« POURQUOI JE FAIS LA GRÈVE DE LA FAIM » – Libre Flot

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Cela fait plus de 14 mois que la DGSI m’a expliqué que je n’étais pas arrêté pour ce qu’elle voulait me faire croire, à savoir mon engagement auprès des forces kurdes contre Daech au Rojava.

Cela fait plus de 14 mois que rien ne valide la thèse élaborée de toutes pièces par la DGSI alors même que pendant au moins 10 mois j’ai été suivi, tracé, sous écoute 24 heures sur 24 dans mon véhicule, mon lieu de vie, espionné jusque dans mon lit.

Cela fait plus de 14 mois que je comprends que ce sont mes opinions politiques et ma participation aux forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech qu’on essaie de criminaliser.

Cela fait plus de 14 mois qu’on reproche une association de malfaiteurs à 7 personnes qui ne se connaissent pas toutes les unes les autres.

Cela fait plus de 14 mois à répondre aux questions d’un juge d’instruction utilisant les mêmes techniques tortueuses que la DGSI : la manipulation, la décontextualisation, l’omission et l’invention de propos et de faits afin de tenter d’influencer les réponses.

Cela fait plus de 14 mois que je subis les provocations de ce même juge d’instruction qui, alors que je croupis dans les geôles de la République, se permet de me dire que cette affaire lui fait perdre son temps dans la lutte contre le terrorisme. Pire encore, il se permet la plus inacceptable des insultes en se référant aux barbares de l’État islamique comme étant mes« amis de chez Daech ». Bien que verbal, cela reste un acte inouï de violence. C’est inadmissible que ce juge s’octroie le droit de m’injurier au plus haut point, tente de me salir, et crache ainsi sur la mémoire de mes amis et camarades kurdes, arabes, assyrien.ne.s, turkmènes, arménien.ne.s, turc.que.s et internationaux.les tombé.es dans la lutte contre cette organisation. J’en reste encore aujourd’hui scandalisé.

Cela fait plus de 14 mois d’une instruction partiale où contrairement à son rôle le juge d’instruction instruit uniquement à charge et jamais à décharge. Il ne prend pas en considération ce qui sort du scénario préétabli et ne sert qu’à valider une personnalité factice façonnée de A à Z par la DGSI, qui loin de me représenter ne reflète que les fantasmes paranoïaques de cette police politique. Ainsi, je suis sans cesse présenté comme « leader charismatique » alors même que tout mode de fonctionnement non horizontal est contraire à mes valeurs égalitaires.

Cela fait plus de 14 mois que sans jugement on m’impose la détention dite provisoire que je subis dans les plus terribles conditions possibles : le régime d’isolement (voir les lettres de mars 2021 et juin 2021) considéré comme de la « torture blanche » et un traitement inhumain ou dégradant par plusieurs instances des droits humains.

Cela fait plus de 14 mois que je suis enterré vivant dans une solitude infernale et permanente sans avoir personne à qui parler, à juste pouvoir contempler le délabrement de mes capacités intellectuelles et la dégradation de mon état physique et ce, sans avoir accès à un suivi psychologique.

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Après avoir sous des airs faussement neutres fourni à l’administration pénitentiaire des arguments fallacieux pour s’assurer de mon maintien à l’isolement, le juge d’instruction demande le rejet de ma demande de mise en liberté, tout comme le parquet national antiterroriste. Pour ce faire, ils reprennent presque en copier / coller le rapport de la DGSI du 7 février 2020, base de toute cette affaire dont nous ne savons pas d’où viennent les informations et dont la véracité n’a pas été démontrée. On est en droit de se demander à quoi ont servi les écoutes, les surveillances, les sonorisations et ces deux ans d’enquête judiciaire et d’instruction puisque sont occultés les faits qui démontrent la construction mensongère de la DGSI.

Le parquet national antiterroriste et le juge d’instruction n’ont de cesse d’essayer d’instiller la confusion et de créer l’amalgame avec des terroristes islamistes alors même qu’ils savent pertinemment que j’ai combattu contre l’État islamique, notamment lors de la libération de Raqqa, où avaient été planifiés les attentats du 13 novembre.

