[LeMonde] « Affaire du 8 décembre 2020 » : un procès pour terrorisme d’ultragauche sur des bases fragiles

Sept personnes sont renvoyées à partir du 3 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris. Ce dossier terroriste d’ultragauche est le premier à être jugé depuis le groupe Action directe, dont le dernier procès remonte à 1995.

C’est un groupe qui n’a pas de nom. Un groupe dont la plupart des membres ne se connaissent pas. Un groupe sans lieu ni objectif défini. Bref, ce n’est pas vraiment un groupe. Mais cela n’a pas empêché les jugesantiterroristes de renvoyer sept individus – six hommes et une femme – classés politiquement à l’ultragauche devant un tribunal pour « association de malfaiteurs terroriste ». Leur procès doit se tenir du 3 au 27 octobre devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Ils encourent jusqu’à dix années de prison.

De la note initiale de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en passant par le réquisitoire définitif du Parquet national antiterroriste (PNAT), que Le Monde et Télérama ont pu consulter, ce dossier n’a jamais de nom, mais sa lecture donne l’impression d’une volonté de construire une menace terroriste d’ultragauche.

Généralement, les services antiterroristes trouvent rapidement une façon de désigner une affaire, que ce soit par le procédé utilisé, la date ou le lieu d’un attentat projeté, le repaire du groupe ou le nom de son leader. Il y a ainsi eu « le groupe de Tarnac », « l’attentat des bonbonnes » ou « la cache d’armes d’Argenteuil ». Là, rien. Ou plutôt une appellation manuscrite apposée sur certains procès-verbaux de surveillance au début de l’enquête : « punks à chiens ». Certains prévenus y voient une forme de mépris. Les comités de soutien des mis en cause ont fini par choisir la date de leur arrestation pour désigner leur affaire : ils sont devenus « les accusés du 8 décembre ».

« Comportement clandestin »

Ce dossier terroriste d’ultragauche est le premier à être jugé depuis le groupe Action directe, qui a ensanglanté la France dans les années 1980 et dont le dernier procès remonte à 1995. Le fiasco judiciaire de Tarnac, jugé, lui, sans qualification terroriste au bout de dix ans, s’est terminé par une relaxe générale en 2018. Par quelque bout qu’on le prenne, le dossier tient essentiellement sur une seule personne : Florian D., qui se fait appeler désormais « Libre Flot ». Agé de 39 ans, ce militant anarchiste est parti combattre au Kurdistan syrien aux côtés des Unités de protection du peuple (YPG), des brigades intégrées aux Forces démocratiques syriennes contre l’organisation Etat islamique (EI), d’avril 2017 à janvier 2018.

C’est pour cette raison qu’il fait l’objet d’une surveillance administrative de la DGSI depuis son retour. Autour de lui, six personnes gravitent, dont une femme, Camille B., qui entretient une relation amoureuse avec lui. Ces six personnes ne se connaissent pas vraiment les unes les autres : Camille B., 33 ans, Simon G., 39 ans, et Manuel H., 39 ans, ne connaissent pas les autres mis en cause et n’ont de lien qu’avec Florian D. ;William D., Loïc M. et Bastien A., qui ont tous 34 ans, ont rencontré Florian D. sur la ZAD du barrage de Sivens (Tarn) et ont un projet commun de fabrique de jus de fruits artisanaux.

Début 2020, une note de la DGSI, un service de police antiterroriste et de renseignement intérieur tout à la fois, alertait sur les activités de Florian D., soupçonné de vouloir mettre sur pied « un groupe violent »,dont les membres adopteraient un « comportement clandestin », dans le but de « commettre des actions de guérilla et des actions violentes contre des cibles institutionnelles ».

Pour l’avocat de Florian D., Me Raphaël Kempf, cette note est à la racine de l’instruction judiciaire qui en découle : « Si on lit bien la note de judiciarisation de la DGSI, qui a conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire, on voit bien qu’il y a eu des violations de la vie privée des personnes visées. Elles ont été écoutées dans un cadre privé, sans contrôle judiciaire effectif. Or, nul ne sait dans quel cadre ont eu lieu ces écoutes administratives. Ont-elles été effectuées dans le cadre de la loi de 2015 sur le renseignement ? » L’avocat a déposé un recours devant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui l’a transmis au Conseil d’Etat, où il est en cours d’examen.

Le PNAT se saisit de la note de la DGSI et ouvre une enquête préliminaire, le 7 février 2020. Le 20 avril, des juges d’instruction sont saisis dans le cadre d’une information judiciaire, signe que le dossier est pris au sérieux. Mais il ne se passe plus grand-chose.Les faits les plus graves, qui seront finalement visés par l’ordonnance de renvoi, ont déjà eu lieu.

A l’été et à l’automne 2020, les pièces versées au dossier vont même en décroissant. Les écoutes sont de peu d’intérêt, seule la sonorisation du camion dans lequel vit et se déplace Florian D. vient alimenter quelque peu le dossier. Or, en novembre 2020, les enquêteurs apprennent que Florian D. a l’intention de vendre son camion et de partir à l’étranger. Il est alors décidé, au terme d’une réunion le 19 novembre 2020 entre la DGSI, le PNAT et le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut, d’interpeller les mis en cause. Le coup de filet a lieu le 8 décembre 2020, les mises en examen de sept des onze interpellés, appréhendés dans toute la France et ramenés au siège de la DGSI,sont prononcées le 11 décembre.

Airsoft, pétards et sacs d’engrais

Les faits reprochés tiennent en quatre « moments » et quatre lieux. Du 11 au 13 février 2020, Florian D., Manuel H. et Loïc M. se réunissent à Pins-Justaret (Haute-Garonne), où ils pratiquent l’airsoft (un jeu d’équipes utilisant des répliques en plastique d’armes à feu). Entre le 14 et le 17 février 2020, Florian D. et Simon G., qui travaille comme artificier à Disneyland Paris, expérimentent des matières explosives et volent deux sacs d’engrais à Paulnay (Indre). En avril 2020, en plein confinement dû au Covid-19, Florian D. et Camille B. rejoignent William D. et Bastien A.à Parcoul-Chenaud (Dordogne) : durant ce séjour, ils effectuent un après-midi d’airsoft et confectionnent des pétards de forte puissance, dont l’un explose. Enfin, du 25 au 27 mai 2020, Florian D., Manuel H. et Loïc M. se retrouvent à nouveau, cette fois à Saint-Lieux-Lafenasse (Tarn), sans qu’on sache vraiment ce qu’ils font.

