Nous partageons ici la couverture médiatique du procès. Plusieurs journaux ont envoyé des journalistes pour assister aux audiences : Le Monde, Médiapart, Libération, le Nouvel Obs, Politis. Étaient présent·es également des journalistes New Yorkais·es et l’AFP. Les articles complets sont téléchargeables en pdf.
Nous faisons le choix de ne pas citer les charognards invités par le PNAT qui sont venu·es uniquement le jour des réquisitions.
Un tract avait été distribué aux journalistes pour leur demander de respecter une certaines éthique vis à vis des mis·es en examen et leurs proches présent·es. Les violences médiatiques sont pleinement partie prenantes de la répression et il s’agissait d’inviter à respecter la vie privée et l’intimité des personnes présentes.
Sept personnes sont renvoyées à partir du 3 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris. Ce dossier terroriste d’ultragauche est le premier à être jugé depuis le groupe Action directe, dont le dernier procès remonte à 1995.
C’est un groupe qui n’a pas de nom. Un groupe dont la plupart des membres ne se connaissent pas. Un groupe sans lieu ni objectif défini. Bref, ce n’est pas vraiment un groupe. Mais cela n’a pas empêché les jugesantiterroristes de renvoyer sept individus – six hommes et une femme – classés politiquement à l’ultragauche devant un tribunal pour « association de malfaiteurs terroriste ». Leur procès doit se tenir du 3 au 27 octobre devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Ils encourent jusqu’à dix années de prison.
De la note initiale de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en passant par le réquisitoire définitif du Parquet national antiterroriste (PNAT), que Le Monde et Télérama ont pu consulter, ce dossier n’a jamais de nom, mais sa lecture donne l’impression d’une volonté de construire une menace terroriste d’ultragauche.
Généralement, les services antiterroristes trouvent rapidement une façon de désigner une affaire, que ce soit par le procédé utilisé, la date ou le lieu d’un attentat projeté, le repaire du groupe ou le nom de son leader. Il y a ainsi eu « le groupe de Tarnac », « l’attentat des bonbonnes » ou « la cache d’armes d’Argenteuil ». Là, rien. Ou plutôt une appellation manuscrite apposée sur certains procès-verbaux de surveillance au début de l’enquête : « punks à chiens ». Certains prévenus y voient une forme de mépris. Les comités de soutien des mis en cause ont fini par choisir la date de leur arrestation pour désigner leur affaire : ils sont devenus « les accusés du 8 décembre ».
« Comportement clandestin »
Ce dossier terroriste d’ultragauche est le premier à être jugé depuis le groupe Action directe, qui a ensanglanté la France dans les années 1980 et dont le dernier procès remonte à 1995. Le fiasco judiciaire de Tarnac, jugé, lui, sans qualification terroriste au bout de dix ans, s’est terminé par une relaxe générale en 2018. Par quelque bout qu’on le prenne, le dossier tient essentiellement sur une seule personne : Florian D., qui se fait appeler désormais « Libre Flot ». Agé de 39 ans, ce militant anarchiste est parti combattre au Kurdistan syrien aux côtés des Unités de protection du peuple (YPG), des brigades intégrées aux Forces démocratiques syriennes contre l’organisation Etat islamique (EI), d’avril 2017 à janvier 2018.
C’est pour cette raison qu’il fait l’objet d’une surveillance administrative de la DGSI depuis son retour. Autour de lui, six personnes gravitent, dont une femme, Camille B., qui entretient une relation amoureuse avec lui. Ces six personnes ne se connaissent pas vraiment les unes les autres : Camille B., 33 ans, Simon G., 39 ans, et Manuel H., 39 ans, ne connaissent pas les autres mis en cause et n’ont de lien qu’avec Florian D. ;William D., Loïc M. et Bastien A., qui ont tous 34 ans, ont rencontré Florian D. sur la ZAD du barrage de Sivens (Tarn) et ont un projet commun de fabrique de jus de fruits artisanaux.
Début 2020, une note de la DGSI, un service de police antiterroriste et de renseignement intérieur tout à la fois, alertait sur les activités de Florian D., soupçonné de vouloir mettre sur pied « un groupe violent »,dont les membres adopteraient un « comportement clandestin », dans le but de « commettre des actions de guérilla et des actions violentes contre des cibles institutionnelles ».
Pour l’avocat de Florian D., Me Raphaël Kempf, cette note est à la racine de l’instruction judiciaire qui en découle : « Si on lit bien la note de judiciarisation de la DGSI, qui a conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire, on voit bien qu’il y a eu des violations de la vie privée des personnes visées. Elles ont été écoutées dans un cadre privé, sans contrôle judiciaire effectif. Or, nul ne sait dans quel cadre ont eu lieu ces écoutes administratives. Ont-elles été effectuées dans le cadre de la loi de 2015 sur le renseignement ? » L’avocat a déposé un recours devant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui l’a transmis au Conseil d’Etat, où il est en cours d’examen.
Le PNAT se saisit de la note de la DGSI et ouvre une enquête préliminaire, le 7 février 2020. Le 20 avril, des juges d’instruction sont saisis dans le cadre d’une information judiciaire, signe que le dossier est pris au sérieux. Mais il ne se passe plus grand-chose.Les faits les plus graves, qui seront finalement visés par l’ordonnance de renvoi, ont déjà eu lieu.
A l’été et à l’automne 2020, les pièces versées au dossier vont même en décroissant. Les écoutes sont de peu d’intérêt, seule la sonorisation du camion dans lequel vit et se déplace Florian D. vient alimenter quelque peu le dossier. Or, en novembre 2020, les enquêteurs apprennent que Florian D. a l’intention de vendre son camion et de partir à l’étranger. Il est alors décidé, au terme d’une réunion le 19 novembre 2020 entre la DGSI, le PNAT et le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut, d’interpeller les mis en cause. Le coup de filet a lieu le 8 décembre 2020, les mises en examen de sept des onze interpellés, appréhendés dans toute la France et ramenés au siège de la DGSI,sont prononcées le 11 décembre.
Airsoft, pétards et sacs d’engrais
Les faits reprochés tiennent en quatre « moments » et quatre lieux. Du 11 au 13 février 2020, Florian D., Manuel H. et Loïc M. se réunissent à Pins-Justaret (Haute-Garonne), où ils pratiquent l’airsoft (un jeu d’équipes utilisant des répliques en plastique d’armes à feu). Entre le 14 et le 17 février 2020, Florian D. et Simon G., qui travaille comme artificier à Disneyland Paris, expérimentent des matières explosives et volent deux sacs d’engrais à Paulnay (Indre). En avril 2020, en plein confinement dû au Covid-19, Florian D. et Camille B. rejoignent William D. et Bastien A.à Parcoul-Chenaud (Dordogne) : durant ce séjour, ils effectuent un après-midi d’airsoft et confectionnent des pétards de forte puissance, dont l’un explose. Enfin, du 25 au 27 mai 2020, Florian D., Manuel H. et Loïc M. se retrouvent à nouveau, cette fois à Saint-Lieux-Lafenasse (Tarn), sans qu’on sache vraiment ce qu’ils font.
Ce sont la puissance des explosifs testés et les notes prises par Manuel H. à l’issue de la réunion de Pins-Justaret qui sont les éléments les plus sérieux relevés contre les prévenus. Même si une partie des notes et de la documentation saisies chez Manuel H. peuvent s’interpréter comme les préparatifs d’un départ au Rojava, le Kurdistan syrien, ce qu’il a effectivement tenté de faire sans succès en 2019, et non pas comme la préparation d’une guérilla en France.
