Lettre Ouverte au juge d’instruction Jean-Marc Herbaut

Tribunal de Paris

Depuis le « coup de filet dans l’ultra gauche » du 8 décembre 2020, la vie de sept personnes a été mise en suspens sur de simples présomptions d’intention. La justice maintient toujours trois d’entre elleux derrière les barreaux, violant gravement le principe de la présomption d’innocence.

Alors que d’année en année les répressions judiciaire et carcérale deviennent en France toujours plus étouffantes, l’administration pénitentiaire maintient depuis près de neuf mois l’un d’entre elleux à l’isolement, allant impunément à l’encontre des nombreux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur la question.

Depuis le 8 décembre 2020, les proches des inculpé.e.s vivent dans la peur et la pression constantes dues à l’instruction en cours. La peur d’entrer en contact et de se soutenir mutuellement. L’angoisse de savoir son enfant ou ami enfermé dans 9m² de béton insalubre. La pression omniprésente et constante de la surveillance.

Durant l’été le juge d’instruction a ordonné des commissions rogatoires laissant à la DGSI la possibilité de poursuivre son harcèlement envers les proches des inculpé.e.s. En théorie, tous les moyens sont permis.

Le contenu même des interrogatoires, portant d’avantage sur les opinions et activités politiques des personnes auditionnées et leur avis sur la politique actuelle du gouvernement, est complètement hors de propos dans le cadre d’une enquête pénale et amène à penser que la DGSI est en réalité une police politique, plus qu’un service d’enquête pénale.

Après avoir enduré ces auditions humiliantes et traumatisantes, des membres de leurs familles et ami.e.s ont décidé collectivement de refuser d’y participer, s’exposant au risque d’une amende d’un montant de 3750 euros.

Voici la lettre qui a été adressée au juge pour expliquer cette décision.

Un grand nombre de personnes ont été contactées par la DGSI afin d’être auditionné, il est possible que d’autres personnes le soient, nous seront nombreux-ses à envoyer cette lettre comme réponse commune à cet harcèlement et nous vous invitons à le faire si vous êtes contacté dans le cadre de cette enquête ainsi qu’à vous rapprocher des comités de soutien si besoin.

A l’attention du Juge Jean-Marc Herbaut,

Nous, Familles et Ami.es des Inculpé.es du 8 Décembre, déclarons par la présente notre refus de nous soumettre aux auditions de la DGSI.

Nous sommes convaincu.es que la façon de procéder de la DGSI n’est pas de nature à vous apporter les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité, mais plutôt à valider un scénario pré-écrit depuis des années.

Par cette lettre, nous attestons que notre refus est définitif, au vu des méthodes malhonnêtes de la DGSI auxquelles plusieurs d’entre-nous ont déjà eu à faire face.

Depuis plus de huit mois, nous vivons sous le poids constant de votre instruction, dont la longueur se traduit par un grand nombre de violences sur les mis.es en examen et sur nous-mêmes, et fait perdurer l’acharnement carcéral sur nos proches toujours détenus. Les commissions rogatoires que vous avez récemment ordonnées représentent pour nous un énième anéantissement de nos vies privées.

Vous avez depuis le début de l’enquête mis en place des dispositifs de surveillance intrusifs, violant pendant plusieurs mois l’intimité de nos familles, de nos cercles d’ami.es et de nos couples, menant à l’écoute de nos moindres discussions, jusque dans nos foyers et nos véhicules.

Nous refusons que le moindre détail de nos vies soit disséqué une fois encore par la DGSI, d’autant moins si cela est fait dans le but d’alimenter une construction policière et de justifier la criminalisation de nos enfants, ami.es, frères et soeurs.

Vous qualifiez nos proches de « terroristes », ayant l’intention de fomenter un projet violent; la seule violence que nous percevons dans cette affaire est le sort qui leur est réservé.

Depuis le départ, la DGSI a fait preuve d’une forme de partialité qu’elle n’a cessé de démonter depuis, usant d’interprétations subjectives et mensongères, basées sur les maigres éléments qu’elle avait en sa possession, pour criminaliser les inculpé.es.

Elle a par la suite mené des perquisitions violentes, humiliantes et traumatisantes, impactant les personnes les ayant vécues, ainsi que celles ayant peur de les vivre. Elle a procédé à des menaces d’agression sexuele pour prélever de l’ADN lors de la garde à vue.

La DGSI a également profité de notre ignorance du Droit pour effectuer des « auditions libres » sous la menace – notamment de gardes à vue -, proférant des insinuations déplacées, manipulant nos propos et omettant toutes les nuances apportées qui venaient un tant soit peu décrédibiliser leur scénario.

Nous supposons que votre démarche est de faire émerger de ces entretiens un aperçu le plus exhaustif possible de la situation de chacun.e. Néanmoins, au vu de leurs méthodes, il nous est impossible en tant que parents, ami.es, frères et soeurs, des inculpé.e.s du 8 décembre 2020, de nous soumettre à des auditions auprès des services de la DGSI.

Convaincu.es que leur place n’est pas derrière les barreaux, nous demandons la libération sans délai des trois personnes toujours incarcérées.

Les Familles et Ami.es des Inculpé.es du 8 Décembre

[L’Envolée] Libre Flot: Lettre du QI de Bois d’Arcy

L’un des inculpé.es, en Quartier d’Isolement depuis le 11/12/20, nous a transmis cette lettre dans laquelle il parle de ses conditions d’incarcération. A écouter dans l’émission de l’Envolée du 7 mai 2021.

Pour moi qui ai vécu la majeure partie de ma vie de manière collective, j’avais pourtant récemment accepté les bienfaits de courtes périodes de solitude. En disant cela, j’ai comme un arrière-goût âpre dans la bouche tant mes semblables me manquent. Ce sentiment n’est pourtant pas justifié mais provient de l’amalgame dont, dans ce contexte, j’ai du mal à me séparer, entre solitude et régime d’isolement. Il m’est pourtant simple de constater que l’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation.

