Libre Flot : 6ème jour de grève de la faim

Nous avons eu des nouvelles au 6ème jour de grève de la faim. La prison a essayé de faire supprimer son parloir, mais il fut maintenu grâce à la pression de ses avocat.es. Le copain va bien pour l’instant. Il ne subit plus l’isolement passivement et cela renforce son moral. Il est déterminé.

Ce texte de soutien internationaliste a été initialement publié sur Solidaritytodecember8.

Cela fait six jours que notre camarade a commencé la grève de la faim. Il l’a fait au début de l’invasion de l’Ukraine en sachant très bien que cette information serait noyée dans les nouvelles de la guerre. Que tous les efforts seraient concentrés sur le soutien à la résistance en Ukraine et aux personnes qui fuient ce pays. C’est incroyable tout le soutien que l’Ukraine reçoit, même s’il s’accompagne aussi de lacunes et de contradictions : ambiance raciste et visions nationalistes de l’avenir, pour n’en citer que deux. Notre camarade soutiendrait de la même manière les personnes qui luttent pour la liberté. Il est à l’isolement, la méthode utilisée par l’État pour nous priver de contacts et de communication avec le reste du monde. Il a besoin de nous de la même manière que nous avons besoin les uns des autres, nous ne pouvons jamais gagner seuls. Une personne avec son corps peut résister à la répression de l’État, mais sans le pouvoir que nous avons à l’extérieur, sa voix ne sera pas entendue.

Voici quelques actions que vous pouvez faire pour le soutenir.

1. Faire des actions de soutien contre l’ambassade de France là où vous habitez.

2. Envoyez des emails à l’ambassade.

  • discom.sg@justice.gouv.fr
  • presse-justice@justice.gouv.fr
  • secretariat-presse.cab@justice.gouv.f

3. Écrivez des articles à ce sujet et diffusez-les partout ou diffusez les informations du blog.

Nos luttes quotidiennes soutiennent également notre camarade emprisonné et même si nous ne croyons pas au système judiciaire français, il est bon de s’assurer qu’ils soient conscients que nous savons ce qui se passe.


L’email pourrait ressembler à quelque chose comme ceci :

A qui de droit,

Le 27 Février dernier, une personne emprisonnée et à l’isolement à Bois D’Arcy a entamé une grève de la faim. Je suis sûr que vous êtes maintenant au courant. Vous pensez peut-être qu’en raison de l’invasion de l’Ukraine, personne ne prêtera attention à une personne mourant de faim entre les murs de votre complexe pénitentiaire. Que personne ne parle ou ne partage avec le monde ce qui se passe. Vous avez tort. Si vous isolez quelqu’un sur la base d’accusations de terrorisme mais que vous ne pouvez fournir aucune preuve et que vous n’avez aucune raison de le garder, si ce n’est qu’il aurait « une personnalité charismatique », vous ne serez pas pris au sérieux aux yeux du peuple. La mort de cette personne sera du sang sur vos mains. Comment allez-vous expliquer cela à sa famille ? Comment allez-vous le justifier publiquement par la suite ? Si vous pensez que prendre ces mesures avant les élections vous apportera des voix et montrera votre force, je peux vous dire maintenant que les mères des soldats russes tués en envahissant l’Ukraine ne voient pas la force de Poutine. Elles voient leurs propres enfants sacrifiés comme des pions dans les jeux politiques des États-nations. J’écris ceci pour partager cette perspective. Vous êtes déjà au courant de ces choses. La question qui est discutée en ce moment est probablement de savoir à quel point sa mort passerait inaperçue. Si vous pouvez répondre à la pression de cette personne qui donne sa vie pour la liberté. Considérez ceci. Le laisser rentrer chez lui ne signifie probablement pas que l’enquête va cesser, il n’y a pas à ce stade de vision d’un changement de société. Donc, si les interrogatoires n’ont rien donné jusqu’à présent, et que toutes les autres personnes dans cette affaire sont déjà libérées, il n’y a rien à gagner à le garder, par principe, jusqu’à sa mort, mais tout à perdre.

Salutations,

 

Soutien à Libre Flot et aux inculpé.es du 8 décembre

La solidarité est la condition vitale qui nous unit dans les luttes. Je remercie les amis et camarades qui se sont montrés solidaires. Je remercie tous les progressistes pour leur soutien, qui n’était pas un soutien à une seule personne, mais un moment de lutte contre un pouvoir inhumain

– Déclaration de Dimitris Koufontinas après 66 jours de grève de la faim.

Que vaut un mouvement social qui ne suporte pas ses prisonnier.ères ? Une fois passé les barreaux de la répression, ne sommes-nous plus du même camp ?

L’imaginaire policier a réussit depuis le 8 décembre, à faire croire que cette opération antiterroriste était légitime et que les camarades emprisonnés représentaient une quelconque « menace ». Nous avons dénoncé, protesté, démêlé, appelé à soutenir, témoigné, etc.

Nous avons vu les moyens de l’antiterrorisme s’expérimenter massivement depuis 2015. Et la plus grosse « critique » de la gauche de ce moment était, comme toujours, de quémander plus de moyens pour ces services de police militaire extra-légale. Aujourd’hui l’avant-garde policière s’exprime chaque semaine dans les médias alors que la parole des camarades inculpé.es y est méprisée.