L’essentiel des faits se déroule donc avant l’ouverture de l’information judiciaire, le 20 avril 2020. Or, le procès-verbal de synthèse rédigé à des fins de transmission, au terme de l’enquête préliminaire, mi-avril,reconnaît qu’à ce stade il n’y a ni groupe ni objectif : « Aucun projet d’action violente ne semblait défini et la constitution d’un groupe dédié à la mise en place d’actions de guérilla ne transparaissait pas », y lit-on. Le document ajoute : « Les interceptions judiciaires (…) n’ont pas permis de révéler des éléments susceptibles de caractériser les faits reprochés. »
La chronologie démontre donc clairement que, si menace il y a, elle va en déclinant plutôt qu’en se radicalisant. « Le timing en dit long sur la vacuité du dossier, déplorent Mes Lucie Simon et Camille Vannier, les avocates de Manuel H. Les interpellations n’interviennent nullement pour faire échec à une action imminente, au contraire, elles arrivent alors que l’enquête patine depuis sept mois. Comme s’il fallait sauver cette procédure, pour des considérations autres que juridiques. »Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Affaire du 8 décembre 2020 » : le chiffrement des communications des prévenus au cœur du soupçon Ajouter à vos sélections
« Dans ce dossier, le PNAT et le juge d’instruction ont plaqué de manière totalement artificielle une méthodologie et un récit directement empruntés au terrorisme djihadiste,estiment les deux avocates. On retrouve la notion de “séjour sur zone” [au Kurdistan syrien] pour aller combattre, la figure du “revenant” tout comme l’idée d’un “réseau transnational” kurde. C’est absurde, il n’y a jamais eu de lien entre une entraide internationale au Rojava et des actions en Occident, c’est un procédé grossier pour criminaliser à bas coût l’extrême gauche. Au contraire, les Kurdes combattent Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], avec l’appui de la coalition. » « Il ne faut pas oublier que nous défendons quelqu’un qui a combattu Daech au péril de sa vie », renchérit Me Kempf, qui assure la défense de Florian D., avec Me Coline Bouillon. D’autant qu’il n’est pas illégal d’aller combattre avec les YPG au Kurdistan, comme le confirme un jugement du tribunal administratif du 31 mars 2017.
« Comité illisible »
La question kurde est, en effet, au cœur de ce dossier. Alors que les YPG ont été les alliés privilégiés de la France dans son combat contre l’EI, la justice antiterroriste retient surtout que la maison mère des groupes de combat kurdes de Syrie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, en guerre contre l’Etat turc), est une organisation terroriste et séparatiste aux yeux de la France et de l’Union européenne. Dans son long exposé de l’histoire de l’extrême gauche armée, le réquisitoire définitif du PNAT du 23 novembre 2022 fait de la cause kurde un « substitut » de la cause palestinienne dans les années 1970-1980 comme référent internationaliste. Un contresens historique et politique dans la mesure où la cause kurde est purement nationaliste et ne vise que l’Etat turc.
Pour pallier les lacunes et contradictions fondamentales du dossier, les services d’enquête, le parquet et le juge d’instruction semblent, à la lecture des documents, multiplier les sous-entendus, insinuations, exagérations et comparaisons douteuses. On met en exergue les tenues de black bloc saisies chez les uns, le tatouage ACAB (« tous les policiers sont des bâtards ») de l’autre. On reproche à l’une de détenir des livres d’Auguste Blanqui et de Pierre Kropotkine, deux théoriciens de la révolution et de l’anarchisme du XIXe siècle, à l’autre d’écouter le rappeur d’extrême gauche Enedeka Maska, au troisième d’avoir un drapeau kurde chez lui.
Un schéma, tiré de l’expertise sur les explosifs, montre un pâté de maisons de Paris quasiment détruit par les explosifs que le groupe aurait pu potentiellement fabriquer. Un renseignement est mentionné dans l’ordonnance de renvoi stipulant que Manuel H. a cherché à rencontrer, lors de vacances en Colombie au printemps 2019, des terroristes de l’ELN (Armée de libération nationale, extrême gauche), bien qu’aucune preuve n’en a jamais été faite.
Le réquisitoire insiste sur le fait que Camille B., présentée comme « l’idéologue » du groupe tout simplement parce qu’elle a plus de livres que les autres, s’est installée dans la même ville de l’ouest de la France et la même rue que Julien Coupat, l’idéologue du « groupe de Tarnac », présenté par le parquet, en un lapsus savoureux, comme le chef de file du « Comité illisible » – au lieu du « Comité invisible », le véritable nom des têtes pensantes de Tarnac. En garde à vue, il lui est demandé si elle est « anti-France » :il n’est même plus question de savoir si elle a voulu attaquer des institutions ou de s’en prendre à la police. De même, tout au long du réquisitoire se litune volonté d’établir un lien entre Florian D. et la Conspiration des cellules de feu, un groupuscule grec qui s’est livré à des attentats et prône l’« action directe », au motif que l’on a retrouvé un fascicule chez lui.
« Psychiatrisation »
C’est sur la question des cibles que le dossier sonne particulièrement creux. Alors que le réquisitoire du PNAT estime que les sept voulaient s’en prendre « à l’oppression et au capitalisme », le juge d’instruction parle dans son ordonnance de renvoi de « provoquer une révolution »,de « renverser l’Etat » et d’« attenter à la vie de ses représentants ». Quant au « projet » de tuer des policiers reproché parfois au groupe, Loïc M. parle, en interrogatoire devant le juge d’instruction, de « propos alcoolisés » : « Cela avait à peu près autant de portée que des propos visant à pendre les patrons à la fin d’une réunion de la CGT. »
Les magistrats du parquet et de l’instruction insistent également sur le fait que la majorité des mis en cause a refusé de communiquer ses codes de déverrouillage de téléphone ou ses mots de passe de messagerie. Comme si le cryptage de leurs communications établissait entre eux un lien que l’instruction peine à définir.
La plupart des personnes renvoyées au tribunalont refusé les expertises psychologiques qui participent, selon les termes de Mes Chloé Chalot et Guillaume Arnaud, les avocats de Camille B., d’une « psychiatrisation aux fins de dépolitisation » des dossiers.Pour tous les prévenus du procès, qui s’expriment par le truchement de leurs avocats, il ne s’agit rien de moins que d’un « procès politique ».
On retrouve cette dimension politique dans la façon dont le minstre de l’intérieur, Gérald Darmanin, interviewé sur BFM-TV le 5 avril, avait renvoyé dos à dos ultragauche et ultradroite. Une rhétorique reprise par le réquisitoire définitif, qui estime : « Indiscutablement, la mouvance ultragauche a connu une résurgence violente ces dernières années. Certains, frustrés par l’absence de perspective de leur action, semblent se laisser tenter par une escalade terroriste, telle qu’elle avait pu être menée par des organisations comme Action directe dans le passé, ou par des organisations terroristes contemporaines en Grèce. »
Pour Mes Simon et Vannier, « ce dossier pose les bases de ce qui va suivre : les notions d’écoterrorisme et de terrorisme intellectuel agités par Gérald Darmanin depuis un an, la dissolution des Soulèvements de la Terre en juin ». Me Kempf, lui, y voit la logique dévorante de l’antiterrorisme en action : « Les acteurs de l’antiterrorisme ont besoin de se nourrir de dossiers pour justifier leur existence. Avec le reflux du djihadisme, on peut penser qu’ils ont besoin de se tourner vers d’autres horizons. Or, eux seuls décident, en fonction de critères obscurs, de ce qui est terroriste ou pas. » Pour Mes Chalot et Arnaud, « ce dossier est une porte ouverte extrêmement dangereuse pour les années qui viennent ».