L’être humain étant un animal grégaire, le lien social est pour lui-elle un besoin vital. L’isolement s’apparente donc à de la torture. Non pas une torture physique existant par un fait ou un acte, mais une torture plus pernicieuse, invisible, permanente existant par cette absence continue. Les seules personnes que l’on entrecroise brièvement, avec qui on se dit réciproquement des « bonjour », des « tenez », des « merci » sont les surveillant.es. Tout est dans l’énoncé ! Aussi cordiales, polies et arrangeantes que peuvent être ces personnes (ce qui n’est pas forcément le cas partout et tout le temps), les surveillant.es, comme le nom l’indique, ne sont pas nos pair.es, ielles sont nos preneur.euses d’otage dont les seules revendications sont vénales (les salaires). S’attacher à cet ersatz de rapports sociaux, que je ne puis et ne veux me résigner à abandonner, soit dit en passant, se rapproche plus du syndrome de Stockholm qu’autre chose.

Contrairement aux responsables de ma présence ici (DGSI, juge d’instruction, juge des liberté) qui ne voient que l’ennemi fantasmé qu’ils montent de toutes pièces, je ne peux m’empêcher de voir la femme ou l’homme derrière le statut, derrière le ou la maton.ne. Je ne suis pas manichéen et, sans vouloir excuser leur rôle dans la mécanique répressive, je ne puis, une fois encore, m’empêcher d' »empathiser ». Je me demande quelles sont leurs parcours de vie, ce qui les a amené.es là, à maintenir des êtres vivants enfermés. Je regarde aussi bien le maillon que la chaîne dans laquelle il s’est lui-même imbriqué. Soumise aux mêmes logiques capitalistes de rentabilité économique que la société, l’administration pénitentiaire tire sur la chaîne, augmentant ainsi la pression exercée sur chacun de ses maillons. Cependant, je ne m’abuse pas moi-même à la façon d’un prestidigitateur me faisant regarder à gauche quand ça se passe à droite. En écoutant le maillon se plaindre, je n’en oublie pas pour autant que c’est autour du cou des enfermé.es que la chaîne se tend.

En isolement, ne pouvant sortir de sa cellule qu’accompagné par un gradé et un.e ou deux surveillant.es, on se sent tel un chien dans un chenil, en totale dépendance de la disponibilité de ses gardien.nes. Par conséquent les créneaux horaires de nos rares sorties doivent s’adapter malgré nous, selon les flux plus ou moins tendus de leur planning. Cela nous impose à être toujours prêt.es, sur le qui-vive ou au contraire être prêt.es pour rien et attendre sans rien pouvoir faire. Il est très courant de poireauter à la douche avant de pouvoir regagner sa cellule, parfois plus d’une demi-heure et, au moins une fois, cinquante minutes.

Quant à l’espace anxiogène qu’est la promenade individuelle, boite bétonnée où les 20m2 trouant le béton au-dessus de nos têtes sont recouverts de multiples grilles et barbelés, le temps y est long, lorsqu’il grêle et qu’après l’heure autorisée et suffisante, il nous est impossible d’appeler les surveillant.es et que nous attendons sans savoir quand nous pourrons regagner le chauffage de notre cellule. A se demander si ce n’est pas pour nous décourager d’y retourner et de rester dans nos cellules, limitant ainsi le travail des surveillant.es.

Au contraire, il y a de la frustration et des créneaux raccourcis. Lorsque, par exemple, la session d’une demi-heure de sport est amputée de 5 minutes, juste avant le sprint final. Cela peut paraître anodin, mais pour qui ce sprint est l’apothéose, l’exaltation ultime du seul et unique mouvement, de la seule et unique dépense physique de la journée, cette privation a le goût malheureux du pain ôté de la bouche.

Avec le retour du soleil, il y a plus de monde qui sort lors des promenades. Les vraies promenades, dans les cours où les gens ne sont pas seul.es. Je les observe. Eux ne peuvent pas me voir à cause de la quadruple dose de barreaux et de caillebotis de ma fenêtre. Ils font du sport collectivement en petits groupes. Je les envie, ils sont vivants, ils PARLENT, ils CRIENT, ils RIENT, ils se motivent les uns les autres, bref, eux ils existent. Je pense que nous construisons notre vision de soi par ce que nous renvoient les autres, mais comment exister quand il n’y a pas d’autres ? Quand les autres ne nous voient même pas ? L’isolement aurait-il pour but l’annihilation de soi ? Avant même d’être jugé, je devrais cesser d’exister ? Et comment répondre à un juge quand on m’extrait et, comme tout juste accouché du néant, on me presse dans un dédale de questions s’apparentant à d’innombrables chausse-trappes ?

On pourrait se dire que ça va quoi, qu’il y a les parloirs, oui c’est vrai, encore heureux. Ces brefs répis permettent de voir des visages familiers et bienveillants et apportent une bouffée d’air frais. Mais les parloirs sont très courts, une demi-heure. Je ne peux qu’imaginer l’impact psychologique sur mes proches, venant de l’extérieur, passant sas, fouilles, verrous, attentes, etc… Pour finalement se retrouver en face de moi dans une micro boite, séparé.es les un.es des autres par un plexiglas. De mon côté, je passe, sans transition, de la stase cérébrale léthargique au « contact » humain sans temps d’adaptation et de toute façon on n’a pas le temps ! TOP CHRONO! Tout est à la course, entre discussions techniques de l’administratif, des besoins matériels, des procédures, etc… On abrège nos sujets pour économiser le temps. N’ayant pas de vie, je n’ai rien à raconter mais je n’ai pas le temps de le faire ! On court dans tous les sens mais on ne va nulle part et déjà le parloir est fini. Je ne peux ressentir qu’une certaine frustration et imaginer celle de celleux qui ont fait le trajet aller-retour pour si peu. Celleux qui ont pris une journée complète, la moitié d’un week-end pour une demi-heure insatisfaisante.