Le juge d’instruction prétend craindre que j’informerais des personnes imaginaires de ma situation alors que celle-ci est publique notamment parce que la DGSI ou le PNAT eux-mêmes ont fait fuiter l’information dès le premier jour. Il prétend ainsi empêcher toute pression sur les témoins, les victimes et leurs familles alors même qu’il n’y a ni témoin, ni victime puisqu’il n’y a aucun acte. C’est ubuesque. Est aussi évoquée sa crainte d’une concertation entre coinculpé.es et complices même si toutes et tous les coinculpé.es ont été mis.es en liberté, qu’il n’a plus interrogé personne d’autre que moi depuis octobre 2021, et que j’ai attendu patiemment qu’il ait fini de m’interroger pour déposer cette demande de mise en liberté.

Il aurait pu être comique dans d’autres circonstances de constater l’utilisation à charge de faits anodins comme : jouir de mon droit à circuler librement en France et en Europe, de mon mode de vie, de mes opinions politiques, de mes pratiques sportives, de mes goûts pour le rap engagé ou les musiques kurdes.

Le juge d’instruction s’en prend à ma mère en la désignant comme n’étant pas une garantie valable pour la simple raison qu’elle n’a pas empêché son fils âgé de 33 ans à l’époque de rejoindre les forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daech. Encore une fois, c’est ma participation dans ce conflit qu’on criminalise. Il lui reproche également l’utilisation d’applications cryptées (WhatsApp, Signal, Télégram…) comme le font des millions de personnes en France. Enfin, il dénigre tout d’un bloc toutes les autres options de garanties (travail, hébergement…) sans rien avoir à leur reprocher alors même que les personnels du SPIP dont c’est le métier ont rendu un avis favorable.

*

Comment alors comprendre qu’après avoir ordonné ces enquêtes de faisabilité signifiant la possibilité de me remettre en liberté avec bracelet électronique, le juge des libertés et de la détention malgré le rendu refuse ensuite de la mettre en place ? Nous sommes nombreux et nombreuses à constater que dans toute cette affaire la « justice » viole ses propres lois et est soumise à l’agenda politique de la DGSI.

J’ai récemment appris de la bouche même du directeur des détentions de la maison d’arrêt des Yvelines (Bois d’Arcy), que je remercie pour sa franchise, que mon placement et mon maintien à l’isolement étaient décidés depuis le premier jour par des personnes très haut placées et que quoi je dise ou que lui-même dise ou fasse, rien n’y ferait, que cela le dépasse, le dossier ne sera même pas lu et je resterai au quartier d’isolement et que de toute façon rien ne pourrait changer avant les élections présidentielles.

*

Puisque l’on cherche à criminaliser les militants et militantes ayant lutté avec les Kurdes contre Daech,

Puisque l’on utilise la détention soi-disant provisoire dans le but de punir des opinions politiques,

Puisque cette histoire n’existe qu’à des fins de manipulation politique,

Puisqu’aujourd’hui on ne me laisse comme perspective que la lente destruction de mon être,

Je me déclare en grève de la faim depuis le dimanche 27 février 2022 à 18 heures, je ne réclame à l’heure actuelle que ma mise en liberté en attendant de démontrer le côté calomnieux de cette honteuse accusation.

Libre Flot.

« WHY I’M ON HUNGER STRIKE » – Libre Flot

It has been more than 14 months since the DGSI [General Directorate for Internal Security] explained to me that I was not arrested for what they wanted me to believe, namely my involvement with the Kurdish forces against Daech in Rojava.

It has been more than 14 months that nothing validates the thesis elaborated from scratch by the DGSI, even though for at least 10 months I have been followed, traced, bugged 24 hours a day in my vehicle, my home, spied on even in my bed.

For more than 14 months I have understood that it is my political opinions and my participation in the Kurdish YPG forces in the fight against Daech that they are trying to criminalize.

It has been more than 14 months that 7 people who do not know each other are accused of criminal association.

It has been more than 14 months of answering questions from an investigating judge using the same tortuous techniques as the DGSI: manipulation, decontextualization, omission and invention of words and facts in an attempt to influence the answers.

For more than 14 months I have been subjected to the provocations of this same investigating judge who, while I am languishing in the jails of the Republic, allows himself to tell me that this case is a waste of his time in the fight against terrorism. Worse still, he allows himself the most unacceptable of insults by referring to the barbarians of the Islamic State as my « friends from Daech ». Although verbal, this is an unheard of act of violence. It is inadmissible that this judge grants himself the right to insult me to the highest degree, tries to smear me, and spits on the memory of my Kurdish, Arab, Assyrian, Turkmen, Armenian, Turkish and international friends and comrades who have fallen in the struggle against this organization. I am still outraged by this.