Des avocats expriment la crainte d’une requalification terroriste à l’avenir de plusieurs dossiers de destruction de biens dans lesquels les Soulèvements de la Terre sont poursuivis.« Affaire du 8 décembre 2020 » : seize mois d’isolement en détention provisoire et vingt-six fouilles à nu
En matière de terrorisme, les conditions de détention font l’objet d’un régime particulier, y compris les détentions provisoires. Florian D. est celui des sept mis en examen de l’affaire dite « du 8 décembre 2020 » qui a effectué la détention provisoire la plus longue, avec seize mois passés à la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), de décembre 2020 à avril 2022, malgré un comportement décrit comme « exemplaire » par l’administration pénitentiaire. Toute cette période a eu lieu sous le régime de l’isolement, théoriquement réservé à des détenus faisant preuve d’un comportement inadapté ou dangereux mais appliqué fréquemment aux détenus pour terrorisme.
Au bout de quinze mois d’isolement, qu’il assimile à de la « torture blanche » et qui a occasionné pertes de mémoire, désorientation spatiotemporelle, etc., Florian D. a mené une grève de la faim d’un mois, qui s’est achevée par sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. Après sa sortie de prison, il a attaqué l’Etat devant le tribunal administratif de Versailles et a obtenu, le 18 avril 2023, l’annulation des décisions de mise à l’isolement et la condamnation de l’Etat à 3 000 euros de réparations.
Autre mise en examen, Camille B., quant à elle, a dû subir vingt-six fouilles à nu à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis (Essonne) sur une période de quatre mois et demi, de décembre 2020 à fin avril 2021, selon le jugement du tribunal administratif de Versailles. A chaque parloir, à chaque extraction de cellule, cette pratique humiliante et intrusive lui a été imposée. Contestant cette décision, Camille B. et ses avocats ont demandé la motivation écrite d’une telle mesure. Elle n’a jamais été transmise car elle n’existe pas, selon ses avocats. Sa plainte au tribunal administratif a débouché, le 1er juillet 2023, sur une reconnaissance de l’illégalité de ces fouilles mais sur une indemnisation pour deux d’entre elles seulement. Elle a fait appel devant la cour administrative de Versailles, le 1er septembre.
À partir du 3 octobre, sept personnes comparaîtront au tribunal correctionnel de Paris pour association de malfaiteurs terroriste. Dans ce dossier qui semble bien maigre, les enquêteurs vont jusqu’à considérer comme suspect l’usage de certaines messageries. Récit d’un emballement inquiétant.
Invité du Face-à-face d’Apolline de Malherbe sur RMC le 5 avril dernier, Gérald Darmanin se livre à l’exercice rituel des ministres de l’Intérieur : il égrène le nombre d’attentats déjoués par ses fonctionnaires. Quarante et un depuis 2017, précise-t-il, dont neuf d’ultradroite et un d’ultragauche, « avec un groupe qui voulait s’en prendre aux forces de l’ordre fin 2020 ». Dans ce « dossier punks à chien », tel qu’il est surnommé par les services de renseignement, six hommes et une femme comparaîtront devant la 16ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris à partir du 3 octobre, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste. Une première depuis l’affaire de Tarnac il y a quinze ans, quand une « cellule invisible » constituée autour de Julien Coupat avait été accusée d’avoir voulu saboter une ligne TGV. Le précédent est encombrant : cette histoire est devenue le symbole des errements de la justice antiterroriste, qui agit parfois comme une fabrique à fantasmes. Après dix ans de procédure, les prévenus ont été relaxés, et une magistrate a fini par imposer le générique de fin à une authentique « fiction ».
Bis repetita ? À l’heure où le premier flic de France vitupère contre les « écoterroristes » de Sainte-Soline et le « terrorisme intellectuel » de l’extrême gauche, l’affaire dite du 8 décembre (son autre nom) pose une question cruciale : où s’arrête le maintien de l’ordre, et où commence l’antiterrorisme, avec son cortège de mesures dérogatoires qui, demain, pourraient viser des milliers de personnes ? Cette interrogation est d’autant plus sensible que le procès débutera sur un sol meuble : selon des éléments consultés par Télérama et Le Monde, le projet des prévenus – « d’intimidation ou de terreur visant l’oppression ou le capital » – semble bien flou et les preuves, évanescentes. « Il n’y a pas de projet, il y a un scénario préétabli par le parquet, qui construit le récit d’une extrême gauche criminelle en y plaquant une méthodologie issue des dossiers d’islamistes radicaux », objectent d’emblée maîtres Lucie Simon et Camille Vannier, avocates d’un des mis en cause. « C’est artificiel, grossier, et terriblement dangereux ».
“Guérilla sur le territoire”
Tout commence aux premières heures de 2018. Florian D., 34 ans, présenté comme « appartenant à la mouvance anarcho-autonome », revient en France après avoir combattu pendant dix mois au Rojava, cette région autonome du nord de la Syrie, laboratoire d’expérimentation de la démocratie sans l’État pour les Kurdes. Engagé contre Daech au sein d’un bataillon de volontaires internationaux, il y aurait reçu une formation de sniper. Rien d’illégal en soi : saisi par un Français désireux d’y retourner en mars 2017, le tribunal administratif de Paris a jugé que les YPG, branche armée du Parti de l’union démocratique kurde, n’étaient pas une organisation terroriste. Mais comme les vingt ou trente autres ressortissants nationaux partis embrasser la cause révolutionnaire dans cette région du monde, Florian D. intéresse la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui le met sous surveillance et ne cessera de le considérer comme un « revenant » semblable à ceux contre qui il est parti lutter.
Selon maîtres Raphaël Kempf et Coline Bouillon, ses avocats, « c’est une histoire que se raconte la DGSI de longue date : de jeunes Français partent au Rojava et seraient déterminés à tout faire péter à leur retour ». Le Parquet national antiterroriste (PNAT) l’écrit noir sur blanc dans son réquisitoire définitif : « L’imaginaire de la mouvance d’ultragauche, construit sur fond de terrorisme des années de plomb […], l’expérience du combat que certains ont acquis en zone irako-syrienne et l’interconnexion de la mouvance française avec les mouvances étrangères – dont certaines sont impliquées dans des actions violentes – créent des conditions favorables pour l’émergence, par capillarité, de groupuscules et individus désireux de s’inscrire dans une démarche de terreur et d’intimidation. » Après des mois de filochage, les services n’en démordent pas : Florian D. chercherait à constituer « un groupe violent en vue de commettre des actions de guérilla sur le territoire ». Le 7 février 2020, le PNAT ouvre une enquête préliminaire. « Bien qu’aucune cible n’ait été évoquée », de l’aveu même des enquêteurs, le procureur accepte de sonoriser le Renault Master aménagé du suspect, dans lequel il vit. Dès lors, la machine antiterroriste, presque impossible à arrêter, est lancée.
“Ambiance de fête de village”
Quelques jours plus tard, Florian D. retrouve Manuel H., un vieux copain de lycée, et Loïc M., un saisonnier agricole qu’il a rencontré sur la ZAD de Sivens en 2014. Pendant deux jours, dans une maison abandonnée de Pins-Justaret, en banlieue toulousaine, le trio s’exerce à l’airsoft, une variante du paintball. Devant le juge Jean-Marc Herbaut, Manuel H. aura beau invoquer un « but récréatif » en concédant qu’il voulait s’entraîner « dans la perspective de partir au Rojava », la DGSI décrit cet épisode comme « un enseignement paramilitaire et idéologique ».Dans la foulée, Florian D. met le cap sur Paulnay, dans l’Indre, où il possède un terrain. Il y rejoint Simon G., artificier chez Disneyland, compagnon de la scène punk anar. Ensemble, ils volent un sac d’engrais dans un Gamm vert et s’essaient à la conception de substances explosives, parmi lesquelles du TATP, tristement connu comme l’explosif de prédilection des djihadistes. Là encore, à rebours de l’expertise, les intéressés plaident la bonne foi, Florian D. arguant lors d’une audition que Simon G. voulait « faire évoluer sa carrière pour produire des effets spéciaux pour les clips ou le cinéma ».