Pour ce qui est des parloirs prolongés d’une heure, covid oblige, ils sont annulés pour cause sanitaire. Franchement, quel est le rapport ? Le covid a le dos le plus large que le monde ait connu. Depuis le 8 décembre, presque 3 mois, je ne parle plus, je n’ai personne à qui parler (bien sur il y a les parloirs). Du coup, la pensée ne se transformant pas en parole et donc ne recevant pas de retour, n’arrive pas à se moduler, à se matérialiser, elle devient insaisissable, comme un brouillard confus. C’est comme une grosse boîte de lego renversée mais qu’on ne sache plus comment on emboîte deux pièces. J’ai l’impression d’être abêti, comme en état de choc, la capacité de penser m’aurait été retirée.

Écrire ce texte me prend plus d’une semaine et de nombreux maux de tête. Non, le covid n’a pas la carrure pour cela, j’ai été testé négatif durant cette période, donc l’isolement en est bien la cause. L’on dit que le propre de l’homme (et de la femme) est le rire. Mais seul.e, sans contact humain, le rire est impossible, l’isolement nous retire le droit à notre humanité. Pour garantir son humanité, devrait-on rire seul.e? Serait-ce s’adapter à cette situation ? Mais rire seul.e, pour certaines personnes, cela s’apparente à la folie et la folie, pour d’autres, mérite l’enfermement. Devrait-on enfermer les gent.es pour les conséquences de leur enfermement ? Je sais que ce n’est pas une idée nouvelle, mais les gens décidant de l’enfermement, de l’isolement ou des situations de détention des personnes, qu’elles soient condamnées ou présumées innocentes,devraient savoir à quoi ça correspond concrètement. Un juge donnant une peine me fait l’impression d’un multimilliardaire discutant au sujet du prix du pain.

(Je n’ai pas le temps d’écrire sur l’impact des continuels contrôles par l’œilleton de la porte. Contrôles de jour, apportant un sentiment d’être constamment épié et, de nuit, avec allumage de lumière, qui favorisent un sommeil, ô combien, continu et réparateur…)

Libre Flot, en isolement à Bois d’Arcy

Quelques nouvelles des potes des arrestations du 8/12

Des infos sur les personnes arrêtées le 8 décembre 2020 lors de l’opération de police dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs terroriste. Trois sont toujours enfermées, deux ont été libérées sous contrôle judiciaire (CJ) le 23 avril et le contrôle judiciaire continue pour les deux autres inculpés. [Publié le 5 mai sur iaata.info.]

C’est difficile d’avoir des nouvelles directes et fraiches.

L’instruction est toujours en cours, nous partons donc du principe que tous les échanges avec les proches (parloirs, courriers, appels) sont scrutés par le juge d’instruction et la DGSI.

Trois des 7 personnes arrêtées le 8 décembre 2020 lors de l’opération de police dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs terroriste sont toujours enfermées, elles sont considérées par l’administration pénitentiaire comme DPS (Détenu.es Particulièrement Surveillé.es) et l’un d’entre eux est toujours à l’isolement depuis le début de son incarcération. Deux autres personnes ont été libérées sous contrôle judiciaire (CJ) le 23 avril suite à une demande de mise en liberté acceptée par le juge d’instruction, iels sont toujours poursuivi.es. Le contrôle judiciaire continue pour les 2 autres inculpés qui étaient ressortis en décembre après la GAV de 3 jours.

Des parloirs pour les proches et ami.es autres que les membres de la famille ont été débloqués récemment. Pour rappel, iels sont enfermé.es dans des taules différentes de la région parisienne, à des centaines de kilomètres de leurs ami.es et de leur famille pour la plupart d’entre elleux. Les parloirs ont été acceptés sans interrogatoire des personnes demandeuses, sauf pour les personnes classé.es temoins.

Les mis.es en examen sont régulièrement interrogé.es par le juge d’instruction, il y a eu deux sessions pour l’instant, en plus de celle de la première comparution du 11 décembre 2020. En dehors des 9 interpellé.es le 8/12, deux autres personnes ont été arrêtées le 8 février et ont passé 3 jours en GAV avant d’être relâchées à priori sans suites pour l’instant. Ces personnes ayant été arrêtées en lien avec cette affaire n’ont pas de statut clair non plus, iels ne sont ni témoin, ni témoins assisté.es, ni mis.es en examen… D’autres reçoivent des convocations à la DGSI en tant que témoins, conditionnant l’acceptation de leur demande de parloir à leur présentation à l’audition. Les stratégies choisies face au juge d’instruction et à la DGSI ne sont pas uniformes.

L’instruction est toujours en cours, le matériel informatique saisi est en train d’être analysé, les interrogatoires continuent. Ca laisse penser qu’on a encore plusieurs mois d’instruction devant nous et que le temps sera long avant qu’un procès ait lieu. Impossible de donner une idée de la fin de la détention provisoire de notre côté.

Le temps commence à être long pour les personnes en détention, chaque taule est un enfer différent. Les conditions particulièrement rudes liées aux mesures Covid, au statut de DPS et à l’isolement sont évidemment très dures à supporter.

L’isolement a été renouvelé de 3 mois par la direction de la taule pour celui que la DGSI désigne comme « le chef ». L’isolement, cela signifie qu’il ne peut pas être en contact avec d’autres détenus, il est donc seul en cellule et il est systématiquement accompagné d’un gradé et d’un maton quand on le sort de sa cellule. Les matons sont donc ses uniques interlocuteurices en dehors des parloirs. Il doit lui même effectuer les demandes de parloirs à l’administration, pour ne pas simplifier les choses.

