#Procès812 : le devenir terroriste des luttes. Retours sur le rendu du jugement.

Une belle solidarité !

Plus de 200 personnes étaient présentes au rassemblement pour soutenir les ami·es. Une présence chaleureuse et solidaire, avec banderoles, pinata, boissons chaudes, gâteaux, tee-shirts, stickers et batucada. Le rassemblement sera bref, presque tout le monde s’engouffre dans cet immense immeuble de verre et de béton armé, pilier du pouvoir d’État qui trône Porte de Clichy à Paris.

La salle est pleine à craquer, la tension palpable.

Les inculpé·es entrent petit à petit et des applaudissements retentissent en guise d’encouragements.

Des proches sont présent·es, la famille et les ami·es, et également beaucoup de soutiens politiques.

Rejet des demandes de la Défense

L’alarme sonne, le Tribunal entre et exige le garde-à-vous de la salle. L’audience démarre. Brigitte Roux – la présidente -, le regard sévère, ouvre rapidement les hostilités : toutes les demandes de la Défense sont rejetées une par une.

La Question Prioritaire de Constitutionnalité (à propos de la possibilité de faire citer des agents du renseignement) : « Pas transmise ».

La récupération des données sous scellé (accès à divers supports de stockage détenus par la DGSI pour vérifier des éléments d’accusation) : « Il n’y a pas lieu vue la complétude des débats ».

Faire citer les agents 856SI et 1207SI : « Pas nécessaire ».

Déclassifier les informations  « secret-défense » de l’expert en explosifs de la Préfecture de Police: « Les parties ont pu débattre », donc c’est non. 

Écarter l’expertise si les sources ne sont pas déclassifiées (car cela pose un problème de « contradictoire ») : « Il n’existe aucune disposition pénale qui permettrait d’écarter les rapports », c’est possible au civil mais pas dans le cadre d’une procédure pénale.

Demander à la DGSI de transmettre les vidéos des GAV (durant lesquelles de nombreux actes illégaux ont été dénoncés) : « Les inculpé·es n’auraient pas exprimé une « contestation des propos », mais uniquement une « dénonciation des conditions de GAV, donc c’est non ».

Ces réponses radicales et arbitraires illustrent l’orientation politique du Tribunal : tout doit être fait pour sauver cette procédure montée par la DGSI pour le Ministère de l’Intérieur.

La QPC aurait pu inscrire dans le Droit la possibilité pour le Tribunal Correctionnel de faire citer des agents du renseignement sans lever leur anonymat.

La restitution des scellés aurait permis de récupérer de nombreux éléments à décharge. Cela aurait également permis de contextualiser la détention de brochures présentées comme « la matrice idéologique » du présumé « groupe » et utilisées pour caractériser des intentions terroristes. Au lieu de cela, le Tribunal a ordonné la destruction de ces scellés afin que la vérité ne puisse définitivement plus être démontrée.

La citation des agents de la DGSI était primordiale pour mettre à jour les procédés manipulatoires et les irrégularités constatés tout au long de l’instruction. Ces agents avaient déjà été convoqués par la Défense et s’étaient soustraits à leurs obligations légales à comparaître. Dans le cadre du procès la Défense aurait pu notamment les questionner sur la suppression d’une vidéo à décharge, les erreurs de retranscription des sonorisations, les faux procès-verbaux, les nombreux horodatages irréguliers constatés, et autres barbouzeries dénoncées par les inculpé·es.

Les informations « secret-défense » concernaient la provenance de la recette de l’ANSU (ammonitrate + sucre). La levée du secret-défense aurait permis de contredire l’affirmation inexacte de l’expert. Il affirmait en effet que cette recette proviendrait de la zone irako-syrienne (Kurdistan) et serait utilisée par DAESH, puis aurait été apprise par les YPG. Cela lui permettait de contredire les témoignages d’anciens combattants du Rojava (qui n’acquièrent aucune compétence en confection d’explosifs sur le terrain) et aussi de Libre Flot qui affirmait que cette recette est connue de tous·tes dans le milieu agricole. En témoigne la récente explosion dans un bâtiment de la Dreal revendiquée par des vignerons (et dont le PNAT a décidé que ça n’était pas du terrorisme).

Enfin, le refus de verser aux débats les vidéos des GAV est l’illustration la plus perverse de la volonté politique du Tribunal. L’argument avancé par la Présidente (qu’il n’y aurait pas eu de contestation des propos tenus eux-mêmes mais seulement une dénonciation des conditions dans lesquelles ils ont été prononcés) est un mensonge pur et simple. Les propos tenus en GAV ont été contestés à de nombreuses reprises par plusieurs mis·es en examen. « Je conteste absolument tout ce que j’ai dit en garde à vue » avait déclaré Bastien. Mais là encore, l’unique preuve que ces contestations ont bien été dites mot pour mot réside dans les notes d’audience, prises par une greffière que l’on voyait somnoler régulièrement, et devant être signées par la Présidente elle-même. (Ces notes ont été transmises à la Défense plusieurs semaines après le délibéré.)