Notre ami aujourd’hui, par sa grève de la faim reprend en main son destin et une fois de plus met sa vie en jeu contre le fascisme. Cette fois-ci, non plus contre Daesh mais contre la justice d’un Etat policier. Libre Flot est de ces libertaires voyageur qui rêvent d’autonomie, qui foule de ses pieds et de son coeur les montagnes et leurs histoires. Son mode de vie lui permettait d’aller là où les besoins s’en faisaient sentir. En dehors du Rojava (dont nous avons déjà parlé), il a passé plusieurs mois à Calais pour soutenir les exilé.es, il leur donnait notamment des cours de français (et le plaisir des jeux de mots !). A Toulouse aussi, il aimait faire des squats des lieux ouverts et émancipateurs sur le modèle de centres sociaux autogérés. Lors du premier confinement à Toulouse, il participait à des collectes et distributions gratuites de nourriture. Que faisait la DGSI à ce moment ? Elle fichait les lieux (ainsi que les militants s’y trouvant) dans lesquels il se déplaçait : épicerie solidaire, La Chapelle, le Pumbat’, etc. Plus d’une centaine de téléphones fichés par ISMI Catching à ce moment, qui sont désormais disponibles à tous les services de renseignement.

Le juge d’instruction en charge de l’affaire (et ses deux co-juges), utilisent son placement à l’isolement pour l’empêcher de se défendre. Le juge lui assène des questions/accusations d’une demi page alors qu’il n’arrive plus à se concentrer et à formuler correctement des phrases (symptomes connus et documentés de l’isolement carcéral).

Dans un contexte où vos propos ont été traqués pendant des mois, sélectionnés, décontextualisés et criminalisés ; se défendre de telles accusations tordues requiert une grande aisance d’argumentation, d’éloquence et de réthorique. Chaque « incohérence » vous condamne, chaque « hésitation » vous enlève tout crédit, chaque « silence » vous accuse.

Dans un cadre juridique où des PRESOMPTIONS DE CULPABILITE font office de preuves, infliger consciemment ce type de souffrances psychologiques à un PREVENU revient à obtenir des aveux sous la torture.

C’est sur ce mécanisme que le gouvernement, la DGSI, le juge d’instruction, la chambre d’instruction et le parquet antiterroriste veulent faire condamner les 7 inculpé.es.

Là où la Russie utilise la torture brute pour obtenir des aveux, la France utilise une panoplie de violences pénitenciaires et judiciaires qui sont reconnues comme « torture blanche ».

Son isolement a été reconduit illégalement depuis plus d’un an, et ces prochains jours, c’est encore Dupont-Moretti qui aura le marteau dans la main.

Il n’est pas seul dans sa lutte pour la dignité, au CRA de Vincennes, une soixantaine de personnes sont aussi en grève de la faim depuis plusieurs jours ! Depuis plus de deux semaines, un responsable CGT à la raffinerie de Donges est aussi en grève de la faim. A la prison des Baumettes, c’est Nani qui a entamé une grève de la faim et de la soif.

Cette situation est intenable, il faut mettre fin au délire sécuritaire.

 

Ami.es, Camarades, soutenons-les par tous les moyens !

  • Le 29 mai, organisons-nous pour la Journée Nationale contre les Violences Pénitenciaires.

[LundiAM] Récit d’une mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste

« Ce qu’on nous reproche ? Une sorte de fantasme construit autour de nos opinions politiques. »

paru dans lundimatin#328, le 28 février 2022.
 
Une des inculpé.es de l’affaire dite du 8 décembre 2020 revient sur la mécanique infernale (et toujours en cours) dans laquelle les services de renseignement et le parquet antiterroriste l’ont plongée, avec huit autres personnes, il y a un peu plus d’un an maintenant.
 

Depuis plus d’un an maintenant, vous êtes mise en examen dans une affaire d’association de malfaiteurs terroriste, dont on a régulièrement parlé dans lundimatin et qu’on appelle communément « l’affaire du 8 décembre », jour de vos arrestations en 2020. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu’il se passe pour vous, ce 8 décembre au matin ?

Les 8 décembre on a été neuf personnes arrêtées un peu partout en France, à 6 h du mat’, par des équipes du Raid et de la DGSI. Chez moi, ils devaient être une vingtaine, toute la rue était bloquée, ils étaient très nombreux dans la maison, j’ai un peu du mal à estimer le nombre. On a été emmenés en train ou en avion dans les locaux de la DGSI, pour passer trois jours de garde-à-vue antiterroriste. Puis on a été sept mis en examen avec ce chef d’inculpation de « participation à une association de malfaiteurs terroristes en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes ». Deux personnes on pu directement sortir sous contrôle judiciaire et on est cinq à avoir été envoyés en détention – quatre mois et demi en ce qui me concerne. Depuis tout le monde est sorti sauf une personne qui est actuellement toujours maintenue en détention, sous le régime de l’isolement.Tout part de la surveillance de cet ami qui était parti au Rojava quelques temps avant. Comme toutes les personnes qui se sont rendues sur place, cela a attiré l’attention de la DGSI à son retour. De cette surveillance est née un rapport, qui va servir à « judiciariser » notre affaire. Ça, c’est en février 2020. À partir de là, il y a donc dix mois d’enquête avant nos arrestations, enquête qui se base sur l’idée que cette personne revenue du Rojava chercherait à monter un groupe « en vue de commettre des actions violentes contre les forces de l’ordre ou des militaires ». En gros, ce qui nous est reproché, c’est ça : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes.C’est un chef d’inculpation un peu particulier, dans le sens où il est complètement fourre-tout. Les jurisprudences de ces dernières années, alimentées par l’islamophobie ambiante, ont élargi les possibilités de condamnation. Un « esprit de projet » suffit à établir une culpabilité, sans qu’il n’y ait besoin d’actes ou de préparation, ce qui permet de donner une place légale au fantasme et à l’interprétation dans un dossier. Tu peux faire partie d’une association de malfaiteurs sans en avoir conscience.
D’ailleurs la première chose à dire c’est que parmi les neuf personnes arrêtées le 8 décembre, on ne se connaît pas toutes et tous. Pour certain.es, on ne s’est rencontrés une seule fois, pour d’autres on ne s’est jamais vu. Pour valider cette notion de « groupe », dans le rapport de la DGSI à l’origine de l’affaire, il est écrit qu’on aurait tous l’intention d’habiter ensemble dans un squat. Dix mois plus tard, ils nous arrêtent aux quatre coins de la France. On ne se connaît déjà pas tou.tes, alors habiter ensemble c’est pas à l’ordre du jour !