Pour la plupart des détenu.es, les fouilles à nu sont systématiques à chaque contact avec l’extérieur (rdv médical, parloir,…) ainsi que des fouilles des cellules lors desquelles le personnel peut confisquer le matériel d’écriture et les courriers. Les conditions des DPS varient, c’est l’administration pénitentiaire de chaque établissement qui renouvelle et détermine quelles mesures doivent être appliquées. Les statuts DPS sont aussi renouvelés pour 3 mois.

Les personnes inculpé.es en contrôle judiciaire ont interdiction de communiquer avec les autres personnes ayant été mises en examen, ce qui n’est pas le cas des personnes incarceré.es. L’instruction met une pression telle sur elleux que ceux-ci ne s’autorisent pas à le faire, les liens d’amitié étant interpreté.es par les keufs et le juge d’instruction comme des relations d’influence et de subordination.

A l’extérieur nous avons peu d’infos sur ce dossier, sur les volontés des ami.es inculpé.es et sur les stratégies de défense. Le fait que les soutiens sont éloigné.es géographiquement, que certains parloirs d’amis sont possibles seulement depuis peu, la peur liée au fait que l’instruction est toujours en cours, limitent certaines dynamiques. On patauge mais on s’accroche, on continue de croire que la défense collective est celle qui est la plus pertinente et politiquement raccord avec les pensées et pratiques anti-autoritaires, mais il faut aussi prendre du temps pour la définir, l’expliquer et chercher des pistes pour l’appliquer dans cette situation. Le juge refuse de donner accès au dossier aux mis.es en examen, seul.es les avocat.es désigné.es et soumis.es au secret de l’instruction peuvent travailler dessus actuellement.

Le dossier est construit autour de la surveillance accrue par la dgsi de la personne partie combattre au Rojava il y a quelques années. Cette surveillance est systématique après leurs retours, d’après les nombreux témoignages des combattants internationalistes [1]. On repense évidemment à cet article de mediapart de septembre 2019 dans lequel la dgsi confiait ses inquiétudes sur les « revenants du Rojava » et préparait le terrain pour justifier leurs surveillances et les arrestations à venir. Le dossier est donc bourré de notes blanches, c’est à dire qu’on ne sait pas comment ont été obtenues et d’où viennent réellement les infos qui constituent une partie du dossier et sur lesquelles reposent les accusations.

Aujourd’hui grâce à cette instruction antiterroriste toutes les vannes sont ouvertes pour la dgsi et on imagine que la surveillance s’est donc élargie bien au delà de ces 7 personnes pour accentuer la pression sur les espaces où iels gravitaient, sur les personnes qui s’organisent et partagent des pratiques anti-autoritaires, pour celles et ceux que la dgsi désigne comme une menace à l’Etat. De notre coté on a malheureusement du mal à voir une quelconque menace contre l’État, ses taules, ses flics, sa justice…

A Toulouse le groupe de soutien s’est restreint aux proches des personnes inculpées et nous les soutenons tous.tes indistinctement. Un atelier d’écriture collective aux prisonnier.es est en place dans le squat où 2 d’entre elleux ont été arrêtés.

On s’est tourné vers les caisses antirep comme kalimero et la CAJ pour pouvoir assurer un soutien financier avec les proches et pour les mandats et colis. On invite les collectifs et les personnes solidaires à prendre contact avec ces caisses antirep.

Vous pouvez entrer en contact avec l’équipe toulousaine à l’adresse mail suivante ou en venant nous voir : laisseznousdanser(at)riseup(point)net

Nous ne répondrons pas aux sollicitations de journalistes et ne communiquerons pas par mail plus d’informations concernant l’affaire et les inculpé.es que celles que nous transmettons dans ce texte.

C’est toujours préférable de sécuriser les échanges, on vous joint donc notre clé pgp et vous encourage à l’utiliser :

[France Bleu] Une opération antiterroriste au pays basque visant l’ultragauche fait pschitt à Ustaritz

L’opération menée le 8 février dernier par les policiers du Raid et les hommes de la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, a tourné court à Ustaritz. Une quinzaine d’agents cagoulés ont pénétré au petit matin chez une étudiante.

L’événement aurait pu passer inaperçu. Marianne n’en revient toujours pas.  Des agents du RAID et de la DGSI cagoulés et armés ont fait irruption chez elle au petit matin. Elle ne comprend pas de suite ce qui se passe. « J’étais dans mon lit en fait, je dormais profondément et la première chose à laquelle j’ai pensé c’est au procès d’un gars l’an dernier qui avait tué une jeune femme enceinte à Ustaritz ; j’ai pensé à des cambrioleurs et là, j’entends un gros boum. J’ai cru que c’était un coup de pistolet. Et du coup, j’ai cru qu’ils avaient tué quelqu’un dans le couloir« 

Terrorisée au réveil, emmenée cagoulée, menottée, gardée à vue… pour rien

Lumières bleues, des voix, des boucliers, des armes pointées sur elle : « J’étais terrorisée. J’ai cru que j’allais mourir. »  Elle finit par comprendre qu’elle a affaire à des policiers, « et donc je me suis assise sur mon lit, ils m’ont menottée ». Des agents qui lui demandent si elle a des explosifs ou des armes. Elle répond que non, ils peuvent rapidement s’en rendre compte dans le studio de 20m2 qu’ils investissent à quinze agents en faisant exploser les verrous de la portes : « C’est là que j’ai vu les débris de la porte partout par terre, mon tapis, tout sale,… je ne me rappelle pas ce qu’ils m’ont dit, j’étais terrorisée. »

« C’était humiliant surtout d’être traitée comme un criminel. »

« Je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont fait ça, parce qu’ils savaient très bien que je n’étais pas mêlée à l’affaire, je ne comprends pas pourquoi ils sont venus me chercher avec tout ce fracas », s’interroge l’étudiante de 28 ans. « C’était humiliant. C’était humiliant surtout d’être traitée comme un criminel. Moi, je suis une étudiante. Je n’ai jamais eu affaire à la police. S’ils m’avaient convoquée en me disant ‘Mademoiselle, on aimerait vous entendre pour une affaire’, je serais venue. » 

La maison a été encerclée par cinq véhicules de la police antiterroriste, puis Marianne a été emmenée avec la tête cagoulée. Son tort ? Elle a vécu durant le premier confinement en Dordogne avec certains personnes qui ont été interpellées trois mois plus tôt. Le 8 décembre dernier le Parquet National Anti Terroriste (PNAT) fait procéder à neuf arrestations par la DGSI à Toulouse, à Rennes, en Dordogne et dans le Val de Marne.