Jurisprudence AMT (association malfaiteur terroriste)

Après le mensonge sur la contestation des propos lors des GAV, l’indignation dans la salle commence à se faire sentir. La juge rappelle la salle à l’ordre et menace une première fois de la faire évacuer. Elle continue son œuvre autoritaire avec une lecture très scolaire de l’article 421 du Code Pénal afin de remédier à notre « méconnaissance » de la loi, puis elle résume (en reprenant l’interprétation exacte du PNAT) les jurisprudences en matière d’AMT. A sa façon de lire, tout le monde comprend qu’elle maintient la qualification terroriste. Des murmures de protestations commencent à se faire entendre dans la salle.

En effet, pour constituer une association de malfaiteurs terroristes : il n’est pas nécessaire de prouver qu’un projet terroriste existe bel et bien. Il est seulement nécessaire de démontrer (ou de suspecter très fortement) qu’un·e inculpé·e avait des intentions « à plus ou moins long terme », de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », pour condamner tout le monde. Il n’est pas nécessaire que chaque individu ait connaissance de ces intentions terroristes pour être coupable, mais uniquement d’y avoir « participé » d’une manière ou d’une autre.

La présidente réaffirme que les intentions terroristes sont matérialisées pour Libre Flot, et que les autres sont donc tous·tes coupables par « association ».

Rupture de l’ordre dans la salle

À l’issue de 30 pénibles minutes d’audience, la présidente demande donc l’évacuation de la salle. Tout le Tribunal se retire et les flics se positionnent en vue d’expulser par la force les quelques deux cents personnes présentes. Certains enfilent leurs gants coqués. Les proches se lèvent et viennent serrer dans leurs bras les inculpé·es, qui, on l’a compris, vont être déclaré·es « terroristes d’ultragauche ».

Selon certain·es avocat·es, les réactions de la salle étaient minimes par rapport à d’autres audiences beaucoup plus agitées. Iels tentent d’établir un dialogue avec les juges pour trouver un compromis afin que l’audience puisse reprendre. La juge refuse de les recevoir. De nouveaux policiers rentrent en masse pour évacuer la salle, ils demandent aussi aux journalistes de quitter les lieux, personne ne bouge.

Deux inculpé·es s’expriment face à la salle. On réfléchit avec les avocat·es : tout le monde doit-il sortir ou pas ? « Oui, laissons la farce continuer toute seule ! » lance Camille. « Je dois rester dans la salle au cas où un mandat de dépôt différé se transforme en mandat d’arrêt immédiat » ajoute Florian après réflexion. Les trois quarts de la salle sortent finalement et une quarantaine de proches restent.

Ce moment de flottement dure plus d’une heure. L’ambiance est électrique, même les journalistes semblent choqué·es du résultat du jugement et de la tournure que prend l’audience.

À son retour, la juge dénonce des propos « injurieux et outrageants ». Elle répète un article de loi pour menacer les personnes qui recommenceraient. Les propos en question étaient: « Menteuse! », « C’est vous les terroristes ! », « Nos réactions sont le reflet de vos immondices » , etc.

Le média Radio Parleur a réussit à capter quelques instants de ce moment, et le Nouvel Obs l’a également bien retranscrit dans son article.

Bouffie d’orgueil, la Présidente constate que la salle n’a pas été totalement évacuée et essaye de réaffirmer son autorité, que plus personne ne considère légitime (même pas les flics on dirait !). Elle prétend que la salle est encore trop pleine, et exige arbitrairement que seules 3 personnes par inculpé·e soient autorisées à rester. Elle lance également : « Je ne rendrai pas le délibéré devant une audience vide ! » Puis les 3 juges repartent, on croit rêver.

Le caprice passé, les juges reviennent à nouveau (personne n’a bougé !). Furieuse, la juge passe outre ses devoirs de fonctionnaire de justice, rémunérée grassement par nos impôts, et décide de passer directement au prononcé des peines, sans prendre la peine d’expliquer en détail ses motivations. Les avocat·es s’offusquent mais, autoritaire, elle demande aux prévenu·es de s’aligner devant elle pour annoncer les peines.

Peines

Le verdict est tranchant et plus sévère pour la plupart que les réquisitions du PNAT (parquet national anti-terro). Tous·tes sont reconnu·es coupables d’« association de malfaiteurs terroriste » et trois d’entre-elleux de « refus de communiquer ses conventions de déchiffrement ».

Les peines vont de 2 à 5 ans de prison, dont plusieurs mois de sursis probatoire (de 15 à 30 mois). Des périodes de prison ferme sont prononcées pour cinq inculpé·es (aménageables en prison à domicile sous bracelet électronique). Iels devront effectuer entre 8 à 12 mois de bracelet.

L’inscription au FIJAIT (20 ans) est actée pour tout le monde sauf pour un inculpé, « au vu de sa personnalité », autrement dit, le moins militant.

Sont également prononcées l’interdiction de communiquer entre elleux pendant tout le temps de leur peine, et l’interdiction de porter une arme pendant dix ans.

Détails du probatoire : la période de sursis probatoire est assortie d’un panel de mesures de contrôle médico-social : obligations de soin (notamment addictologie) et obligations de travail. Six d’entre-elleux écopent d’une inscription au FIJAIT (20 ans).

Florian – 5 ans dont 30 mois avec sursis probatoire. Reste à purger : 8 mois de bracelet.

Simon – 4 ans dont 25 mois avec sursis probatoire. Reste à purger : 12 mois de bracelet.

William – 3 ans dont 20 mois avec sursis probatoire. Reste à purger : 12 mois de bracelet.

