PARLONS JUSTICE! ACTION DE SOUTIEN CONTRE L’ISOLEMENT

Parlons Justice !” lançait le gouvernement en ouvrant le 18 octobre 2021 les Etats Généraux de la Justice. En soutien à nos proches qui subissent les violences carcérales, l’isolement, le mitard : faisons pleuvoir la Justice sur eux! Ri-Postons en masse ces cartes pour dire: STOP A LA BARBARIE CARCERALE! Téléchargez, timbrez, postez!

UN AN DE TORTURE BLANCHE POUR UN INCULPE DU 8/12.

Suite à l’opération de répression antiterroriste du 8 décembre 2020, 5 personnes avaient été placées en détention provisoire. Le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut s’est servi de la détention comme manière d’affaiblir les inculpé.es afin qu’iels ne puissent se défendre dans des conditions correctes. C’est une manière bien rôdée et courante que d’utiliser l’enfermement pour briser les gens, comme le rappelle régulièrement L’Envolée qui relaye des témoignages de détenu.es depuis plus de 20 ans. Presque 30% des détenu.es en France sont en attente de jugement. Puni.es d’avance “par prévention”, mais surtout présumé.es coupables et condamné.es d’avance.

Au fur et à mesure que les interrogatoires se terminaient, les inculpé.es étaient relâché.es et mis.es sous Contrôle Judiciaire. Les derniers en date le fûrent le 15 octobre et le 5 novembre.

Alors que la dimension de répression politique dans cette procédure ne fait nul doute, aucun projet quelconque n’étant réellement reproché aux inculpé.es qui ne constituent par ailleurs pas un groupe, notre ami, fantasmé en “leader” par la DGSI, a subi un régime d’isolement illégal, renouvellé trois fois, dont il a témoigné de l’impact sur sa santé plusieurs fois.

Nous vous invitons à lire ses témoignages avant de poursuivre.

Pensez-y : 365 jours d’isolement. Trois-cent soixante-cinq jours

C’est dans ces conditions, notamment de troubles sensoriels et mémoriels intenses, qu’un prétendu “juge”, indigne de ce nom, lui somme de s’expliquer encore et encore sur le moindre de ses faits et gestes ou propos tenus plus d’un an auparavant, parfois alcoolisé. On pourrait penser à un sketch des Inconnus, si les conséquences n’étaient pas aussi dramatiques. Ironie implacable de l’Ajustice antiterroriste.

Malgré les recours au tribunal administratif, malgré la violation de ses droits assumée, malgré plusieurs actions de soutien (Grande Marée Postale contre l’Isolement en mai, et une tribune Violences Pénitenciaires et Acharnement Carcéral, Stoppons la Spirale Répressive!) l’Administration Pénitentiaire de Bois d’Arcy organisait le 12 novembre dernier un “débat” visant à constituer un dossier qui sera transmis au Ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui statuera début décembre prochain d’un nouveau renouvellement (ou non?) de sa torture blanche.

« La torture est une relation, un rapport de force au détriment de la victime, visant à son asservissement, sa déshumanisation » d’après le Comité Européen pour la Prévention de la Torture (CPT). Ce dernier précise dans son 21e Rapport Général (2011) que « la mise à l’isolement peut, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant », qu’ « elle devrait être de la durée la plus courte possible ». Par conséquent, le CPT réclame aux Etats de « réduire le recours à l’isolement au minimum absolu« .

Pourtant, Odile Cardon (directrice de la Maison d’Arrêt (MA) de Bois d’Arcy) avait décidé de son placement à l’isolement dès son incarcération le 11 décembre 2020. Puis, malgré une conduite exemplaire, d’un renouvellement le 11 mars 2021.

Ensuite, c’était au tour Stéphane Scotto, ancien sous-directeur de l’état-major de sécurité (de 2009 à 2012) et fraîchement nommé Directeur Interrégional des Services Pénitentiaires (DISP) de Paris; qui renouvella son isolement début juin 2021, puis début septembre. Directeur de la MA de Nancy (2001-2004), il avait été mis en examen pour “homicide involontaire” puis blanchi de toute responsabilités par la Justice. Il est aussi célèbre pour avoir expérimenté à Fresnes l’isolement des détenus “radicalisés” du reste de la prison; ou encore des fouilles à nu systématiques et illégales.

Le camarade maintenu à l’isolement depuis un an témoignait de l’illégalité la mesure :

« En restant sur ma situation et mon isolement, il est « amusant » de constater le non-respect par l’AP de leurs lois. La circulaire du 14 avril 2011 stipule, en résumé, que l’on ne peut être placé en isolement pour les faits que l’on nous reproche (ou pour lesquels quelqu’un.e a été condamné). La raison doit être un comportement dit « inadapté » ou « dangereux ». Malgré cela la direction de la taule m’a imposée pendant six mois et a obtenu la prolongation de l’isolement en disant très clairement qu’elle se basait uniquement sur les faits reprochés et qu’elle reconnaissait que mon comportement n’a posé aucun problème. Donc, sans aucune gène, on bafoue les droits d’une personne et on lui applique la torture dite « blanche »… Tranquille!”

Libre Flot – Lettre depuis l’isolement – A lire ici

LA BARBARIE EN PRISON : POUR L’ABOLITION DU MITARD ET DE L’ISOLEMENT.

Tout comme les violences policières, les actes de barbarie en prison se font nombreux et toujours passés sous silence ou légitimés. Ils sont le fruit de la diffusion dans la population de désirs punitifs et d’une déshumanisation de certaines catégories sociales. Islamophobie, racisme, masculinisme et validisme constituent cette “passion contemporaine” (Fassin, 2017) qu’est la punition.