Des militants présentés comme appartenant à « l’ultragauche ». Sept personnes sont mise en examen « pour association de malfaiteurs » et cinq incarcérées. Marianne, elle, est sur écoute et sous surveillance depuis quelques temps. Sollicité, le Parquet national antiterroriste n’a pas donné suite à nos demandes de précisions.

[Mediapart] « Ultragauche » : les proches des militants arrêtés le 8 décembre témoignent

Pour la première fois depuis douze ans et le fiasco de l’affaire Tarnac, la justice antiterroriste enquête sur un groupe « d’ultragauche ». Sept personnes ont été mises en examen en décembre, cinq sont en prison. Leurs proches racontent ces interpellations et leurs conséquences.

Dans leur maison paisible à la campagne, les grands-parents de C., 30 ans, ont préparé des crêpes. Sa mère et son frère s’installent dans le salon, deux de ses colocataires les rejoignent près du feu. Depuis plus de trois mois, cette famille élargie vit au rythme des parloirs, des courriers et des trajets jusqu’à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis. Mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placée en détention provisoire, C. risque jusqu’à dix ans de prison. 


Le 8 décembre 2020, à 6 heures du matin, la DGSI arrête neuf personnes à Toulouse (Haute-Garonne), Rennes (Ille-et-Vilaine), Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et Cubjac (Dordogne). Cette vague d’interpellations est l’aboutissement d’une information judiciaire ouverte par le parquet national antiterroriste (Pnat) en avril 2020. Elle vise un groupe « d’ultragauche » soupçonné de « projeter une action violente » contre les forces de l’ordre. S’appuyant sur des mois d’écoutes téléphoniques et de sonorisations, la justice leur reproche notamment d’avoir manié des explosifs et des armes.


Six hommes et une femme sont finalement mis en examen le 11 décembre, par le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste criminelle. Cinq personnes sont incarcérées, les deux autres placées sous contrôle judiciaire. La plupart se définissent comme des militants « libertaires, écologistes, pro-Kurdes, féministes et anti-racistes », comme l’indique le site de leur comité de soutien ; d’autres pas.


Le ministre de l’intérieur félicite aussitôt les policiers de la DGSI, qui « protègent la République contre ceux qui veulent la détruire ». « Merci une nouvelle fois pour leur action contre ces activistes violents de l’ultragauche », ajoute Gérald Darmanin. Dans l’entourage des inculpés, plusieurs tribunes sont publiées. 


Le « projet » exact attribué à ces trentenaires, pour certains fichés S, reste flou. La DGSI estime que Florian D., parti combattre Daesh avec les forces kurdes, de mars 2017 à janvier 2018, a mis sur pied une sorte de groupe armé à son retour en France. Dans son camion, écrit la presse au moment des arrestations, les policiers ont découvert « des produits servant à fabriquer du TATP » (un explosif), « des billes d’acier, un fusil de chasse à canon scié, un revolver, un couteau et des munitions ». 


Son portrait ainsi dressé colle parfaitement aux craintes exprimées par les services de renseignement français, depuis quelques années, sur les Français de retour du Kurdistan. À leurs « fantasmes », répond le « Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava », dans une tribune en soutien à Florian D. : « En rentrant chez nous, nous ne nous attendions pas à recevoir la Légion d’honneur, ni même à être remerciés par qui que ce soit, mais nous ne pouvions pas imaginer que nous serions désignés comme des ennemis de l’intérieur et traités à l’égal des djihadistes que nous avions combattus. »  


Dépeint comme le « meneur » du groupe, Florian D., 36 ans, est le seul point commun évident entre tous les mis en examen, qui pour la plupart ne se connaissent pas. C. est présentée comme sa compagne et complice. Selon plusieurs proches de la jeune femme, ils se fréquentaient mais leur relation n’était pas suivie. Les enquêteurs la soupçonnent, en tout cas, d’avoir accompagné Florian D. dans l’Indre, au printemps 2020, où se serait tenu un « camp d’entraînement » et de confection d’explosifs, sous couvert de pratiquer l’airsoft [une activité de loisir avec des armes à billes]. 


Au matin du 8 décembre, C. et ses quatre colocataires sont réveillées par le fracas de la porte vitrée, dans leur maison rennaise. Une quinzaine de policiers viennent de la défoncer, alors qu’elle n’était pas fermée à clé. 

« J’ai pensé à des gens bourrés qui se seraient trompés de maison, ou à des voleurs », se souvient Bénédicte, 37 ans, qui s’est précipitée sur le pas de sa porte, à l’étage. « Éblouie par une lumière », elle est repoussée dans sa chambre par un bouclier. Sa colocataire Aurélie, 33 ans, entend les policiers investir chaque pièce, « en hurlant : “Les mains sur la tête !” » aux occupantes. « Paniquée », elle reste « terrée dans [son] lit jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la porte ». 