It has been more than 14 months of a biased investigation in which, contrary to his role, the investigating judge investigates only for the prosecution and never for the defence. He does not take into consideration anything that goes beyond the pre-established scenario and only serves to validate a fake personality shaped from A to Z by the DGSI, which far from representing me only reflects the paranoid fantasies of this political police. Thus, I am constantly presented as a « charismatic leader » even though any non-horizontal mode of functioning is contrary to my egalitarian values.

For more than 14 months I have been held in so-called pre-trial detention without trial, under the most terrible conditions possible: the regime of isolation (see letters of March 2021 and June 2021) considered as « white torture » and inhuman or degrading treatment by several human rights bodies.

 

For more than 14 months I have been buried in a hellish and permanent solitude without having anyone to talk to, just to be able to contemplate the decay of my intellectual capacities and the degradation of my physical state and this, without having access to a psychological follow-up.

*

After having provided the prison administration with false arguments to ensure that I would be kept in solitary confinement, under a false air of neutrality, the examining magistrate requested the rejection of my request for release, as did the national anti-terrorist prosecutor. To do this, they almost copy and paste the DGSI report of February 7, 2020, the basis of this whole affair, whose veracity has not been demonstrated and from which we do not know where the information comes. We have the right to ask ourselves what was the use of the wiretaps, surveillance, sound recordings and these two years of judicial investigation and instruction since the facts that demonstrate the false construction of the DGSI are obscured.

The National Anti-Terrorist Prosecutor’s Office and the investigating judge are constantly trying to instill confusion and to create an amalgam with Islamist terrorists, even though they know full well that I fought against the Islamic State, notably during the liberation of Raqqa, where the attacks of November 13 were planned.

The investigating judge claims to be afraid that I would inform imaginary people of my situation, even though it is public, notably because the DGSI or the PNAT [National Anti-Terrorist Prosecutor] themselves have leaked the information from the first day. He thus claims to prevent any pressure on witnesses, victims and their families even though there are no witnesses or victims since there is no act. It is ubiquitous. Is also mentioned his fear of a concerted effort between co-defendants and accomplices, even though all the co-defendants have been released, that he has not questioned anyone but me since October 2021, and that I have waited patiently for him to finish questioning me before filing this request for release.

It could have been comical in other circumstances to note the use of anodyne facts such as: enjoying my right to move freely in France and in Europe, my lifestyle, my political opinions, my sports practices, my taste for rap music or Kurdish music.

The investigating judge attacks my mother by designating her as not being a valid guarantee for the simple reason that she did not prevent her son, who was 33 years old at the time, from joining the Kurdish forces of the YPG in the fight against Daech. Once again, it is my participation in this conflict that is being criminalized. He also criticizes the use of encrypted applications (WhatsApp, Signal, Telegram …) as do millions of people in France. Finally, he denigrates all the other options of guarantees (work, accommodation…) without having anything to reproach them even though the SPIP staff whose job it is to do so have given a favorable opinion*.

How then can we understand that after having ordered these feasibility investigations signifying the possibility of releasing me with an electronic bracelet, the judge of liberties and detention, in spite of the report, refuses to put it in place? Many of us have noticed that in this whole affair the « justice » violates its own laws and is subject to the political agenda of the DGSI.

I recently learned from the mouth of the director of detentions of the Yvelines prison (Bois d’Arcy), whom I thank for his frankness, that my placement and my maintenance in solitary confinement were decided from the first day by very high ranking people and that whatever I say or he says or does, nothing will be done about it, that it is beyond him, the file will not even be read and I will remain in the solitary confinement area and that in any case nothing could change before the presidential elections.

*

Since they are trying to criminalize the activists who fought with the Kurds against Daech,

Since the so-called pre-trial detention is used to punish political opinions,

Since this story exists only for the purpose of political manipulation,

Since today I am only left with the prospect of the slow destruction of my being,

I declare myself on hunger strike since Sunday, February 27, 2022 at 6 p.m., I only claim at the moment my release while waiting to demonstrate the slanderous side of this shameful accusation.

Free Float / Libre Flot

Lettre ouverte à l’intention du juge Jean-Marc Herbaut, chargé d’instruction et co-juges Nathalie Malet et Emmanuelle Robinson

La dernière personne incarcérée dans l’affaire du 8 décembre vient de se voir refuser une nouvelle fois sa remise en liberté. Elle est donc maintenue, et ce depuis plus d’un an, sous le régime de l’isolement. On rappelle que ce qui lui est principalement reproché, en dehors des fantasmes de la DGSI, est d’être aller soutenir l’expérience d’autodétermination du Rojava et lutter contre l’Etat islamique à Raqqa. Ce nouvel entêtement de la justice à valider les délires des services de renseignement – et à pourrir la vie des 7 personnes inculpées dans l’affaire – a motivé la rédaction d’une lettre ouverte aux juges d’instruction en charge de l’affaire par l’une des mises en cause.