Ce sont la puissance des explosifs testés et les notes prises par Manuel H. à l’issue de la réunion de Pins-Justaret qui sont les éléments les plus sérieux relevés contre les prévenus. Même si une partie des notes et de la documentation saisies chez Manuel H. peuvent s’interpréter comme les préparatifs d’un départ au Rojava, le Kurdistan syrien, ce qu’il a effectivement tenté de faire sans succès en 2019, et non pas comme la préparation d’une guérilla en France.

L’essentiel des faits se déroule donc avant l’ouverture de l’information judiciaire, le 20 avril 2020. Or, le procès-verbal de synthèse rédigé à des fins de transmission, au terme de l’enquête préliminaire, mi-avril,reconnaît qu’à ce stade il n’y a ni groupe ni objectif : « Aucun projet d’action violente ne semblait défini et la constitution d’un groupe dédié à la mise en place d’actions de guérilla ne transparaissait pas », y lit-on. Le document ajoute : « Les interceptions judiciaires (…) n’ont pas permis de révéler des éléments susceptibles de caractériser les faits reprochés. »

La chronologie démontre donc clairement que, si menace il y a, elle va en déclinant plutôt qu’en se radicalisant. « Le timing en dit long sur la vacuité du dossier, déplorent Mes Lucie Simon et Camille Vannier, les avocates de Manuel H. Les interpellations n’interviennent nullement pour faire échec à une action imminente, au contraire, elles arrivent alors que l’enquête patine depuis sept mois. Comme s’il fallait sauver cette procédure, pour des considérations autres que juridiques. »Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Affaire du 8 décembre 2020 » : le chiffrement des communications des prévenus au cœur du soupçon
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« Dans ce dossier, le PNAT et le juge d’instruction ont plaqué de manière totalement artificielle une méthodologie et un récit directement empruntés au terrorisme djihadiste,estiment les deux avocates. On retrouve la notion de “séjour sur zone” [au Kurdistan syrien] pour aller combattre, la figure du “revenant” tout comme l’idée d’un “réseau transnational” kurde. C’est absurde, il n’y a jamais eu de lien entre une entraide internationale au Rojava et des actions en Occident, c’est un procédé grossier pour criminaliser à bas coût l’extrême gauche. Au contraire, les Kurdes combattent Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], avec l’appui de la coalition. » « Il ne faut pas oublier que nous défendons quelqu’un qui a combattu Daech au péril de sa vie », renchérit Me Kempf, qui assure la défense de Florian D., avec Me Coline Bouillon. D’autant qu’il n’est pas illégal d’aller combattre avec les YPG au Kurdistan, comme le confirme un jugement du tribunal administratif du 31 mars 2017.

« Comité illisible »

La question kurde est, en effet, au cœur de ce dossier. Alors que les YPG ont été les alliés privilégiés de la France dans son combat contre l’EI, la justice antiterroriste retient surtout que la maison mère des groupes de combat kurdes de Syrie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, en guerre contre l’Etat turc), est une organisation terroriste et séparatiste aux yeux de la France et de l’Union européenne. Dans son long exposé de l’histoire de l’extrême gauche armée, le réquisitoire définitif du PNAT du 23 novembre 2022 fait de la cause kurde un « substitut » de la cause palestinienne dans les années 1970-1980 comme référent internationaliste. Un contresens historique et politique dans la mesure où la cause kurde est purement nationaliste et ne vise que l’Etat turc.

Pour pallier les lacunes et contradictions fondamentales du dossier, les services d’enquête, le parquet et le juge d’instruction semblent, à la lecture des documents, multiplier les sous-entendus, insinuations, exagérations et comparaisons douteuses. On met en exergue les tenues de black bloc saisies chez les uns, le tatouage ACAB (« tous les policiers sont des bâtards ») de l’autre. On reproche à l’une de détenir des livres d’Auguste Blanqui et de Pierre Kropotkine, deux théoriciens de la révolution et de l’anarchisme du XIXe siècle, à l’autre d’écouter le rappeur d’extrême gauche Enedeka Maska, au troisième d’avoir un drapeau kurde chez lui.

Un schéma, tiré de l’expertise sur les explosifs, montre un pâté de maisons de Paris quasiment détruit par les explosifs que le groupe aurait pu potentiellement fabriquer. Un renseignement est mentionné dans l’ordonnance de renvoi stipulant que Manuel H. a cherché à rencontrer, lors de vacances en Colombie au printemps 2019, des terroristes de l’ELN (Armée de libération nationale, extrême gauche), bien qu’aucune preuve n’en a jamais été faite.

Le réquisitoire insiste sur le fait que Camille B., présentée comme « l’idéologue » du groupe tout simplement parce qu’elle a plus de livres que les autres, s’est installée dans la même ville de l’ouest de la France et la même rue que Julien Coupat, l’idéologue du « groupe de Tarnac », présenté par le parquet, en un lapsus savoureux, comme le chef de file du « Comité illisible » – au lieu du « Comité invisible », le véritable nom des têtes pensantes de Tarnac. En garde à vue, il lui est demandé si elle est « anti-France » :il n’est même plus question de savoir si elle a voulu attaquer des institutions ou de s’en prendre à la police. De même, tout au long du réquisitoire se litune volonté d’établir un lien entre Florian D. et la Conspiration des cellules de feu, un groupuscule grec qui s’est livré à des attentats et prône l’« action directe », au motif que l’on a retrouvé un fascicule chez lui.

« Psychiatrisation »

C’est sur la question des cibles que le dossier sonne particulièrement creux. Alors que le réquisitoire du PNAT estime que les sept voulaient s’en prendre « à l’oppression et au capitalisme », le juge d’instruction parle dans son ordonnance de renvoi de « provoquer une révolution »,de « renverser l’Etat » et d’« attenter à la vie de ses représentants ». Quant au « projet » de tuer des policiers reproché parfois au groupe, Loïc M. parle, en interrogatoire devant le juge d’instruction, de « propos alcoolisés » : « Cela avait à peu près autant de portée que des propos visant à pendre les patrons à la fin d’une réunion de la CGT. »

Les magistrats du parquet et de l’instruction insistent également sur le fait que la majorité des mis en cause a refusé de communiquer ses codes de déverrouillage de téléphone ou ses mots de passe de messagerie. Comme si le cryptage de leurs communications établissait entre eux un lien que l’instruction peine à définir.

