentera longuement insistant sur le fait qu’elles ont pour « cibles » « les représentants des forces de l’ordre ». Notons enfin l’attention particulière portée au « florilège de chansons appartenant au répertoire anarchiste » retrouvé sur le téléphone d’un.e inculpé.e.

Surveillance et construction de récit

On voit alors comment, loin de venir participer « à la manifestation de la vérité » selon la formule consacrée inscrite sur chaque demande de la DGSI, la surveillance est utilisée en antiterrorisme comme un outil de déformation de la réalité.

Elle permet à l’accusation de disposer d’une quantité phénoménale d’informations dans lesquelles elle n’a plus qu’à piocher les quelques éléments qui, une fois décontextualisés, serviront à matérialiser la fiction policière. Le reste étant soigneusement ignoré, la surveillance ne vise en aucun cas à rendre compte d’une quelconque réalité mais à augmenter la probabilité de rendre vraisemblable un scénario pré-établi.

Ce « processus réducteur », pour reprendre les termes d’un·e inculpé·e devant le juge d’instruction, est en particulier utilisé afin d’inscrire les mis·es en examen dans les rôles que le récit policier leur assigne générant un sentiment de dépossession et de négation de leur vécu qu’iel décrira ainsi : les « mois d’enquête […] n’ont visiblement servi qu’à dresser un portrait falsifié de ma personne, ne retenant de mes mots et de mes activités qu’une infime partie, toujours décontextualisée et uniquement destinée à m’incriminer, au détriment de tout autre élément me caractérisant ».

Le COVID à la rescousse d’un récit chancelant

Quant aux arrestations, elles illustrent tout l’arbitraire du concept de justice préventive. Lorsqu’elles sont décidées, nulle « menace imminente » mais une enquête qui piétine et un service de renseignement qui doit justifier des moyens humains et techniques mobilisés. L’antiterrorisme est aussi une question de « rentabilité ».

En effet, la quasi-totalité des « faits » reprochés – soit l’airsoft et les pétards – se sont déroulés lors de l’enquête préliminaire (clôturée en avril 2020 au moment où s’ouvrait l’information judiciaire). Au fur et à mesure que les mois passent, rien de tout cela ne se répète. Pire, le « groupe » ne se rencontre toujours pas. Dès lors, les procès-verbaux de surveillance versés au dossier se raréfient.

La gêne est d’autant plus grande qu’à la clôture de la-dite enquête préliminaire, la DGSI a rédigé un rapport de synthèse dans lequel il est écrit qu’« aucun projet d’action violente ne semblait défini » allant même jusqu’à ajouter que « la constitution d’un groupe dédié à la mise en place d’actions de guerilla ne transparaissait pas ».

A l’évidence, juge d’instruction et procureur préfèreront la mauvaise foi. Le coupable de cette inaction criminelle deviendra… « l’épidémie de Covid » . Le juge d’instruction écrira que le « second confinement national » a « compliqué les possibilités pour les suspects […] de se retrouver ». Le procureur expliquera lui que les projets ont été « entravés ou compliqués par la survenance du virus de la Covid-19 ».

Le Covid sauvant la France de dangereux terroristes, il fallait oser. D’autant plus que les arrestations sont décidées 3 semaines après le début du second confinement et que c’est lors du premier que la DGSI a pu observer une des parties d’airsoft et le jeu autour des pétards…

Faire le procès de l’antiterrorisme… ou renoncer aux libertés politiques

Que l’on ne s’y trompe pas. L’absurdité d’une accusation sans objet, et a fortiori sans preuves, est le propre de l’antiterrorisme. Des années de jurisprudence islamophobes ont fini de transformer l’antiterrorisme en outil de répression politique idéal tandis que la succession de lois sécuritaires a doté les renseignements de pouvoirs de surveillance leur permettant de nourrir les récits accusateurs de leur choix.

Et aujourd’hui, l’antiterrorisme cherche à s’étendre aux luttes sociales. En juillet dernier le directeur de la DGSI expliquait que, dans un contexte de baisse de la « menace islamiste », ses services s’intéressaient désormais davantage aux « extrêmes ». Alors qu’en dix ans la DGSI a vu ses effectifs doubler, elle est à la « recherche de nouveaux débouchés » du côté de l*’« écologie »* et « des violences extrêmes », comme l’a expliqué récemment la SDAT à un mise en examen de l’affaire Lafarge.

La multiplication des procès terroristes d’extrême droite ne devrait donc pas nous réjouir [7] mais nous alarmer. Elle n’est que la prémisse de ce qui nous attend. Se féliciter de l’extension progressive de l’antiterrorisme, dans quelque direction que ce soit, c’est creuser la tombe de nos libertés politiques.

A gauche, l’affaire du 8 décembre est le coup d’essai de ce mouvement de répression dont la violence s’annonce terrible. Auditionné par le Sénat suite à la répression de Sainte-Soline, Darmanin brandissait déjà cette affaire comme l’exemple d’un « attentat déjoué » de « l’ultragauche » afin de justifier de la violence qui s’était abattue sur les militant·es écologistes [8]. En cas de condamnation, nous devons nous attendre à voir les inculpations pour terrorisme de militant·es de gauche se multiplier.