Camille – 3 ans dont 2 ans avec sursis probatoire. Reste à purger : 8 mois de bracelet.

Manuel – 3 ans dont 15 mois avec sursis probatoire. Reste à purger : 11 mois de bracelet.

Bastien – 3 ans avec sursis probatoire.

Loïc – 2 ans de sursis simple. Pas d’inscription au FIJAIT.

Une volonté d’enterrer définitivement les inculpé·es

Plusieurs inculpé·es avaient commencé ce procès par des déclarations spontanées. Beaucoup ont témoigné avoir été « terrorisé·es » par cette procédure qui les a affaibli·es moralement et physiquement. Plusieurs ont déclaré devoir suivre un traitement depuis, et avoir développé des douleurs physiques somatiques.

Dans leurs mots de la fin, plusieurs ont également déclaré vouloir reprendre une vie normale, développer leurs projets d’autonomie, s’occuper de leurs ami·es en situation de handicap, retrouver leur santé d’avant la répression, devenir parent, tout en restant fier·es de leurs idéaux libertaires et souhaitant continuer à militer pour leurs causes.

Pourtant, le tribunal a décidé de les écraser encore plus que le PNAT. Des peines de prison ferme ont été ajoutées concernant quatre inculpé·es, là où le PNAT n’en demandait que pour Libre Flot. Ces peines, aménageables en détention à domicile (sous bracelet électronique) étaient assorties d’une clause d’exécution provisoire. Cette clause est une récente innovation permettant d’imposer qu’une peine soit effectuée même si la personne fait appel du jugement.

Le summum du sadisme est atteint avec les interdictions de communiquer. Plusieurs inculpé·es, au fil de l’instruction, avaient obtenu le droit de communiquer ensemble, donc il n’y a aucun intérêt d’ordre sécuritaire derrière cette décision punitive.

On pourrait y voir une forme de vengeance perverse, d’autant plus que certaines personnes ont beaucoup insisté sur les liens forts qui les unissaient, depuis parfois de très nombreuses années, sur le fait d’avoir des ami·es en commun et même, pour certains, des projets de vie conjoints.

La probable intention derrière ces interdictions est d’anticiper l’Appel, et ainsi d’empêcher encore une fois les inculpé·es et leurs proches d’organiser leur défense collectivement, de se remémorer ensemble les faits qu’on leur reproche, de travailler sur leur dossier en échangeant, etc.

Nous faisons face à une institution qui ne supporte pas que l’on s’oppose à elle, qui monte de toute pièce des « groupes » inexistants puis cherche par tous les moyens à isoler les personnes qu’elle réprime. Il n’y a évidemment aucune notion de Justice, ni même de sécurité, qui entrent en considération dans ces calculs, mais uniquement un projet politique d’écrasement des opposant·es. Il s’agit de les empêcher de se reconstruire entre pairs.

Rappel du réquisitoire

Le PNAT demandait des peines inférieures à celles prononcées, sauf pour Libre Flot.

– Loïc : 2 ans d’emprisonnement avec sursis simple, 1500€ d’amende, 10 ans d’interdiction arme

– Manu : 3 ans d’emprisonnement dont 2 ans sursis et probatoire, 10 ans d’interdiction de détention d’armes

– Camille : 3 ans d’emprisonnement avec sursis et probatoire, 1500€ d’amende, 10 ans d’interdiction de détention d’armes

– Bastien : 3 ans d’emprisonnement avec sursis et probatoire, 10 ans d’interdiction de détention d’armes

– William : 4 ans d’emprisonnement dont 3 ans avec sursis et probatoire, 10 ans d’interdiction de détention d’armes

– Simon : 5 ans d’emprisonnement dont 4 ans avec sursis et probatoire, 10 ans d’interdiction de détention d’armes

– Florian : 6 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt différé, plus 3 ans de sursis, 10 ans d’interdiction de détention d’arme.

FIJAIT : terroristes à vie

La condamnation pour terrorisme et l’inscription au FIJAIT (Fichier des Auteurs d’Infractions Terroristes) constituent une condamnation à vie. L’antiterrorisme étant devenu le principal moteur des politiques militaro-sécuritaires, les lois évoluent à chaque fait divers, tandis que la notion de « terrorisme » s’élargit en permanence alors que les gouvernements apportent leur appui à des régimes génocidaires.

Concrètement, l’inscription au FIJAIT dure 20 ans après la condamnation, il empêche l’exercice d’un certain nombre d’emplois (toute administration publique par exemple). Pendant 10 ans, toute personne au FIJAIT doit pointer tous les trois mois au commissariat, justifier de son domicile auprès de la préfecture et signaler chaque déplacement à l’étranger (et la raison de ce déplacement) au minimum 15 jours avant son départ.

Le non-respect de ces règles peut entraîner 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

La loi « séparatisme » a élargit l’inscription au FIJAIT au délit d’ « apologie du terrorisme », qui est aujourd’hui utilisé contre les expressions de soutien au peuple palestinien. Nul doute que ce n’est que le début de l’offensive du pouvoir dans le but d’élargir le champ d’application de ce fichier et les obligations qui l’accompagnent.