Tu peux revenir sur les conditions de ton arrestation ?

Dans ce genre de situation tout se passe très vite. Quand tu te retrouves finalement dans ta cellule en détention, t’as pas vraiment l’impression d’avoir eu le temps de comprendre ou de te saisir de quoi que ce soit et, malgré les trois jours de garde à vue tu te dis « mais du coup quoi ? Ca y est c’est tout ? Je suis en prison et ça s’arrête là ? » C’est assez impressionnant.
En plus une garde-à-vue antiterroriste, c’est quand même pas rien. C’est vraiment pensé pour te désarçonner, te fatiguer.
Déjà il y a le trajet et la manière dont on a été arrêté. Après trois heures de perquisition j’ai d’abord été emmenée dans un premier commissariat, menottée et cagoulée. C’est là, quand on est venu me chercher en cellule, que j’ai compris que c’était la DGSI qui m’emmenait à Paris parce qu’au début on ne me disait pas pourquoi on m’arrêtait et on ne me disait pas quels étaient les chefs d’inculpation. Ils me disaient juste : tu vas rester enfermée un bon moment. Moi, au début, j’étais vraiment assez incrédule, je pensais : « Cause toujours ! Je suis sûre que je suis sortie ce soir ! ». Heureusement quelque part, parce que ça m’a beaucoup aidé à gérer le stress et les conditions de transport. Dans le train j’étais ceinturée par une espèce de camisole, les bras contre le corps, avec un masque de ski opaque sur les yeux, pendant tout le trajet. Ensuite, il y a les conditions dans lesquelles tu passes tes interrogatoires. On te fout dans une cellule et puis tu attends… Alors elle est propre, mais elle est complètement insonorisée, t’as pas de lumière du jour, seulement celle du néon, sans possibilité de l’éteindre. Ce qui, avec les murs hyper blancs, te file de sacrées migraines. Et du coup tu n’as pas de notion du temps qui passe, aucun moyen de savoir où tu en es dans la journée. C’est toute une atmosphère pensée pour créer une perte de repères. Arriver en interrogatoire dans ce contexte, c’est pas évident.On a tous dû avoir au moins deux interrogatoires par jour. Dans l’ensemble, les policiers étaient plutôt corrects de mon côté, mais j’ai quand même donné mon ADN sous des espèces de menaces sexuelles, du genre « de toute façon si tu le donnes pas je vais venir chercher tes poils pubiens dans ta petite culotte »… Après, je crois que c’est qu’au bout du quatrième qu’on a commencé à me parler réellement de ce qu’on me reprochait – c’est-à-dire d’éléments qui étaient gardés contre moi dans le dossier. Avant ça, c’était quasiment que des questions d’ordre personnel et politique, et puis énormément de questions sur le parcours de l’ami qui s’était rendu au Rojava.

 

