Le 8 décembre 2020, plusieurs perquisitions ont eu lieu aux quatre coins de la France, menant à l’arrestation de neuf personnes. Après 96h de garde à vue dans les locaux de la DGSI, sept d’entre-elleux sont mis.es en examen pour « association de malfaiteurs à caractère terroriste en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes dépositaires de l’autorité publique ». Cinq de ces personnes sont alors incarcéré.es, tout.es sous le statut de « détenu.es particulièrement surveillé.es » (DPS). Fin avril 2021, après cinq mois de privation de liberté, deux d’entre elleux sont libéré.es. Très récemment, à la mi-octobre 2021 suite à une demande de mise en liberté, un autre compagnon est libéré sous contrôle judiciare, bien que le parquet ait fait appel,en vain.
Un des prévenus est placé à l’isolement depuis son arrestation le 8 décembre 2020, c’est-à-dire privé de tout contact avec d’autres détenus. Son isolement dure depuis dix mois et a été reconduit pour trois mois supplémentaires le 8 septembre 2021. Cette situation doit cesser au plus vite. Pour en témoigner, nous reproduisons ici une lettre qu’il a écrite depuis sa cellule d’isolement cet été.
Concernant les mis.es en examen, les faits qui leur sont reprochés sont flous, les liens entre elleux également, certain.es ne s’étant jamais rencontré.es auparavant. Le scénario de la DGSI1 semble avoir été pré-écrit et être le résultat d’une construction policière à visée politique, avec la création de figures de coupables idéaux et d’une structure pyramidale.
Ces arrestations interviennent dans un contexte politique de criminalisation croissante des mouvements sociaux. Le recours à l’accusation d’association de malfaiteurs est toujours plus utilisée pour casser les collectifs militants et écraser les luttes.
Nous assistons depuis plusieurs années à une surenchère législative : loi sécurité globale, loi séparatisme, décrets Darmanin2, loi SILT3… L’autorité administrative prend le pas sur le judiciaire. Avec la mise en œuvre d’une forme de justice prédictive, désormais tout le monde est présumé coupable, et les personnes sont jugées sur des intentions et des présomptions d’intention.
Par ailleurs, nous observons également un énième changement de doctrine de la France sur la question kurde, avec l’arrestation de militant.es kurdes en mars 2021 et la criminalisation des personnes ayant combattu au Rojava4, considérées un temps comme alliées dans la lutte contre Daesh et à nouveau perçues comme des « ennemi.es de l’intérieur » et des terroristes.
La criminalisation des opposant.es politiques par le biais de l’accusation d’association de malfaiteurs donne lieu à des écoutes et des techniques de surveillance intrusives. L’interdiction d’entrer en contact avec d’autres mis.e.s en cause rend impossible toute solidarité entre elleux et les prive de relations intimes et précieuses avec leurs proches. Les notes blanches5, outil de l’antiterrorisme et des renseignements territoriaux, deviennent monnaie courante, empêchant les prévenu.es et leur défense d’avoir accès au contenu de leur dossier en intégralité.
Nous dénonçons également les conditions d’incarcération en France, régulièrement épinglées par les arrêts de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) :
– quartiers disciplinaires où les conditions de détention opaques échappent au droit commun et violent les conventions internationales
– conditions d’incarcération d’exception
– recours à l’isolement comme moyen de pression
– morts suspectes dans les quartiers disciplinaires
– surpopulation carcérale
L’Etat déclenche un grand « plan prison », soi-disant pour désengorger les prisons surpeuplées (construction de huit nouvelles prison sur le territoire, livrables en 2027, impliquant un coût faramineux), laissant croire qu’il se soucierait de la dignité des prisonnier.es, alors que ses visées sont avant tout économiques et répressives, et que l’on voit le nombre de prisonnier.es augmenter d’année en année.
Les conditions d’arrestation et de détention, pour nos camarades comme pour toutes les personnes mises à l’ombre, sont aussi déplorables que scandaleuses.
Les déplacements lors des arrestations du 8 décembre 2020 sont conditionnés : les prévenu.es sont encagoulé.es et entravé.es (camisole immobilisant les bras le long du corps via des sangles). Par la suite, on rapporte l’absence d’avocat.e pendant de très longues heures, la privation de sommeil et de nourriture, des interrogatoires lunaires portant plus sur des opinions et orientations politiques que sur des faits. Toutes ces méthodes constituent un non-respect de la présomption d’innocence. Cela a également un impact sur les proches, qui, démuni.es, ne savent vers qui se tourner, tétanisé.es par la peur.
Nos camarades ont tou.tes été placé.es en détention sous le statut DPS : deux surveillant.es sont mobilisé.es à chaque déplacement, voire un.e gradé.e, compliquant l’accès aux soins, aux douches, aux parloirs ; pas d’accès aux activités collectives ni au travail ; brimades ; fouille corporelle intégrale avant et après chaque parloir ; changements de cellule ou de bâtiment, alors même que les habitudes et la routine sont cruciales pour la santé mentale des détenu.es.
Notre camarade toujours maintenu à l’isolement subit non seulement toutes ces privations, mais est également cantonné en promenade seul, dans une cour de 20 mètres carrés recouverte par un grillage. Son accès aux soins est entravé, notamment concernant ses demandes de consultation auprès du médecin, du dentiste et du psychologue. Les conséquences sur sa santé mentale sont délétères, puisqu’il subit des pertes de repères spatio-temporels et des pertes de mémoire. Son isolement est renouvelé tout les trois mois depuis son incarcération, soit depuis dix mois, les nombreux recours et demandes de référés ont tous été rejeté sans plus d’arguments.