Il y a eu plus de 50 suicides et morts suspectes en 2021 dans les prisons françaises. Les suicides sont environ 7 fois plus élevés en prison qu’en dehors, et encore 15 fois plus à l’isolement. Il faut agir, car la situation empire.

“Dans les cellules des quartiers disciplinaires (QD), les conditions de détention sont encore plus intolérables que dans le reste de la prison. Isolées du reste de l’établissement pénitentiaire, elles sont le lieu où des dizaines de prisonnier.ères meurent chaque année dans des conditions obscures.”

Christian Chouviat, lors de la manifestation contre les violences policières du 20 mars 2021 à Paris.

Ce fut le cas d’Idir Mederess en septembre 2020 à la MA de Lyon-Corbas. Il se serait “suicidé”, à 2 semaines de sa sortie. La famille n’en croit pas un mot. Le 30 mai 2020, l’Association Idir Espoir & Solidarité a lancé la première Journée Nationale contre les Violences Pénitentiaires. Elle a aussi lancé une pétition à destination d’Emmanuel Macron et Eric Dupond-Moretti qui demande la radiation des mitards, que nous vous invitons à signer et partager.

Une tribune du juriste Gaspard Lindon parue en 2018 dans Libération titrait “Le Mitard, une incohérence constitutionnelle” et informait :

“On ne sort pas indemne d’un tel isolement prolongé. Outre le risque accru de suicide, on recense de nombreux effets nocifs sur le détenu (panique, dépersonnalisation, paranoïa, hallucinations, aggravation de pathologies existantes entre autres)”.

Dans cette continuité, le collectif Fracas publiait une brochure en mai 2021 intitulée “Pour l’Abolition du Mitard”. On y apprend :

“En théorie, le quartier disciplinaire (QD) se distingue fortement du quartier d’isolement (QI). Une circulaire de l’Administration Pénitentiaire (1999) établit très clairement que le quartier d’isolement ne “constitue pas une sanction disciplinaire”, ce qui permet notamment d’y placer les prisonnier.ères pour une durée indéterminée. »

Ce fut par exemple le cas de Christine Ribailly, qui a passé 725 jours au mitard et 210 à l’isolement en 4 années d’emprisonnement. “Le quartier d’isolement, c’est le mitard sans limitation de durée”, disait-elle.

On y retrouve également un extrait du Bulletin de l’Association des Parents et Amis de Détenus (février 1988) :

“Les conditions d’isolement, donc la privation sensorielle, que subissent aujourd’hui certains détenus, qu’ils soient politiques ou droits communs, ne sont rien d’autre que des assassinats lents et propres. Les quartiers d’isolement, quelque soit leur appellation sont la forme futuriste de la peine capitale. On y assassine le mental en mettant en place le système de l’oppression carcérale à outrance, conduisant à la mort par misère psychologique.”

Les luttes contre l’isolement carcéral ne datent pas d’hier. Les prisonnier.ères, leurs familles et leurs proches, dénonçaient déjà la torture de l’isolement dans les années 70. (Pour une chronologie des luttes anticarcérales, lire “A ceux qui se croient libres” de Thierry Chatbi) De nombreuses révoltes, grèves de la faim et soutiens extérieurs avaient réussi à faire abolir les Quartiers de Haute Sécurité (QHS).

“De 1975 à 1981, de nombreux détenu(e)s se sont battu(e)s contre les QHS dans lesquels étaient isolés les détenu(e)s “récalcitrants”.
Par leur solidarité dans la lutte, ils ont réussi à les faire fermer.
Hélas, ils ont été remplacés par les QI (Quartiers d’Isolement) qui ont la même fonction, anéantir et détruire toute résistance, NIER LE DROIT AU RESPECT DE LA DIGNITE!! »

Bulletin de l’Association des Parents et Amis de Détenus, février 1988

En 2012, des prisonnier.ères en lutte dans la prison de Roanne réclamaient encore la fermeture des QD et QI. Ce ne sont donc pas seulement les QD qu’il faut fermer, c’est le concept même d’isolement qu’il faut abolir.

L’article 3 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme stipule : « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitement inhumains ou dégradants », or comme nous le savons, les lieux d’enfermement (prisons, CRA, hôpitaux psychiatriques) les pratiquent systématiquement sous diverses formes. Nous voyons la violence carcérale s’étendre jusque dans la santé y s’y substituer: “Nous sommes alarmés par le virage sécuritaire observé ces quinze dernières années”, concluait récemment le Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM) “L’Antre-2” (Rennes) après une enquête sur les soins sans consentement (C’est du soin si c’est contraint?).

En raison des « dommages qu’il peut causer à l’état de santé mentale, somatique, et au bien être social des détenus, […] l’isolement ne doit être utilisé que dans des circonstances exceptionnelles, en dernier ressort, et pour la durée la plus courte possible. » (Art. R. 57-7-68) Le Code de Procédure Pénale stipule également que l’autorité qui a pris ou prolongé la mesure, d’office ou à la demande de la personne détenue, peut y mettre fin à tout moment. (Art. R. 57-7-76)

Quant au Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, il concluait dans son rapport de 2019 : “Plusieurs des établissements visités en 2019 présentaient des locaux disciplinaires ou d’isolement qui ont été qualifiés d’immondes et, dans un cas, leur fermeture immédiate a même été demandée. Les cellules de quartier disciplinaire et d’isolement sont nues et sombres, y compris pour des séjours de longue durée, les cours de prommenade ne sont que des espaces exigus et humides dépourvus de tout et souvent recouverts de grilles diverses assombries par des débris végétaux.”