Le procès se tiendra tous les après-midi du mardi au vendredi du 3 au 27 octobre au tribunal de grande instance de Paris. Des appels à mobilisation ont été lancés pour l’ouverture et la fin du procès mais le procès est public si bien que chacun·e peut venir quant iel le souhaite. S’il doit être le procès de l’antiterrorisme, il sera aussi un moment éprouvant pour les sept inculpé·es : toute aide, soutien, sourire, coup de pouce sera le bienvenu.

Venez nombreux·ses !

[1] Voir les sites des comités de soutien ici et ici. Voir aussi cette compilation de textes publiés en soutien aux inculpé·es ici, l’émission de Radio Pikez disponible ici et celle-ci de Radio Parleur, cet article de la Revue Z et cet article de lundimatin.

[2] Voir l’interview d’Olivier Cahn ici. Voir aussi l’archive du site des comités de soutien aux inculpé·es de Tarnac ici, une tribune de soutien publiée en 2008 ici et cette interview de Julien Coupat. Voir aussi les textes suivants relatifs à « l’affaire de la dépanneuse », a première affaire antiterroriste concernant la « mouvance anarcho-autonome » : Mauvaises Intentions 1, Mauvaises Intentions 2, Mauvaises Intentions 3, Analyse d’un dossier d’instruction antiterroriste et Face à l’outil antiterroriste, quelques éléments pratiques. Pour en savoir plus sur cette affaire, d’autres sources sont disponibles à la fin de l’article L’antiterrorisme contre les autonomes de Zones Subversives. De manière plus générale, pour une discussion des dérives de l’antiterrorisme en matière de droit voir notamment les textes suivants : Pauline Le Monnier de Gouville, « De la répression à la prévention. Réflexion sur la politique criminelle antiterroriste », Les cahiers de la Justice, 2017, disponible ici ; Laurence Buisson « Risques et périls de l’association de malfaiteurs terroriste », 2017, revue Délibérée et disponible ici ; Julie Alix et Olivier Cahn, « Mutations de l’antiterrorisme et émergence d’un droit répressif de la sécurité nationale », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2017, disponible ici ; l’intervention de François Sureau devant le Conseil constitutionnel sur le délit d’entreprise individuelle terroriste en 2017 disponible ici, le rapport de la Fédération Internationale des Droits Humains « La porte ouverte à l’arbitraire » publié en 1999 ; le rapport de Human Rights Watch « La justice court-circuitée. Les lois et procédure antiterroristes en France », publié en 2008 et disponible ici.

[3] Sur les recours déposés par Camille et LibreFlot, voir le communiqué de presse ici. Sur la condamnation de l’État sur le maintien illégal à l’isolement de LibreFlot, voir l’article de Reporterre disponible ici. Sur ses conditions de vie à l’isolement et sa grève de la faim, voir notamment cette compilation d’écrits de LibreFlot et le témoignage joint au communiqué de presse évoqué ci-avant. Sur les conditions générales de l’instruction, voir cette lettre ouverte au juge d’instruction. Sur la dénonciation des traitements sexistes, voir cet appel féministe. Voir aussi le témoignage d’un inculpé sur les conditions de détentions auprès de l’envolée.

[4] Une inculpée a dénoncé un comportement « dégradant pour toutes les femmes » de la part du juge d’instruction.

[5] Sur les réactions à l’article de Mathieu Suc, voir notamment l’article de Corinne Morel Darleux, l’article de lundimatin, la réponse d’André Hébert et un article d’Arrêts sur Images. Il est intéressant de noter qu’à l’époque un fait n’était pas connu. Dans son article, Mathieu Suc mentionne que « selon nos [ses] informations » des militant·es « d’ultragauche » se seraient rendu·es en Colombie pour rencontrer l’ELN, une façon de renforcer le caractère anxiogêne de son récit. Il se trouve que cette information est utilisée à l’encontre d’un·e des inculpé·es de l’affaire du 8 décembre. Tout laisse donc à penser que l’un·e des inculpé·es du 8 décembre faisait partie des personnes concernées par cette « information ». Pendant toute la durée de l’enquête – l’information apparaissant dans la note par laquelle s’ouvre l’enquête préliminaire – , la DGSI utilisera cet argument pour caractériser la dangerosité de cet individu et justifier des demandes de moyens de surveillance toujours plus intrusifs. Après deux années d’instruction, il s’avèrera que cette personne est simplement partie…. en vacances en Colombie. Le juge d’instruction écrira timidement qu’ « aucun élément ne permettait donc d’étayer le renseignement initial ». Mais le mal aura été fait.

[6] La volonté de criminaliser ces parties d’airsoft est particulièrement ironique à l’heure où le gouvernement multiplie des dispositifs comme les « classes défense sécurité globale » où l’armée organise pour des lycéen·nes des parties de tir au pistolet laser… Voir notamment l’article de Politis « Quand l’armée envahit l’école » disponible ici.

[7] Un exemple caricatural de cette position par la presse « de gauche » est, ici encore, offert par Mathieu Suc. Voir notamment sa couverture du procès des Barjols et sa présentation sans aucun recul des unités de « cyber-infiltrations » de la DGSI ici et ici venant au passage relayer le discours policier visant à faire des « messageries privées cryptées » la raison de l’expansion d’un radicalisme d’extrême droite.

[8] Son audition est disponible ici. Voir à partir de 10:20:19 pour la référence à l’affaire du 8 décembre. Voir aussi son intervention sur BFM ici où il utilisait l’affaire du 8 décembre pour dénoncer la « menace d’ultragauche ».