 

Mesdames, Monsieur,

Je vous écris car cela fait maintenant plus d’un an depuis nos arrestations que nos familles et amis subissent le poids de votre instruction. Cela fait maintenant plus d’un an que vous nous maintenez tétanisés par le poids de votre incrimination. Cela fait plus d’un an et pourtant il semble si difficile de faire entendre nos voix dans ce dossier.

En effet, si pendant nos interrogatoires et auditions nous avons tenté de remettre un peu de vérité et d’humanité dans le récit qui s’était construit sur nous à notre insu pendant les 10 longs mois de votre enquête préliminaire, force est de constater que peu importe nos dires ce sont toujours les mêmes mots qui seront in fine utilisés et inlassablement répétés : individus « déterminés », « fanatisés » – mots qui ne représentent que des jugements de valeur de votre part -, « groupe » alors que nous ne nous connaissons pas tous.tes et que l’enquête l’a prouvé, « leader » pour l’ami commun à toutes ces personnes que vous avez inculpées, « projet » ou encore « action violente » sans jamais être capable de nous les nommer ou de nous les définir, « armes » pour parler de répliques d’airsoft, etc. La liste serait trop longue pour être ici continuée, mais illustre parfaitement que votre prétendue enquête n’est fondée que sur la fiction performative que vous ainsi que la DGSI tentez de distiller.
Je ne peux alors que m’interroger sur la visée répressive de cette affaire car la « matérialité » de nos prétendues intentions ne semble reposer que sur des propos retenus lors de discussions anodines entre ami.es (ce qui à mon sens constitue une grave atteinte à la liberté d’expression) ou encore sur nos opinions politiques (ce qui cette fois porte une grave atteinte à la liberté d’opinion). Comment ne pas s’étonner du nombre significatif de questions politiques posées à nos entourages et nous-même ? En quoi ce que nous ou nos proches pouvons penser de la politique actuelle du président Macron peut bien intéresser votre enquête ? Et pourquoi des questions sur le fait que nous votions et si oui pour qui ? Mais pourtant tout y passe, du mouvement gilet jaune aux mouvements de dénonciation des violences policières. De l’écologie au survivalisme. Des anti-GAFAM à toute application ayant pour objectif de protéger ses données et sa vie privée. De l’antifascisme à l’anarchisme.
Non, le simple fait que nos considérations sur ce qui fait obstacle à l’émergence d’une société plus libre et équitable vous déplaise ne fait pas de nous des terroristes et je m’oppose à l’instrumentation du terrorisme à des fins de répression quelles qu’elles soient. Et alors même que vous semblez adepte de termes forts quand il s’agit de nous définir, cela ne vous gêne pourtant pas d’euphémiser et de cautionner la torture blanche qui se cache derrière le sobre mot d’ « isolement ».

Monsieur le juge, dans un long courrier que vous a adressé la dernière personne que vous maintenez en détention, il est fait mention d’une de vos déclarations selon laquelle nous vous ferions perdre votre temps dans la tâche qui serait la vôtre, c’est-à-dire lutter contre le terrorisme. On pourrait alors raisonnablement penser que, si vous avez le sentiment que cette affaire vous fait perdre votre temps, peut être n’a-t-elle simplement rien à faire entre vos mains ni même de raison d’être. Ainsi est-il peut être grand temps, monsieur le juge, de nous libérer du poids de votre enquête, car à nous, c’est bien notre vie qu’elle fait perdre.

Camille,
L’une des inculpé.es

 

Libre Flot : L’UCSA normalise la torture blanche

Trois lettres de Libre Flot lues au micro de L’Envolée dans l’émission du 21 janvier 2022. Il revient sur la normalisation des souffrances infligées par le régime d’isolement. STOP A L’ACHARNEMENT CARCERAL! ABOLITION DU QI ET DU MITARD!

Retrouvez d’autres témoignages sur l’accès aux soins en prison dans L’Envolée et sur le site de l’OIP. Images de la prison de Bois d’Arcy sur Carceropolis.

Coursive et cellules de Bois d’Arcy.

Lettre du 31 décembre 2021

Salut salut, un petit coucou pour vous donner quelques nouvelles.