Menottées chacune dans leur chambre, les colocataires sont surveillées par des policiers armés, cagoulés et silencieux. Aurélie n’a « pas arrêté de leur poser la question : “Mais qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ?” Je ne comprenais pas. Dans ma tête, j’allais partir en garde à vue ». « Ils nous ont pas dit que c’était l’antiterrorisme, ni qu’ils venaient pour C. », reprend Bénédicte, qui tente de déchiffrer les écussons sur les uniformes. Elles finissent par comprendre que la DGSI est entrée chez elles. « Je ne savais pas exactement ce que c’était, la DGSI, raconte Aurélie. Je me disais juste que c’était vraiment grave. » 


Dans l’intervalle, les policiers ont trouvé C., raconte sa mère. « Elle les a entendus arriver et les attendait, les mains en l’air. Elle s’est dit qu’il ne fallait pas paniquer parce qu’ils auraient pu la tuer. Il y en a un qui lui a pointé le canon sur le torse. Elle était en culotte, au bout d’un moment elle a demandé à passer un tee-shirt. Elle n’a pas été frappée, mais c’était violent. » 
Au bout d’une heure, les policiers font descendre toutes les colocataires dans le salon, à l’exception de C., et les asseyent autour de la table. « On n’avait pas le droit de se parler. Ça a duré un peu plus de deux heures. Les flics discutaient de tout et de rien, se relayaient. On posait des questions, mais leur seule réponse était : “Vous en entendrez parler dans les journaux.” » 


La DGSI fouille la chambre de C., saisit son matériel informatique et la box de la maison. Trois heures après leur arrivée, les policiers repartent avec leur suspecte, à qui ils ont passé une cagoule. « On a juste échangé des regards », se souvient Aurélie. « D’un coup ils nous ont enlevé les menottes, et voilà. » « Tout ça doit laisser des séquelles », commente la grand-mère de C. en secouant la tête. 


Les colocataires préviennent immédiatement Pierre-Henri*, le frère de C., qui habite la même ville. Jusqu’au soir, ils appellent ensemble des avocats et cherchent où se trouve C., placée en garde à vue dans les locaux de la DGSI, à Levallois-Perret. « Elle a été transportée de Rennes à Paris en train, avec des lunettes noires, un masque et ses menottes dissimulées », précisent ses proches. 


Marqués par « la violence de l’arrestation », ils ignorent encore aujourd’hui ce qui est précisément reproché à C. « C’est une affaire politique », estime son frère, qui fréquente comme elle les milieux militants. « On partage sa vision politique, mais cette vision politique n’est pas criminelle », ajoute Bénédicte. « C’est une personne engagée, oui, mais qu’est-ce qu’ils sont allés inventer ? » « Savoir C. en prison, pour nous tous, c’est juste insupportable », complète sa grand-mère.


Les proches de C. ne font pas mystère des causes qu’elle défend. « Féministe, écologiste », C. est bénévole dans « des associations de solidarité avec les personnes exilées », dont l’une « conventionne des maisons pour trouver des logements à des gens dans la rue ». Elle met en forme des tracts pour les manifs. « C’est une fille très manuelle, précise Bénédicte. Elle donnait des coups de main dans les maisons conventionnées, pour le bricolage, l’électricité, la peinture. On fait le jardin ensemble à la maison, elle s’y connaît très bien en plantes, elle est proche de la nature. »  


Au moment de son arrestation, C. allait commencer une formation d’ambulancière, après un premier stage. Sa famille rappelle qu’elle avait déjà « fait des colos avec des personnes non valides ou des jeunes en difficultés sociales, travaillé dans le service à la personne, donné des cours ». « Elle est très altruiste, dans l’aide et dans l’écoute, quitte à s’oublier parfois elle-même. » 


La famille et les amis de C. s’indignent des accusations portées contre elle. Bénédicte parle de « montage de la part de la police », qui « n’arrive pas à n’importe quel moment » : « L’antiterrorisme, c’est quelque chose qu’on agite pour faire peur aux gens. Venir nous placarder cette étiquette “d’ultragauche” ne veut rien dire. C. nous a été arrachée, elle vit ça toute seule, c’est inhumain. » 


« Ça faisait plusieurs semaines qu’ils matraquaient sur le thème “il faut casser du black bloc”, ajoute Pierre-Henri. On veut alerter sur le fait que l’antiterrorisme concerne tout le monde. À chaque fois que des lois ultra-répressives sont appliquées sur des minorités de personnes, ça implique un durcissement pour toute la société. Et ça fonctionne très bien. »


Choqué du sort de sa sœur, il s’étonne aussi du traitement réservé à Florian D., « parti au Rojava pour soutenir la révolution écologiste, féministe et communaliste menée par les Kurdes contre deux États fascistes, la Turquie et l’État islamique ». « Les Kurdes sont théoriquement nos alliés », complète son grand-père. 


Depuis l’arrestation de C., c’est la première fois que ses proches se confient. « Tout ce qu’on dit peut avoir des répercussions », s’inquiète Bénédicte, craignant que tel ou tel élément soit « repris contre elle ». Dans leurs lettres à C., ses amis restent vagues. « Je ne sais même pas si je peux lui parler de trucs qui ont un rapport, même éloigné, avec des sujets militants : un bouquin, une émission de radio… », raconte Aurélie. Même sa grand-mère écrit des courriers « bateau de chez bateau ». 


Très peu de membres de la famille savent que C. est incarcérée. Ils gardent le secret pour l’instant et suivent de près la situation. « Comme tous les proches de détenus, nos vies ont une autre temporalité, précise Bénédicte. Ce qui arrive à C. bouleverse énormément de vies autour. On est suspendus à quelque chose. »  


« Sur les dernières marches, je me fais braquer par quatre armes » 


Parmi les neuf personnes arrêtées le 8 décembre 2020, deux sont relâchées sans poursuites à l’issue de leur garde à vue. Clo M., 35 ans, est l’une d’entre elles. Son compagnon, S. G., 36 ans, a été mis en examen et écroué. Il est « artificier effets spéciaux » à Eurodisney, elle technicienne dans le cinéma et la télévision. En couple depuis quinze ans, ils sont propriétaires d’une petite maison, à Vitry-sur-Seine. 