La plupart des personnes renvoyées au tribunalont refusé les expertises psychologiques qui participent, selon les termes de Mes Chloé Chalot et Guillaume Arnaud, les avocats de Camille B., d’une « psychiatrisation aux fins de dépolitisation » des dossiers.Pour tous les prévenus du procès, qui s’expriment par le truchement de leurs avocats, il ne s’agit rien de moins que d’un « procès politique ».

On retrouve cette dimension politique dans la façon dont le minstre de l’intérieur, Gérald Darmanin, interviewé sur BFM-TV le 5 avril, avait renvoyé dos à dos ultragauche et ultradroite. Une rhétorique reprise par le réquisitoire définitif, qui estime : « Indiscutablement, la mouvance ultragauche a connu une résurgence violente ces dernières années. Certains, frustrés par l’absence de perspective de leur action, semblent se laisser tenter par une escalade terroriste, telle qu’elle avait pu être menée par des organisations comme Action directe dans le passé, ou par des organisations terroristes contemporaines en Grèce. »

Pour Mes Simon et Vannier, « ce dossier pose les bases de ce qui va suivre : les notions d’écoterrorisme et de terrorisme intellectuel agités par Gérald Darmanin depuis un an, la dissolution des Soulèvements de la Terre en juin ». Me Kempf, lui, y voit la logique dévorante de l’antiterrorisme en action : « Les acteurs de l’antiterrorisme ont besoin de se nourrir de dossiers pour justifier leur existence. Avec le reflux du djihadisme, on peut penser qu’ils ont besoin de se tourner vers d’autres horizons. Or, eux seuls décident, en fonction de critères obscurs, de ce qui est terroriste ou pas. » Pour Mes Chalot et Arnaud, « ce dossier est une porte ouverte extrêmement dangereuse pour les années qui viennent ».

Des avocats expriment la crainte d’une requalification terroriste à l’avenir de plusieurs dossiers de destruction de biens dans lesquels les Soulèvements de la Terre sont poursuivis.« Affaire du 8 décembre 2020 » : seize mois d’isolement en détention provisoire et vingt-six fouilles à nu

En matière de terrorisme, les conditions de détention font l’objet d’un régime particulier, y compris les détentions provisoires. Florian D. est celui des sept mis en examen de l’affaire dite « du 8 décembre 2020 » qui a effectué la détention provisoire la plus longue, avec seize mois passés à la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), de décembre 2020 à avril 2022, malgré un comportement décrit comme « exemplaire » par l’administration pénitentiaire. Toute cette période a eu lieu sous le régime de l’isolement, théoriquement réservé à des détenus faisant preuve d’un comportement inadapté ou dangereux mais appliqué fréquemment aux détenus pour terrorisme.

Au bout de quinze mois d’isolement, qu’il assimile à de la « torture blanche » et qui a occasionné pertes de mémoire, désorientation spatiotemporelle, etc., Florian D. a mené une grève de la faim d’un mois, qui s’est achevée par sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. Après sa sortie de prison, il a attaqué l’Etat devant le tribunal administratif de Versailles et a obtenu, le 18 avril 2023, l’annulation des décisions de mise à l’isolement et la condamnation de l’Etat à 3 000 euros de réparations.

Autre mise en examen, Camille B., quant à elle, a dû subir vingt-six fouilles à nu à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis (Essonne) sur une période de quatre mois et demi, de décembre 2020 à fin avril 2021, selon le jugement du tribunal administratif de Versailles. A chaque parloir, à chaque extraction de cellule, cette pratique humiliante et intrusive lui a été imposée. Contestant cette décision, Camille B. et ses avocats ont demandé la motivation écrite d’une telle mesure. Elle n’a jamais été transmise car elle n’existe pas, selon ses avocats. Sa plainte au tribunal administratif a débouché, le 1er juillet 2023, sur une reconnaissance de l’illégalité de ces fouilles mais sur une indemnisation pour deux d’entre elles seulement. Elle a fait appel devant la cour administrative de Versailles, le 1er septembre.

Christophe Ayad, 25 septembre 2023.

L’État attaqué en justice pour atteinte à la dignité humaine.

Alors que les récents évènements à Sainte-Soline et contre la réforme des retraites ont remis sur le devant médiatique l’usage de techniques contre-insurrectionnelles contre des militant.es politiques, deux inculpé.es de « l’Affaire du 8 décembre » attaquent l’État en justice suite aux conditions inhumaines de leur détention provisoire. Témoignage à l’appui.

COMMUNIQUÉ

Le 8 décembre 2020, neuf personnes désignées comme appartenant à l’ »ultragauche » étaient arrêtées par la DGSI et accusées de terrorisme. Alors que l’instruction n’a jamais permis d’établir l’existence du moindre projet d’action violente, les 7 mis.es en examen sont désormais libres sous contrôle judiciaire. Leur procès devrait se dérouler dans les prochains mois.

Le chef d’inculpation d’ »association de malfaiteurs terroristes » a été utilisé comme un véritable passe-droit par l’administration pénitentiaire pour leur imposer des conditions de détention provisoire particulièrement dégradantes et violentes.

Camille et Libre Flot ont décidé de combattre deux de ces pratiques en témoignant et en attaquant l’État en justice : les fouilles à nues systématiques pour la première, et le placement à l’isolement pour le second. Leurs recours seront bientôt examinés par le tribunal administratif. La date d’audience pour Libre Flot est fixée au 4 avril, ce mardi.

Libre Flot a passé plus de 16 mois à l’isolement, provoquant pertes de mémoire, troubles de la concentration, pertes de repères spatio-temporels, maux de tête, vertiges. Autant de conséquences d’une pratique d’un autre âge condamnées par de nombreuses instances de défense des droits humains et qui relève de la torture dite « blanche ».