NOUS AVONS BESOIN DE VOTRE SOUTIEN!
Participez à l’action et partagez dans vos réseaux!
Postons en masse ces cartes pour dire: STOP A LA BARBARIE CARCERALE!

A télécharger ici : Cartes Postales contre l’isolement.

L’ordre carcéral n’échappe pas aux logiques de sécurité globale, il est au contraire une infrastructure (morale et matérielle) motrice du continuum sécuritaire. Les réalités qui y sont vécues, propulsées par le syndicalisme pénitentiaire dans la sphère politique et médiatique, nourissent les pulsions punitives dans la société.

La spirale sécuritaire provient aussi des prisons, comme le résume Didier Fassin :

“Plus de sécurité produit habituellement plus d’ordre, tandis que plus d’ordre peut paradoxalement entraîner plus d’insécurité, conduisant en retour à la mise en oeuvre de mesures plus strictes.”

(L’ombre du monde, Une anthropologie de la condition carcérale, 2015)

Ne laissons pas les écrans, les barbelés et l’omerta isoler les prisonnier.ères.

Parlons Justice?
Parlons radiation des mitards!
Parlons abolition de l’isolement!

Pour diffuser cet appel format papier : cliquez-ici !

Et de quatre libérations!

Quelques jours après la parution de notre dernier texte et la libération d’un camarade détenu à Fresnes, notre camarade détenu à Fleury a été libéré de sa détention ! On continue de se battre pour le dernier camarade toujours à l’isolement.

Dessin depuis sa cellule à Fleury

Vendredi 5 novembre, notre camarade, compagnon et ami détenu à Fleury-Mérogis est sorti sous contrôle judiciaire, après onze mois de prison en détention préventive !

Notre joie est immense de le savoir de retour chez lui, auprès de ses proches, après tant de temps passé derrière les barreaux sous statut DPS… Mais cela ne saurait éteindre notre colère.
Colère de voir le gâchis humain, les vies broyées, les espoirs déçus, l’attente, le temps perdu, les humiliations pour les inculpé.e.s et leurs proches venant les visiter au parloir, les privations répétées de droits au cours de leur détention, l’arbitraire de la justice et de l’administration pénitentiaire…

Évidemment nous ne cachons pas notre satisfaction de voir « l’affaire du 8 décembre » se dégonfler inexorablement comme une baudruche, pour laisser paraître son absurdité et son infamie. Mois après mois, l’accusation démontre sa faiblesse et le peu d’éléments en sa possession, laissant apparaître crûment son seul objectif de répression politique.

Mais nos camarades, elleux, ont payé le prix fort pour cette farce montée en épingle par le cirque judiciaire et médiatique !
L’un d’entre-elleux reste toujours détenu à ce jour, à l’isolement. Plus que jamais il a besoin de notre soutien collectif pour l’aider à tenir.
Nous continuerons à donner de la voix inlassablement pour faire connaître le sort qui lui est réservé, lui qui est privé de soins et n’a vu un médecin qu’une seule fois en onze mois de détention à l’isolement !

Cette affaire prend place dans un contexte plus large de criminalisation des luttes, d’usage de l’association de malfaiteurs comme outil de répression politique et de montée de l’extrême-droite dans une ambiance préfasciste.
Depuis 2015 et la mise en accusation systématique des musulman.e.s, la mise sous tutelle et la répression tous azimuts de toute une communauté, jusqu’à ces derniers mois avec les lois liberticides votées l’hiver dernier, les virages sécuritaires des gouvernements successifs ont été particulièrement inquiétants. Les derniers projets de loi et le climat électoral délétère en attestent.

On savait que la justice de la République savait collaborer avec l’exécutif pour tenter d’éteindre certaines flammes trop vigoureuses durant des mouvements sociaux, des soulèvements et des révoltes, et pour essayer de faire peur à celleux qui se laisseraient tenter par l’expérience.
Nous sommes en train de passer un cap. Aujourd’hui, la justice vient exercer une punition préventive. Des personnes sont enfermées pour éviter qu’elles ne posent problème, simplement par leurs affiliations – réelles ou supposées – à des mouvements dits « radicaux ».

L’objectif derrière tout cela n’est pas tant de paralyser ces camarades ou leur entourage proche, mais bien toutes celles et ceux qui se reconnaîtraient un tant soi peu en elleux. L’exécutif, les flics et la justice sont tout-puissants, et leur sentence peut s’abattre sur chacun.e d’entre nous, à tout moment, pour n’importe quelle raison. C’est contre cette tentative de pression par la peur que nous devons nous battre.

Plus que jamais nous devons faire front, pour lutter contre la judiciarisation des idées politiques d’émancipation et la criminalisation de l’action politique.
Nous restons déterminés jusqu’à ce que tous soient libres, nous ne lâcherons pas jusqu’à ce que le dernier soit sorti de sa détention à l’isolement !

Ils veulent nous terroriser, nous ne nous laisserons pas antiterroriser !

Lettre depuis l’isolement, texte et dessin échappés de l’intérieur

English version here. Versione italiana .