Ce qui était assez étonnant en lisant les articles dans la presse suite à vos arrestations, c’est qu’on ne parvenait pas à comprendre ce qui vous était reproché. En général, le parquet antiterroriste communique beaucoup et fait feu de tout bois à partir du moindre petit élément du dossier. Là, ce qui était frappant, c’est que quand ils ont mis en avant la présence d’armes, ils ont assez vite précisé qu’il s’agissait certainement d’armes détenues légalement. Dès le début de la médiatisation de l’enquête, ils laissent apparaître qu’il n’y a pas grand-chose dans le dossier. Ils parlent d’un « artificier », dont on apprend assez vite que ce qui lui vaut ce qualificatif c’est d’être salarié de Disneyland où il oeuvre pour le spectacle nocturne et quotidien qui émerveille les enfants. Ça relativise un peu… Évidemment, le but c’est de « colorer » l’enquête, comme ils disent, mais on voit bien que c’est assez vide – d’ailleurs, ils vous ont depuis presque tou.tes relâché.es. Mais le « projet » qui revenait c’était votre prétendue volonté de vous en prendre à la police. Est-ce que tu peux nous expliquer sur quoi se fonde cette accusation de vouloir fomenter un attentat contre la police nationale ?
Ce qu’on nous reproche ? Une sorte de fantasme construit autour de nos opinions politiques. Ce dossier repose sur un ensemble d’éléments disparates qui n’ont globalement rien à voir les uns avec les autres mais qui, décontextualisés et racolés, permettent de construire un décors.Un week-end de retrouvaille entre deux amis – dont l’un passionné d’artifices et a l’habitude de faire des effets spéciaux pour des clips – va être accolée à une après midi d’airsoft quelques mois plus tard à l’autre bout de la France avec d’autres personnes qui se sont retrouvés au hasard du confinement à tuer le temps à la campagne. La DGSI va tenter de faire croire que ces deux évènements convergent vers un même projet, et qu’il y aurait un « groupe » constitué (la plupart ne se sont jamais revus après pourtant…). C’est ça qui va être retranscrit dans le dossier comme un « camp d’entraînement militaire  » et c’est ce genre d’extrapolations délirantes auxquelles on fait face. Pour ce qui est des armes, trois personnes possédaient leur permis de chasse et la DGSI va détourner une phrase de son sens (en l’occurrence, une blague), pour faire planer le doute sur les finalités de ces permis de chasse. Un des inculpé est fils de militaire, il y avait des armes inutilisables de collection chez lui qui ne lui appartenaient pas. Et puis il y a aussi de la manipulation dans les termes, puisque les répliques d’airsoft (des pistolets à billes, donc) saisies sont à chaque fois désignées comme des armes.Dans les conversations téléphoniques qui sont retenues à charge contre moi, il y a une fois où j’étais assez énervée parce que je n’avais pas pu faire encaisser un chèque par ma banque et que j’avais absolument besoin de déposer. Donc j’appelle une copine en disant : « Ah, ça me donne envie de cramer toutes les banques ! » – ce genre d’envolées lyriques qu’on peut avoir dans des moments de colère ! Voilà, ça, par exemple, c’est transformé, noir sur blanc, dans un PV comme : « elle affirme son intention de… » Et j’ai dû m’en expliquer devant le juge d’instruction… Je lui ai rappelé le contexte – c’était pendant le premier confinement, strict et hyper-répressif, dans mon envolée j’ai aussi balancé des trucs contre les drones qui étaient utilisés à ce moment là, etc… Et bref, peut-être que monsieur le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut ne sait pas ce que c’est d’avoir du mal à boucler ses fins de mois, mais je pense que ça parle à plein de gens l’importance de pouvoir déposer un chèque !Et évidemment qu’à l’oral, on comprend la tonalité des propos, mais écrit noir sur blanc, sorti de nulle part et sans contexte, ça participe à renforcer un imaginaire complètement déconnecté de la réalité. C’est un des trucs que j’ai rappelé au juge sur cette citation-là : que même l’enquêteur chargé de retranscrire la conversation avait noté « rires » entre parenthèses à côté de mes propos…Une autre anecdote que je pourrais citer qui est significative de la tournure d’esprit de la DGSI : sur l’une de mes interceptions téléphoniques, il y a une conversation retranscrite où il est écrit que je partirais avec une « shot team  », comme équipe de tir en anglais. Quand j’ai lu ça ça m’a fait beaucoup rire… Shot team ne fait vraiment pas parti de mon vocabulaire, par contre j’utilise beaucoup l’expression « chouette team », comme ce week-end là où j’étais probablement contente de partir avec des copines ! Voilà comment des éléments se trouvent retranscrits à charge dans une procédure judiciaire. Bon, là-dessus leur mauvaise fois est tellement évidente qu’ils n’ont même pas osé m’interroger dessus. Mais ça reste dans le dossier.Ce sont ce types de conversations ou de discours sur le rôle de l’État, de l’armée ou de la police en France qui viennent alimenter et construire cette idée de vouloir s’en prendre aux forces de l’ordre ou aux institutions. Et ce qu’il faut bien comprendre, c’est que comme dans notre histoire, il n’y a pas de faits matériels, les moindres propos relevés font office de preuve et deviennent presque un élément matériel à charge. Un dossier de ce type, ce sont des milliers de pages de documents, de retranscriptions d’écoute ou de filatures, et des mots posés sur vous pour vous décrire : « camp d’entraînement », « leader », « groupe », « artificier », « guérilla », « armes »… Il y a un côté performatif du discours, basé sur les répétitions.L’arsenal juridique s’est largement renforcé ces dernières années avec la mise en place des nouvelles lois antiterroristes. Tout ce qui se fait au nom de la « lutte contre le terrorisme » a été trop peu questionné. Même si pas mal de juristes, chercheurs ou assos dénoncent et s’alarment de la tournure que prennent les choses ils n’ont que peu d’échos, et se bornent à un argumentaire sur « l’État de droit ». Tout ça nous amène à vivre cette histoire dans un contexte politique et judiciaire bien plus hostile qu’à l’époque des affaires de Tarnac et de la dépanneuse, ce qui se traduit par exemple par une grande difficulté à faire relayer nos paroles.

Lorsque nous avons appris vos arrestations et les raisons invoquées par la DGSI, nous nous sommes rapidement souvenus d’un article hallucinant et halluciné, publié un an plus tôt par nos confrères de Mediapart. Il était intitulé « Ces revenants du Rojava qui inquiètent les services de renseignement ». Reprise grossière d’un rapport de la DGSI, sans nuance et surtout sans contradiction, l’opération policière était tellement vulgaire que nous nous étions fait quelques soucis quant à l’opportunité d’une telle reprise.. Et cela d’autant plus que l’année précédente, cela avait été débattu autour du cas d’André Hébert, revenu lui aussi du Rojava. À son retour, la police avait confisqué son passeport administrativement, sans passer par un juge, pour lui interdire de quitter le territoire. Ses avocats avaient contesté cette décision administrative et la justice avait établi que le fait d’être allé rejoindre la lutte au Rojava ne pouvait être considéré comme une menace, puisque l’armée française elle-même avait appuyé les forces sur place contre Daech.
L’article de Mediapart montre qu’à ce moment là, la DGSI fait le forcing pour faire changer le point de vue général quant aux personnes parties combattre aux côté des Kurdes. Les termes de l’article étaient effarants, dès le titre il est question des « revenants » du Rojava, évidemment pour évoquer les « revenants » djihadistes de Syrie et imposer une symétrie. Un an après, ce récit-là, cette fiction-là, elle prend corps dans votre affaire. Vos arrestations arrivent dans ce contexte-là. Est-ce que tu peux nous dire quelle place tient ce voyage au Rojava dans le dossier ?