Malgré ses nombreuses demandes de sortie d’isolement, faisant état des conséquences dramatiques sur sa santé, abondamment documentées, cette mesure continua d’être prolongée tous les 3 mois. Au bout d’un an, c’était au ministre de la justice lui-même d’approuver lui-même le renouvellement de cette pratiques aux dangers largement reconnus. Ce dernier n’hésita d’ailleurs pas à la renouveler alors même que Libre Flot avait entamé une grève de la faim depuis plus de 15 jours. Ce qui le poussera à prolonger sa grève pendant 3 longues semaines (36 jours au total) à la fin desquelles, au bord du coma, il sera hospitalisé. Ce n’est qu’alors que le juge d’instruction se résigna à lui accorder une libération sous bracelet électronique « pour raisons médicales ».

Camille a quant à elle subit, en toute illégalité, des fouilles à nue pendant plus de 4 mois. Ces fouilles dites « intégrales » sont particulièrement humiliantes et destructrices. Alors que celles-ci sont strictement réglementées et doivent être individuellement motivées, elles sont pourtant utilisées à tout va par l’administration pénitentiaire (voir article OIP). Le directeur de Fleury-Mérogis ira jusqu’à affirmer à Camille que ces fouilles systématiques sont « la politique de l’établissement », reconnaissant le caractère arbitraire, et illégal, du dispositif. Pour y mettre fin, elle entamera des démarches auxquelles l’établissement tentera de faire obstruction.

Comble du cynisme, le Garde des Sceaux rendait un réquisitoire le 8 mars dernier, journée internationale du droit des femmes, dans lequel il refuse de reconnaître le préjudice subi par Camille au motif qu’elle n’aurait pas consulté le service médical de la prison. Ce faisant, il met en doute la parole d’une victime d’une mesure sécuritaire s’apparentant à une agression sexuelle répétée, exercée sous la menace et en réunion. Alertée à ce sujet, Dominique Simmonot, Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté, confirmait que ce problème avait déjà été dénoncé à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fleury-Merogis et avait fait l’objet de recommandations parlementaires.

Les fouilles à nue imposées aux femmes accusées de terrorisme, principalement musulmanes, ne sont pas des faits anodins. Elles témoignent du retour de pratiques héritées des doctrines contre-insurrectionnelles telles qu’appliquées pendant la guerre d’Algérie où le viol a été massivement utilisé comme une arme par l’armée française (voir article paru dans Le Monde). Dans ce contexte, ce n’est pas un hasard si les témoignages de jeunes femmes subissant des agressions sexuelles de la part des forces de l’ordre se multiplient ces dernières années. En témoignent récemment les plaintes déposées par quatre femmes pour « agression sexuelle » contre des policiers à Nantes lors des manifestations contre a réforme des retraites.

À l’heure où de nombreux militant.es et activistes dénoncent le déploiement de techniques contre-insurrectionnelles et militaires à leur encontre ; où le Ministre de l’Intérieur assène des mensonges largement relayés ; et où des technologies de surveillance sont déployées illégalement dans des hauts-lieux d’organisation des luttes sociales ; il semble urgent de prendre au sérieux ces formes de sévices perpétrés par des agents de l’État.

TEMOIGNAGE

Libre Flot : un an après l’isolement.

Le 8 décembre 2020, je fus l’une des 9 personnes arrêtées par la DGSI pour une soit-disant association de malfaiteurs terroristes, sans qu’aucun fait n’ait eu lieu et sans l’existence d’un projet quelconque. Ce 4 avril 2023, un an jour pour jour, après la fin de ma grève de la faim de 36 jours, dont l’issue failli être fatale, se déroule au Tribunal Administratif de Versailles une audience sur deux de mes nombreux recours (effectués tous les 3 mois ) contre ce régime de torture. Durant toute mon incarcération préventive, la « justice » refusait alors de les statuer en urgence. Ces refus clairement politiques, comme je l’ai appris, avaient comme seul intérêt de continuer les pressions sur ma personne, sans avoir à respecter leur loi.

Les Nations Unies définissent la torture comme: « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne; par un agent de la fonction publique ou avec son consentement; dans le but d’obtenir des renseignements ou des « aveux », de la punir, de l’intimider ou de faire pression sur elle ».

C’est exactement ce qui s’est passé lorsque j’ai été placé en isolement, plus encore lorsque cet isolement est imposé en détention provisoire et de manière illégale. Pourtant la circulaire du 14 avril 2011 stipule, en résumé, que l’on ne peut être placé en isolement pour les faits que l’on nous reproche (ou pour lesquels quelqu’un.e a été condamné). La raison doit être un comportement dit « inadapté » ou « dangereux ». Malgré cela, la direction de la maison d’arrêt (MA) de Bois d’Arcy m’a imposé pendant seize mois l’isolement en disant très clairement qu’elle se basait uniquement sur les faits reprochés, tout en reconnaissant que mon comportement ne posait aucun problème. J’ai aussi pu apprendre de la bouche même du directeur des détentions de la MA des Yvelines que mon placement et mon maintien à l’isolement avaient été décidés depuis le premier jour par des personnes très haut placées et que quoi je dise ou que lui-même dise ou fasse, rien n’y ferait, que cela le dépassait, que je resterai au quartier d’isolement. Donc, sans aucune gène, on bafoue les droits d’une personne et on lui applique la torture dite « blanche ». Sans ma grève de la faim, j’y serais peut-être encore aujourd’hui.

J’ai pu constater la violence de ce procédé et ressentir le désir d’annihilation comme sa finalité. Ce ne fut que lorsque j’ai senti le néant m’absorber que, comme un dernier sursaut de vie, j’ai mis celle-ci dans la balance en commençant une grève de la faim pour m’en sortir. La situation était telle que je n’avais plus rien à perdre, ma vie s’effilochait déjà.

Je ne pourrai pas mieux définir la réalité inhumaine de l’isolement que je ne l’ai fait auparavant dans mes lettres, dont celles d’avril 2021, de juin 2021 et du 18 février 2022 que je vous invite à lire pour mieux saisir l’enfer de cette condition de détention.1 À l’heure actuelle, il m’est encore très douloureux de les lire tant cette expérience violemment traumatisante est incrustée en moi.
Il ne faut pas confondre l’isolement et la solitude. Non! L’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation. L’isolement n’est pas une torture physique existant par un fait ou un acte, mais une torture plus pernicieuse, invisible, permanente existant par cette absence continue.