Nous exigeons la libération immédiate de nos camarades et la fin de la détention provisoire pour tous. Nous demandons également que l’ensemble des prévenu.es aient accès à tous les éléments du dossier, la fin de la mise à l’isolement comme outil de répression pour broyer les détenus et la fin de la criminalisation des militants politiques et des poursuites contre elleux.
2. Décrets Darmanin : trois décrets du ministère de l’Intérieur, publiés le 04 décembre 2020, visent à élargir les possibilités de fichage dans le cadre d’enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou encore de la part de l’administration.
Concrètement, les fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique visaient initialement « les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou d’être impliquées dans des actions de violences collectives », une définition large qui permet d’y intégrer, outre des individus présentant une « radicalisation du comportement », des personnes ayant pris part à « des manifestations illégales » ou à des « actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ».
Désormais, ces fichiers permettront également d’enregistrer des informations concernant des personnes morales ou des groupements, comme des associations. De plus, le champ de ces fichiers a été élargi aux atteintes « à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République » et à la « sûreté de l’Etat (…) qui relève des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », précisent les décrets.
Source : La Quadrature du Net
3. Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme
5. Ordinaires rapports des services de renseignement, non signés, n’indiquant pas la source de leurs informations, parfois extrêmement vagues et abstraites ou fondées sur de simples rumeurs et autres dénonciations vindicatives.
Lettre depuis l’isolement – Bois d’Arcy – Été 2021
Cela fait désormais depuis plus d’un mois et demi que l’envie de réécrire à propos de l’isolement me titille mais je n’arrive pas à m’y mettre, je n’arrive pas à me concentrer suffisamment. Soit mon esprit s’évapore dans le néant comme un petit nuage, soit il se condense en une sorte de mélasse si épaisse qu’elle bloque tout dans mon cerveau et me file des maux de tête. Bien que la première puisse être plus douce (comme être drogué jusqu’à l’abrutissement et l’hébétude), ces deux situations amènent un sentiment douloureux. En effet constater sa perte de capacité intellectuelle et assister à sa propre décrépitude sont d’une violence totale particulière. C’est dans cette condition mentale que je m’attelle à l’élaboration de ce texte.
La volonté de faire comme une mise à jour de la situation vient du constat brutal de son aggravation. De nouveaux symptômes apparaissent tandis que les anciens s’accentuent et s’empirent sans qu’on y prête attention. Lorsque l’on se rend compte d’avoir complètement oublié que deux de ses ami.es (co-inculpé.es) avaient été mis.es en liberté (sous contrainte judiciaire), alors que ce fut la seule bonne nouvelle depuis son enfermement, c’est un véritable électrochoc. Le cerveau commence sérieusement à dérailler. Les problèmes de concentration, les difficultés à construire sa pensée, l’hébétude, la perte de repères temporels, les maux de tête, les vertiges, tous ces symptômes déjà énoncés précédemment, loin de disparaître avec le temps, se sont amplifiés et généralisés, ils sont devenus monnaie courante ou normalité. Mais à ceux là il faut en ajouter d’autres. Avant de les citer il faut comprendre quelque chose : à chaque fois qu’un nouveau symptôme, qu’un nouveau mal apparaît, on se dit que c’est temporaire, on attend que ça passe. Mais non ! Chaque nouveau mal qui pointe le bout de son nez n’est plus qu’un aperçu de ce qui va s’installer dans le long terme et devenir de plus en plus présent. Ces nouveaux « compagnons » sont donc :
La perte de mémoire, tellement à l’ouest, sans aucun échange avec les gens ni aucun stimuli, les choses ne s’impriment plus. Les informations lors des coups de fil, des parloirs, des lectures, rentrent et ressortent sans laisser de traces ou à peine une vague sensation de quelque chose d’impalpable. C’est bien simple, si je ne note pas immédiatement mes horaires de sport et d’opprimade de la journée, dans la minute qui suit, impossible de s’en souvenir…
En plus de cela, il y a les troubles visuels : il est désormais impossible de voir un sol droit, de niveau. Les sols penchent dans tous les sens en même temps et jamais les mêmes. On pourrait s’amuser à essayer de deviner de quel côté irait une balle si on la passait au sol, aucun des cotés serait étonnant. Mais bon, elles sont interdites, même les DIT… rusé.es !
Un autre symptôme des plus inquiétants est celui de la forte pression thoracique accompagnée d’une douleur aiguë au cœur, comme une pointe plantée en son sein. L’impression que le cœur bat non pas plus vite, mais plus fort comme s’il voulait sortir de la poitrine ainsi qu’un sentiment de fébrilité et ce, même pendant les moments de relaxation, qui sont les sessions de taï-chi-chuan ou de méditation. Cette douleur dura un mois complet de manière permanente, non stop avant qu’elle ne s’éloigne, pour revenir de temps à autre me rendre des visites inopinées.