Après des mois de plaintes répétées à propos de douleurs articulaires, on m’a refilé un rdv avec un.e kiné, puis un autre (puisque le premier n’a pas eu lieu) et j’espère en avoir un autre bientôt, puisque le second n’a pas eu lieu non plus. La cause ? Je suis au QI. Et le dentiste ? Merci au sentiment de culpabilité! Je m’explique.

Comme d’hab j’ai rendez-vous, les surveillant.es et le.a gradé.e sont au courant et je ne vois rien venir. Le matin je vais à l’opprimenade du QI (c’est dans le même couloir) en précisant « si le.a dentiste appelle, vous me sortez et vous m’y emmenez » -« oui oui! » Début d’après midi, on m’emmène à la salle de sport, je précise « si le.a dentiste appelle, vous me sortez et vous m’y emmenez ». A ce moment là, le.a gradé.e me dit que le rendez-vous n’aura pas lieu, que le.a dentiste ne peut pas me reçevoir. Dépité, ça doit se voir un peu sur ma tronche, je lui dit que c’est comme d’habitude, que mes rendez-vous sont toujours repoussés. Celui ci, depuis 4 mois, qu’hier encore celui du kiné aussi. Et là je découvre sur son visage comme un malaise (mal à l’aise), un air un peu gêné, comme une once d’empathie melée à de la culpabilité.

Je finis le sport, iel me dit qu’iel a rappelé le.a dentiste, qu’iel a fait pression pour que mon rendez-vous soit honnoré. Oui oui, c’est un peu gros, iel en fait trop, c’est pas crédible. Quelques minutes après, j’apprend par le personnel médical que mon rendez-vous était ce matin et que le personnel de l’AP (c’était le.a même gradé.e de ce matin) avait déclaré que je n’irai pas à mon rendez-vous. Bon évidemment, comme mon rdv qui devait être le dernier ne s’est pas déroulé au moment prévu, ça foutait la merde à l’UCSA. Et suite à un cognage de porte et un échange non verbal que je n’ai pas pu voir à cause de ma posture, ma consultation s’est finie plus vite que prévu (selon ma perception) et un autre rdv m’a été redonné. Bon en tout cas, là où j’avais le plus mal ça a été rebouché.

Donc oui, je remercie le sentiment de culpabilité, car ce n’est hélas pas étrange que des personnes, pour en faire le moins possible, annulent les soins des personnes isolées. Encore moins étrange qu’on sait que ce/cette même gradé.e (peut-être pour éviter le surmenage?) a tendance à « oublier » d’emmener les personnes en opprimenade, ou en les oubliant dedans, ou en les oubliant dans la salle de sport, ou en les oubliant dans la douche. Comme si l’enfermement en régime d’isolement n’était pas suffisant, il faudrait encore nous faire galérer toute la journée à poireauter. C’est vrai qu’on est chiant à vouloir profiter de tous ces fantastiques bienfaits et des nombreuses activités auxquelles on a le droit: on veut sortir, rentrer, se dépenser, se laver, et même retourner s’instruire en cellule. Mince, cela l’oblige à faire son travail. Peut être que iel en nous faisant subir ces « attentes abusives » espère qu’on se lasse et reste enfermés en cellule 24h sur 24 pour lui permettre de se tourner les pouces ? Raté.

Sinon, lundi dernier j’ai pu constater le retour des plexiglass au parloir. Au moins il n’y a plus cette table qui prend toute la place. D’ailleurs en lisant certains témoignages d’autres détenus dans L’Envolée il est question d’intimité lors des parloirs. Ici, à Bois L’arsouille, d’intimité il n’y en a point. Les parloirs d’architecture panoptique sont vitrés des deux cotés où circulent en permanence plusieurs surveillants.tes qui nous épient sans cesse.

Je termine cette lettre là pour qu’elle parte ce matin, je vous écoute ce soir (surement une émission enregistrée).

Merci à vous pour votre soutien.
Courage à toutes et tous les enfermé.es et leurs proches.

Salutations et respect,
Libre Flot.

 

Lettre du 31 décembre 2021

Après 4 mois de plaintes répétées à propos de douleurs généralisées aux articulations, j’ai enfin, après trois rdv repoussés, vu le kiné. Verdict: c’est normal dans ces conditions! Etrangement, c’est toujours et encore la même rengaine, quels que soient mes maux.