Je me suis retrouvé du jour au lendemain, sans aucune relation sociale, ne pouvant sortir de ma cellule qu’accompagné par un·e gradé·e et deux surveillant.e·s, avec palpations et portail de sécurité (au minimum 5 fois par jour). À la fin de chaque parloir, sans exception, il y avait aussi une fouille à nu. Les seules « sorties » le sont dans l’espace anxiogène qu’est la promenade individuelle, boite bétonnée, où les 20m2 trouant le béton au-dessus de nos têtes sont recouverts de multiples grilles et barbelés.

Je pouvais observer les vraies promenades, je voyais les détenus exister, je considérais qu’ils étaient tellement libres. Imaginez la violence de l’isolement pour en être à considérer des gens enfermés 24H sur 24 comme étant libres. Ces derniers ne pouvaient pas me voir à cause de la quadruple dose de barreaux et de caillebotis de ma fenêtre. Je restais encore une fois non-existent.

Je pense que nous construisons notre vision de soi par ce que nous renvoient les autres. Mais alors, comment exister quand il n’y a pas d’autres ? Quand les autres ne nous voient même pas ? L’isolement aurait-il pour but l’annihilation de soi ? Avant même d’être jugé, je devrais cesser d’exister ? Voici quelques-uns de mes questionnements de l’époque.

Des contrôles s’effectuaient toutes les deux heures environs, jour et nuit. La nuit le contrôle était accompagné inévitablement de l’allumage des lumières empêchant ainsi d’avoir un réel sommeil. Les ouvertures des verrous de portes sont bruyantes et se faire surprendre par ce son fait sursauter, donne un à-coup au cœur, une montée de stress.

En isolement de nombreux troubles sont apparus et se sont amplifiés au fil des mois: problèmes de concentration, difficultés à construire sa pensée, hébétude, perte de repères temporels, maux de tête, vertiges, pertes de mémoire, troubles visuels, pression thoracique, douleur cardiaque, douleurs articulaires, problème d’accès à son propre cerveau, peur de la disparition de ses connaissances, etc.

Mais pire que tout, c’était le cerveau qui déraillait, la pensée ne se transformant pas en parole et donc ne recevant pas de retour, n’arrivait plus à se moduler, à se matérialiser, elle devint insaisissable, comme un brouillard confus, l’impression d’être abêti, comme en état de choc, d’être paralysé de la pensée. Mon cerveau fonctionnait au ralenti, les pensées ne se renouvelaient pas et tournaient en boucles sans vraiment évoluer.

Le plus pernicieux dans l’isolement est de rendre le réel irréel. Étant donné que l’on est en permanence seul·e avec soi-même, avec ses propres pensées comme unique interaction, le monde réel ne se matérialise pas. Lors des parloirs, ces uniques moments d’interaction sociale, sont autant de plaisirs que de chamboulements, on passe, sans transition, de la stase cérébrale léthargique au « contact » humain sans temps d’adaptation! Les proches y relatent un monde qui semble imaginaire lors de moments qui, une fois terminés, semblent n’avoir été qu’un songe.

Hormis des visites médicales éclairs (souvent moins d’une minute) au quartier d’isolement, sans garantir un semblant de secret médical, avoir un rendez-vous n’est pas toujours aisé mais plus dur encore est que l’on y soit emmené. Et lorsque ça arrive, tous nos maux sont considérés « normaux au vu de ces conditions de détention ». Je n’ai jamais, malgré me demandes répétées, pu voir un psychologue. Ce qui est intéressant de voir c’est que la mise en isolement crée des troubles psychiques et physiques qui ne peuvent être suivis correctement dû au fait que l’on soit en isolement. C’est un tel non-sens qu’il est difficile de croire que ce soit un accident. En plus de tout ça, l’isolement empêche toute activité au sein de la prison, impossible de travailler, impossible de suivre des cours ou des formations.

L’administration pénitentiaire (AP) impose un rapport de force et un fonctionnement arbitraire. Le respect de nos droits n’est pas acquit, il se gagne par une lutte juridique en interne. Je me demande comment une personne non soutenue par un·e avocat·e, ne maîtrisant pas bien la langue, peut faire respecter ses droits.

[Les Séquelles]

En isolement, je n’avais pas même le loisir de ne rien faire, de me laisser aller à discuter avec d’autres humain·e·s. C’était une question de survie que d’occuper mon temps, ce temps devenu infini et antagoniste. Après ce séjour hors du monde et hors du temps, revenir dans le monde des vivants et leur rythme effréné perturbent mes fonctionnements, je n’ai plus de point de repère, plus de notion, plus d’habitude. Depuis ma sortie, quasiment un an, je ne me suis toujours pas réadapté, j’ai l’impression de nager à contre-courant, je cours mais n’accomplis rien, je m’épuise à me débattre dans une course contre la montre perdue d’avance. Je me sens tel un Don Quichotte se battant contre des moulins à temps.

J’ai bien conscience que dans nos sociétés dites modernes, beaucoup se plaignent de ne pas avoir le temps de faire tout ce qu’iels veulent. Concernant ma sortie d’isolement, je suis passé d’un antipode -où ce temps, par son immobilisme, est une torture- à son extrême opposé. Ce bouleversement d’une telle amplitude m’impacte sans commune mesure alors que je retrouve un semblant de vie réelle.

Les problèmes de mémoire qui surgirent et s’amplifièrent durant cette période d’isolement n’ont pas disparu à la sortie. Les informations continuèrent à sortir aussi vite de ma tête qu’elle en étaient rentrées. Combien de fois n’ai-je pas posé la même question trois ou quatre fois dans la même conversation ? Bien qu’aujourd’hui, il m’arrive parfois de me surprendre et de me réjouir à me souvenir de quelques choses ne m’ayant pas faussé compagnie, je suis encore loin d’avoir retrouvé mes facultés mémorielles. Les retrouverai-je un jour ?

Une des séquelles, des plus dommageables, ce sont les rapports aux autres. Moi qui aime à me définir comme un individu social, je me retrouve à peiner à interagir avec mes semblables. Je suis désormais incapable de me retrouver avec un nombre important d’ami·e·s. Au delà de cinq ou six personnes, je me sens submergé, pris dans un tourbillon de paroles, d’expressions faciales, de langages corporaux, trop nombreux pour être décryptés en même temps. Je me retrouve mal à l’aise et j’ai tendance à m’effacer. Mais même avec un nombre plus réduit, d’autres difficultés font surface. Je peine à différencier ce qui est de l’ordre de la pensée privée et ce qui est de l’ordre de la discussion, du partage. Souvent, je tourne et retourne mes pensées dans ma tête, inapte à les exprimer et incapable de lancer un sujet de conversation. Je suis devenu un piètre interlocuteur.