Dans le contexte actuel d’extrême-droitisation de l’Europe, il est évident que les mesures administratives liberticides vont se multiplier et se durcir. D’abord expérimentées à l’encontre des étranger·ères, puis au nom de l’antiterrorisme, le déploiement de mesures de contrôle juridico-administratifs permet à l’État d’étendre son filet répressif à des contextes jusqu’alors hors-champs. D’un côté, l’institution judiciaire étend ses outils de contrôle pré-sentenciels à des situations post-sentencielles, tout en condamnant non plus des faits mais des supposées intentions. De l’autre, le Ministère de l’Intérieur court-circuite l’institution judiciaire en élargissant ses outils de contrôle administratif.

En suivant la logique de guerre sociale à l’œuvre actuellement, on pourrait facilement imaginer que, dans les années à venir, les personnes fichées « S » ou « terroristes » seront privées de droits sociaux (RSA), interdits de moyens de transport collectifs (SNCF), etc.

C’est en tout cas dans ce sens que les parlementaires continuent à légiférer, en témoigne le projet de loi antiterroriste actuellement en cours de validation, qui entend déployer de nouvelles mesures de privation de liberté aux personnes ayant déjà purgé leurs peines.

Dans un tel contexte, l’inscription au FIJAIT est une condamnation à vie qui aura des répercussions pour l’instant encore impossibles à mesurer. Elle plonge les camarades et leurs proches dans une incertitude et une vulnérabilité extrême face à l’avenir et à leur capacité à s’impliquer dans les mouvements sociaux.

Appel du jugement et sursis probatoire

Seul l’inculpé qui écope de 2 ans avec sursis simple sans inscription au FIJAIT ne fait pas appel. Les autres six inculpé·es font appel du jugement malgré le fardeau que représente cette affaire. Cinq d’entre elleux ont une peine ferme aménageable en bracelet électronique avec exécution provisoire (de 8 à 12 mois).

Lors des rendez-vous avec la juge d’application des peines anti-terroriste (JAPAT) le 15 et le 22 janvier, cette dernière a décidé de ne pas appliquer la clause d’« exécution provisoire de la peine », attachée au principe de « vous faites appel, donc la peine prononcée peut être remise en question ».

La mention d’exécution provisoire prononcée par la juge Brigitte Roux n’est donc pas appliquée. Concrètement, aucun des 6 inculpé·es (faisant appel) n’aura l’obligation de porter un bracelet électronique pour le moment.

Pour ce qui concerne les mesures prescrites dans le cadre du sursis probatoire (obligation de soins, obligation de travailler, etc.) et l’interdiction de communiquer entre les inculpé·es, la mention d’exécution provisoire est maintenue par la juge d’application des peines.

Ces contraintes placent les inculpé·es dans une situation complexe en vue de la préparation de leur procès en appel (interdiction de communiquer!). Cependant, les interdictions de quitter le département ont été levées, ce qui constitue un gain de liberté important !

L’appel peut avoir lieu dans environ 12-15 mois, ce qui laisse peu de temps à la Défense pour se préparer. D’autant plus que le Tribunal exerce une rétention du jugement, c’est à dire que les motivations détaillées qui ont conduit les juges à prononcer leurs peines n’ont pas été communiquées à la Défense, l’empêchant de préparer le procès en appel. C’est une pratique mafieuse et indigne, mais qui semble monnaie courante dans ce microcosme hors-sol qu’est l’institution judiciaire.

Le PNAT a également fait un « appel d’incidence » à l’encontre des six inculpé·es faisant appel, ce qui permet au jugement en appel d’être plus sévère encore.

Les scénarios potentiels sont :

– Relaxe ou peine correspondant à la détention provisoire déjà effectuée : pas de nouvelle peine de prison.

– Confirmation du verdict du 22 décembre 2023 : entre 8 et 12 mois de bracelet pour les inculpé·es.

– Ou alors, dans le pire des cas, la peine prononcée peut être encore plus lourde… (notamment avec mandat de dépôt).

Perspectives de lutte

Nous appelons à continuer le soutien aux inculpé·es du 8/12 par tous les moyens : politiques, financiers et médiatiques. Toute initiative est la bienvenue et les comités de soutien peuvent être contactés facilement ici : https://soutien812.blackblogs.org/contact/

Le combat mené contre cette affaire a d’ores et déjà permis de ne pas être réduit·es au silence, grâce à une myriade de compagnon·nes, de médias militants et de journalistes alertes que nous remercions grandement. Et ce, malgré les nombreuses censures auxquelles nous avons fait face (par la direction de RadioFrance, par exemple).

L’action des comités à permis également d’informer et de dénoncer très largement dans nos territoires de lutte locaux jusqu’à de nombreux pays d’Europe, dans lesquels il y a eu des actions de solidarité. Cette solidarité internationale est une force et nous permet d’apprendre mutuellement sur les dynamiques répressives à l’œuvre et nos analyses stratégiques de la situation. Profitons-en pour envoyer un message de soutien aux militant·es antifascistes, dits « Antifas de Budapest », actuellement en procès en Hongrie.

Nous sommes des millions à avoir pris conscience que, à mesure que la fascisation de l’Europe progresse, le statut de « terroriste » sera réservé à quiconque s’opposera viscéralement à l’ordre établi. Là où les gouvernements multiplient leurs alliances idéologiques, commerciales et militaires avec des régimes criminels et génocidaires, le terme « terroriste » nourrit une inversion totale de la réalité. Cette inversion fait la promotion d’une explosion des violences d’État et des violences capitalistes d’une part ; et d’autre part elle tente de diviser le mouvement social afin d’en saper l’efficacité.