Mais aussi, le problème d’accès à son propre cerveau. C’est devenu courant, lorsque quelqu’un évoque un sujet ou un autre, de savoir avoir des connaissances à ce propos mais de ne pas y avoir accès, le lien pour y parvenir est rompu, ça connecte pas. Erreur 404 d’aucuns diraient… Et la peur s’insinue, et si ce n’était pas le chemin qu’on ne retrouve plus, et si c’était son savoir qui s’effilochait et disparaissait ?
A toutes ces choses là s’ajoutent, comme dit plus haut, le constat de cette situation qui en lui même induit son lot de souffrance psychologique.
Mais alors que fait-on ? S’inquiéter, demander à voir un médecin ? Oui mais en isolement c’est très compliqué d’aller dans l’aile médicale. On peut rétorquer qu’un médecin passe deux fois par semaine en C4 (quartier d’isolement du centre pénitentiaire de Bois d’Arcy). Oui mais en super speed, dans le couloir avec les surveillant.es, sans possibilités de garantir un semblant de secret médical et avec juste le temps de prendre trois notes et nous refourguer du doliprane en glissant qu’ici (en quartier d’isolement) c’est propice aux mots de tête. Avoir un rendez-vous n’est pas toujours aisé mais plus dur encore est que l’on y soit emmené.
Pour sortir du C4 toute la zone de détention doit être bloquée, ce qui entrave le fonctionnement de la prison. Lors du déplacement tout doit être clos et inaccessible, même à la vue, ce doit être une certitude de ne pouvoir ni voir ni être vu par un autre détenu. Le fait de devoir être accompagné d’un.e gradé.e et d’un.e surveillant.e durant tout le trajet et le temps du rendez-vous complique la logistique de leur journée et nécessite plus de personnel. Il est donc tout bonnement plus simple de laisser le détenu à son espoir qui s’égraine au rythme des minutes de sa montre jusqu’au moment où il se rend compte qu’il n’ira pas à son rendez-vous attendu de longue date.
Pour ma part, par deux fois mon rendez-vous dentiste a été repoussé car on ne m’y a pas emmené alors que le dentiste et moi-même étions tous deux dans l’attente. Depuis début février je demande à être suivi par un.e psychologue, en cette fin juin1, toujours rien à l’horizon. Mon rendez-vous médecin généraliste a pu avoir lieu après un mois de demandes répétées mais surtout grâce à l’intervention de mes avocat.es.
La docteur m’a affirmé oralement que ce dont je me plaignais était causé par la condition d’isolement, que c’était normal dans cette situation et que ça passerait quand je sortirai et ce sans toutefois me donner un certificat médical allant dans ce sens2… J’en déduis que tous.tes les isolé.es subissent les mêmes troubles et que ces souffrances sont banalisées, « c’est normal, ça passera ». C’est comme si on ne prenait pas en compte les graves atteintes physiques et mentales, comme si on me disait « tu souffres, on s’en fout c’est pas grave ». Et bien si c’est grave et quand bien même ça passerait à ma sortie, non, ce n’est pas normal de subir ça. Ne pas faire de certificat médical c’est participer à l’existence de ces faits, se rendre complice de la torture subie. Ce qui est intéressant de voir c’est que la mise en isolement crée des troubles psychiques et physiques qui ne peuvent être suivis correctement dû au fait que l’on soit en isolement. C’est le serpent qui se mord la queue, la spirale infernale. C’est un tel non-sens qu’il est difficile de croire que ce soit un accident.
Désormais, un « système » a été mis en place, censé m’assurer que je puisse accéder à mes rendez-vous, à voir ce que cela donnera car l’occasion ne s’est pas encore présentée de le mettre en pratique.
Ceci est un luxe obtenu du fait que je suis un relou quant à mes droits, ou comme dirait la direction : « exigeant sur mes conditions de détention ». Mais ici le respect des droits des détenus est à gratter, il ne s’applique pas automatiquement et en appeler au bon sens avec courtoisie pour qu’il existe, c’est comme faire sa miction dans un violon. Le régime végétarien, plus ou moins effectif, ne le fût qu’après avoir cité les articles de loi et menacé de faire intervenir mes avocat.es. Le problème de la hi-fi et des rendez-vous médicaux, de même : « avocat.es » ! Alors voila, pour le « qu’est ce qu’on dit ? » qu’on rabâche aux mômes, ici c’est pas « merci » ou « s’il vous plaît » mais « avocat.es ! » Bien que pas étonnant, c’est affligeant de constater que l’administration pénitentiaire (AP) impose un rapport antagoniste, que tout doive se gérer sous l’angle d’un rapport de force.
Je me sais privilégié à cet égard, j’ai deux avocat.es déterminé.es à ce que mes droits soient respectés. Un luxe énorme dont bien peu ici, je suppose, peuvent se vanter. Privilégié aussi de maîtriser un tant soi peu la langue française et sa lecture-écriture afin de pouvoir exprimer clairement mes revendications et pouvant justifier de leur légitimité. Car bien que l’on puisse faire des réclamations aux surveillant.es pour certaines choses, le protocole officiel et le seul reconnu est l’écrit. Je n’ose imaginer le calvaire pour celleux qui ne parlent pas la langue ou qui ont des difficultés vis à vis de sa pratique écrite et qui bien évidemment ne peuvent, en isolement, demander un coup de main à un.e codétenu.e. L’AP étant comme son nom l’indique, une administration avec tout ce que cela implique, la patience acquise avec le temps n’est pas la moindre des qualités, tout comme la capacité à s’adapter à ce système protocolaire. Je me demande comment une personne non soutenue par un.e avocat.e, ne maîtrisant pas bien la langue, peut faire entendre ses droits et ne pas perdre patience. Et si perte de patience il y a, en cas de bafouement des droits comment cela finit-il ? Quelles dérives et quelles conséquences ? Ne le savons-nous pas déjà ?