Alors, dans cette situation, comment rencontrer de nouvelles personnes ? Comment se faire de nouveaux·elles ami·e·s quand les siens sont hors du seul département où je suis assigné ? Me reste bien l’humour dont je suis si friand (à défaut d’être drôle), mais hélas, une épine pointe ici aussi… Comment se permettre de faire des blagues librement lorsqu’on sait que plusieurs de celles-ci, décontextualisées, sont à charge dans notre dossier ? Quand on s’inquiète des conséquences graves que peuvent avoir une plaisanterie anodine, comment conserver une amusante insouciance? Soucieux, je le suis en permanence, sans répit aucun. Quelles relations sociales est-on capable de construire lorsque l’on a que ces propres problèmes en tête, à la bouche ?

Seize mois sans contact humain, avec pour unique contact physique, les palpations des surveillants, cela chamboule considérablement le rapport à l’affect. Une relation ambivalente se créé. Comme un besoin insatiable d’affection qui peut devenir étouffant pour les autres et, à la fois, ne plus vraiment concevoir les contacts physiques comme communication. Se sentir, si ce n’est agressé, tout du moins inconfortable lorsqu’un·e ami·e pose gentiment une main sur son bras, quand un·e ami·e pose deux secondes sa tête sur son épaule. En vouloir trop ou trop peu, ou les deux, encore une fois, c’est un équilibre qui est rompu.

Lorsqu’on nous force violemment à quitter le monde, en nous plaçant en isolement, on se retrouve comme étranger à celui-ci. En sortir ne veut pas dire revenir à la normale. Non, il y a les autres, les vivants et cet être profondément traumatisé qui doit, mais ne sait comment, panser ses plaies. Ne plus savoir ni quoi dire, ni comment le dire, ni se comporter, ni où être, constituent une continuité de l’enfermement même à l’extérieur. La sensation d’être enfermé dans sa tête, dans sa carcasse. Un besoin d’exulter qui n’arrive hélas jamais. Bien sûr cela n’a rien de comparable avec la souffrance subit en isolement, dans les caveaux de la république.

J’ai beau suivre une psychothérapie, je n’en vois pas le bénéfice. Cela me renvoie juste, par la reformulation, en ôtant les dénis et euphémismes utilisés comme mécanisme de défense, l’odieuse torture subie et le v(i)ol de mon être. Espérons que les prochaines phases portent un tant soit peu leurs fruits.

Ce 4 avril 2023, l’État français, par le biais de sa « justice », devra répondre de cet acte de torture illégale, réprimé par sa propre loi. Je n’ai pas d’inquiétude vis à vis du rendu. La fRance est bien connue par les instances européennes des droits humains pour son non-respect en cette matière. Elle a l’habitude de payer, comme si elle se lavait les mains et de continuer ses pratiques inacceptables et ce, soit disant « au nom du peuple français ». J’espère que cette audience sera, à sa modeste échelle, comme une pierre ôtée à l’édifice de la violence carcérale.

30 mars 2023
Libre Flot

Pour télécharger et diffuser le témoignage :

Pétition : En soutien de la grève de la faim – Liberté pour Florian

 

 

◦● -> Signez la pétition !! <- ●◦

 

La solidarité est la condition vitale qui nous unit dans les luttes. Je remercie les amis et camarades qui se sont montrés solidaires. Je remercie tous les progressistes pour leur soutien, qui n’était pas un soutien à une seule personne, mais un moment de lutte contre un pouvoir inhumain

– Déclaration de Dimitris Koufontinas après 66 jours de grève de la faim.

 
 
 
Libre Flot est mis en examen dans l’affaire du 8 décembre, jour où 9 libertaires et militant.es ont été arrêtés lors d’une vaste opération politique visant à assimiler l’idée de révolution sociale au terrorisme. Tous.tes les inculpé.es ont été placés en détention provisoire (en régime DPS) durant de longs mois, mais ont finit par sortir sous contrôle judiciaire.
Cependant pour Libre Flot, fantasmé par la DGSI en meneur, et surtout puni pour son engagement volontaire contre l’Etat Islamique aux côtés des Unités de Défense du Peuple (YPG) au Rojava, il subi le régime d’isolement depuis 15 mois, dont les conditions s’apparentent à la torture blanche et l’empêchent de se défendre correctement. Voir ses lettres iciDepuis des décennies, l’Union Européene soutient le régime génocidaire d’Erdogan et criminalise la diaspora kurde. En plus de vendre des armes de guerres à ce régime et de donner des milliards d’euros pour que la Turquie empêche les exilé.es d’arriver aux portes de l’Europe (ce qui se traduit par encore plus d’achats militaires), l’Union Européenne utilise la répression des opposant.es à Erdogan comme monnaie d’échange diplomatique, prétextant des « liens avec le PKK [Parti des Travailleurs du Kurdistan] » pour leur appliquer la répression antiterroriste.

Une campagne internationale a été lancée, « Justice for Kurds« , pour faire supprimer de la liste des organisations terroristes le PKK, groupe d’autodéfense armé et légitime du peuple kurde face à l’invasion de la Turquie. Malgré cela, partout en Europe, les militant.es kurdes et pro-kurdes continuent d’être traités en terroristes, comme le prouvent encore récemment en Allemagne les mesures d’expulsion inédites et extraordinaires dont Maria, militante espagnole, a fait les frais.