Au matin du 8 décembre 2020, Clo M. entend du bruit en bas et pense à « des cambrioleurs ». Elle dévale les escaliers en culotte et en tee-shirt, espérant que sa présence « les fasse fuir ». « Sur les dernières marches, je me fais braquer par quatre armes. Mon copain me passe devant, il s’arrête net quand il voit que c’est la police. Il se fait attraper par les cheveux et tirer par terre, moi par les bras. On est séparés dans la seconde. » 

Les policiers leur annoncent qu’ils sont placés en garde à vue pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Clo M. n’en revient pas. « Comme ils disent mon nom et mon prénom, je me dis qu’ils ne se sont pas trompés de maison. J’avais été en manif les deux samedis d’avant, je me suis dit que c’était lié à ça. C’était complètement dingue. J’arrivais pas à penser, j’avais peur. »  


Menottée à un fauteuil, Clo M. voit une trentaine de policiers s’activer dans la maison : les démineurs, le « groupe d’appui opérationnel », la brigade canine qui tient en laisse les deux chiens du couple. Elle assiste à une partie de la perquisition, qui dure dix heures. « J’ai énormément d’ordinateurs, de disques durs, de clés, de caméras et d’appareils photo. C’est mon métier. Ça prenait du temps. » 


Vers 14 h 30, Clo M. est conduite à la DGSI en voiture, entravée et cagoulée. Elle n’est jamais entrée dans un commissariat contre son gré auparavant. Après une heure en cellule, la police la transporte en Seine-et-Marne pour une nouvelle perquisition : celle d’un poids-lourd aménagé en camping-car, appartenant au couple. Elle n’a pas mangé depuis la veille et la température est négative. « Même eux avaient du mal à écrire, tellement ils avaient froid. » Là-bas, les policiers saisissent un ordinateur et « des produits liés aux effets spéciaux ». 


En parallèle, d’autres fonctionnaires perquisitionnent une yourte dans le Vaucluse, sur un terrain appartenant à la mère de S. G. Celle-ci est interrogée sur place, en audition libre. Clo M. a appris, depuis, que les policiers avaient emporté « une arbalète achetée dans une armurerie » et « un coupe-coupe ramené de Nouvelle-Calédonie, qui nous sert à nous frayer un chemin au milieu des buissons ». À Vitry, la police a aussi placé sous scellés une carabine. « Elle appartient à mon arrière-grand-père et elle n’est évidemment pas chargée. Mon père me l’avait prêtée pour un clip de rock, parce que je la trouvais jolie. J’ai des captures d’écran qui le prouvent. »   


De retour à Levallois-Perret dans la soirée, Clo M. est entendue pour la première fois. Pendant trois heures, les policiers lui posent « des questions politiques très générales » : « Qu’est-ce que je pense des antifas, du black bloc, de la République de Macron, de la violence en manif, où est-ce que j’ai voyagé ? » Clo M. répond à tout. « J’estimais que j’avais rien à faire là et que ça leur permettrait peut-être de se rendre compte de leur erreur. » 


Lors de l’interrogatoire suivant, les policiers veulent connaître ses positions sur le Rojava, la cause kurde, ils lui montrent « des photos de drapeaux ». Ils l’interrogent aussi sur les relations du couple avec Florian D. La jeune femme n’accepte de répondre que sur ce qui la concerne directement. À partir du troisième interrogatoire, elle décide de garder le silence. Comme la plupart des autres gardés à vue. 


Dans sa cellule insonorisée et filmée en permanence, Clo M. rabat sa « capuche à tête de panda » sur ses yeux et tente de faire du yoga. Elle a le temps de réfléchir au rôle que les policiers lui prêtent : « une espèce d’alibi pour S. ». Les enquêteurs lui citent des extraits d’écoutes téléphoniques, insistent sur la profession de son conjoint. « Ils essaient de tordre la réalité pour la faire coller à leurs théories. Tout devient à charge. Oui on parle d’artifices, d’inflammateurs. C’est son métier. » 


« Ils m’ont demandé ce que je pensais de la politique d’Emmanuel Macron » 


À sa grande surprise, Clo M. est libérée le vendredi matin, après trois jours de garde à vue. « Ils m’ont dit plusieurs fois que je serais déférée, donc je pensais vraiment l’être. Dans ma tête, je partais en détention après. Mais ils m’ont remis la cagoule sur la tête pour sortir en voiture, et m’ont déposée devant le métro avec mon sac. » Elle appelle sa belle-mère, retourne à Vitry, découvre qu’en son absence les amis du couple ont fait un peu de rangement et nourri les chiens. 


Clo M. attend le retour de S. G., sans se douter qu’il sera placé en détention provisoire. Elle obtient un permis de visite au bout d’un mois, après sa période d’isolement, et commence à aller le voir au parloir. « Il a demandé tout de suite à faire des activités, une formation, mais le statut de “terroriste” complique tout. Il n’a même pas le droit d’aller à la bibliothèque, les surveillants choisissent les bouquins pour lui. Il a pas mal maigri, il est pâlot et triste, le visage tiré, mais ça va un peu mieux qu’au début. »  


Pour Clo M., le « traumatisme » reste intense. « J’ai été arrêtée un jour “normal”, alors j’ai l’impression que ça peut me retomber dessus à n’importe quel moment. Quand j’entends une portière qui claque ou une sirène, je pense que c’est pour moi. » Elle tente encore de récupérer sa voiture et son matériel informatique, saisis lors de la perquisition, dont elle a besoin pour travailler. Certains employeurs ne la rappelleront plus. « J’ai été honnête, je leur ai dit ce qui s’était passé. J’ai l’impression d’être une pestiférée. » 