Mes maux de tête semi permanents? C’est normal dans ces conditions qu’est l’isolement. Mes pertes de mémoire, mon incapacité de concentration, la perte de repères spatio-temporels, mes douleurs cardiaques, mon opression thoracique, mes troubles visuels, mes vertiges, mon hébétude, etc. Pareil. « C’est normal, au vu de mes conditions de détention. »

Dans un environnement normal, et même en détention classique, subir l’ensemble de ces maux n’est pas considéré comme chose normale. Y introduire le facteur « Quartier d’Isolement » ne la rend pas plus normale. Tout comme ce que l’on dit avant un « mais… » n’a pas vraiment de sens. (« Je suis pas… mais… ») Définir quelque chose de normal, mais uniquement sous des conditions spécifique, ôte automatiquement toute notion de normalité. On ne peut dès lors plus parler de conséquences logiques ou de réaction systématique. Si le fait d’obtenir les mêmes résultats, en prenant n’importe quelle personne et en la plaçant dans une cellule 22 ou 23 heures par jour sans interactions sociales, est considéré par les médecins de l’UCSA comme « normal au vu des conditions de détention en isolement », cela veut en fait dire que ces conséquences subies par la majorité des personnes en QI sont donc bien des réactions systémiques et sont aussi très bien connues. L’utilisation mensongère du terme « normal » associé au « dans ces conditions » est en fait un euphémisme ayant pour but de masquer la vérité toute simple qui est que la détention en QI provoque de grave souffrances aux individus. Souffrances tant physiques, cérébrales et psychologiques qui, étant connues et systématiques, sont donc acceptées et voulues par l’Admin Pen ou ses commanditaires. C’est ce que l’on appelle de la torture.

Le personnel médical, lorsqu’il ab-use volontairement de cet euphémise falacieux pour éviter d’énoncer la vérité qu’il connait, n’oeuvre plus à la santé de ses patient.es mais leur ment, les trompe, couvrant ainsi les méfaits de l’Admin Pen et lui permettent ainsi le maintien en isolement, ce qui dégrade profondément les invididus. L’UCSA se rend donc complice de cette torture. Mais bon, on ne mord pas la main qui, même indirectement, nous nourris. L’utilisation normale d’un euphémisme médical pour une torture carcérale.

PS: hé oui j’vous ai encore glissé quelques phrases à rallonge, vous allez kiffer pour une lecture à voix haute! hihi non c’est promis c’est pas du sadisme 😉

Lettre du 13 janvier 2022

Salut à tous et toutes!

Juste un petit coucou pour vous partager une réflexion sur le langage utilisé par l’UCSA pour dédouanner l’Administration Pénitentiaire des conditions inacceptables de la détention en QI. N’ayant pas envie de passer 15 ans dessus, et d’ailleurs l’écriture devenant de plus en plus difficile, la forme de ce bref texte peut être un peu lourd et redondant, tout en simplifiant et réduisant les processus de réflexion. Toujours est-il, et c’est le principal, que l’on comprendra aisément, je l’espère, le fond et le sens du propos.

En ce qui concerne ma situation, je ne m’étalerai pas sur mes différents « soucis » (moi aussi j’utilise les euphémismes médicaux), vous comprendrez que rien ne s’est amélioré. Cela ne se peut sans l’élimination des causes provoquant les maux. J’ai juste ajouté à ma routine les exercices conseillés par le kiné.

Quant à ma détention provisoire, cela fait plus de trois mois que je n’ai pas de nouvelles du juge d’instruction, que rien ne se passe. Récemment, lors du renouvellement de mon mandat de dépôt, le JLD (juge de la liberté et D) avait ordonné une enquête de faisabilité pour une liberté conditionnelle (je ne suis pas sûr de ce terme, mais en gros, prison à la maison avec bracelet). Cela fait désormais plus d’une semaine que nous savons que le juge d’instruction a la réponse, que mes avocat.es ont demandé qu’on la leur transmette, mais rien. Encore une fois, le juge d’instruction fait durer le plaisir.

Cela ne pourra pas, dommage pour lui, durer éternellement. Pendant ce temps, je ne peux que constater ses pratiques humanistes.

Voilà pour aujourd’hui, au plaisir de vous écouter.
Merci encore pour votre soutien à tous.tes les enfermé.es et à leurs proches.
Force et courage à elles et spécialement aux isolé.es!

Salutations et respect,
Flo.

La logique de l’antiterrorisme : Quelques analyses de base

On a tendance à beaucoup parler de l’antiterrorisme policier, alors que ses origines sont avant tout militaires et industrielles.