Puis c’est la pandémie, le confinement et son expérience collective d’assignation à résidence. Début avril, accompagné de sa petite amie Camille B., le vétéran du Rojava part se mettre au vert à Parcoul-Chenaud, une petite commune de Dordogne. William D., avec qui il a également sympathisé à Sivens, y loue une grande maison en lisière de bois avec son meilleur pote, Bastien A. Dans le désœuvrement de cette période immobilisée, un petit groupe, sept personnes en tout (trois seront mises hors de cause), rejoue à l’airsoft sous l’impulsion de Florian D. « Des guignols qui cherchaient à passer le temps […] dans une ambiance de fête de village », avance Camille B. devant le juge, quand les services, cramponnés à leur champ lexical guerrier, évoquent « un exercice de progression tactique ». Sur place, les confinés tâtonnent encore dans la forêt voisine avec des substances explosives badigeonnées en pâte marron ou concassées en cristaux, jusqu’à ce que, de l’avis de tous, un « énorme boum » fasse trembler les vitres de la maison et les dissuade de poursuivre plus avant leurs expérimentations.
Dans la synthèse de l’enquête préliminaire transmise au PNAT le 20 avril 2020, la DGSI reconnaît rentrer bredouille : « Les interceptions judiciaires […] n’ont pas permis de révéler des éléments susceptibles de caractériser les faits reprochés » et « aucun projet d’action violente ne [semble] défini, la constitution d’un groupe dédié à la mise en place d’actions de guérilla ne [transparaissant] pas. » Qu’à cela ne tienne, les services réclament « un cadre d’enquête plus approprié » afin de continuer à creuser. Une information judiciaire est ouverte. Soulignant « le risque important de passage à l’acte violent de ces individus déterminés et fanatisés », le juge d’instruction les autorise à maintenir la sonorisation et la géolocalisation du fourgon de Florian D. Tous les autres protagonistes sont mis sur écoute. Pourtant, malgré la débauche de moyens techniques mobilisés, plus aucun renseignement saillant ne vient abonder l’enquête, à tel point qu’au mois d’août les mesures de surveillance de Loïc M. et Camille B. sont levées.
À l’arrêt dans la demi-torpeur d’une France pas complètement sortie de l’épisode pandémique, l’affaire va connaître une accélération soudaine et inexpliquée à la fin de l’année 2020. À la suite d’une réunion avec le PNAT et la DGSI, et craignant une vente imminente du fourgon sonorisé, le juge Herbaut décide d’interpeller neuf individus le 8 décembre (deux seront relâches sans poursuites). Au point du jour, en force, et aux quatre coins de la France, des policiers cagoulés perquisitionnent du matériel informatique, des panoplies de black bloc, des armes, déclarées ou non (deux des prévenus disposent d’un permis de chasse), des tracts d’infokiosque et de la littérature contestataire présentée comme incriminante. Avec des élans de zèle : chez William D., on saisit Instructions pour une prise d’armes, d’Auguste Blanqui, présenté comme « un programme purement militaire qui se voulait un manuel de la résistance, détaillant notamment la mise en place de barricades dans un contexte d’insurrection » ; chez Camille B., un ouvrage de l’anarchiste russe Pierre Kropotkine. Tous sont placés en garde à vue, et cinq d’entre eux en détention provisoire. Florian D. passera quinze mois à l’isolement à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, qui se concluront par trente-sept jours de grève de la faim. Son ex-compagne, incarcérée pendant cinq mois à Fleury-Mérogis, subira des fouilles intégrales à chaque extraction ou inspection de cellule, finissant par refuser les parloirs pour ne plus subir ces humiliations, dont le tribunal administratif de Versailles a reconnu l’illégalité.
Ces individus ne se connaissent pas tous, mais tous connaissent Florian D., dont ils ont croisé la route dans un squat ou lors d’un petit boulot. Des interrogatoires, il ressort des aspirations de vie différentes mais un dénominateur commun : tous craignent un effondrement de la société et se préparent à ce qu’advienne un « pouvoir fasciste ». Puisque la cellule conspirative est une constellation de destins cabossés, l’enquête va s’attacher à les solidariser. En essayant notamment de criminaliser une hygiène numérique qui les lierait tous et ferait tenir le scénario groupusculaire. « Tous les individus [adoptent] un comportement semi-clandestin, usant de moyens de communications sécurisés », ont relevé les enquêteurs dès le début de l’enquête préliminaire.
Après les avoir interpellés, le juge Herbaut les cuisine sur leur utilisation de la messagerie chiffrée Signal, leur goût pour ProtonMail ou leur recours à Tor, présenté comme « un réseau du Darknet permettant de dissimuler son activité mais aussi d’accéder à des marketplaces de produits illicites ». Il demande à Loïc M. « pour quelles raisons » il prend autant de précautions, et s’attarde sur une formation à l’outil Tails, réalisée pendant le confinement à Parcoul-Chenaud à l’initiative de Florian D., « très impressionné par les révélations de Snowden ». Installé sur une clé USB, ce système d’exploitation – recommandé pour les journalistes mais honni par les services de renseignement – permet de transformer son ordinateur en machine sécurisée et amnésique. Si quatre prévenus refusent de communiquer les codes de leurs appareils informatiques (un délit passible de trois ans de prison depuis une décision de la Cour de cassation fin 2022), c’est qu’ils cachent nécessairement quelque chose. Pour maîtres Simon et Vannier, les avocates de Manuel H., « il s’agit d’un renversement scandaleux de la charge de la preuve. En matière antiterroriste, l’imagination flirte toujours avec le pire mais ici, l’absence de preuve devient une preuve ! »
“Êtes-vous anti-France ?”
L’asymétrie est saisissante : d’une main, l’État déploie les outils les plus intrusifs de la lutte antiterroriste ; de l’autre, il ne tolère pas qu’on se protège de son arbitraire, alors que ce droit à la sûreté est sanctuarisé dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. « La question ici n’est pas de savoir si nous sommes face à des terroristes, mais de déterminer jusqu’où peuvent aller les services de renseignement dans la violation de l’intimité », s’inquiètent maîtres Kempf et Bouillon qui, après avoir saisi la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), attendent une décision du Conseil d’État sur la légalité de la surveillance initiale de Florian D. Le contexte n’aide pas. En juin 2023, dans les considérants du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre – suspendue depuis –, le ministère de l’Intérieur a estimé que « le fait de laisser son téléphone mobile allumé à son domicile ou de le mettre en mode avion en arrivant sur les lieux d’une manifestation pour éviter le bornage » ou celui « de ne pas communiquer les codes de déverrouillage de l’appareil » sont des motifs qui peuvent justifier de rogner la liberté d’association. Se protéger devient suspect.
« S’il devait y avoir une condamnation dans ce dossier, l’antiterrorisme s’ouvrirait sur le champ militant, et une sacrée frontière serait franchie », redoutent maîtres Guillaume Arnaud et Chloé Chalot, avocats de Camille B. Dans son réquisitoire définitif, le procureur ne note-t-il pas que « la jeune femme est dotée d’un bagage intellectuel et idéologique manifestement supérieur à ses coreligionnaires, comme l’atteste son parcours universitaire, sa connaissance approfondie de la sociologie et ses références littéraires » ? Ses conseils bondissent. « On a l’impression que la critique politique devient une maladie mentale », s’offusquent-ils. Lors d’un de ses interrogatoires, on lui a demandé si elle était « anti-France », une expression solidement ancrée à l’extrême droite. Et malgré son contrôle judiciaire allégé, Camille B. subit toujours la même surveillance : le PNAT « ne manque pas de s’interroger » sur son installation dans la même rue que Julien Coupat, « acteur majeur de la mouvance d’ultragauche à travers le Comité illisible [sic] ».