Lettre depuis l’isolement – Bois d’Arcy – Été 2021

Cela fait désormais depuis plus d’un mois et demi que l’envie de réécrire à propos de l’isolement me titille mais je n’arrive pas à m’y mettre, je n’arrive pas à me concentrer suffisamment. Soit mon esprit s’évapore dans le néant comme un petit nuage, soit il se condense en une sorte de mélasse si épaisse qu’elle bloque tout dans mon cerveau et me file des maux de tête. Bien que la première puisse être plus douce (comme être drogué jusqu’à l’abrutissement et l’hébétude), ces deux situations amènent un sentiment douloureux. En effet constater sa perte de capacité intellectuelle et assister à sa propre décrépitude sont d’une violence totale particulière. C’est dans cette condition mentale que je m’attelle à l’élaboration de ce texte. La volonté de faire comme une mise à jour de la situation vient du constat brutal de son aggravation. De nouveaux symptômes apparaissent tandis que les anciens s’accentuent et s’empirent sans qu’on y prête attention. Lorsque l’on se rend compte d’avoir complètement oublié que deux de ses ami.es (co-inculpé.es) avaient été mis.es en liberté (sous contrainte judiciaire), alors que ce fut la seule bonne nouvelle depuis son enfermement, c’est un véritable électrochoc. Le cerveau commence sérieusement à dérailler. Les problèmes de concentration, les difficultés à construire sa pensée, l’hébétude, la perte de repères temporels, les maux de tête, les vertiges, tous ces symptômes déjà énoncés précédemment, loin de disparaître avec le temps, se sont amplifiés et généralisés, ils sont devenus monnaie courante ou normalité. Mais à ceux là il faut en ajouter d’autres. Avant de les citer il faut comprendre quelque chose : à chaque fois qu’un nouveau symptôme, qu’un nouveau mal apparaît, on se dit que c’est temporaire, on attend que ça passe. Mais non ! Chaque nouveau mal qui pointe le bout de son nez n’est plus qu’un aperçu de ce qui va s’installer dans le long terme et devenir de plus en plus présent. Ces nouveaux « compagnons » sont donc : La perte de mémoire, tellement à l’ouest, sans aucun échange avec les gens ni aucun stimuli, les choses ne s’impriment plus. Les informations lors des coups de fil, des parloirs, des lectures, rentrent et ressortent sans laisser de traces ou à peine une vague sensation de quelque chose d’impalpable. C’est bien simple, si je ne note pas immédiatement mes horaires de sport et d’opprimade de la journée, dans la minute qui suit, impossible de s’en souvenir… En plus de cela, il y a les troubles visuels : il est désormais impossible de voir un sol droit, de niveau. Les sols penchent dans tous les sens en même temps et jamais les mêmes. On pourrait s’amuser à essayer de deviner de quel côté irait une balle si on la passait au sol, aucun des cotés serait étonnant. Mais bon, elles sont interdites, même les DIT… rusé.es ! Un autre symptôme des plus inquiétants est celui de la forte pression thoracique accompagnée d’une douleur aiguë au cœur, comme une pointe plantée en son sein. L’impression que le cœur bat non pas plus vite, mais plus fort comme s’il voulait sortir de la poitrine ainsi qu’un sentiment de fébrilité et ce, même pendant les moments de relaxation, qui sont les sessions de taï-chi-chuan ou de méditation. Cette douleur dura un mois complet de manière permanente, non stop avant qu’elle ne s’éloigne, pour revenir de temps à autre me rendre des visites inopinées. Mais aussi, le problème d’accès à son propre cerveau. C’est devenu courant, lorsque quelqu’un évoque un sujet ou un autre, de savoir avoir des connaissances à ce propos mais de ne pas y avoir accès, le lien pour y parvenir est rompu, ça connecte pas. Erreur 404 d’aucuns diraient… Et la peur s’insinue, et si ce n’était pas le chemin qu’on ne retrouve plus, et si c’était son savoir qui s’effilochait et disparaissait ? A toutes ces choses là s’ajoutent, comme dit plus haut, le constat de cette situation qui en lui même induit son lot de souffrance psychologique. Mais alors que fait-on ? S’inquiéter, demander à voir un médecin ? Oui mais en isolement c’est très compliqué d’aller dans l’aile médicale. On peut rétorquer qu’un médecin passe deux fois par semaine en C4 (quartier d’isolement du centre pénitentiaire de Bois d’Arcy). Oui mais en super speed, dans le couloir avec les surveillant.es, sans possibilités de garantir un semblant de secret médical et avec juste le temps de prendre trois notes et nous refourguer du doliprane en glissant qu’ici (en quartier d’isolement) c’est propice aux mots de tête. Avoir un rendez-vous n’est pas toujours aisé mais plus dur encore est que l’on y soit emmené. Pour sortir du C4 toute la zone de détention doit être bloquée, ce qui entrave le fonctionnement de la prison. Lors du déplacement tout doit être clos et inaccessible, même à la vue, ce doit être une certitude de ne pouvoir ni voir ni être vu par un autre détenu. Le fait de devoir être accompagné d’un.e gradé.e et d’un.e surveillant.e durant tout le trajet et le temps du rendez-vous complique la logistique de leur journée et nécessite plus de personnel. Il est donc tout bonnement plus simple de laisser le détenu à son espoir qui s’égraine au rythme des minutes de sa montre jusqu’au moment où il se rend compte qu’il n’ira pas à son rendez-vous attendu de longue date. Pour ma part, par deux fois mon rendez-vous dentiste a été repoussé car on ne m’y a pas emmené alors que le dentiste et moi-même étions tous deux dans l’attente. Depuis début février je demande à être suivi par un.e psychologue, en cette fin juin1, toujours rien à l’horizon. Mon rendez-vous médecin généraliste a pu avoir lieu après un mois de demandes répétées mais surtout grâce à l’intervention de mes avocat.es. La docteur m’a affirmé oralement que ce dont je me plaignais était causé par la condition d’isolement, que c’était normal dans cette situation et que ça passerait quand je sortirai et ce sans toutefois me donner un certificat médical allant dans ce sens2… J’en déduis que tous.tes les isolé.es subissent les mêmes troubles et que ces souffrances sont banalisées, « c’est normal, ça passera ». C’est