Cela nous rappelle la longue histoire des luttes de décolonisation, de l’Algérie à l’Afrique du Sud, du Kurdistan à la Palestine, qui ont toutes été criblées des balles de l’antiterrorisme, jusqu’à aujourd’hui encore.

Face à l’inanité de l’institution judiciaire, la voie de l’abolitionnisme pénal devient de plus en plus claire pour un nombre croissant de personnes. Nous faisons face à une corporation héritée de l’ancien régime, qui n’a rien perdu de son rôle de bourreau au nom de principes fondateurs divinisés. Les Tribunaux assument parfaitement leur sale boulot de nettoyage social, entassant les pauvres dans des prisons insalubres pour invisibiliser les résultats sociaux désastreux de la Macronie. Finissons-en avec la « justice » des Palais !

D’autres campagnes de soutien seront organisées en vue du procès en appel. D’ici là, continuons de nous informer, de nous défendre et nous solidariser avec les cibles de la répression.

La meilleure défense, c’est l’attaque !

#Procès812 : la couverture médiatique

Nous partageons ici la couverture médiatique du procès. Plusieurs journaux ont envoyé des journalistes pour assister aux audiences : Le Monde, Médiapart, Libération, le Nouvel Obs, Politis. Étaient présent·es également des journalistes New Yorkais·es et l’AFP. Les articles complets sont téléchargeables en pdf.

Nous faisons le choix de ne pas citer les charognards invités par le PNAT qui sont venu·es uniquement le jour des réquisitions.

Un tract avait été distribué aux journalistes pour leur demander de respecter une certaines éthique vis à vis des mis·es en examen et leurs proches présent·es. Les violences médiatiques sont pleinement partie prenantes de la répression et il s’agissait d’inviter à respecter la vie privée et l’intimité des personnes présentes.

The Nation (New York)

The Fictional Terrorist Conspiracy Being Tried in France (26 octobre)

Jacobin (New York)

France’s Trial of “Left-Wing Terrorists” Is a Farce (31 octobre)

Le Monde

Affaire du 8 décembre 2020 : Un procès pour terrorisme d’ultragauche qui débute dans une ambiance tendue (5 octobre)

Au procès pour terrorisme d’ultragauche du « 8 décembre 2020 », des explosifs inquiétants
mais aux finalités floues (12 octobre)

Au procès du groupe d’ultragauche du « 8 décembre 2020 », un projet terroriste
insaisissable (20 octobre)

Procès pour terrorisme d’ultragauche : jusqu’à six ans de prison ferme requis pour les sept
personnes jugées (26 octobre)

L’Humanité

« Affaire 8 décembre » : « Ce sont des traumatismes à vie qu’on a administrés à nos enfants » (18 octobre)

De lourdes réquisitions au procès de l’ultragauche du «8 décembre » (28 octobre)

Médiapart

Procès de « l’ultragauche » : « On était des débilos qui s’amusaient à faire des gros pétards » (12 octobre)

Enquête sur « l’ultragauche » : la défense dénonce les méthodes de l’antiterrorisme (12 octobre)

Au procès de « l’ultragauche », l’introuvable projet terroriste (25 octobre)

Procès de « l’ultragauche » : « Je connais les dossiers terroristes, celui-ci ne ressemble à aucun d’eux » (28 octobre)

La Nouvelle République

Procès des militants d’ultragauche : le Blésois Florian D. assure que « la lutte armée est une connerie » (19 octobre)

Le Nouvel Obs

Procès pour terrorisme d’ultragauche : « Nous commençons sur de très mauvaises bases. Ça risque de ne pas bien se passer ! » (5 octobre)

Procès pour terrorisme d’ultragauche : « C’était drôle, ça allait faire des pétards, ça allait faire boum. Je n’y ai pas vu de malice » (17 octobre)

Procès pour terrorisme d’ultragauche : « J’espère qu’on peut garder un humour un peu noir sans que ça devienne un crime » (24 octobre)

Procès pour terrorisme d’ultragauche : « Est-ce que moi, avocat de Florian D., j’ai confiance en votre tribunal ? Je dois être sincère : non » (30 octobre)

Politis

Ultragauche : l’ombre de Tarnac plane sur « l’affaire du 8 décembre » (31 octobre)

Libération

Procès de « l’ultragauche » : violents anars ou mauvais polar ? (3 octobre)

Procès d’« activistes d’ultragauche » : les explosifs au coeur des débats (12 octobre)

Au procès d’« activistes d’ultragauche », les droits de la défense malmenés par l’antiterrorisme (16 octobre)

Procès d’« activistes d’ultragauche »: « Ce qui me dépasse, c’est d’être ici pour avoir fait de l’airsoft » (22 octobre)

Procès d’ « activistes d’ultragauche » : le parquet requiert entre deux et six années de prison (25 octobre)

Fin du procès des «activistes d’ultragauche» : «Puisque la DGSI vous le dit, c’est que c’est vrai» (28 octobre)

#Procès812 : un procès politique contre la gauche d’en bas.

Le procès des inculpé·es du 8 décembre a démarré ce mardi 3 octobre dans une ambiance tendue. Vous pouvez suivre les chroniques publiées chaque jour sur AuPoste ! et les compte-rendus de la première semaine d’audience.