Le moral évolue en dents de scie avec des moments de quasi-euphorie (ce qui n’est pas forcément rassurant) jusqu’à la démoralisation et une totale démotivation, et ce sans que rien ne se soit passé et que rien ne justifie ces sautes d’humeur. La situation psychique est instable, je me réjouis quand tout va « bien », tout en redoutant le creux de la vague qui implacablement se profile. En plus des proches qui se démènent pour m’offrir un parloir hebdomadaire, mon meilleur soutien est le soleil (bien qu’il commence à transformer la taule en fournaise). Je reste encore impressionné de constater à quel point les conditions météorologiques influencent mon état mental (météo : dépression le long des côtes mais chaud à l’intérieur des terres… 🙂
Pour tenir bon je ne me tourne pas vers l’avenir, je n’image rien de positif de peur d’être déçu et de subir un ascenseur émotionnel. Pas d’espoir, pas de déception. Je ne me projette donc pas et vis au jour le jour, répétant inlassablement ma routine. Une routine rigoureuse entre entretien physique, développement intellectuel et apaisement psychologique me donnant un cadre, une prise sur moi-même. L’autodiscipline est la seule chose qui demeure quand plus rien d’autre ne reste. Une autre technique pour garder le sourire : se mentir éhonteusement sur sa situation. Une légère différence dans la nouvelle cellule ? Waouh ! Elle est trop géniale De la bouffe industrielle ? Cool ! Si on y met du curcuma, du sel, du ras-el-hanout, du curry, des herbes de Provence, du cumin et de la harissa, c’est mon repas favori ! L’eau de la douche est chaude ? Elle est relaxante ! Elle est froide ? Elle est vivifiante. Ne pas voir le verre à moitié vide mais au deux-tiers plein…
Alors il me manque (ou pas) que les confettis et les paillettes quand les proches déposent un CD nickel, un bouquin trop intéressant, un manuel de taï-chi-chuan ou de langue bien chiadé… Pîroz be !
En changeant de cellule, on s’aperçoit à quel point l’on doit réapprendre les sons. Inconsciemment, on intègre tout les sons de la coursive. Suivant la résonance des pas, les échos des voix, les roulements des chariots, le glissement des œilletons, le tintement des clés, les bips du portique de sécurité, les ouvertures et fermetures des portes, on devine ce qui s’y passe. Il est alors possible d’anticiper le moment ou les surveillant.es arrivent à sa porte. Cela peut paraître anodin, mais selon moi, il est très important de ne pas être surpris. Ne pas être surpris signifie anticiper le bruit ultra-sec et brutal des loquets et verrous. Se faire surprendre par ce son fait sursauter, donne un à-coup au cœur, une montée de stress et ce sans raison, c’est biologique, animal dirais-je. J’ai l’image en tête de la biche ou de la gazelle aux aguets, les oreilles attentives afin de ne pas être victime de la prédation. Bien que consciemment rien ne justifie un tel sentiment et que, à titre personnel, je n’ai aucun comportement agressif ou abus à déplorer de la part des surveillants. Je ne peux m’empêcher, comme un devoir vital, un instinct de survie, d’être toujours prêt, d’être toujours sur le qui-vive. Comme une manière de prendre possession de son territoire, de contrôler son espace ! Cela est sûrement dû au fait que bien que nos relations soient courtoises, elles ne seront jamais amicales et les surveillant.es ne seront toujours que des maillons de la chaîne de mon oppression.
La dernière fois3, je n’avais pas trop évoqué les œilletons qui permettent de zyeuter les détenus au travers de la porte. Entre temps, ils y ont rajouté des grilles, ici aussi… Comme s’il y en avait pas déjà assez… Cela ne permet pas de nous observer sans qu’on le sache, car comme dit, on entend, cela ne sert qu’à isoler encore plus des êtres humains. Là où autrefois apparaissait un œil (image assez perturbante voire cosmique, soit dit en passant) il n’y a plus rien. Plus de lien visuel entre soi et « l’œil », uniquement le son (bientôt plus rien), encore un petit pas vers la déshumanisation de l’environnement carcéral. Ces contrôles s’effectuent toutes les deux heures environs, jour et nuit. Durant la journée, il faut donner signe de vie, sinon ça cogne à la porte, donc se réveiller si c’est le moment sieste. La nuit le contrôle est accompagné inévitablement de l’allumage des lumières (d’une durée plus longue suivant son auteur.ice). Les nuits où je dors très bien, je ne suis réveillé qu’une fois, sinon…
Le plus pernicieux dans l’isolement est de rendre le réel irréel. Étant donné que l’on est en permanence seul.e avec soi-même, avec ses propres pensées comme unique interaction, le monde réel ne se matérialise pas, les proches relatent un monde qui semble imaginaire (celui de l’extérieur) lors de moments qui, une fois terminés, semblent n’avoir été qu’un songe (les parloirs). La seule réalité (pathétique), c’est cette cellule, ces livres, ces salles des spores (hihi), cette douche, cette « pseudo-promenade » individuelle. Même les autres détenus dans les (vraies) promenades que l’on aperçoit au travers des grilles de sa cage semblent être dans un autre univers. On apprend ce qui se passe dehors, on est informé.e de ce qui nous touche sans pour autant le vivre, le ressentir.