comme si on ne prenait pas en compte les graves atteintes physiques et mentales, comme si on me disait « tu souffres, on s’en fout c’est pas grave ». Et bien si c’est grave et quand bien même ça passerait à ma sortie, non, ce n’est pas normal de subir ça. Ne pas faire de certificat médical c’est participer à l’existence de ces faits, se rendre complice de la torture subie. Ce qui est intéressant de voir c’est que la mise en isolement crée des troubles psychiques et physiques qui ne peuvent être suivis correctement dû au fait que l’on soit en isolement. C’est le serpent qui se mord la queue, la spirale infernale. C’est un tel non-sens qu’il est difficile de croire que ce soit un accident. Désormais, un « système » a été mis en place, censé m’assurer que je puisse accéder à mes rendez-vous, à voir ce que cela donnera car l’occasion ne s’est pas encore présentée de le mettre en pratique. Ceci est un luxe obtenu du fait que je suis un relou quant à mes droits, ou comme dirait la direction : « exigeant sur mes conditions de détention ». Mais ici le respect des droits des détenus est à gratter, il ne s’applique pas automatiquement et en appeler au bon sens avec courtoisie pour qu’il existe, c’est comme faire sa miction dans un violon. Le régime végétarien, plus ou moins effectif, ne le fût qu’après avoir cité les articles de loi et menacé de faire intervenir mes avocat.es. Le problème de la hi-fi et des rendez-vous médicaux, de même : « avocat.es » ! Alors voila, pour le « qu’est ce qu’on dit ? » qu’on rabâche aux mômes, ici c’est pas « merci » ou « s’il vous plaît » mais « avocat.es ! » Bien que pas étonnant, c’est affligeant de constater que l’administration pénitentiaire (AP) impose un rapport antagoniste, que tout doive se gérer sous l’angle d’un rapport de force. Je me sais privilégié à cet égard, j’ai deux avocat.es déterminé.es à ce que mes droits soient respectés. Un luxe énorme dont bien peu ici, je suppose, peuvent se vanter. Privilégié aussi de maîtriser un tant soi peu la langue française et sa lecture-écriture afin de pouvoir exprimer clairement mes revendications et pouvant justifier de leur légitimité. Car bien que l’on puisse faire des réclamations aux surveillant.es pour certaines choses, le protocole officiel et le seul reconnu est l’écrit. Je n’ose imaginer le calvaire pour celleux qui ne parlent pas la langue ou qui ont des difficultés vis à vis de sa pratique écrite et qui bien évidemment ne peuvent, en isolement, demander un coup de main à un.e codétenu.e. L’AP étant comme son nom l’indique, une administration avec tout ce que cela implique, la patience acquise avec le temps n’est pas la moindre des qualités, tout comme la capacité à s’adapter à ce système protocolaire. Je me demande comment une personne non soutenue par un.e avocat.e, ne maîtrisant pas bien la langue, peut faire entendre ses droits et ne pas perdre patience. Et si perte de patience il y a, en cas de bafouement des droits comment cela finit-il ? Quelles dérives et quelles conséquences ? Ne le savons-nous pas déjà ? Le moral évolue en dents de scie avec des moments de quasi-euphorie (ce qui n’est pas forcément rassurant) jusqu’à la démoralisation et une totale démotivation, et ce sans que rien ne se soit passé et que rien ne justifie ces sautes d’humeur. La situation psychique est instable, je me réjouis quand tout va « bien », tout en redoutant le creux de la vague qui implacablement se profile. En plus des proches qui se démènent pour m’offrir un parloir hebdomadaire, mon meilleur soutien est le soleil (bien qu’il commence à transformer la taule en fournaise). Je reste encore impressionné de constater à quel point les conditions météorologiques influencent mon état mental (météo : dépression le long des côtes mais chaud à l’intérieur des terres… 🙂 Pour tenir bon je ne me tourne pas vers l’avenir, je n’image rien de positif de peur d’être déçu et de subir un ascenseur émotionnel. Pas d’espoir, pas de déception. Je ne me projette donc pas et vis au jour le jour, répétant inlassablement ma routine. Une routine rigoureuse entre entretien physique, développement intellectuel et apaisement psychologique me donnant un cadre, une prise sur moi-même. L’autodiscipline est la seule chose qui demeure quand plus rien d’autre ne reste. Une autre technique pour garder le sourire : se mentir éhonteusement sur sa situation. Une légère différence dans la nouvelle cellule ? Waouh ! Elle est trop géniale De la bouffe industrielle ? Cool ! Si on y met du curcuma, du sel, du ras-el-hanout, du curry, des herbes de Provence, du cumin et de la harissa, c’est mon repas favori ! L’eau de la douche est chaude ? Elle est relaxante ! Elle est froide ? Elle est vivifiante. Ne pas voir le verre à moitié vide mais au deux-tiers plein… Alors il me manque (ou pas) que les confettis et les paillettes quand les proches déposent un CD nickel, un bouquin trop intéressant, un manuel de taï-chi-chuan ou de langue bien chiadé… Pîroz be ! En changeant de cellule, on s’aperçoit à quel point l’on doit réapprendre les sons. Inconsciemment, on intègre tout les sons de la coursive. Suivant la résonance des pas, les échos des voix, les roulements des chariots, le glissement des œilletons, le tintement des clés, les bips du portique de sécurité, les ouvertures et fermetures des portes, on devine ce qui s’y passe. Il est alors possible d’anticiper le moment ou les surveillant.es arrivent à sa porte. Cela peut paraître anodin, mais selon moi, il est très important de ne pas être surpris. Ne pas être surpris signifie anticiper le bruit ultra-sec et brutal des loquets et verrous. Se faire surprendre par ce son fait sursauter, donne un à-coup au cœur, une montée de stress et ce sans raison, c’est biologique, animal dirais-je. J’ai l’image en tête de la biche ou de la gazelle aux aguets, les oreilles attentives afin de ne pas être victime de la prédation. Bien que consciemment rien ne justifie un tel sentiment et que, à titre personnel, je n’ai aucun comportement agressif ou abus à déplorer de la part des surveillants. Je ne peux m’empêcher, comme un devoir vital, un instinct de