L’audience est publique, du mardi au vendredi, à partir de 13h30. Le verdict est prévu pour le vendredi 27 octobre, venez nombreux·ses pour soutenir les camardes !

Cette première semaine d’audience aura validé une certitude : ce procès est guidé par la présomption de culpabilité et ce sont les opinions politiques des inculpé·es qui sont criminalisées.

Si Olivier Cahn dénonce dans le reportage de Blast ! une association entre le « terrorisme » et l’« action directe », les enjeux de ce procès vont pour nous bien plus loin car en l’occurrence: aucune action directe n’est reprochée aux inculpé·es.

C’est sûrement le cas pour les opérations menées par la SDAT ces derniers années (Ivan Alocco, 15 Juin Limousin, Lafarge), mais concernant l’affaire du 8 décembre, les enjeux répressifs vont bien au-delà de la répression de l’action directe. L’enjeu principal est, non pas d’étendre l’interprétation du « terrorisme » dans le droit à ce qui relèverait de dégradations et de sabotages, mais plutôt de créer les possibilités légales de réprimer des engagements politiques révolutionnaires (vrais ou supposés) dans le cadre du « pré-terrorisme ».

Les exemples de l’évolution de la législation antiterroriste turque, italienne ou étasunienne sont parfaitement illustratifs de cette stratégie qui vise à long terme à faire entrer toute expression subversive dans le champ répressif de l’antiterrorisme.

Comme l’écrit le PNAT dans son réquisitoire : « l’ultragauche est multiple et protéiforme » et son action va de la distribution de tracts à l’engagement armé, en passant par toutes les formes de militantisme (la quasi-entièreté étant légales : syndicalisme, associatif ou autonome).

Le PNAT se place dans la droite lignée des doctrines de « contre-subversion » théorisées par les militaires de la DGR, enseignées dans leurs « écoles du terrorisme » et appliquées cruellement pendant la guerre d’Algérie (voir Terreur et Séduction de Jérémy Rubenstein et L’Ennemi Intérieur de Mathieu Rigouste). Cette doctrine considère qu’il existe un mécanisme de « pourrissement révolutionnaire », qui partirait des actions de « basse intensité » et aboutirait au renversement de l’État. Il faut donc, pour maintenir l’ordre et la sécurité à moindre frais, tuer dans l’oeuf.

Là est l’enjeu répressif du procès des inculpé·es du 8 décembre. C’est d’ailleurs mot pour mot ce qui est au cœur des soupçons contre les inculpé·es : iels auraient aimé l’idée de « renverser l’État ».

« Un procès qui va mal se passer » : la Défense en tension.

Ce procès est un moment clé du processus de fascisation mondiale dans sa déclinaison française. Rien d’étonnant donc que les juges aient méticuleusement refusé toutes les demandes de la Défense dès le premier jour.

Selon le PNAT, il n’y a aucune raison de « douter de la loyauté » des agents de la DGSI. La juge semble approuver. Son pouvoir de faire citer de force des témoins ne sera pas appliqué pour 1207SI et 856SI, auteurs de plus de 150 PV au dossier, dont beaucoup présentent des « erreurs matérielles ».

Aucune raison non plus de renvoyer l’audience au jugement du Conseil d’État qui doit statuer sur la légalité des écoutes administratives à l’encontre de Libre Flot depuis son retour du Rojava. C’est la productivité de l’appareil judiciaire qui prime.

Ce procès qui « commence très mal » selon Kempf, risque aussi de se finir très mal. Un retard d’au moins une journée est déjà pris et les sujets les plus importants ont été mis à la fin au risque de passer à la trappe : la question du « projet » et de la « clandestinité » (par les moyens de communication).

« Pour mieux vous connaître » : pathologisation des victimes de la barbarie policière.

Suite à cette première journée de refus d’entendre la Défense, deux journées d’audience ont été consacrées à « la personnalité des prévenu·es ». Leurs parcours de vie et leurs états d’âme les plus intimes sont ainsi passés au crible pendant en moyenne deux heures par inculpé·e.

Les profils de chacun·e, liés à des parcours de grosse galère parfois ; et de liberté et de projets d’autonomie face à l’avenir le plus souvent ; ne semblent guère intéresser les magistrates que dans leur potentialité « violente » et pathologisante.

Les questions reviennent en permanence sur : les addictions (drogues et alcool), la période de confinement, les traumatismes liés aux violences policières sur les ZAD.

Les juges sont obnubilées par le ressentiment que pourraient avoir les inculpé·es face à « des mains arrachées, des viols par la police » et à « la mort » de Rémi Fraisse, assassiné par un gendarme armé d’une grenade.

Le sous-titre est clair et nauséabond : vous avez des traumas et de la haine anti-flics, ce qui vous rend fragile et dangereux vu les faits reprochés. Ou comment les horreurs commises par les flics sont retournées pour tenter de criminaliser les compagnon·es du 8 décembre.