Apprendre la mort d’un.e ami.e affecte d’une manière si perplexe qu’il est impossible de le définir clairement. Tant de sentiments surgissent en même temps, ceux normaux, une tristesse profonde, le choc, l’incompréhension, mais cela se mêle à un sentiment d’irréalité. Bien que l’on sache la cruelle véracité de cette terrible perte, elle semble n’être qu’un cauchemar lointain. Ne participant pas aux obsèques, il n’y a pas de partage à ce moment-là avec les autres personnes qui l’ont aimé.e. Ni même ma possibilité de se confier à un autre détenu. À cela s’ajoute la nécessité de tenir le coup. Combat permanent pour ne pas sombrer, qui ne nous laisse pas le « loisir » de se laisser aller complètement à sa douleur, à son deuil. Les visites étant les uniques et très courts bols d’air frais, elles sont plutôt focalisées sur ce qui apporte de la joie et les sujets douloureux sont volontairement limités ou omis. Une fois encore, les sentiments et les émotions sont, par une sorte de mécanisme de survie, bloqués, relégués à plus tard, à la sortie… Combien de ces événements ont ils été amassés depuis le début de l’isolement ? Quel bagage émotionnel se trimballe-t-on ? Comment gérer lorsqu’on sortira ? Que se passe t-il si ce « bagage » craque plus tôt ? Oups… question(s) à remettre dans le sac.
Cette réalité se limite à un espace si restreint qu’on en devient égocentré. Je me souviens avoir pensé à abréger un récit intéressant qu’un.e proche me relatait car j’avais besoin de partager des choses d’une futilité extrême (mais qui font mon quotidien). Futilité bien souvent très (pathétiquement) matérielle.
En restant sur ma situation et mon isolement, il est « amusant » de constater le non-respect par l’AP de leurs lois. La circulaire du 14 avril 2011 stipule, en résumé, que l’on ne peut être placé en isolement pour les faits que l’on nous reproche (ou pour lesquels quelqu’un.e a été condamné). La raison doit être un comportement dit « inadapté » ou « dangereux ». Malgré cela la direction de la taule m’a imposée pendant six mois et a obtenu la prolongation de l’isolement en disant très clairement qu’elle se basait uniquement sur les faits reprochés et qu’elle reconnaissait que mon comportement n’a posé aucun problème. Donc, sans aucune gène, on bafoue les droits d’une personne et on lui applique la torture dite « blanche »… Tranquille !
Tenir le coup par ce qu’il n’y pas le choix, tenir le coup par respect pour soi et pour les sien.nes, tenir le coup grâce aux soutiens des proches : familles, ami.es, camarades. Merci à elleux pour ce soutien sans faille. Merci aussi à celleux que je ne connais pas et qui m’ont honoré du leur.
Notes :
Ce texte n’a pas vocation à expliquer le fonctionnement carcéral ni la prétention d’être représentatif de ce qu’est la vie en quartier d’isolement. Il n’a encore moins la prétention de théoriser les mécanismes officiels et officieux, les « outils » répressifs utilisés pour briser ou réduire la détermination des détenus, certain.es l’ont déjà fait avec extrêmement de brio. Ce texte n’a de valeur que pour ce qu’il est : un témoignage d’une personne particulière, à un moment donné, dans un lieu précis, ni plus ni moins.
J’espère que le passage maîtrise de la langue française, lecture, écriture ne fait pas prétentieux, genre « je cause trop bien », ce n’est pas le but. L’idée est que si tu causes pas français ou si tu galères à la lecture-écriture bah t’es dans la merde pour faire valoir tes droits ! Est ce clair ou je me suis foiré ? Dois-je le refaire ?
Hier il fut refusé à ma mère de déposer livres et Cds, soi-disant elle n’avait pas l’autorisation. Erreur d’un.e débutant.e ? Punition indirecte ? Beaucoup de galères au niveau des colis pendant tout l’été qui je l’espère seront bientôt réglées.4
Aujourd’hui en date du 6 septembre et après plusieurs demandes, un certificat médical où seulement la perte de mémoire et la douleur thoracique inscrites dessus fut délivré et toujours pas de psychologues.
Libre Flot
NB : les notes de bas de page ont été ajoutées par le comité de soutien
1La situation est toujours la même en octobre 2021
2Lors de l’audience de renouvellement de l’isolement au bout de 6 mois il est demandé au médecin de fournir un avis médical, ainsi qu’au SPIP de fournir un avis sur le comportement.
3 Voir lettre d’avril 2021 publiée dans l’envolée N°53 et sur le blog soutien812.net
4 Désormais et suite à des changements dans le fonctionnement de la taule, notre ami doit demander des autorisations pour chaque livre ou CD qui lui est déposé au colis et qui doivent être inspectés par le chef de la détention.
Dessin et p’tit texte échappé de l’intérieur des deux autres inculpés en détention…
Poésie de couloir, pour nos cris dans les mouroirs
Écrire, pour panser et dévoiler ses maux,
n’oublie pas de penser à réfléchir pour ne pas finir au cachot.