survie, d’être toujours prêt, d’être toujours sur le qui-vive. Comme une manière de prendre possession de son territoire, de contrôler son espace ! Cela est sûrement dû au fait que bien que nos relations soient courtoises, elles ne seront jamais amicales et les surveillant.es ne seront toujours que des maillons de la chaîne de mon oppression. La dernière fois3, je n’avais pas trop évoqué les œilletons qui permettent de zyeuter les détenus au travers de la porte. Entre temps, ils y ont rajouté des grilles, ici aussi… Comme s’il y en avait pas déjà assez… Cela ne permet pas de nous observer sans qu’on le sache, car comme dit, on entend, cela ne sert qu’à isoler encore plus des êtres humains. Là où autrefois apparaissait un œil (image assez perturbante voire cosmique, soit dit en passant) il n’y a plus rien. Plus de lien visuel entre soi et « l’œil », uniquement le son (bientôt plus rien), encore un petit pas vers la déshumanisation de l’environnement carcéral. Ces contrôles s’effectuent toutes les deux heures environs, jour et nuit. Durant la journée, il faut donner signe de vie, sinon ça cogne à la porte, donc se réveiller si c’est le moment sieste. La nuit le contrôle est accompagné inévitablement de l’allumage des lumières (d’une durée plus longue suivant son auteur.ice). Les nuits où je dors très bien, je ne suis réveillé qu’une fois, sinon… Le plus pernicieux dans l’isolement est de rendre le réel irréel. Étant donné que l’on est en permanence seul.e avec soi-même, avec ses propres pensées comme unique interaction, le monde réel ne se matérialise pas, les proches relatent un monde qui semble imaginaire (celui de l’extérieur) lors de moments qui, une fois terminés, semblent n’avoir été qu’un songe (les parloirs). La seule réalité (pathétique), c’est cette cellule, ces livres, ces salles des spores (hihi), cette douche, cette « pseudo-promenade » individuelle. Même les autres détenus dans les (vraies) promenades que l’on aperçoit au travers des grilles de sa cage semblent être dans un autre univers. On apprend ce qui se passe dehors, on est informé.e de ce qui nous touche sans pour autant le vivre, le ressentir. Apprendre la mort d’un.e ami.e affecte d’une manière si perplexe qu’il est impossible de le définir clairement. Tant de sentiments surgissent en même temps, ceux normaux, une tristesse profonde, le choc, l’incompréhension, mais cela se mêle à un sentiment d’irréalité. Bien que l’on sache la cruelle véracité de cette terrible perte, elle semble n’être qu’un cauchemar lointain. Ne participant pas aux obsèques, il n’y a pas de partage à ce moment-là avec les autres personnes qui l’ont aimé.e. Ni même ma possibilité de se confier à un autre détenu. À cela s’ajoute la nécessité de tenir le coup. Combat permanent pour ne pas sombrer, qui ne nous laisse pas le « loisir » de se laisser aller complètement à sa douleur, à son deuil. Les visites étant les uniques et très courts bols d’air frais, elles sont plutôt focalisées sur ce qui apporte de la joie et les sujets douloureux sont volontairement limités ou omis. Une fois encore, les sentiments et les émotions sont, par une sorte de mécanisme de survie, bloqués, relégués à plus tard, à la sortie… Combien de ces événements ont ils été amassés depuis le début de l’isolement ? Quel bagage émotionnel se trimballe-t-on ? Comment gérer lorsqu’on sortira ? Que se passe t-il si ce « bagage » craque plus tôt ? Oups… question(s) à remettre dans le sac. Cette réalité se limite à un espace si restreint qu’on en devient égocentré. Je me souviens avoir pensé à abréger un récit intéressant qu’un.e proche me relatait car j’avais besoin de partager des choses d’une futilité extrême (mais qui font mon quotidien). Futilité bien souvent très (pathétiquement) matérielle. En restant sur ma situation et mon isolement, il est « amusant » de constater le non-respect par l’AP de leurs lois. La circulaire du 14 avril 2011 stipule, en résumé, que l’on ne peut être placé en isolement pour les faits que l’on nous reproche (ou pour lesquels quelqu’un.e a été condamné). La raison doit être un comportement dit « inadapté » ou « dangereux ». Malgré cela la direction de la taule m’a imposée pendant six mois et a obtenu la prolongation de l’isolement en disant très clairement qu’elle se basait uniquement sur les faits reprochés et qu’elle reconnaissait que mon comportement n’a posé aucun problème. Donc, sans aucune gène, on bafoue les droits d’une personne et on lui applique la torture dite « blanche »… Tranquille ! Tenir le coup par ce qu’il n’y pas le choix, tenir le coup par respect pour soi et pour les sien.nes, tenir le coup grâce aux soutiens des proches : familles, ami.es, camarades. Merci à elleux pour ce soutien sans faille. Merci aussi à celleux que je ne connais pas et qui m’ont honoré du leur. Notes : Ce texte n’a pas vocation à expliquer le fonctionnement carcéral ni la prétention d’être représentatif de ce qu’est la vie en quartier d’isolement. Il n’a encore moins la prétention de théoriser les mécanismes officiels et officieux, les « outils » répressifs utilisés pour briser ou réduire la détermination des détenus, certain.es l’ont déjà fait avec extrêmement de brio. Ce texte n’a de valeur que pour ce qu’il est : un témoignage d’une personne particulière, à un moment donné, dans un lieu précis, ni plus ni moins. J’espère que le passage maîtrise de la langue française, lecture, écriture ne fait pas prétentieux, genre « je cause trop bien », ce n’est pas le but. L’idée est que si tu causes pas français ou si tu galères à la lecture-écriture bah t’es dans la merde pour faire valoir tes droits ! Est ce clair ou je me suis foiré ? Dois-je le refaire ? Hier il fut refusé à ma mère de déposer livres et Cds, soi-disant elle n’avait pas l’autorisation. Erreur d’un.e débutant.e ? Punition indirecte ? Beaucoup de galères au niveau des colis pendant tout l’été qui je l’espère seront bientôt réglées.4 Aujourd’hui en date du 6 septembre et après plusieurs demandes, un certificat médical où seulement la perte de mémoire et la douleur thoracique inscrites dessus fut délivré et toujours pas de psychologues.