 

Cet article n’est d’ailleurs pas le seul de Matthieu Suc qui soit scandaleux. La DGSI semble avoir trouvé son porte-voix hebdomadaire dans Mediapart, alors que nos communiqués sont considérés comme « sans intérêt journalistique » depuis plus d’un an. Oui la place du Rojava dans ce dossier est vraiment centrale. C’est ce qui le construit et ce qui a permis de le judiciariser. Le rapport de la DGSI qui ouvre l’enquête judiciaire officielle en février 2020 présente en effet cet ami ayant combattu au Rojava comme un potentiel leader cherchant à constituer un groupe pour importer la guérilla et partager des compétences militaires apprises sur place. Et c’est sous ce prisme là que tous nos faits, gestes et paroles ont été retenus. Dans nos interrogatoires de garde à vue puis dans nos auditions avec le juge, on a tous et toutes eu énormément de questions à propos de ce voyage auquel on n’a pas participé. À chaque fois, les enquêteurs ou le juge se défendaient pourtant de criminaliser la lutte qui s’y était tenue ou le simple fait d’y être allé. Ils essayent de manier le sujet avec des pincettes alors même que c’est la pierre angulaire de cette construction. Quand on cherche par exemple à te prouver un lien de cause à effet inéluctable entre s’être rendu au Rojava et une transmission de savoirs militaires dans des parties d’airsoft entre amis, t’as envie de répondre : comme s’il y avait besoin d’avoir été combattre où quoi que ce soit pour faire de l’airsoft ! Et par ailleurs, plusieurs des personnes ayant participé à cette partie d’airsoft ont été auditionnées mais ne sont pas mises en examen, ce qui prouve bien à quel point cette accusation vise plutôt des opinions et des engagements politiques sans rapport réel avec la gravité supposée des éléments qui nous seraient reprochés.Mais pour moi ça n’a rien de très surprenant si l’on considère un peu plus attentivement les enjeux géopolitiques de l’antiterrorisme français. La France mène toutes ses principales guerres au nom de l’antiterrorisme et à un moment donné, pour les valider dans l’opinion publique, il faut bien en faire un peu la pub. Dans ce contexte de participation de la France à la lutte contre Daech, les volontaires étaient donc plutôt « bien vus » ou tolérés. Mais ce n’était pas un soutien à la population kurde dans sa recherche d’émancipation et maintenant que la participation de la France dans la lutte contre Daech en Syrie n’est plus d’actualité, d’autres négociations stratégiques avec la Turquie prennent le dessus. C’est d’ailleurs ce que dénonçaient des militants internationalistes de Marseille suite à la vague d’arrestations de personnes kurdes par l’antiterrorisme le 23 mars dernier. C’est aussi exactement le sujet d’une affiche que j’avais dans ma chambre, faisant partie des rares choses saisies lors de la perquisition. C’est une affiche qui s’intitule Defend Afrin / Defend Kobane et qui met en scène la différence frappante des réactions internationales au moment de ces deux batailles. Un soutien massif pour l’une, une indifférence totale pour l’autre… La criminalisation des luttes kurdes n’est pas nouvelle et l’épisode de la lutte contre Daech a plutôt fait office de parenthèse dans une vieille tradition de répression en Europe.Pourtant c’est quand même impressionnant comment ce retournement dans le discours réussi à éclipser le fait que c’est bien pour répondre à un appel international à protéger la paix au Rojava que plusieurs dizaines de volontaires à travers toute l’Europe se sont rendus sur place à partir de 2014. C’est bien pour défendre un projet écologique, féministe et communaliste (ou tout simplement lutter contre Daech), que ces volontaires y sont allés.

Pour revenir à ce que tu disais tout à l’heure, dans cette affaire comme dans les affaires pour association de malfaiteurs terroristes en général, il y a très peu de cœur mais plein de petits détails périphériques. Comment on fait pour se défendre de mille petits détails absurdes, mais qui sont quand même mille ? Est-ce que tu as l’impression d’être en mesure de te défendre, quand tu es face au juge d’instruction ?