Un exemple effarant :

– une juge assesseure revient sur l’enfance de Svink et un accident de scooter dont il paye encore les frais aujourd’hui. Il a 39 ans, il en avait 15 à l’époque. Il est renversé par un ivrogne au volant, un flic en fin de service. Il voit ensuite débarquer sur son lit d’hôpital, le flic et ses collègues qui font pression sur lui pour qu’il ne porte pas plainte. La juge ne se questionnera pas sur le dénouement, mais sur les liens avec son tatouage « ACAB » et surtout, les « faits » qu’on lui reproche aujourd’hui, 21 ans plus tard, à savoir : être passionné d’effets spéciaux et avoir le droit de manipuler des matières « actives », – mais pas avec quelqu’un qui revient du Rojava semblerait-il.

« Au nom du peuple français » : les critiques universitaires érigées en intentions terroristes.

« Nous ne sommes pas là pour vous juger sur vos opinions politiques » affirmait la Présidente le premier jour d’audience, laissant la salle plus que dubitative. Le doute s’est très vite levé les jours suivants, lorsque -entre autres- Camille a dû s’expliquer pendant une heure sur une lettre adressée au juge d’instruction dans laquelle des sociologues et historien·es critiques de la justice étaient cité·es.

Elle avait lu en détention des ouvrages tels que : « Sous l’œil de l’expert. Les dossiers judiciaires de personnalité » de Ludivine Bantigny et Jean-Claude Vimont ; « Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants » de Véronique Blanchard et Mathias Gardet ; ou encore la criminologue Louk Hulsman citée dans « Crimes et Peines » de Gwenola Ricordeau.

Selon l’assesseure donc, les citations suivantes « en disent long » sur ses opinions politiques ; et par glissement dangereux sur « les faits que l’on vous reproche » :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

« La notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

La juge assesseure va très vite laisser tomber les questions de personnalité pour s’enfoncer dans un face à face agressif : « La juge que je suis se doit de vous poser la question » assènera-t-elle avant de stupéfier la salle en s’écriant : « Le Tribunal rend la Justice au nom du peuple français ! ».

Cette démonstration d’autoritarisme suscitera des réactions de soutien dans la salle, que le Procureur fera sanctionner immédiatement (par l’expulsion d’une personne). La mère, le père, le frère et des proches de la mise en examen sortiront en guide de protestation.

Inscrivez greffier : dans la France de 2023, on ne critique pas la justice ; le concept universitaire de « criminalisation » est un « néologisme » ; et un mémoire de littérature une pièce à conviction dans un dossier terroriste.

« Pouvez-vous être à deux endroits en même temps ? » : la DGSI et la fiction judiciaire.

Certains disent, dans le monde pénal, que les renseignements intérieurs ont gardé un réel traumatisme du fiasco de l’affaire dite « de Tarnac ». C’est sûrement faux : les effectifs ont largement changé et leur image a été redorée jusque dans la gauche radicale (grâce aux attentats djihadistes et les sources de Médiapart).

Cependant on remarque d’autres types de troubles dont l’ensemble de la chaîne pénale présente des symptômes : la paranoïa et la mythomanie.

Nous avions déjà ironisé sur le fait qu’une « chouette team » puisse devenir, -passant le prisme d’un agent de la sécurité intérieure sous pression politique-, une « shot team ». Cette fois, nous avons d’un côté une sonorisation qui enregistre ce que Svink fait : « tapoter avec un marteau et une spatule dans un plat » (selon ses explications). Et de l’autre côté, un rapport de filature qui affirme entendre « des tirs d’airsoft en rafale ». Encore un PV faux qui en dit long sur la subjectivité des agents.

Mais la supercherie policière prend toute sa gravité quand elle fait loi en terminant dans la tête d’une juge. Ce n’est qu’à la fin de l’audience qu’on se rendra compte que, plusieurs heures durant, un inculpé a été sommé de s’expliquer sur des propos qu’il n’a pas tenu il y a trois ans.

Il aura fallu attendre qu’un avocat demande à passer l’audio « original » d’une sonorisation pour qu’on se rende compte que les propos retranscrits n’ont tout simplement pas été dits.

L’extrait en l’occurrence était une phrase banale : « il faudra prendre des bonnes habitudes » transformée en « prendre des objectifs ». Qu’est-ce que ces objectifs, demandait la juge solennellement ? Que peut bien cacher cette phrase ? Tout simplement, rien.

Ni la juge, ni le PNAT n’ont pris la peine de vérifier leur sources. Pas plus que la juge ne se soit renseignée sur la loi concernant le statut d’artificier. Une vraie parodie qui se donne des airs graves.

Les retranscriptions de sonorisations sont pourtant la matière première de ce dossier explosif, raison pour laquelle la Défense demandait la citation des deux agents les plus prolifiques. Des expertises sont réalisées sur la base de ces retranscriptions, des accusations graves aussi. Tout laisse à penser que des manipulations opérées par les agents eux-même rendent beaucoup de retranscriptions fausses.

La juge était pourtant prévenue.

Relaxe pour les inculpé·es du 8 décembre !

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Lettre considérée comme indice d’intentions terroristes par la justice française en 2023.

À Jean-Marc HERBAUT,
Juge d’instruction antiterroriste
Tribunal Judiciaire de Paris
Parvis du Tribunal de Paris
75859 PARIS CEDEX 17

Objet : refus d’une enquête de personnalité et des expertises psychologique et psychiatrique.

Monsieur,

Je reviens vers vous à la suite du refus exprimé par mes conseils de me soumettre à l’enquête de personnalité et aux différentes expertises ainsi que mon refus de répondre aux questions de l’enquêtrice venue me rencontrer à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fleury-Merogis.