Libre Flot

NB : les notes de bas de page ont été ajoutées par le comité de soutien

1La situation est toujours la même en octobre 2021

2Lors de l’audience de renouvellement de l’isolement au bout de 6 mois il est demandé au médecin de fournir un avis médical, ainsi qu’au SPIP de fournir un avis sur le comportement.

3 Voir lettre d’avril 2021 publiée dans l’envolée N°53 et sur le blog soutien812.net

https://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/files/2021/10/cellule-2-1024×392.jpg

4 Désormais et suite à des changements dans le fonctionnement de la taule, notre ami doit demander des autorisations pour chaque livre ou CD qui lui est déposé au colis et qui doivent être inspectés par le chef de la détention.

Dessin et p’tit texte échappé de l’intérieur des deux autres inculpés en détention…
Dans une cellule de Fleury Merogis

Poésie de couloir, pour nos cris dans les mouroirs

Écrire, pour panser et dévoiler ses maux, n’oublie pas de penser à réfléchir pour ne pas finir au cachot.

Oh toi prison, ton cœur de briques me laisse de marbre,

j’attends ta destruction pour m’asseoir au pied d’un arbre.

Ulcère je suis, saignant dans tes entrailles de fer et de ciment, rêve de ce jour, que celles et ceux que tu appelles cancer du système dégueulerons.

Oh toi liberté, je rêve de toi, parfois te parle, j’écris ton nom sur un murmure ou bien encore au fond de mes cellules, et je fantasme de pouvoir t’approcher, te caresser et de t’embrasser.

Je regarde par la fenêtre et ma vue est quadrillée, horizon perdu et mal encadré.

Tableau noir et peinture effacée, dans un esprit d’une enveloppe bétonnée.

Manu depuis Fresnes, août 2021

10 mois derrière les barreaux pour des inculpé.es du 8 décembre

Le 8 décembre 2020, plusieurs perquisitions ont eu lieu aux quatre coins de la France, menant à l’arrestation de neuf personnes. Après 96h de garde à vue dans les locaux de la DGSI, sept d’entre-elleux sont mis.es en examen pour « association de malfaiteurs à caractère terroriste en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes dépositaires de l’autorité publique ». Cinq de ces personnes sont alors incarcéré.es, tout.es sous le statut de « détenu.es particulièrement surveillé.es » (DPS). Fin avril 2021, après cinq mois de privation de liberté, deux d’entre elleux sont libéré.es. Très récemment, à la mi-octobre 2021 suite à une demande de mise en liberté, un autre compagnon est libéré sous contrôle judiciare, bien que le parquet ait fait appel, en vain.

Un des prévenus est placé à l’isolement depuis son arrestation le 8 décembre 2020, c’est-à-dire privé de tout contact avec d’autres détenus. Son isolement dure depuis dix mois et a été reconduit pour trois mois supplémentaires le 8 septembre 2021. Cette situation doit cesser au plus vite. Pour en témoigner, nous reproduisons ici une lettre qu’il a écrite depuis sa cellule d’isolement cet été.

Concernant les mis.es en examen, les faits qui leur sont reprochés sont flous, les liens entre elleux également, certain.es ne s’étant jamais rencontré.es auparavant. Le scénario de la DGSI1 semble avoir été pré-écrit et être le résultat d’une construction policière à visée politique, avec la création de figures de coupables idéaux et d’une structure pyramidale.

Ces arrestations interviennent dans un contexte politique de criminalisation croissante des mouvements sociaux. Le recours à l’accusation d’association de malfaiteurs est toujours plus utilisée pour casser les collectifs militants et écraser les luttes.