Les doctrines qui constituent l’antiterrorisme ne datent pas d’hier, elles ont été théorisées par l’armée française dans les années 50 sous l’appellation « DGR: doctrine de la guerre révolutionnaire ». Pendant la guerre d’Indochine, puis d’Algérie, les élites militaires françaises vont poser les bases des stratégies de « contre-subversion », de « guerre psychologique », et de « défense globale ».

Il est alors important de garder à l’esprit que tout ce que l’on dénonce depuis l’Etat d’Urgence jusqu’à la Sécurité Globale était déjà expérimenté dans les colonies françaises et a largement été théorisé suite à le seconde guerre mondiale, inspiré notamment par des techniques mises au point par le IIIe Reich (Rigouste, 2008). Et toutes les guerres dans lesquelles la France est impliquée aujourd’hui, à l’instar de toutes les puissances impérialistes, sont des guerres contre le « terrorisme ». Donc les premières victimes de l’antiterrorisme sont les populations civiles et insurgées des pays sous occupation impérialiste. Concernant la France, ce sont en autres: le Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad.

Au nom de l’antiterrorisme, les États-Unis et leurs alliés ont largué plus de 326 000 bombes et missiles depuis 2001 dont plus de 152 000 en Irak et en Syrie. Cela représente une moyenne de 46 bombes et missiles par jour pendant près de vingt ans, entrainant un bilan humain monstrueux : plusieurs centaines de milliers de morts, en Irak, en Afghanistan, et au Pakistan. Des villes comme
Mossoul en Irak (2 millions d’habitants avant-guerre) rasées à 80%, plus de 37 millions de personnes déplacées.

Au nom de l’antiterrorisme des musulman.ne.s, ainsi que des militant.e.s écologistes ont été massivement assigné.e.s à résidence depuis 2015.
Au nom de l’antiterrorisme, plus de 5000 perquisitions administratives avaient été menées après 2 ans d’Etat d’Urgence.
Au nom de l’antiterrorisme, on interdit la lutte contre l’islamophobie, comme en témoigne la dissolution du CCIF.
Au nom de l’antiterrorisme, des enfants de 10 ans avaient été terrorisés à 6h du matin par des policiers cagoulés et en armes, avant d’être retenu.e.s et interrogé.e.s pendant 11h au commissariat.
Au nom de l’antiterrorisme, plus de 500 personnes aujourd’hui subissent la prison dans la prison.
Au nom de l’antiterrorisme, l’Etat français maintient une dictature au pouvoir au Tchad et bombarde la guérilla.
Au nom de l’antiterrorisme, l’Union Européenne construit des camps de concentration pour exilé.es.

Mais qu’est-ce que le « terrorisme » au juste?

Dans le sens commun, ce sont des attaques meurtrières contre des innocent.es. Mais dans le droit international, c’est plus flou.

Pour François Dubuisson, prof de droit international à l’Université Libre de Bruxelles, « la notion de « terrorisme » reste largement insaisissable, et les éléments définitionnels qui en sont donnés demeurent extrêmement flous, ce qui octroie une importante marge d’appréciation aux États dans son utilisation, qu’il s’agisse de justifier des régimes juridiques dérogatoires et exceptionnels, ou de stigmatiser un ennemi, dans une perspective politique ».

Le terrorisme dans le droit français recouvre un ensemble très divers de délits et de crimes déjà sanctionnés par la loi. L’Art. 421 du Code Pénal énumère les faits qui peuvent relever du terrorisme: les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration, le détournement d’un moyen de transport, le vol, l’extorsion, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique, les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous, les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, les infractions de blanchiment d’argent, etc.

On comprend alors l’analyse de Vanessa Coddaccioni lorsqu’elle affirme que l’antiterrorisme est une espèce de double aggravé du droit commun, presque en forme de mirroir.

Encore dans l’Art. 421-2, il est définit comme terroriste « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, […] une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel« . En tant que militant.es on pense tout de suite à Lubrizol, au scandale du Chlordécone, aux 193 essais nucléaires en Polynésie (etc.) MAIS NON! Il faut que ces même actes soient « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » pour qu’ils soient qualifiés de terrorisme. Donc l’antiterrorisme ne vient pas réprimer un degré extrême de violence, contrairement à ce qu’il le prétend, mais un degré de subversion et d’opposition à l’Ordre établi.