Alors que les effectifs de la DGSI ont presque doublé depuis les attentats de 2015, la menace djihadiste perd en intensité, et les services doivent justifier leur raison d’être. Au point de gonfler artificiellement les nouvelles menaces en maçonnant grossièrement des dossiers pleins de fissures ? Dans une récente interview au Monde, Nicolas Lerner, patron de la maison, tentant de trouver la bonne mesure, assumait cette porosité entre le champ du droit commun et celui de l’exception : « L’ultragauche constitue d’abord et avant tout une menace pour l’ordre public. […] ce n’est pas parce [qu’elle] n’est pas passée à l’acte terroriste ces dernières années que le risque n’existe pas. »
Quatre des sept personnes jugées à partir du 3 octobre au tribunal judiciaire de Paris sont poursuivies, en plus du chef d’« association de malfaiteurs terroriste », pour avoir refusé « de remettre une convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie ».
Dans le réquisitoire définitif du Parquet national antiterroriste (PNAT) sur l’affaire d’ultragauche dite « du 8 décembre 2020 », un chapitre spécifique est exclusivement consacré aux outils numériques utilisés par les sept prévenus, renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « association de malfaiteurs terroriste », et dont le procès doit se tenir du 3 au 27 octobre au tribunal judiciaire de Paris. Bien qu’informés des sanctions pénales encourues, quatre des sept mis en examen ont refusé « de remettre une convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie » et sont poursuivis en plus pour ce délit spécifique.
« Tous les membres contactés adoptaient un comportement clandestin, avec une sécurité accrue des moyens de communication (applications cryptées, système d’exploitation Tails, protocole TOR permettant de naviguer de manière anonyme sur Internet et Wi-Fi public) », note la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans un procès-verbal de synthèse. Le parquet reconnaît, pour sa part : « Les investigations et surveillances menées durant l’enquête préliminaire puis l’information judiciaire avaient été rendues particulièrement complexes en raison de la véritable culture du secret des mis en examen qui usaient tous de moyens de navigation et de communication cryptés et avaient pour certains refusé de communiquer les codes de déverrouillage de leurs téléphones et/ou ordinateur. »
Ce constat ne se limite pas à un regret, il constitue un élément à charge : si les prévenus ont cherché à cacher leurs communications, c’est qu’ils avaientquelque chose à se reprocher, lit-on entre les lignes. Aucun des outils qu’ils ont utilisés n’a pourtant une quelconque illégalité. Ce n’est pas une exception. Dans tous les dossiers pour association de malfaiteurs terroriste, qu’ils soient djihadistes ou d’ultradroite, le PNAT cherche à démontrer la volonté de secret du groupe de conspirateurs. C’est même l’un des éléments constitutifs de l’infraction. Mais, dans l’affaire du 8 décembre, cette dimension prend des proportions inquiétantes du point de vue des libertés publiques.
Messages qui s’autodétruisent
Première visée dans le réquisitoire définitif: l’application de chiffrement Signal, qui permet d’envoyer et de recevoir des messages cryptés ainsi que de passer des coups de fil sécurisés. Dans certains cas, comme celui du principal prévenu Florian D., les messages reçus et envoyés s’autodétruisent au bout de douze heures. Une précaution supplémentaire.
Signal n’est pas le seul outil de chiffrement des communications utilisé par les mis en examen. C’est aussi le cas de WhatsApp et surtout du service de messagerie électronique ProtonMail. On peut aussi citer les logiciels d’anonymisation TOR (navigateur Internet) et Tails (système d’exploitation basé sur Linux, installé généralement sur une clé USB) qui permettent de naviguer sur Internet ou de travailler sur un ordinateur sans laisser de traces. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Affaire du 8 décembre 2020 » : un procès pour terrorisme d’ultragauche sur des bases fragiles
La possession par le prévenu Bastien A. d’une brochure intitulée « lnformatique : se défendre et attaquer » est considérée comme une circonstance aggravante par la DGSI, qui note : « Ces écrits constituaient un véritable guide permettant d’utiliser son téléphone de manière anonyme, confirmant la volonté de X de s’inscrire dans la clandestinité, de dissimuler ses activités. »
« Droit au respect de ma vie privée »
De même, il est prêté à une autre prévenue, Camille B., le rôle de « hackeuse » du groupe pour le simple fait d’avoir un minimum de compétences informatiques. « C’est le propre de l’antiterrorisme, qui est volontairement flou et laisse la place au fantasme », estiment les avocates Lucie Simon et Camille Vannier, qui représentent Manuel H. dans le dossier. Lire aussi : Sept militants de l’ultragauche mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste »
Du soupçon à la culpabilité, il y a un pas que le juge d’instruction franchit dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal, quand il écrit : « Il reconnaissait devant les enquêteurs utiliser l’application Signal », « X ne contestait pas utiliser l’application cryptée Signal », « Il reconnaissait aussi utiliser les applications Tails et TOR », « Il utilisait le réseau TOR (…) permettant d’accéder à des sites illicites ».
Loïc M. s’est expliqué devant le juge d’instruction sur le refus « de remettre une convention secrète de chiffrement d’un moyen de cryptologie » : « Je ne suis pas un anarchiste, mais j’ai des valeurs. Je ne suis pas le seul Français qui s’interroge sur l’usage des données perso. S’il y a une chose que je revendique, c’est le droit au respect de ma vie privée et à la confidentialité de mes données. C’est uniquement pour cette raison que je refuse de vous communiquer mes codes. »
Le 8 décembre 2020, une opération antiterroriste visait 9 militants politiques français. Les quelques éléments de langage et de procédure distillés dans la presse par la police laissent alors songeur. Une association de Paint Ball, un artificier qui travaille à Disneyland et quelques discussions de fin de soirée où l’on dit tout le mal que l’on pense de la police nationale captées par des micros cachés par la DGSI. À partir du 3 octobre, sept personnes seront jugées à Paris, soupçonnées de participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Afin de mieux saisir les enjeux comme le fond de cette affaire, nous avons reçu cette analyse détaillée et politique du dossier d’instruction.
Militant·es des Soulèvements de la Terre détenues par la Sous-Direction-Antiterroriste (SDAT), unités antiterroristes mobilisées contre des militant.e.s antinucléaire, syndicalistes CGT arrêtés par la DGSI, unités du RAID déployées lors des révoltes urbaines… La mobilisation récurrente des moyens d’enquête antiterroriste pour réprimer les mouvements sociaux associée à la diffusion d’éléments de langage sans équivoque – « écoterrorisme », « terrorisme intellectuel » – ne laissent aucun doute.
Il s’agit d’installer l’amalgame entre terrorisme et luttes sociales afin de préparer l’opinion publique à ce que les auteurices d’illégalismes politiques soient, bientôt, inculpées pour terrorisme. Et donner ainsi libre cours à la répression politique en lui faisant bénéficier de l’arsenal répressif le plus complet que le droit offre aujourd’hui : la législation antiterroriste.
C’est dans ce contexte que se tiendra, en octobre, le premier procès pour« terrorisme » de militant.es de gauche depuis l’affaire Tarnac [1]. L’enjeu est majeur. Une condamnation viendrait légitimer le glissement répressif souhaité par le gouvernement. C’est la ligne de partage symbolique entre ce qui peut être, ou non, qualifié de terrorisme que le pouvoir cherche dans ce procès à déplacer.