« On vit dans une sorte de film dont on a du mal à comprendre les tenants et les aboutissants, explique Mélanie, une amie du couple. À partir du moment où on a su qu’ils étaient accusés de “terrorisme”, c’était ultra-flippant. » Elle décrit deux trentenaires issus « du milieu punk-rock », plutôt « antisystème », mais qui n’ont rien à se reprocher. « S. n’a jamais été violent, en manif ou ailleurs. Il ne se battait pas. Il a fait une seule garde à vue, sans suite, en décembre 2019, parce qu’il s’est fait arrêter avec un masque à gaz en descendant du bus de la CGT. » Mélanie considère que « sa profession, délicate mais autorisée, a été retenue contre lui ».  Trois mois après la première vague, d’autres gardes à vue antiterroristes ont eu lieu le 8 février 2021. Ce matin-là, la police arrête une jeune femme de 23 ans, en Dordogne. C’est l’ancienne colocataire de deux mis en examen, William D. et Bastien A. Elle passe trois jours en garde à vue à Bordeaux, puis à Levallois-Perret, avant d’être relâchée sans poursuites. Avec le recul, elle s’étonne des « moyens disproportionnés » déployés pour « un projet d’attentat qui n’existe pas ».

Le 8 février toujours, Marianne, âgée de 28 ans et en formation d’éducatrice spécialisée, est arrêtée à Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques). Elle aussi pense d’abord à des cambrioleurs, mais c’est bien le Raid qui vient de défoncer sa porte. « J’ai eu la certitude que j’allais mourir, je n’oublierai jamais cette peur. »  Lors du premier confinement, au printemps 2020, Marianne s’était réfugiée en Dordogne pour quelques semaines, chez William D. et Bastien A. Florian D. et son amie C. les avaient rejoints, avec leur camion. Les policiers fouillent le studio de Marianne. Ils saisissent son ordinateur, son disque dur, son téléphone, perquisitionnent sa voiture puis la conduisent à Bayonne, cagoule sur la tête.  L’étudiante peine à comprendre ce que lui veulent les enquêteurs de la DGSI, venus de Paris. « Ils m’ont d’abord demandé si j’étais affiliée à un parti, ce que je pensais de la politique d’Emmanuel Macron, des gens qui n’ont pas de carte bleue, du Rojava. » Au fil des interrogatoires, les questions se portent « sur la disposition de la maison et sur Florian ». Marianne se souvient d’un garçon « gentil, cultivé, serviable ».  On lui parle plus clairement d’armes, d’explosifs, « d’entraînements paramilitaires ». « Je ne suis pas au courant. Ce sont des choses qui ne font pas partie de ma vie. Je ne suis pas politisée. »

De cette garde à vue, Marianne garde le souvenir du « mépris » affiché par les policiers et de sa propre « naïveté ». « J’étais étonnée que les deux gars de la DGSI ne me disent même pas au revoir quand j’ai été relâchée. Il était 18 h 30, j’ai demandé un papier pour pouvoir sortir après le couvre-feu. Le policier m’a photocopié une attestation dans Sud-Ouest. »  La jeune femme s’est repliée chez ses parents, agriculteurs, et n’est pas retournée dormir dans son studio d’Ustaritz depuis. Elle a dû faire part de sa garde à vue à son école, son lieu de stage, son propriétaire, « qui doit réparer une porte défoncée par le Raid ». Pour l’instant, elle ne peut pas récupérer ses affaires, placées sous scellés. « C’est important que les gens sachent comment ça se passe. Si la police m’avait envoyé une convocation, j’aurais répondu de la même façon, donné mon ordinateur et mes codes. »

Il est tentant de comparer cette affaire à la dernière incursion de l’antiterrorisme dans le spectre de « l’ultragauche », en 2008. La police avait alors débarqué à Tarnac, un village de Corrèze, et dans d’autres départements, pour arrêter une dizaine de personnes censées appartenir à « l’ultragauche, mouvance anarcho-autonome ». Le groupe, que Julien Coupat est censé diriger, est alors accusé d’avoir commis des sabotages sur des voies TGV.  Dix ans plus tard, cette enquête menée avec les moyens de l’antiterrorisme, largement décrédibilisée par l’action de la défense, a débouché sur un procès de droit commun et une relaxe quasi générale. Depuis, le Pnat ne s’était plus jamais saisi de dossiers liés à « l’ultragauche », malgré les demandes répétées du parquet de Grenoble après des incendies volontaires à connotation politique.

L’affaire du 8 décembre n’a toutefois pas donné lieu au même emballement politico-médiatique que celle de Tarnac. Outre le tweet de Gérald Darmanin et quelques commentaires de Laurent Nunez, coordonnateur national du renseignement, ce dossier a eu relativement peu d’écho. Seuls Le Parisien et Le Point ont divulgué, juste après les arrestations de décembre, les premiers éléments de l’enquête et décrit « le profil hors norme » de certains mis en examen, à partir de leurs auditions en garde à vue et de rapports de police.  Depuis, le juge d’instruction a continué son travail en silence. Comme les avocats de la défense, qui n’ont pas souhaité s’exprimer dans cet article. Mi-février, les mis en examen ont été interrogés sur le fond. De nouvelles auditions sont prévues dans les prochaines semaines.

Boîte noire

Les prénoms suivis d’un astérisque () ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.


La famille et les amis de C., dont le prénom n’a jamais été publié dans la presse, ont demandé à ce qu’elle soit désignée par son initiale. Avec son accord, Mediapart a rencontré ses grands-parents, sa mère, son frère et deux de ses colocataires.  


De son côté, Clo M. a demandé à être désignée par son diminutif, pour des raisons professionnelles. Mediapart l’a rencontrée à plusieurs reprises, en compagnie de ses ami.e.s proches. Son conjoint en était informé. Il a demandé à apparaître sous ses initiales, S. G. 
Marianne et une autre jeune femme, arrêtées le 8 février, ont témoigné par téléphone.
Aucun des avocats des mis en examen n’a souhaité s’exprimer.