Les travaux du militant et socio-historien Mathieu Rigouste nous éclairent particulièrement pour comprendre ce qu’est l’antiterrorisme aujourd’ui. Dans son ouvrage L’Ennemi Intérieur (La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, 2008), il cite le Emile Giraud, professeur de droit, lors d’une conférence à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale en 1959 : « Je pense que la seule solution humaine et pratique […] consiste à placer les gens qu’on considère comme dangereux ou comme suspects dans des camps d’internement où ils seront traités convenablement, mais où ils seront dans l’impossibilité de se livrer à des activités hosiles dirigées contre le gouvernement national« .

Un autre exemple parlant est ce que le Colonel Lacheroy a théorisé dès 1953 : les « 5 phases » du « pourissement » révolutionnaire, un des pilliers de la doctrine contre-subversive. « Ce shéma présentait la guérilla, la « subversion généralisée » puis la guerre civile comme la résultante de faits subversifs, comme des insoumissions ou des prémisses d’organisation politique, qui n’auraient pas été écrasés dès l’origine » (Rigouste, 2008).

Cette théorie préconise donc de traquer les potentiels indices dans la population qui permettraient de déduire des désirs de subversion chez des individu.es afin de les tuer dans l’oeuf. Cela nécessite l’omniprésence du renseignement et la surveillance massive de la population. Et si on la pousse à son accomplissement, elle vise l’épuration de tout élément culturel qui serait identifié comme déterminant dans un processus de radicalisation. D’où l’analyse systématique de lectures, de musiques, d’opinions philosophiques et politiques, de l’usage des réseaux sociaux, de modes de vie, etc.

Ces mécanismes totalitaires s’étendent aujourd’hui dans le droit au travers de la lutte antiterroriste et de la doctrine de la « sécurité globale », mais on les trouvait déjà dans les Lois Scélérates à la fin du 19° siècle. En 1872, dans sa Théorie du Code Pénal, Faustin Hélie définissait l’esprit dans lequel la législation antiterroriste est pensée aujourd’hui. Il écrit: « De là les incriminations multipliées […], pour ainsi dire, autours de leurs pas, comme autant de barrières pour arrêter dès leur premier essor, pour retenir chacun de leurs actes, pour les comprimer dans la pensée où ils [terroristes] germent. »

En effet, d’après le site Lexis360: « L’objectif essentiel d’une lutte efficace contre le terrorisme est en effet de neutraliser préventivement des actes potentiellement terroristes. […] A ce titre, l’incrimination autonome de l’association de malfaiteurs à caractère terroriste est devenue la clé de voûte d’une politique pénale tournée vers l’anticipation. »

Elle vise « l’incrimination de comportements périphériques à la commission de l’acte terroriste proprement dit« . Il faut dès lors définir les « circonstances » et les « intentions » qu’on peut présumer derrière ces « comportements périphériques » pour parvenir à démontrer un « engagement autonome dans une démarche de radicalisation à caractère terroriste s’orientant vers un possible passage à l’acte. »

On nage dans un trop plein juridique complètement absurde alimenté par des jurisprudences islamophobes.

En gros, un vague « esprit de projet » suffit à qualifier une association de malfaiteurs. Une personne peut constituer une association de malfaiteurs à elle seule. Ou encore mieux, même si une personne n’en a pas conscience, elle peut en faire partie et être condamnée.

Un ensemble immense de faits, gestes et paroles peuvent être criminalisés grâce à cet outil. C’est bien de ça dont il s’agit, quand Alexis, auteur du livre Hommage au Rojava et ancien combattant, explique que pour elleux: « Y’a plus de parole perdue. Que n’importe quelle chose qu’on pourrait dire ça serait la preuve absolue, ça serait la pièce à conviction, la charge la plus importante pour la DGSI en cas de judiciarisation d’un cas. Parce que, on va pas se mentir, les dossiers de la DGSI c’est beaucoup de subjectivité de quelques officiers un peu bureaucratiques et voilà quoi, des rond de cuir qui ne savent pas quoi faire que de les alimenter. Et eux ils attendent qu’une chose c’est d’avoir un peu de concrêt à mettre derrière, un support. Et ce support il peut venir que de nous la plupart du temps, c’est si on le donne ou pas. Et du coup ça c’est assez dur pour l’entourage de comprendre qu’en fait on peut pas parler librement, c’est pas possible » (Lundisoir, nomvembre 2021).

On pourrait d’ailleurs conclure avec ses mots :

« Le contrepouvoir politique que représentaient les médias historiquement a disparu en France et ça nous on le ressent en tant que volontaires ayant été au Rojava.«