Car, du côté du droit, rien ne protège les luttes sociales de l’antiterrorisme. Comme le rappelle Olivier Cahn [2], « le flou de la notion de terroriste » – associé à la nature préventive de la justice antiterroriste – aboutit à une situation où « on a mis le droit en état de permettre à un régime autoritaire de se débarrasser de ces opposants sans avoir à changer la loi ».
C’est cet avertissement que vient illustrer de manière caricaturale l’affaire du 8 décembre dans laquelle sept personnes, sélectionné·es sur la base de leurs opinions politiques, doivent se défendre d’avoir participé à un projet… inconnu. Face à cette situation kafkaïenne, il s’agit de revenir sur la façon dont est construit un dossier antiterroriste. Il s’agit de montrer à quel point la place offerte au récit policier rend toute défense compliquée et ouvre la voie à une répression politique débridée. Il s’agit, enfin, de rappeler pourquoi la justice antiterroriste est un monstre juridique qui doit être combattu en soi.
Des terroristes…. sans projet terroriste
Dans cette affaire, le chef d’inculpation d’ « associations de malfaiteurs terroristes » a été maintenu alors même que l’accusation admet… qu’aucun « projet d’action violente » ne peut être reproché aux inculpé·es. A l’issue de deux années d’instruction, le parquet antiterroriste reconnaîtra que l’instruction n’a pas « mis en exergue un projet d’action violente finalisé ». Un aveu partagé par le juge d’instruction qui écrira de son côté qu’« aucun passage à l’acte imminent ne semble avoir été envisagé ».
Et pourtant, la DGSI n’avait pas lésiné sur les moyens de surveillance. A la sonorisation de lieux d’habitation, s’ajoutent des milliers d’heures d’écoutes téléphoniques, le recours à la géolocalisation en temps réel, des dizaines d’opération d’IMSI catching, des centaines de filatures et bien entendu l’analyse des dizaines de supports numériques saisis lors des arrestations et des comptes associés (mails, réseaux sociaux…). Soit sept intimités violées pour venir satisfaire la curiosité malsaine des quelques 106 agent.es du renseignement ayant travaillé sur ce dossier.
Tout ça pour rien… Pas de cible, pas de date, pas de lieu. Pas même une seule discussion évoquant la préparation d’une quelconque action violente. En d’autres termes : le dossier d’instruction est vide.
Un vide qui n’a pourtant pas empêché cette « justice d’exception » de recourir à toute la violence que le droit lui permet [3]. Plus de trois années de détention provisoire cumulées, le recours à la torture blanche via la mise à l’isolement, des fouilles à nues systématiques, des amitiés détruites à coup d’interdiction de communiquer et de restrictions de déplacements. Fait rare, des propos sexistes du juge d’instruction ont par ailleurs été dénoncés lors des interrogatoires eux-mêmes [4]. Quant à la surveillance, elle ne s’est jamais arrêtée et les inculpé·es doivent préparer leur défense sous l’oeil inquisiteur de leurs accusateurs.
Un récit pour toute accusation (en collaboration avec Mediapart)
A défaut de projet terroriste, toute l’accusation repose sur un récit construit par la DGSI entourant les « revenants du Rojava » où LibreFlot, le principal inculpé, est parti combattre Daech pendant 10 mois.
Ce récit fut diffusé par Mediapart plusieurs mois avant l’ouverture de l’enquête. Dans un article écrit par Mathieu Suc – dont le parti-pris fut vivement critiqué [5] -, ce dernier relayait le discours policier de la « menace » que représenterait pour « les institutions françaises » et « les forces de l’ordre » ces « militants d’ultragauche »« ayant suivi une formation militaire » au Rojava. La DGSI s’y inquiétait en particulier que ces « revenants », « déployant de solides techniques de clandestinité », puissent, une fois rentré.es en France, utiliser leur « savoir-faire » dans « le cadre d’actions violentes de l’ultragauche révolutionnaire » visant à s’en « prendre aux symboles de l’état et à ses forces de l’ordre ».
L’ensemble du dossier d’instruction sera, littéralement, construit afin de mettre en scène ce récit. Quant au « projet terroriste » que l’instruction n’a pu mettre à jour, il sera, lui aussi, emprunté à l’article.
Le procureur avancera ainsi que LibreFlot, désormais « vétéran du Rojava », oeuvrerait depuis son retour en France à la « constitution d’un groupe armé » dont le but serait de mener « des actions violentes à l’encontre notamment des forces de l’ordre et des militaires » afin de « déstabiliser les institutions républicaines ».
Conscient que cette formulation est un peu vague – même en antiterrorisme – il se perdra en conjectures en cherchant à la préciser. Le projet sera tantôt une « guerilla visant prioritairement les policiers », tantôt des « opérations violentes visant les symboles de l’oppression ou dans une moindre mesure du capitalisme », voire… un « projet d’intimidation ou de terreur visant l’oppression ou le capital ».
Le juge d’instruction résumera tout ceci dans une phrase dont la grandiloquence peine à masquer la vacuité. LibreFlot, et ses « acolytes », auraient pour objectif « de provoquer une révolution, de renverser l’État et d’attenter à la vie de ses représentants ».
Une mise en scène grotesque…
Dix mois de surveillance, pourtant dotés des moyens techniques les plus avancés, n’auront permis de ne fournir que quatre « faits » à partir desquels l’ensemble de ce récit sera mis en scène :
Deux parties d’airsoft – soit du paintball sans peinture, une des activités les plus populaires des enterrements de vie de garçon – qui deviendront des « entraînements para-militaires ».
Quelques carabines et fusils de chasse – dont la majorité sont légalement détenues – viendront parfaire l’image d’un « groupe armé ».
L’utilisation de messageries chiffrées grand public (Signal, WhatsApp) sera transformée en preuve de l’existence d’un « groupuscule clandestin » dont les membres vivraient « dans le culte du secret », comme l’a montré la Quadrature du Net dans un article détaillé.
Un rapprochement fortuit entre un week-end entre LibreFlot et un ami spécialisé dans les effets spéciaux chez Dysneyland et une expérimentation ludique de fabrication de pétards pendant le confinement – à partir de vidéos youtube, comme en font bon nombre d’adolescent·es par simple curiosité – servira à ancrer le récit dans l’imaginaire collectif des attentats des années 70.
Ces quatre éléments viendront former l’armature du récit policier. Ils seront soigneusement sélectionnés parmi l’ensemble des informations issues de la surveillance puis décontextualisés afin de venir donner corps au scénario écrit d’avance. Pour ce faire, l’accusation – juge d’instruction en tête – s’en tiendra à un principe strict : l’ensemble des faits venant mettre à mal le récit policier peuvent être ignorés.
Et mensongère
A commencer par le fait que l’instruction a démontré qu’aucun groupe n’existe. Les inculpé·es ne se connaissent pas toutes et tous et, a fortiori, ne se sont jamais retrouvé·es. Leur seul point commun est de connaître, à des degrés divers, LibreFlot et de l’avoir croisé au moins une fois en 2020.
En réalité, les inculpé.es semblent davantage avoir été sélectionné·es à l’issue d’une opération de casting afin de doter le soi-disant groupe « des compétences nécessaires à la conduite d’actions violentes », pour reprendre les termes de la DGSI. Soit donc : un artificier chez Disneyland disposant de connaissances en pyrotechnie, une amie disposant de « solides » connaissances en « communications cryptées », deux « survivalistes » détenant – légalement – quelques fusils de chasse et un ami d’enfance à qui l’on semble réserver la place de lieutenant, LibreFlot étant promu au rang de « leader charismatique ».