Oh toi prison, ton cœur de briques me laisse de marbre,
j’attends ta destruction pour m’asseoir au pied d’un arbre.
Ulcère je suis, saignant dans tes entrailles de fer et de ciment, rêve de ce jour,
que celles et ceux que tu appelles cancer du système dégueulerons.
Oh toi liberté, je rêve de toi, parfois te parle, j’écris ton nom sur un murmure ou bien encore au fond de mes cellules, et je fantasme de pouvoir t’approcher, te caresser et de t’embrasser.
Je regarde par la fenêtre et ma vue est quadrillée, horizon perdu et mal encadré.
Tableau noir et peinture effacée, dans un esprit d’une enveloppe bétonnée.
La bonne et la mauvaise nouvelle : Un copain libéré en CJ le 15 octobre mais le parquet fait appel
M. a été libéré ce vendredi 15 octobre suite à une demande de mise en liberté déposée mi octobre par ses avocates à la suite d’une audition avec le Juge d’instruction qui enquête sur l’affaire du 8 décembre 2020. Il est sorti de Fresnes vendredi dernier avec un contrôle judiciaire contraignant : interdiction de sortir du département, obligation d’être présent au domicile où il est hébergé chaque soir, pointage 2 fois par semaine au commissariat, obligation de travail/formation, suivi SPIP et psy, interdiction de communiquer avec les autres inculpé.es.
Ce mercredi 20 octobre, M. reçoit une convocation à la cour d’appel de Paris pour la semaine prochaine, apprenant ainsi que le procureur de la république a fait appel le jour même de sa libération. Alors qu’il est libre depuis seulement quelques jours et après 10 mois d’enfermement, le parquet continue son acharnement !
M. était enfermé depuis décembre 2020 en préventive en région parisienne, accusé par la DGSI et le parquet antiterroriste de participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes. Suite aux nombreuses arrestations ce 8 décembre 2020 et après de longues garde à vue, 4 autres personnes étaient enfermé.es en préventive dans des prisons différentes de la région parisienne, loin de leurs proches. Aujourd’hui il reste encore 2 de nos compagnons derrière les barreaux, dont l’un est en quartier d’isolement depuis le début de son incarcération.
Nous demandons l’arrêt de l’charnement judiciaire et la libération immédiate des inculpé.es du 8 décembre.
Depuis le « coup de filet dans l’ultra gauche » du 8 décembre 2020, la vie de sept personnes a été mise en suspens sur de simples présomptions d’intention. La justice maintient toujours trois d’entre elleux derrière les barreaux, violant gravement le principe de la présomption d’innocence.
Alors que d’année en année les répressions judiciaire et carcérale deviennent en France toujours plus étouffantes, l’administration pénitentiaire maintient depuis près de neuf mois l’un d’entre elleux à l’isolement, allant impunément à l’encontre des nombreux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur la question.
Depuis le 8 décembre 2020, les proches des inculpé.e.s vivent dans la peur et la pression constantes dues à l’instruction en cours. La peur d’entrer en contact et de se soutenir mutuellement. L’angoisse de savoir son enfant ou ami enfermé dans 9m² de béton insalubre. La pression omniprésente et constante de la surveillance.
Durant l’été le juge d’instruction a ordonné des commissions rogatoires laissant à la DGSI la possibilité de poursuivre son harcèlement envers les proches des inculpé.e.s. En théorie, tous les moyens sont permis.
Le contenu même des interrogatoires, portant d’avantage sur les opinions et activités politiques des personnes auditionnées et leur avis sur la politique actuelle du gouvernement, est complètement hors de propos dans le cadre d’une enquête pénale et amène à penser que la DGSI est en réalité une police politique, plus qu’un service d’enquête pénale.
Après avoir enduré ces auditions humiliantes et traumatisantes, des membres de leurs familles et ami.e.s ont décidé collectivement de refuser d’y participer, s’exposant au risque d’une amende d’un montant de 3750 euros.
Voici la lettre qui a été adressée au juge pour expliquer cette décision.
Un grand nombre de personnes ont été contactées par la DGSI afin d’être auditionné, il est possible que d’autres personnes le soient, nous seront nombreux-ses à envoyer cette lettre comme réponse commune à cet harcèlement et nous vous invitons à le faire si vous êtes contacté dans le cadre de cette enquête ainsi qu’à vous rapprocher des comités de soutien si besoin.
A l’attention du Juge Jean-Marc Herbaut,
Nous, Familles et Ami.es des Inculpé.es du 8 Décembre, déclarons par la présente notre refus de nous soumettre aux auditions de la DGSI.
Nous sommes convaincu.es que la façon de procéder de la DGSI n’est pas de nature à vous apporter les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité, mais plutôt à valider un scénario pré-écrit depuis des années.
Par cette lettre, nous attestons que notre refus est définitif, au vu des méthodes malhonnêtes de la DGSI auxquelles plusieurs d’entre-nous ont déjà eu à faire face.
Depuis plus de huit mois, nous vivons sous le poids constant de votre instruction, dont la longueur se traduit par un grand nombre de violences sur les mis.es en examen et sur nous-mêmes, et fait perdurer l’acharnement carcéral sur nos proches toujours détenus. Les commissions rogatoires que vous avez récemment ordonnées représentent pour nous un énième anéantissement de nos vies privées.