 

L’acharnement que subit notre ami Libre Flot s’inscrit dans ce contexte :

« J’ai récemment appris de la bouche même du directeur des détentions de la maison d’arrêt des Yvelines (Bois d’Arcy), que je remercie pour sa franchise, que mon placement et mon maintien à l’isolement étaient décidés depuis le premier jour par des personnes très haut placées et que quoi je dise ou que lui-même dise ou fasse, rien n’y ferait, que cela le dépasse, le dossier ne sera même pas lu et je resterai au quartier d’isolement et que de toute façon rien ne pourrait changer avant les élections présidentielles. »

Libre Flot, Pourquoi je fais la grève de la faim, 27 février 2022

 
 
A l’heure où les médias français chantent les louanges des volontaires ayant rejoint la lutte armée en Ukraine, il ne fait aucun doute que le tri entre bons volontaires (apolitiques et extrême-droite) et « potentiels terroristes » (gauche radicale) sera fait de la même manière que le relate le CCFR (Combattantes et Combattants Francophones du Rojava) :
 
 

« Ceux qui étaient identifiés comme de potentiels membres de « l’ultragauche » se retrouvèrent systématiquement « fichés S » et firent l’objet d’une surveillance active, tout en étant coupables de rien d’autre que d’un délit d’opinion. »

CCFR, L’arrestation de l’un des nôtres, 1er février 2021.

 

Après plus de 10 jours de grève de la faim, le maintien à l’isolement s’est vu renouvelé par Dupont-Moretti (le jeudi 10 mars), et le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut continue d’utiliser son influence pour faire refuser les demandes de mise en liberté (DML) pourtant appuyées par un avis favorable des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP).

Malgré tous ses efforts et ceux de ses avocats pour faire reconnaître les conditions inhumaines de sa détention, la situation reste à ce jour inchangée pour Libre Flot.

Parce que la logique de l’antiterrorisme est de s’étendre à l’ensemble des dissidences (anarchistes, écologistes, féministes, etc.) nécessaires pour la lutte contre un ordre mondial capitaliste, colonial, patriarcal et écocidaire.

PARCE QUE dans un cadre juridique où des présomptions de culpabilité font office de preuves, infliger consciemment ce type de souffrances psychologiques à un prévenu revient à obtenir des aveux sous la torture.

Parce qu’il n’est pas seul dans sa lutte pour la dignité, au CRA de Vincennes, une soixantaine de personnes sont aussi en grève de la faim depuis le 17 février et se battent contre le racisme d’Etat ! A la prison des Baumettes, c’est Nani qui avait entamé une grève de la faim et de la soif début février. A la raffinerie Total de Donges, Fabien, responsable CGT a réalisé une grève de la faim qui vient de se terminer ce 11 mars après plus de 15 jours et 11kg perdus.

Organisations politiques, syndicales, collectifs en lutte, camarades et ami.es, nous vous encourageons à témoigner, par cette pétition, de votre attachement à la dignité humaine et au droit de se défendre.

 

STOP À L’ACHARNEMENT CARCÉRAL !

 

ABOLITION DES QUARTIERS D’ISOLEMENT ET DES MITARDS !

 

SOUTIEN AUX INCULPE.ES DU 8 DECEMBRE !

 

LIBERTE POUR LIBRE FLOT !

 


Auteur(s) : Soutien aux inculpées du 8/12
Destinataire(s) : Eric Dupond-Moretti (garde des Sceaux, Ministre de la Justice )
A qui de droit

Tribune : Pour le droit de se défendre dans la dignité face à la justice antiterroriste

Le Média, Politis, Reporterre et LundiMatin, l’Humanité publient une tribune signée par plus de 50 personnalités pour exiger la libération de Libre Flot!

-> IL FAUT LE SORTIR MAINTENANT! <-

Signez la tribune! Contactez : pourledroitaladefense@riseup.net

 

« Près de cinquante personnalités affirment leur soutien à Libre Flot en grève de la faim pour protester contre sa détention provisoire sous un régime d’isolement qui l’empêche de préparer sa défense.

Dimanche 27 février un militant, placé en détention provisoire depuis 15 mois et maintenu illégalement sous le régime de l’isolement, a entamé une grève de la faim. Pour Libre Flot (surnom), il s’agit du dernier moyen à sa disposition, aux risques de graves séquelles physiques, pour tenter de se défendre d’une accusation qu’il rejette avec force. Il est en effet mis en examen, avec six autres personnes aujourd’hui sous contrôle judiciaire, dans une affaire d’« association de malfaiteurs terroriste ». Il s’agit de la première inculpation de ce genre visant un « groupe d’ultragauche » depuis la retentissante affaire dite « de Tarnac » en 2008, qui avait tourné au fiasco pour les services de renseignement et la justice antiterroriste et devait finir dans ans plus tard par une relaxe quasi-générale.

 

« Si les arrestations des sept inculpé.es du 8 décembre 2020 ont été moins médiatisées que celles de 2008, ce qui ressort du contenu du dossier dans la presse ne peut qu’interroger. »

L’enquête, ouverte depuis 10 mois au moment des arrestations, ne laisse apparaître aucune élaboration concrète de projet d’attentat – ni même d’une esquisse de projet –, mais seulement une bien vague « intention de s’en prendre aux forces de l’ordre ». Aucun projet précis, a fortiori aucun projet terroriste, et encore moins de projet terroriste imminent ne viennent donc justifier les arrestations en ce mois de décembre 2020. En revanche, celles-ci interviennent opportunément au moment où un vaste mouvement questionnait le rôle de la police dans notre société, à la suite du soulèvement récent contre les crimes policiers aux États-Unis et de la diffusion virale d’une vidéo dans laquelle on pouvait voir des agents parisiens tabassant un homme noir, Michel Zecler. Mouvement que le gouvernement, devant l’impossibilité de nier dans ce contexte l’existence de « violences policières », cherchait alors à contenir en agitant le spectre des « casseurs », « black blocs » et autres « gilets jaunes radicalisés ».

Il apparaît ensuite que l’enquête est principalement motivée par la présence de Libre Flot aux côtés des YPG du Rojava, parmi d’autres militants internationalistes, dans la bataille contre Daesh à Raqqa en 2017. Depuis son retour, il était en effet surveillé par les services de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui le soupçonnent de chercher à constituer autour de lui un groupe de lutte armée. La DGSI avait déjà tenté d’appliquer à d’autres personnes ce fantasme du vétéran revenu du Rojava pour prendre les armes en France, avant d’être démentie par la justice, et ce dans un contexte plus large de criminalisation des luttes pour l’autodétermination du peuple kurde en Europe. Alors que des milliers d’internationaux s’engagent en ce moment-même pour défendre l’Ukraine, l’iniquité de l’utilisation à charge de l’implication dans le projet communaliste au Rojava saute aux yeux – sans parler de la qualification terroriste pour quelqu’un qui a contribué à la chute de l’État Islamique.