Ça demande beaucoup, beaucoup d’énergie. Le côté « discours performatif » qui fait exister ce qui est énoncé, est prépondérant. À force de répétition, ça ancre une certaine réalité dans la tête des magistrats qui vont lire le dossier et qui nous jugeront.Ça demande vraiment une vigilance de tous les instants et une concentration extrême d’être capable de rebondir sur chaque mot décontextualisé, manipulé. Sachant qu’on nous interroge principalement sur des écoutes. Évidemment que ça va être variable en fonction de ton caractère, ta facilité ou pas à t’exprimer à l’oral. C’est assez compliqué d’y faire face quand tu n’as pas les bons mots au bon moment, quand la moindre hésitation ou contradiction est épiée pour en faire une preuve de culpabilité.En ce qui me concerne, il y a aussi la particularité d’être la seule femme inculpée, en plus en relation avec l’une des personnes arrêtées. C’est un statut qui va tendre à discréditer ma parole, j’ai dû batailler pour qu’elle soit entendue.Et puis évidemment que les conditions dans lesquelles tu arrives à une audition jouent beaucoup. Quand tu arrives devant le juge après plusieurs mois de prison en ayant été menottée et trimbalée toute la journée, tu es déjà épuisée.Il y a aussi l’accès au dossier qui rentre en compte. Moi je n’ai pu avoir accès au dossier qu’au bout de 5 mois, une fois sortie et en ayant déjà passé toutes mes auditions. Et encore après avoir bataillé ! Je ne l’ai obtenu qu’après avoir fait appel du refus des juges d’instruction… Mais du coup des fois ça donne des scènes un peu aberrantes où le juge te demande de t’expliquer sur des propos dont tu n’as jamais eu connaissances, de gens que tu ne connais pas, sans aucun contexte. Que veux tu répondre ?J’ai parfois eu l’impression de réussir à dire ce que j’avais à dire en audition mais au fil des mois, tu te rends compte que tes paroles ne sont jamais prises en considération et par rapport aux centaines de documents officiels qui répètent le même scénario écrit sur toi, elles restent une goutte d’eau dans l’océan. Ça semble vraiment compliqué de rétablir ne serait-ce qu’un vague équilibre. C’est pour ça que j’ai récemment décidé d’écrire une lettre ouverte aux juges d’instruction chargés de notre dossier.

Qu’est-ce que ça fait d’être considérée comme terroriste ?

(Rires) Ça ne change pas grand-chose parce que moi, je ne me considère pas comme ça et mes proches non plus ! Mais ce qui change c’est d’être toujours sous la pression de l’instruction qui continue. Il y a une commission rogatoire en cours qui ouvre la possibilité d’écoutes téléphoniques, de filatures, et de surveillance numérique sur nous et nos proches. C’est une pression constante sur nous et nos entourages. Il y a eu au moins une vingtaine de convocations de nos proches à la DGSI. Il y a aussi eu deux nouvelles arrestations à la suite des nôtres en janvier 2021, puis une autre avec perquisition, en septembre 2021. Les personnes ont été relâchées sans suite.Et quand on sort de prison, il ne faut pas se dire que c’est un retour à la normale… Mais ce sont des choses qu’il faut arriver à mettre un peu de côté, la possibilité d’être toujours suivie, écoutée, surveillée, sinon ça tétanise. Et puis on n’a pas de perspective de fin, pas de possibilité de se projeter dans l’avenir.

En général, un témoin c’est une personne qui détient des informations quant à un délit ou un crime. Là, les témoins ce sont des gens de vos familles. On leur a demandé de témoigner de quoi, à vos proches ? De votre culpabilité ?

Les interrogatoires des proches, c’étaient beaucoup de question politiques, concernant nos opinions supposées mais aussi posées directement aux personnes. Dans presque toutes les auditions, les gens se sont farci les questions : « Que pensez-vous de la politique d’Emmanuel Macron ? Que pensez-vous de la politique d’Erdogan ? », etc. Et les black-blocs, les Gilets jaunes, les anti-GAFAM… Des questions sur nos personnalités, nos fréquentations, notre enfance…Il y a plusieurs auditions qui se sont assez mal passées. Par exemple, pour ma mère, ils l’ont menacé à demi-mots de la placer en garde-à-vue, pour lui mettre la pression. Ils usaient de méthodes pour détourner tous ses propos, elle avait l’impression d’être Mowgli qui se fait embobiner par le serpent Kaa. Ils jouent sur vos failles. Par exemple, mon frère a étudié pendant un an en Colombie, ils lui ont fait des remarques du genre, « ah bon… et la drogue ? ». Bref, tous les clichés sont bons dans leur tête.Il y a donc plusieurs proches de mis en examen qui ont décidé d’adresser un courrier commun au juge d’instruction pour signifier qu’il et elles refusaient de répondre aux convocations.

Pour conclure, peux-tu nous dire où en est l’affaire aujourd’hui ?

Récemment, il y a eu une étape où on a été plusieurs a déposer des requêtes en nullité, pour tout ce qui est vices de procédure dans l’enquête, qui ont toutes été refusées par la chambre de l’instruction, qui s’est permis d’affirmer encore plus d’accusations que ne l’a fait la DGSI, hallucinant ! Avec le pourvoi en cassation, ça va prendre encore des mois. Les nullités touchent tous les premiers actes de l’enquête, ce sont donc des questions importantes pour nous, parce que tout repose là-dessus et si on gagne, il n’y a plus d’enquête. Mais aussi plus largement, parce que la question posée c’est : « Est-ce que tout est permis à la DGSI ? ». Apparemment, la chambre de l’instruction a considéré que oui. Mais on continuera à se battre la-dessus, parce que cette question, comme beaucoup d’autres dans ce dossier, ne nous concerne pas seulement et pourra être soulevée dans d’autres affaires.

« POURQUOI JE FAIS LA GRÈVE DE LA FAIM » – Libre Flot

Translations in other languages on Solidaritytodecembre8.

 

Cela fait plus de 14 mois que la DGSI m’a expliqué que je n’étais pas arrêté pour ce qu’elle voulait me faire croire, à savoir mon engagement auprès des forces kurdes contre Daech au Rojava.

Cela fait plus de 14 mois que rien ne valide la thèse élaborée de toutes pièces par la DGSI alors même que pendant au moins 10 mois j’ai été suivi, tracé, sous écoute 24 heures sur 24 dans mon véhicule, mon lieu de vie, espionné jusque dans mon lit.