L’importance donnée aux deux piliers de l’accusation – soit les expérimentations de pétards et les parties d’airsoft – est quant à elle inversement proportionnelle à ce qu’ils représentent dans le temps de l’enquête. Leur place leur est conférée par un simple effet de répétition aboutissant à ce que quelques heures d’activités sans lendemain viennent noircir des centaines et des centaines de pages du dossier d’instruction.
La portée criminelle des parties d’airsoft – ceci vaut aussi pour les jeux autour des pétards – est elle aussi produite par un pur effet de style : le recours au champ lexical de la guerre. Elles deviendront « progressions tactiques », entraînements à la « guerre urbaine » ou encore « progression en milieu clos ». La lecteurice finit par en oublier que les « armes » dont il est question à longueur de page ne sont… que des pistolets à billes. Par ailleurs, le fait qu’une partie d’airsoft – chaque partie ayant impliqué des groupes différents – semble tout de même un « entraînement para-militaire » un peu léger pour qui veut « renverser l’État » – protégé, lui, par plus de 200 000 policier·es disposant d’armes bien réelles – n’est même pas abordé [6]. En antiterrorisme, c’est l’intention qui compte.
Quant aux déclarations des inculpé.es, aucune valeur ne leur est accordée (sauf si elles servent le récit policier). Un exemple parmi tant d’autres est apporté par la description des expérimentations de pétards. La concordance parfaite des déclarations des inculpé·es décrivant qu’elles se sont arrêtées au premier « boum » obtenu dont la portée les a « surpris » et leur a fait « peur » n’infléchira pas le juge d’instruction. Un terroriste ment.
Enfin, la criminalisation des pratiques numériques visant à caractériser la « clandestinité » des inculpé.es sert tant à activer l’imaginaire des années 80 qu’à excuser le manque de preuves récoltées. Pour reprendre les mots de la Quadrature du Net, elles appuient le discours conspirationniste expliquant que « ces preuves existent, mais elles ne peuvent pas être déchiffrées ».
La critique de l’Etat, preuve d’un projet inconnu
Cette mise en scène serait incomplète sans un décor adéquat venant ancrer le récit dans l’imaginaire selon lequel l’ensemble des actes des inculpé·es doivent être interprétés. Dans cette affaire, ce sera celui des « années de plomb ». Ce décor sera construit au fil des dizaines de pages revenant dans le détail sur chaque action violente menée dans les années 70/80.
La continuité historique sera assurée par l’assimilation de l’ensemble des luttes emblématiques de ces dernières années – ZADs, défense collective, démantèlement d’infrastructures néfastes, lutte contre les violences policières et même l’aide aux migrant.es – à autant de signes précurseurs d’un retour du « terrorisme d’ultragauche », comme l’a montré Serge Quadrupanni.
C’est sur la base de cet imaginaire que les opinions politiques des inculpé·es seront criminalisées et transformées en preuves de l’existence d’un projet terroriste. C’est cet imaginaire qui permettra à la DGSI d’écrire, qu’au delà des faits, ce qui prouve qu’un « passage à l’acte violent » est envisagé par les inculpé.es, c’est que ce dernier est « conforme à leur idéologie ».
Dès lors, les milliers d’heures d’écoutes seront mobilisées afin de relever des propos politiques et d’établir ainsi des « profils » d’individus « mus par la même idéologie ». Les moyens de surveillance les plus intrusifs sont paradoxalement utilisés pour mettre en avant… ce dont aucun·e des inculpé·es ne se cache vraiment.
Le procureur et le juge d’instruction notent ainsi qu’un·e inculpé·e traite la police de « milice fascisante armée » et qu’un·e autre évoque les « chiens de garde » que seraient les policiers et les militaires. Ils relèvent qu’un·e inculpé·e déverse dans une conversation privée « sa haine de la police » allant jusqu’à dénoncer son « racisme supposément endémique ». Ailleurs, ils mettent en avant une « violente diatribe contre la France, la révolution française et toutes ses valeurs républicaines et démocratiques », des « propos stigmatisant la violence d’état » ou encore la tendance d’un·e inculpé·e à faire preuve de « virulence dans la contestation systématique des lois et des institutions ».
Fait aggravant, le juge d’instruction notera que les propos tenus sont « en adéquation avec plusieurs livres saisis » ce qui témoigne d’une « totale adhésion à la cause anarchiste ». Sont ainsi cités à charge des textes d’Auguste Blanqui, de Kroptokine, Malatesta, Alfredo Bonanno, des articles critiquant la justice antiterroriste ou le fichage ADN ou encore les mensuels de la CNT et de la fédération anarchiste.
Le procureur ira jusqu’à retranscrire, dans le réquisitoire, des paroles de « chansons de rap engagé » – enregistrés via la sonorisation de lieux d’habitation – qu’il commentera longuement insistant sur le fait qu’elles ont pour « cibles »« les représentants des forces de l’ordre ». Notons enfin l’attention particulière portée au « florilège de chansons appartenant au répertoire anarchiste » retrouvé sur le téléphone d’un.e inculpé.e.
Surveillance et construction de récit
On voit alors comment, loin de venir participer « à la manifestation de la vérité » selon la formule consacrée inscrite sur chaque demande de la DGSI, la surveillance est utilisée en antiterrorisme comme un outil de déformation de la réalité.
Elle permet à l’accusation de disposer d’une quantité phénoménale d’informations dans lesquelles elle n’a plus qu’à piocher les quelques éléments qui, une fois décontextualisés, serviront à matérialiser la fiction policière. Le reste étant soigneusement ignoré, la surveillance ne vise en aucun cas à rendre compte d’une quelconque réalité mais à augmenter la probabilité de rendre vraisemblable un scénario pré-établi.
Ce « processus réducteur », pour reprendre les termes d’un·e inculpé·e devant le juge d’instruction, est en particulier utilisé afin d’inscrire les mis·es en examen dans les rôles que le récit policier leur assigne générant un sentiment de dépossession et de négation de leur vécu qu’iel décrira ainsi : les « mois d’enquête […] n’ont visiblement servi qu’à dresser un portrait falsifié de ma personne, ne retenant de mes mots et de mes activités qu’une infime partie, toujours décontextualisée et uniquement destinée à m’incriminer, au détriment de tout autre élément me caractérisant ».
Le COVID à la rescousse d’un récit chancelant
Quant aux arrestations, elles illustrent tout l’arbitraire du concept de justice préventive. Lorsqu’elles sont décidées, nulle « menace imminente » mais une enquête qui piétine et un service de renseignement qui doit justifier des moyens humains et techniques mobilisés. L’antiterrorisme est aussi une question de « rentabilité ».
En effet, la quasi-totalité des « faits » reprochés – soit l’airsoft et les pétards – se sont déroulés lors de l’enquête préliminaire (clôturée en avril 2020 au moment où s’ouvrait l’information judiciaire). Au fur et à mesure que les mois passent, rien de tout cela ne se répète. Pire, le « groupe » ne se rencontre toujours pas. Dès lors, les procès-verbaux de surveillance versés au dossier se raréfient.
La gêne est d’autant plus grande qu’à la clôture de la-dite enquête préliminaire, la DGSI a rédigé un rapport de synthèse dans lequel il est écrit qu’« aucun projet d’action violente ne semblait défini » allant même jusqu’à ajouter que « la constitution d’un groupe dédié à la mise en place d’actions de guerilla ne transparaissait pas ».
A l’évidence, juge d’instruction et procureur préfèreront la mauvaise foi. Le coupable de cette inaction criminelle deviendra… « l’épidémie de Covid » . Le juge d’instruction écrira que le « second confinement national » a « compliqué les possibilités pour les suspects […] de se retrouver ». Le procureur expliquera lui que les projets ont été « entravés ou compliqués par la survenance du virus de la Covid-19 ».