Vous avez depuis le début de l’enquête mis en place des dispositifs de surveillance intrusifs, violant pendant plusieurs mois l’intimité de nos familles, de nos cercles d’ami.es et de nos couples, menant à l’écoute de nos moindres discussions, jusque dans nos foyers et nos véhicules.
Nous refusons que le moindre détail de nos vies soit disséqué une fois encore par la DGSI, d’autant moins si cela est fait dans le but d’alimenter une construction policière et de justifier la criminalisation de nos enfants, ami.es, frères et soeurs.
Vous qualifiez nos proches de « terroristes », ayant l’intention de fomenter un projet violent; la seule violence que nous percevons dans cette affaire est le sort qui leur est réservé.
Depuis le départ, la DGSI a fait preuve d’une forme de partialité qu’elle n’a cessé de démonter depuis, usant d’interprétations subjectives et mensongères, basées sur les maigres éléments qu’elle avait en sa possession, pour criminaliser les inculpé.es.
Elle a par la suite mené des perquisitions violentes, humiliantes et traumatisantes, impactant les personnes les ayant vécues, ainsi que celles ayant peur de les vivre. Elle a procédé à des menaces d’agression sexuele pour prélever de l’ADN lors de la garde à vue.
La DGSI a également profité de notre ignorance du Droit pour effectuer des « auditions libres » sous la menace – notamment de gardes à vue -, proférant des insinuations déplacées, manipulant nos propos et omettant toutes les nuances apportées qui venaient un tant soit peu décrédibiliser leur scénario.
Nous supposons que votre démarche est de faire émerger de ces entretiens un aperçu le plus exhaustif possible de la situation de chacun.e. Néanmoins, au vu de leurs méthodes, il nous est impossible en tant que parents, ami.es, frères et soeurs, des inculpé.e.s du 8 décembre 2020, de nous soumettre à des auditions auprès des services de la DGSI.
Convaincu.es que leur place n’est pas derrière les barreaux, nous demandons la libération sans délai des trois personnes toujours incarcérées.
Les Familles et Ami.es des Inculpé.es du 8 Décembre
L’un des inculpé.es, en Quartier d’Isolement depuis le 11/12/20, nous a transmis cette lettre dans laquelle il parle de ses conditions d’incarcération. A écouter dans l’émission de l’Envolée du 7 mai 2021.
Pour moi qui ai vécu la majeure partie de ma vie de manière collective, j’avais pourtant récemment accepté les bienfaits de courtes périodes de solitude. En disant cela, j’ai comme un arrière-goût âpre dans la bouche tant mes semblables me manquent. Ce sentiment n’est pourtant pas justifié mais provient de l’amalgame dont, dans ce contexte, j’ai du mal à me séparer, entre solitude et régime d’isolement. Il m’est pourtant simple de constater que l’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation.
L’être humain étant un animal grégaire, le lien social est pour lui-elle un besoin vital. L’isolement s’apparente donc à de la torture. Non pas une torture physique existant par un fait ou un acte, mais une torture plus pernicieuse, invisible, permanente existant par cette absence continue. Les seules personnes que l’on entrecroise brièvement, avec qui on se dit réciproquement des « bonjour », des « tenez », des « merci » sont les surveillant.es. Tout est dans l’énoncé ! Aussi cordiales, polies et arrangeantes que peuvent être ces personnes (ce qui n’est pas forcément le cas partout et tout le temps), les surveillant.es, comme le nom l’indique, ne sont pas nos pair.es, ielles sont nos preneur.euses d’otage dont les seules revendications sont vénales (les salaires). S’attacher à cet ersatz de rapports sociaux, que je ne puis et ne veux me résigner à abandonner, soit dit en passant, se rapproche plus du syndrome de Stockholm qu’autre chose.
Contrairement aux responsables de ma présence ici (DGSI, juge d’instruction, juge des liberté) qui ne voient que l’ennemi fantasmé qu’ils montent de toutes pièces, je ne peux m’empêcher de voir la femme ou l’homme derrière le statut, derrière le ou la maton.ne. Je ne suis pas manichéen et, sans vouloir excuser leur rôle dans la mécanique répressive, je ne puis, une fois encore, m’empêcher d' »empathiser ». Je me demande quelles sont leurs parcours de vie, ce qui les a amené.es là, à maintenir des êtres vivants enfermés. Je regarde aussi bien le maillon que la chaîne dans laquelle il s’est lui-même imbriqué. Soumise aux mêmes logiques capitalistes de rentabilité économique que la société, l’administration pénitentiaire tire sur la chaîne, augmentant ainsi la pression exercée sur chacun de ses maillons. Cependant, je ne m’abuse pas moi-même à la façon d’un prestidigitateur me faisant regarder à gauche quand ça se passe à droite. En écoutant le maillon se plaindre, je n’en oublie pas pour autant que c’est autour du cou des enfermé.es que la chaîne se tend.
En isolement, ne pouvant sortir de sa cellule qu’accompagné par un gradé et un.e ou deux surveillant.es, on se sent tel un chien dans un chenil, en totale dépendance de la disponibilité de ses gardien.nes. Par conséquent les créneaux horaires de nos rares sorties doivent s’adapter malgré nous, selon les flux plus ou moins tendus de leur planning. Cela nous impose à être toujours prêt.es, sur le qui-vive ou au contraire être prêt.es pour rien et attendre sans rien pouvoir faire. Il est très courant de poireauter à la douche avant de pouvoir regagner sa cellule, parfois plus d’une demi-heure et, au moins une fois, cinquante minutes.