Cela fait plus de 14 mois que je comprends que ce sont mes opinions politiques et ma participation aux forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech qu’on essaie de criminaliser.

Cela fait plus de 14 mois qu’on reproche une association de malfaiteurs à 7 personnes qui ne se connaissent pas toutes les unes les autres.

Cela fait plus de 14 mois à répondre aux questions d’un juge d’instruction utilisant les mêmes techniques tortueuses que la DGSI : la manipulation, la décontextualisation, l’omission et l’invention de propos et de faits afin de tenter d’influencer les réponses.

Cela fait plus de 14 mois que je subis les provocations de ce même juge d’instruction qui, alors que je croupis dans les geôles de la République, se permet de me dire que cette affaire lui fait perdre son temps dans la lutte contre le terrorisme. Pire encore, il se permet la plus inacceptable des insultes en se référant aux barbares de l’État islamique comme étant mes« amis de chez Daech ». Bien que verbal, cela reste un acte inouï de violence. C’est inadmissible que ce juge s’octroie le droit de m’injurier au plus haut point, tente de me salir, et crache ainsi sur la mémoire de mes amis et camarades kurdes, arabes, assyrien.ne.s, turkmènes, arménien.ne.s, turc.que.s et internationaux.les tombé.es dans la lutte contre cette organisation. J’en reste encore aujourd’hui scandalisé.

Cela fait plus de 14 mois d’une instruction partiale où contrairement à son rôle le juge d’instruction instruit uniquement à charge et jamais à décharge. Il ne prend pas en considération ce qui sort du scénario préétabli et ne sert qu’à valider une personnalité factice façonnée de A à Z par la DGSI, qui loin de me représenter ne reflète que les fantasmes paranoïaques de cette police politique. Ainsi, je suis sans cesse présenté comme « leader charismatique » alors même que tout mode de fonctionnement non horizontal est contraire à mes valeurs égalitaires.

Cela fait plus de 14 mois que sans jugement on m’impose la détention dite provisoire que je subis dans les plus terribles conditions possibles : le régime d’isolement (voir les lettres de mars 2021 et juin 2021) considéré comme de la « torture blanche » et un traitement inhumain ou dégradant par plusieurs instances des droits humains.

Cela fait plus de 14 mois que je suis enterré vivant dans une solitude infernale et permanente sans avoir personne à qui parler, à juste pouvoir contempler le délabrement de mes capacités intellectuelles et la dégradation de mon état physique et ce, sans avoir accès à un suivi psychologique.

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Après avoir sous des airs faussement neutres fourni à l’administration pénitentiaire des arguments fallacieux pour s’assurer de mon maintien à l’isolement, le juge d’instruction demande le rejet de ma demande de mise en liberté, tout comme le parquet national antiterroriste. Pour ce faire, ils reprennent presque en copier / coller le rapport de la DGSI du 7 février 2020, base de toute cette affaire dont nous ne savons pas d’où viennent les informations et dont la véracité n’a pas été démontrée. On est en droit de se demander à quoi ont servi les écoutes, les surveillances, les sonorisations et ces deux ans d’enquête judiciaire et d’instruction puisque sont occultés les faits qui démontrent la construction mensongère de la DGSI.

Le parquet national antiterroriste et le juge d’instruction n’ont de cesse d’essayer d’instiller la confusion et de créer l’amalgame avec des terroristes islamistes alors même qu’ils savent pertinemment que j’ai combattu contre l’État islamique, notamment lors de la libération de Raqqa, où avaient été planifiés les attentats du 13 novembre.

Le juge d’instruction prétend craindre que j’informerais des personnes imaginaires de ma situation alors que celle-ci est publique notamment parce que la DGSI ou le PNAT eux-mêmes ont fait fuiter l’information dès le premier jour. Il prétend ainsi empêcher toute pression sur les témoins, les victimes et leurs familles alors même qu’il n’y a ni témoin, ni victime puisqu’il n’y a aucun acte. C’est ubuesque. Est aussi évoquée sa crainte d’une concertation entre coinculpé.es et complices même si toutes et tous les coinculpé.es ont été mis.es en liberté, qu’il n’a plus interrogé personne d’autre que moi depuis octobre 2021, et que j’ai attendu patiemment qu’il ait fini de m’interroger pour déposer cette demande de mise en liberté.

Il aurait pu être comique dans d’autres circonstances de constater l’utilisation à charge de faits anodins comme : jouir de mon droit à circuler librement en France et en Europe, de mon mode de vie, de mes opinions politiques, de mes pratiques sportives, de mes goûts pour le rap engagé ou les musiques kurdes.

Le juge d’instruction s’en prend à ma mère en la désignant comme n’étant pas une garantie valable pour la simple raison qu’elle n’a pas empêché son fils âgé de 33 ans à l’époque de rejoindre les forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech. Encore une fois, c’est ma participation dans ce conflit qu’on criminalise. Il lui reproche également l’utilisation d’applications cryptées (WhatsApp, Signal, Télégram…) comme le font des millions de personnes en France. Enfin, il dénigre tout d’un bloc toutes les autres options de garanties (travail, hébergement…) sans rien avoir à leur reprocher alors même que les personnels du SPIP dont c’est le métier ont rendu un avis favorable.

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Comment alors comprendre qu’après avoir ordonné ces enquêtes de faisabilité signifiant la possibilité de me remettre en liberté avec bracelet électronique, le juge des libertés et de la détention malgré le rendu refuse ensuite de la mettre en place ? Nous sommes nombreux et nombreuses à constater que dans toute cette affaire la « justice » viole ses propres lois et est soumise à l’agenda politique de la DGSI.