Le Covid sauvant la France de dangereux terroristes, il fallait oser. D’autant plus que les arrestations sont décidées 3 semaines après le début du second confinement et que c’est lors du premier que la DGSI a pu observer une des parties d’airsoft et le jeu autour des pétards…
Faire le procès de l’antiterrorisme… ou renoncer aux libertés politiques
Que l’on ne s’y trompe pas. L’absurdité d’une accusation sans objet, et a fortiori sans preuves, est le propre de l’antiterrorisme. Des années de jurisprudence islamophobes ont fini de transformer l’antiterrorisme en outil de répression politique idéal tandis que la succession de lois sécuritaires a doté les renseignements de pouvoirs de surveillance leur permettant de nourrir les récits accusateurs de leur choix.
Et aujourd’hui, l’antiterrorisme cherche à s’étendre aux luttes sociales. En juillet dernier le directeur de la DGSI expliquait que, dans un contexte de baisse de la « menace islamiste », ses services s’intéressaient désormais davantage aux « extrêmes ». Alors qu’en dix ans la DGSI a vu ses effectifs doubler, elle est à la « recherche de nouveaux débouchés » du côté de l*’« écologie »* et « des violences extrêmes », comme l’a expliqué récemment la SDAT à un mise en examen de l’affaire Lafarge.
La multiplication des procès terroristes d’extrême droite ne devrait donc pas nous réjouir [7] mais nous alarmer. Elle n’est que la prémisse de ce qui nous attend. Se féliciter de l’extension progressive de l’antiterrorisme, dans quelque direction que ce soit, c’est creuser la tombe de nos libertés politiques.
A gauche, l’affaire du 8 décembre est le coup d’essai de ce mouvement de répression dont la violence s’annonce terrible. Auditionné par le Sénat suite à la répression de Sainte-Soline, Darmanin brandissait déjà cette affaire comme l’exemple d’un « attentat déjoué » de « l’ultragauche » afin de justifier de la violence qui s’était abattue sur les militant·es écologistes [8]. En cas de condamnation, nous devons nous attendre à voir les inculpations pour terrorisme de militant·es de gauche se multiplier.
Le procès se tiendra tous les après-midi du mardi au vendredi du 3 au 27 octobre au tribunal de grande instance de Paris. Des appels à mobilisation ont été lancés pour l’ouverture et la fin du procès mais le procès est public si bien que chacun·e peut venir quant iel le souhaite. S’il doit être le procès de l’antiterrorisme, il sera aussi un moment éprouvant pour les sept inculpé·es : toute aide, soutien, sourire, coup de pouce sera le bienvenu.
Venez nombreux·ses !
[1] Voir les sites des comités de soutien ici et ici. Voir aussi cette compilation de textes publiés en soutien aux inculpé·es ici, l’émission de Radio Pikez disponible ici et celle-ci de Radio Parleur, cet article de la Revue Z et cet article de lundimatin.
[2] Voir l’interview d’Olivier Cahn ici. Voir aussi l’archive du site des comités de soutien aux inculpé·es de Tarnac ici, une tribune de soutien publiée en 2008 ici et cette interview de Julien Coupat. Voir aussi les textes suivants relatifs à « l’affaire de la dépanneuse », a première affaire antiterroriste concernant la « mouvance anarcho-autonome » :Mauvaises Intentions 1, Mauvaises Intentions 2, Mauvaises Intentions 3, Analyse d’un dossier d’instruction antiterroriste et Face à l’outil antiterroriste, quelques éléments pratiques. Pour en savoir plus sur cette affaire, d’autres sources sont disponibles à la fin de l’article L’antiterrorisme contre les autonomes de Zones Subversives. De manière plus générale, pour une discussion des dérives de l’antiterrorisme en matière de droit voir notamment les textes suivants : Pauline Le Monnier de Gouville, « De la répression à la prévention. Réflexion sur la politique criminelle antiterroriste », Les cahiers de la Justice, 2017, disponible ici ; Laurence Buisson « Risques et périls de l’association de malfaiteurs terroriste », 2017, revue Délibérée et disponible ici ; Julie Alix et Olivier Cahn, « Mutations de l’antiterrorisme et émergence d’un droit répressif de la sécurité nationale », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2017, disponible ici ; l’intervention de François Sureau devant le Conseil constitutionnel sur le délit d’entreprise individuelle terroriste en 2017 disponible ici, le rapport de la Fédération Internationale des Droits Humains « La porte ouverte à l’arbitraire » publié en 1999 ; le rapport de Human Rights Watch « La justice court-circuitée. Les lois et procédure antiterroristes en France », publié en 2008 et disponible ici.
[3] Sur les recours déposés par Camille et LibreFlot, voir le communiqué de presse ici. Sur la condamnation de l’État sur le maintien illégal à l’isolement de LibreFlot, voir l’article de Reporterre disponible ici. Sur ses conditions de vie à l’isolement et sa grève de la faim, voir notamment cette compilation d’écrits de LibreFlot et le témoignage joint au communiqué de presse évoqué ci-avant. Sur les conditions générales de l’instruction, voir cette lettre ouverte au juge d’instruction. Sur la dénonciation des traitements sexistes, voir cet appel féministe. Voir aussi le témoignage d’un inculpé sur les conditions de détentions auprès de l’envolée.
[4] Une inculpée a dénoncé un comportement « dégradant pour toutes les femmes » de la part du juge d’instruction.
[5] Sur les réactions à l’article de Mathieu Suc, voir notamment l’article de Corinne Morel Darleux, l’article de lundimatin, la réponse d’André Hébert et un article d’Arrêts sur Images. Il est intéressant de noter qu’à l’époque un fait n’était pas connu. Dans son article, Mathieu Suc mentionne que « selon nos [ses] informations » des militant·es « d’ultragauche » se seraient rendu·es en Colombie pour rencontrer l’ELN, une façon de renforcer le caractère anxiogêne de son récit. Il se trouve que cette information est utilisée à l’encontre d’un·e des inculpé·es de l’affaire du 8 décembre. Tout laisse donc à penser que l’un·e des inculpé·es du 8 décembre faisait partie des personnes concernées par cette « information ». Pendant toute la durée de l’enquête – l’information apparaissant dans la note par laquelle s’ouvre l’enquête préliminaire – , la DGSI utilisera cet argument pour caractériser la dangerosité de cet individu et justifier des demandes de moyens de surveillance toujours plus intrusifs. Après deux années d’instruction, il s’avèrera que cette personne est simplement partie…. en vacances en Colombie. Le juge d’instruction écrira timidement qu’ « aucun élément ne permettait donc d’étayer le renseignement initial ». Mais le mal aura été fait.
[6] La volonté de criminaliser ces parties d’airsoft est particulièrement ironique à l’heure où le gouvernement multiplie des dispositifs comme les « classes défense sécurité globale » où l’armée organise pour des lycéen·nes des parties de tir au pistolet laser… Voir notamment l’article de Politis « Quand l’armée envahit l’école »disponible ici.
[7] Un exemple caricatural de cette position par la presse « de gauche » est, ici encore, offert par Mathieu Suc. Voir notamment sa couverture du procès des Barjols et sa présentation sans aucun recul des unités de « cyber-infiltrations » de la DGSI ici et ici venant au passage relayer le discours policier visant à faire des « messageries privées cryptées » la raison de l’expansion d’un radicalisme d’extrême droite.
[8] Son audition est disponible ici. Voir à partir de 10:20:19 pour la référence à l’affaire du 8 décembre. Voir aussi son intervention sur BFM ici où il utilisait l’affaire du 8 décembre pour dénoncer la « menace d’ultragauche ».