De sa grève de la faim, Libre Flot n’attend la satisfaction que d’une seule revendication : qu’on le libère pour lui permettre de préparer sa défense. D’autres inculpé.es dans cette affaire ont dû attendre des mois – le temps que la cour d’appel ne contredise le juge d’instruction – avant d’avoir simplement accès au dossier, et donc à ce qu’on leur reproche précisément. Les écoutes servant de base à l’accusation (dont la légalité est contestée par certains avocats) ont mis plus de 7 mois avant d’être accessibles à la défense.

Libre Flot a décrit, dans plusieurs lettres publiques, la réalité glaçante des effets du régime de l’isolement sur le corps et l’esprit (pertes de mémoire, vertige, douleurs thoraciques, trouble de la concentration, perte de repère spatio-temporel, hébétude, etc.). C’est dans cet état qu’il est censé se défendre d’une machinerie kafkaïenne dans laquelle l’absence d’éléments matériels joue à charge, parce qu’il faut réfuter non pas tant des faits que la construction d’un récit. Les inculpé.es de Tarnac avaient fini par obtenir la déqualification terroriste, en 2017 après neuf ans de bataille judiciaire, en faisant acter par la cour de cassation que les faits qui leur étaient reprochés (le sabotage de l’alimentation électrique de lignes TGV) n’avaient pas été commis « en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Mais comment se défendre quand il n’est reproché que des « intentions » supposées ?

Aujourd’hui la décision de renouvellement du maintien à l’isolement de Libre Flot vient d’être validée pour la seconde fois par le ministre de la Justice. Depuis le début ce régime lui est imposé sur la seule base de la qualification « terroriste » de l’affaire, sans rapport avec son comportement en détention, alors que cette mesure n’est censée être justifiée que par des considérations relevant de la sécurité du détenu ou de la prison. Éric Dupond-Moretti, prompt à retrouver sa verve d’avocat pour dénoncer les instructions montées uniquement à charge quand il s’agit de plaider sa propre cause ne semble pas particulièrement ému par l’utilisation du régime de l’isolement comme moyen de pressuriser un prévenu et de l’empêcher de préparer sa défense. Libre Flot reste donc privé de contact humain jusqu’à nouvel ordre.

Combien de temps devra encore durer sa grève de la faim avant qu’il n’obtienne le droit élémentaire – et d’autant plus important que l’accusation est lourde – de se défendre dans des conditions décentes ? »

Signataires :

Bernard Aspe, philosophe

Gwenn Audic, artiste peintre

Léna Balaud, agricultrice et chercheuse en philosophie politique

Etienne Balibar, philosophe

Ludivine Bantigny, historienne

Jérôme Baschet, historien

Élisa Bausson, travailleuse sociale

André Bernold, écrivain

Edgar Blaustein, militant associatif

Hamit Bozarslan, historien et politiste

Claude Calame, anthropologue

Joachim Clémence, artiste-chercheur

Vanessa Codaccioni, politiste

Annick Coupé, porte-parole Attac

Alain Damasio, écrivain

Kamel Daoudi, assigné à résistance

David Dufresne, écrivain-réalisateur

Michel Dugué, enseignant retraité

Olivier Fillieule, politiste

Isabelle Frémeaux et Jay Jordan, artistes-activistes

Julien Fretel, politiste

Laurent Gayer, politiste

Julie Gervais, politiste

Olivier Grojean, politiste

Manon Guilbert, ex-inculpée dans l’affaire de Tarnac

Murielle Guilbert et Simon Duteil, co-délégués généraux, Union Syndicale Solidaires.

Claude Guillon, écrivain

Christiane Renauld, écrivain

Laurent Jeanpierre, politiste

Antoine Jobard, éditeur-imprimeur

Naruna Kaplan de Macedo, cinéaste

Gérard Lambert, utopiste

Jacques Lèbre, écrivain

Jean-Claude Leroy, écrivain

Serge Martin, professeur émérite (Sorbonne nouvelle)

Gustave Massiah, membre du conseil scientifique d’Attac

Lola Miesseroff, écrivaine

Lionel Monier, comédien

Corinne Morel Darleux, autrice

Willy Pelletier, sociologue

Serge Quadruppani, auteur et traducteur

Nathalie Quintane, écrivaine

Mathieu Rigouste, sociologue

Benjamin Rosoux, ex-inculpé dans l’affaire de Tarnac

José Sciuto, cadre en entreprise culturelle

Isabelle Stengers, philosophe

Françoise Vergès, politologue et militante féministe décoloniale

Comité limousin de soutien à l’affaire du 15 juin 2021


A retrouver ici: Pour le droit de se défendre dans la dignité face à la justice antiterroriste, le 21 Mars 2022

 

 

Message de Libre Flot au 17e jour de grève de la faim

Aprés 17 jours de grève de la faim, les institutions bien conscientes de ce qui se passe, restent totalement indiferentes. Alors que mes proches se font de plus en plus d’inquietudes des conséquences et sequelles irrémédiables que cette grève de la faim ne tardera plus bien longtemps à me faire souffrir pour le restant de ma vie, que puis-je leur répondre?

Que de toutes façons les conséquences de cet enfermement existent déjà, que je souffre déjà dans mon corps et que mon esprit n’est déjà plus que l’ombre de lui même. Que les sequelles sur ma psyché necessitent déjà de longs soins et que si je reste ici ça ne va que s’empirer.

Ici je suis temoin de la perte de raison de mes voisins, je les entend changer au cours des mois qui passent, j’en entends certains perdre pied, si ce n’est sombrer dans la folie.

Et qu’en est il de moi? Ma situation est elle plus saine, emmuré dans mon mutisme? Dans un pantomine de vie étudiante qui ne me trompe même plus? A apprendre une langue étrangère alors que ma mémoire s’éffiloche, à m’imaginer évoluer en passant une semaine sur une leçon d’une demi heure qui n’est pourtant que des revisions. Alors, dégradation pour dégradation, séquelles pour séquelles, autant que ce soit de mon choix, autant que ce soit pour pousser ce cri de vie, autant que ce soit pour lancer cet appel à l’aide: Sortez moi de ce tombeau !

Salutations et respect.
Merci pour votre soutien.

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