Je tenais par ce courrier à vous réaffirmer mon refus mais surtout à vous en expliquer les raisons.

Si je comprends que la demande de ces enquêtes s’inscrit dans le protocole du traitement des affaires criminelles, je tiens tout d’abord à rappeler que je refuse le chef d’inculpation pour lequel je suis poursuivie. Il me semble en outre que la démarche même de ces enquêtes est problématique pour plusieurs raisons.

Les mois d’enquête préliminaire dont j’ai fait l’objet n’ont visiblement servi qu’à dresser un portrait falsifié de ma personne, ne retenant de mes mots et de mes activités qu’une infime partie, toujours décontextualisée et uniquement destinée à m’incriminer au détriment de tout autre élément me caractérisant.

N’est il pas alors ironique que l’appareil judiciaire cherche désormais à déterminer qui je suis ? Ce processus réducteur m’ayant déjà valu plusieurs mois de détention provisoire, n’est il pas étrange de vouloir me soumettre à de telles enquêtes et expertises alors même que la possibilité de me décrire et de m’auto-identifier m’a préalablement été enlevée ? Et comment croire en la sincérité et en l’objectivité de telles enquêtes après avoir observé l’emploi d’une telle méthodologie ?

La sociologie nous enseigne depuis des décennies qu’il ne peut y avoir d’expertises neutres lorsque la personne est préalablement mise en situation d’infériorité (physique, psychologique, morale, etc…). Lorsque Véronique Blanchard décrit « l’aridité des rapports médicaux et sociaux aux allures d’autopsie » je ne peux déjà m’empêcher de penser aux rapports de la DGSI par lesquels vous m’avez rencontrée, ainsi que mes co-inculpés, et dans lesquels des moments de nos vies ont été machinalement disséqués, vidés de leur contenu et décontextualisés à foison.

Il apparaît dès lors dans ce type d’enquête que la personne s’efface pour devenir un « sujet », observé, analysé, comme je l’ai déjà vu noté dans plusieurs rapports joints à ce dossier. Je ne suis pas un sujet et je ne pense pas qu’une personne m’ayant vue une fois dans un contexte si particulier soit apte à retranscrire un portrait fidèle de qui je suis.

Il ne fait guère de doute pour moi que ces nouvelles enquêtes demandées constitueront, une fois de plus, autant de filtres déshumanisants et d’écrans posés sur des propos, mettant inéluctablement à distance la personne expertisée de son interlocuteur.

Les analyses de ce types de processus sont nombreuses. On peut parmi elles retenir les constats implacables de Véronique Blanchard ainsi que Mathias Gardet ou encore ceux exposés dans le recueil d’analyses de Ludivine Bantigny et Jean Claude Vimont :

« Le face à face entre les mots des jeunes et ceux des experts est d’une violence inouïe. Il en dit long sur les préjugés de classe, le sexisme et le racisme qui prévalent alors conduisant à des décisions de justice aberrantes, lourdes de conséquences pour une jeunesse certes surveillée mais ni écoutée ni entendue. »

« Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement la personnalité des individus, médecins, psychologues, éducateurs et magistrats finissent par les enfermer, au cœur de leurs dossiers, dans des catégories souvent figées qui déterminent tour à tour le destin de la personne jugée. »

Ainsi, au vu de la présomption de culpabilité incessante et harassante à laquelle nous faisons face dans ce dossier, je ne peux que vous demander sous quelles « normes d’époque » mes propos sont-ils et seront encore analysés, interprétés et jugés ?

Pour finir, si l’incapacité de ces enquêtes à répondre à la recherche d’objectivité qui serait leur mission première ne fait plus de doutes, il me semble important de souligner que, comme le fait remarquer le criminologue Louk Hulsman, « la notion d’illégalisme permet de mettre à jour la fausse neutralité des catégories juridiques qui représentent « l’ordre » et le « désordre » comme des faits historiques stables et universels, comme des faits objectifs dépourvus de tout jugement de valeur ».

En effet, si l’auteur insiste sur le fait que « le crime n’a pas de réalité ontologique », il souligne par ailleurs la difficulté d’expression et de défense des personnes qui en sont accusées : « Les conflits qui se produisent dans la société entre des personnes ou des groupes sont définis dans le système pénal non pas selon les termes des parties impliquées, mais plutôt en terme de régulation (droit pénal) et d’organisation du système lui même. Les parties directement impliquées dans un conflit n’ont que peu d’influence sur le cours des événements dès lors que le problème a été défini comme criminel et a été pris en charge en tant que tel par le système ».

Dans un soucis de manifestation de la vérité, ceci laisse entrevoir en quoi il est important de réhabiliter largement la parole des accusé·es et judiciarisé·es. Cela montre aussi l’importance de ne pas laisser la justice s’auto-alimenter dans ses propres mécanismes psycho-institutionnels.

Alors que cette enquête semble reposer bien plus sur de la présomption et de l’interprétation que sur ce qui pourrait être considéré comme des preuves ou des faits par la justice, vous comprendrez ainsi que je ne peux me permettre de laisser mes propos en proie à des tels mécanismes.

Je réaffirme alors par la présente ma capacité à parler par moi même et pour moi même.

En vous souhaitant bonne réception de ce courrier.

Camille,

Le 3 novembre 2021.