Quant à l’espace anxiogène qu’est la promenade individuelle, boite bétonnée où les 20m2 trouant le béton au-dessus de nos têtes sont recouverts de multiples grilles et barbelés, le temps y est long, lorsqu’il grêle et qu’après l’heure autorisée et suffisante, il nous est impossible d’appeler les surveillant.es et que nous attendons sans savoir quand nous pourrons regagner le chauffage de notre cellule. A se demander si ce n’est pas pour nous décourager d’y retourner et de rester dans nos cellules, limitant ainsi le travail des surveillant.es.
Au contraire, il y a de la frustration et des créneaux raccourcis. Lorsque, par exemple, la session d’une demi-heure de sport est amputée de 5 minutes, juste avant le sprint final. Cela peut paraître anodin, mais pour qui ce sprint est l’apothéose, l’exaltation ultime du seul et unique mouvement, de la seule et unique dépense physique de la journée, cette privation a le goût malheureux du pain ôté de la bouche.
Avec le retour du soleil, il y a plus de monde qui sort lors des promenades. Les vraies promenades, dans les cours où les gens ne sont pas seul.es. Je les observe. Eux ne peuvent pas me voir à cause de la quadruple dose de barreaux et de caillebotis de ma fenêtre. Ils font du sport collectivement en petits groupes. Je les envie, ils sont vivants, ils PARLENT, ils CRIENT, ils RIENT, ils se motivent les uns les autres, bref, eux ils existent. Je pense que nous construisons notre vision de soi par ce que nous renvoient les autres, mais comment exister quand il n’y a pas d’autres ? Quand les autres ne nous voient même pas ? L’isolement aurait-il pour but l’annihilation de soi ? Avant même d’être jugé, je devrais cesser d’exister ? Et comment répondre à un juge quand on m’extrait et, comme tout juste accouché du néant, on me presse dans un dédale de questions s’apparentant à d’innombrables chausse-trappes ?
On pourrait se dire que ça va quoi, qu’il y a les parloirs, oui c’est vrai, encore heureux. Ces brefs répis permettent de voir des visages familiers et bienveillants et apportent une bouffée d’air frais. Mais les parloirs sont très courts, une demi-heure. Je ne peux qu’imaginer l’impact psychologique sur mes proches, venant de l’extérieur, passant sas, fouilles, verrous, attentes, etc… Pour finalement se retrouver en face de moi dans une micro boite, séparé.es les un.es des autres par un plexiglas. De mon côté, je passe, sans transition, de la stase cérébrale léthargique au « contact » humain sans temps d’adaptation et de toute façon on n’a pas le temps ! TOP CHRONO! Tout est à la course, entre discussions techniques de l’administratif, des besoins matériels, des procédures, etc… On abrège nos sujets pour économiser le temps. N’ayant pas de vie, je n’ai rien à raconter mais je n’ai pas le temps de le faire ! On court dans tous les sens mais on ne va nulle part et déjà le parloir est fini. Je ne peux ressentir qu’une certaine frustration et imaginer celle de celleux qui ont fait le trajet aller-retour pour si peu. Celleux qui ont pris une journée complète, la moitié d’un week-end pour une demi-heure insatisfaisante.
Pour ce qui est des parloirs prolongés d’une heure, covid oblige, ils sont annulés pour cause sanitaire. Franchement, quel est le rapport ? Le covid a le dos le plus large que le monde ait connu. Depuis le 8 décembre, presque 3 mois, je ne parle plus, je n’ai personne à qui parler (bien sur il y a les parloirs). Du coup, la pensée ne se transformant pas en parole et donc ne recevant pas de retour, n’arrive pas à se moduler, à se matérialiser, elle devient insaisissable, comme un brouillard confus. C’est comme une grosse boîte de lego renversée mais qu’on ne sache plus comment on emboîte deux pièces. J’ai l’impression d’être abêti, comme en état de choc, la capacité de penser m’aurait été retirée.
Écrire ce texte me prend plus d’une semaine et de nombreux maux de tête. Non, le covid n’a pas la carrure pour cela, j’ai été testé négatif durant cette période, donc l’isolement en est bien la cause. L’on dit que le propre de l’homme (et de la femme) est le rire. Mais seul.e, sans contact humain, le rire est impossible, l’isolement nous retire le droit à notre humanité. Pour garantir son humanité, devrait-on rire seul.e? Serait-ce s’adapter à cette situation ? Mais rire seul.e, pour certaines personnes, cela s’apparente à la folie et la folie, pour d’autres, mérite l’enfermement. Devrait-on enfermer les gent.es pour les conséquences de leur enfermement ? Je sais que ce n’est pas une idée nouvelle, mais les gens décidant de l’enfermement, de l’isolement ou des situations de détention des personnes, qu’elles soient condamnées ou présumées innocentes,devraient savoir à quoi ça correspond concrètement. Un juge donnant une peine me fait l’impression d’un multimilliardaire discutant au sujet du prix du pain.
(Je n’ai pas le temps d’écrire sur l’impact des continuels contrôles par l’œilleton de la porte. Contrôles de jour, apportant un sentiment d’être constamment épié et, de nuit, avec allumage de lumière, qui favorisent un sommeil, ô combien, continu et réparateur…)