Nous assistons depuis plusieurs années à une surenchère législative : loi sécurité globale, loi séparatisme, décrets Darmanin2, loi SILT3… L’autorité administrative prend le pas sur le judiciaire. Avec la mise en œuvre d’une forme de justice prédictive, désormais tout le monde est présumé coupable, et les personnes sont jugées sur des intentions et des présomptions d’intention.

Par ailleurs, nous observons également un énième changement de doctrine de la France sur la question kurde, avec l’arrestation de militant.es kurdes en mars 2021 et la criminalisation des personnes ayant combattu au Rojava4, considérées un temps comme alliées dans la lutte contre Daesh et à nouveau perçues comme des « ennemi.es de l’intérieur » et des terroristes.

La criminalisation des opposant.es politiques par le biais de l’accusation d’association de malfaiteurs donne lieu à des écoutes et des techniques de surveillance intrusives. L’interdiction d’entrer en contact avec d’autres mis.e.s en cause rend impossible toute solidarité entre elleux et les prive de relations intimes et précieuses avec leurs proches. Les notes blanches5, outil de l’antiterrorisme et des renseignements territoriaux, deviennent monnaie courante, empêchant les prévenu.es et leur défense d’avoir accès au contenu de leur dossier en intégralité.

Nous dénonçons également les conditions d’incarcération en France, régulièrement épinglées par les arrêts de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) :

– quartiers disciplinaires où les conditions de détention opaques échappent au droit commun et violent les conventions internationales

– conditions d’incarcération d’exception

– recours à l’isolement comme moyen de pression

– morts suspectes dans les quartiers disciplinaires

– surpopulation carcérale

L’Etat déclenche un grand « plan prison », soi-disant pour désengorger les prisons surpeuplées (construction de huit nouvelles prison sur le territoire, livrables en 2027, impliquant un coût faramineux), laissant croire qu’il se soucierait de la dignité des prisonnier.es, alors que ses visées sont avant tout économiques et répressives, et que l’on voit le nombre de prisonnier.es augmenter d’année en année.

Les conditions d’arrestation et de détention, pour nos camarades comme pour toutes les personnes mises à l’ombre, sont aussi déplorables que scandaleuses.

Les déplacements lors des arrestations du 8 décembre 2020 sont conditionnés : les prévenu.es sont encagoulé.es et entravé.es (camisole immobilisant les bras le long du corps via des sangles). Par la suite, on rapporte l’absence d’avocat.e pendant de très longues heures, la privation de sommeil et de nourriture, des interrogatoires lunaires portant plus sur des opinions et orientations politiques que sur des faits. Toutes ces méthodes constituent un non-respect de la présomption d’innocence. Cela a également un impact sur les proches, qui, démuni.es, ne savent vers qui se tourner, tétanisé.es par la peur.

Nos camarades ont tou.tes été placé.es en détention sous le statut DPS : deux surveillant.es sont mobilisé.es à chaque déplacement, voire un.e gradé.e, compliquant l’accès aux soins, aux douches, aux parloirs ; pas d’accès aux activités collectives ni au travail ; brimades ; fouille corporelle intégrale avant et après chaque parloir ; changements de cellule ou de bâtiment, alors même que les habitudes et la routine sont cruciales pour la santé mentale des détenu.es.

Notre camarade toujours maintenu à l’isolement subit non seulement toutes ces privations, mais est également cantonné en promenade seul, dans une cour de 20 mètres carrés recouverte par un grillage. Son accès aux soins est entravé, notamment concernant ses demandes de consultation auprès du médecin, du dentiste et du psychologue. Les conséquences sur sa santé mentale sont délétères, puisqu’il subit des pertes de repères spatio-temporels et des pertes de mémoire. Son isolement est renouvelé tout les trois mois depuis son incarcération, soit depuis dix mois, les nombreux recours et demandes de référés ont tous été rejeté sans plus d’arguments.

Nous exigeons la libération immédiate de nos camarades et la fin de la détention provisoire pour tous. Nous demandons également que l’ensemble des prévenu.es aient accès à tous les éléments du dossier, la fin de la mise à l’isolement comme outil de répression pour broyer les détenus et la fin de la criminalisation des militants politiques et des poursuites contre elleux.

1. Direction Générale de la Sécurité Intérieure

2. Décrets Darmanin : trois décrets du ministère de l’Intérieur, publiés le 04 décembre 2020, visent à élargir les possibilités de fichage dans le cadre d’enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou encore de la part de l’administration.

Concrètement, les fichiers de prévention des atteintes à la sécurité publique visaient initialement « les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou d’être impliquées dans des actions de violences collectives », une définition large qui permet d’y intégrer, outre des individus présentant une « radicalisation du comportement », des personnes ayant pris part à « des manifestations illégales » ou à des « actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ».

Désormais, ces fichiers permettront également d’enregistrer des informations concernant des personnes morales ou des groupements, comme des associations. De plus, le champ de ces fichiers a été élargi aux atteintes « à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République » et à la « sûreté de l’Etat (…) qui relève des activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », précisent les décrets. 

Source : La Quadrature du Net

3. Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme

4. Territoire autonome situé au Kurdistan syrien

5. Ordinaires rapports des services de renseignement, non signés, n’indiquant pas la source de leurs informations, parfois extrêmement vagues et abstraites ou fondées sur de simples rumeurs et autres dénonciations vindicatives.

Source : La Quadrature du Net