J’ai récemment appris de la bouche même du directeur des détentions de la maison d’arrêt des Yvelines (Bois d’Arcy), que je remercie pour sa franchise, que mon placement et mon maintien à l’isolement étaient décidés depuis le premier jour par des personnes très haut placées et que quoi je dise ou que lui-même dise ou fasse, rien n’y ferait, que cela le dépasse, le dossier ne sera même pas lu et je resterai au quartier d’isolement et que de toute façon rien ne pourrait changer avant les élections présidentielles.

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Puisque l’on cherche à criminaliser les militants et militantes ayant lutté avec les Kurdes contre Daech,

Puisque l’on utilise la détention soi-disant provisoire dans le but de punir des opinions politiques,

Puisque cette histoire n’existe qu’à des fins de manipulation politique,

Puisqu’aujourd’hui on ne me laisse comme perspective que la lente destruction de mon être,

Je me déclare en grève de la faim depuis le dimanche 27 février 2022 à 18 heures, je ne réclame à l’heure actuelle que ma mise en liberté en attendant de démontrer le côté calomnieux de cette honteuse accusation.

Libre Flot.

Lettre ouverte à l’intention du juge Jean-Marc Herbaut, chargé d’instruction et co-juges Nathalie Malet et Emmanuelle Robinson

La dernière personne incarcérée dans l’affaire du 8 décembre vient de se voir refuser une nouvelle fois sa remise en liberté. Elle est donc maintenue, et ce depuis plus d’un an, sous le régime de l’isolement. On rappelle que ce qui lui est principalement reproché, en dehors des fantasmes de la DGSI, est d’être aller soutenir l’expérience d’autodétermination du Rojava et lutter contre l’Etat islamique à Raqqa. Ce nouvel entêtement de la justice à valider les délires des services de renseignement – et à pourrir la vie des 7 personnes inculpées dans l’affaire – a motivé la rédaction d’une lettre ouverte aux juges d’instruction en charge de l’affaire par l’une des mises en cause.

 

Mesdames, Monsieur,

Je vous écris car cela fait maintenant plus d’un an depuis nos arrestations que nos familles et amis subissent le poids de votre instruction. Cela fait maintenant plus d’un an que vous nous maintenez tétanisés par le poids de votre incrimination. Cela fait plus d’un an et pourtant il semble si difficile de faire entendre nos voix dans ce dossier.

En effet, si pendant nos interrogatoires et auditions nous avons tenté de remettre un peu de vérité et d’humanité dans le récit qui s’était construit sur nous à notre insu pendant les 10 longs mois de votre enquête préliminaire, force est de constater que peu importe nos dires ce sont toujours les mêmes mots qui seront in fine utilisés et inlassablement répétés : individus « déterminés », « fanatisés » – mots qui ne représentent que des jugements de valeur de votre part -, « groupe » alors que nous ne nous connaissons pas tous.tes et que l’enquête l’a prouvé, « leader » pour l’ami commun à toutes ces personnes que vous avez inculpées, « projet » ou encore « action violente » sans jamais être capable de nous les nommer ou de nous les définir, « armes » pour parler de répliques d’airsoft, etc. La liste serait trop longue pour être ici continuée, mais illustre parfaitement que votre prétendue enquête n’est fondée que sur la fiction performative que vous ainsi que la DGSI tentez de distiller.
Je ne peux alors que m’interroger sur la visée répressive de cette affaire car la « matérialité » de nos prétendues intentions ne semble reposer que sur des propos retenus lors de discussions anodines entre ami.es (ce qui à mon sens constitue une grave atteinte à la liberté d’expression) ou encore sur nos opinions politiques (ce qui cette fois porte une grave atteinte à la liberté d’opinion). Comment ne pas s’étonner du nombre significatif de questions politiques posées à nos entourages et nous-même ? En quoi ce que nous ou nos proches pouvons penser de la politique actuelle du président Macron peut bien intéresser votre enquête ? Et pourquoi des questions sur le fait que nous votions et si oui pour qui ? Mais pourtant tout y passe, du mouvement gilet jaune aux mouvements de dénonciation des violences policières. De l’écologie au survivalisme. Des anti-GAFAM à toute application ayant pour objectif de protéger ses données et sa vie privée. De l’antifascisme à l’anarchisme.
Non, le simple fait que nos considérations sur ce qui fait obstacle à l’émergence d’une société plus libre et équitable vous déplaise ne fait pas de nous des terroristes et je m’oppose à l’instrumentation du terrorisme à des fins de répression quelles qu’elles soient. Et alors même que vous semblez adepte de termes forts quand il s’agit de nous définir, cela ne vous gêne pourtant pas d’euphémiser et de cautionner la torture blanche qui se cache derrière le sobre mot d’ « isolement ».

Monsieur le juge, dans un long courrier que vous a adressé la dernière personne que vous maintenez en détention, il est fait mention d’une de vos déclarations selon laquelle nous vous ferions perdre votre temps dans la tâche qui serait la vôtre, c’est-à-dire lutter contre le terrorisme. On pourrait alors raisonnablement penser que, si vous avez le sentiment que cette affaire vous fait perdre votre temps, peut être n’a-t-elle simplement rien à faire entre vos mains ni même de raison d’être. Ainsi est-il peut être grand temps, monsieur le juge, de nous libérer du poids de votre enquête, car à nous, c’est bien notre vie qu’elle fait perdre.

Camille,
L’une des inculpé.es