On a tendance à beaucoup parler de l’antiterrorisme policier, alors que ses origines sont avant tout militaires et industrielles.
Les doctrines qui constituent l’antiterrorisme ne datent pas d’hier, elles ont été théorisées par l’armée française dans les années 50 sous l’appellation « DGR: doctrine de la guerre révolutionnaire ». Pendant la guerre d’Indochine, puis d’Algérie, les élites militaires françaises vont poser les bases des stratégies de « contre-subversion », de « guerre psychologique », et de « défense globale ».
Il est alors important de garder à l’esprit que tout ce que l’on dénonce depuis l’Etat d’Urgence jusqu’à la Sécurité Globale était déjà expérimenté dans les colonies françaises et a largement été théorisé suite à le seconde guerre mondiale, inspiré notamment par des techniques mises au point par le IIIe Reich (Rigouste, 2008). Et toutes les guerres dans lesquelles la France est impliquée aujourd’hui, à l’instar de toutes les puissances impérialistes, sont des guerres contre le « terrorisme ». Donc les premières victimes de l’antiterrorisme sont les populations civiles et insurgées des pays sous occupation impérialiste. Concernant la France, ce sont en autres: le Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad.
Au nom de l’antiterrorisme, les États-Unis et leurs alliés ont largué plus de 326 000 bombes et missiles depuis 2001 dont plus de 152 000 en Irak et en Syrie. Cela représente une moyenne de 46 bombes et missiles par jour pendant près de vingt ans, entrainant un bilan humain monstrueux : plusieurs centaines de milliers de morts, en Irak, en Afghanistan, et au Pakistan. Des villes comme
Mossoul en Irak (2 millions d’habitants avant-guerre) rasées à 80%, plus de 37 millions de personnes déplacées.
Au nom de l’antiterrorisme des musulman.ne.s, ainsi que des militant.e.s écologistes ont été massivement assigné.e.s à résidence depuis 2015.
Au nom de l’antiterrorisme, plus de 5000 perquisitions administratives avaient été menées après 2 ans d’Etat d’Urgence.
Au nom de l’antiterrorisme, on interdit la lutte contre l’islamophobie, comme en témoigne la dissolution du CCIF.
Au nom de l’antiterrorisme, des enfants de 10 ans avaient été terrorisés à 6h du matin par des policiers cagoulés et en armes, avant d’être retenu.e.s et interrogé.e.s pendant 11h au commissariat.
Au nom de l’antiterrorisme, plus de 500 personnes aujourd’hui subissent la prison dans la prison.
Au nom de l’antiterrorisme, l’Etat français maintient une dictature au pouvoir au Tchad et bombarde la guérilla.
Au nom de l’antiterrorisme, l’Union Européenne construit des camps de concentration pour exilé.es.
Mais qu’est-ce que le « terrorisme » au juste?
Dans le sens commun, ce sont des attaques meurtrières contre des innocent.es. Mais dans le droit international, c’est plus flou.
Pour François Dubuisson, prof de droit international à l’Université Libre de Bruxelles, « la notion de « terrorisme » reste largement insaisissable, et les éléments définitionnels qui en sont donnés demeurent extrêmement flous, ce qui octroie une importante marge d’appréciation aux États dans son utilisation, qu’il s’agisse de justifier des régimes juridiques dérogatoires et exceptionnels, ou de stigmatiser un ennemi, dans une perspective politique ».
Le terrorisme dans le droit français recouvre un ensemble très divers de délits et de crimes déjà sanctionnés par la loi. L’Art. 421 du Code Pénal énumère les faits qui peuvent relever du terrorisme: les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration, le détournement d’un moyen de transport, le vol, l’extorsion, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique, les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous, les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, les infractions de blanchiment d’argent, etc.
On comprend alors l’analyse de Vanessa Coddaccioni lorsqu’elle affirme que l’antiterrorisme est une espèce de double aggravé du droit commun, presque en forme de mirroir.
Encore dans l’Art. 421-2, il est définit comme terroriste « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, […] une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel« . En tant que militant.es on pense tout de suite à Lubrizol, au scandale du Chlordécone, aux 193 essais nucléaires en Polynésie (etc.) MAIS NON! Il faut que ces même actes soient « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » pour qu’ils soient qualifiés de terrorisme. Donc l’antiterrorisme ne vient pas réprimer un degré extrême de violence, contrairement à ce qu’il le prétend, mais un degré de subversion et d’opposition à l’Ordre établi.
Les travaux du militant et socio-historien Mathieu Rigouste nous éclairent particulièrement pour comprendre ce qu’est l’antiterrorisme aujourd’ui. Dans son ouvrage L’Ennemi Intérieur (La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, 2008), il cite le Emile Giraud, professeur de droit, lors d’une conférence à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale en 1959 : « Je pense que la seule solution humaine et pratique […] consiste à placer les gens qu’on considère comme dangereux ou comme suspects dans des camps d’internement où ils seront traités convenablement, mais où ils seront dans l’impossibilité de se livrer à des activités hosiles dirigées contre le gouvernement national« .
Un autre exemple parlant est ce que le Colonel Lacheroy a théorisé dès 1953 : les « 5 phases » du « pourissement » révolutionnaire, un des pilliers de la doctrine contre-subversive. « Ce shéma présentait la guérilla, la « subversion généralisée » puis la guerre civile comme la résultante de faits subversifs, comme des insoumissions ou des prémisses d’organisation politique, qui n’auraient pas été écrasés dès l’origine » (Rigouste, 2008).
Cette théorie préconise donc de traquer les potentiels indices dans la population qui permettraient de déduire des désirs de subversion chez des individu.es afin de les tuer dans l’oeuf. Cela nécessite l’omniprésence du renseignement et la surveillance massive de la population. Et si on la pousse à son accomplissement, elle vise l’épuration de tout élément culturel qui serait identifié comme déterminant dans un processus de radicalisation. D’où l’analyse systématique de lectures, de musiques, d’opinions philosophiques et politiques, de l’usage des réseaux sociaux, de modes de vie, etc.
Ces mécanismes totalitaires s’étendent aujourd’hui dans le droit au travers de la lutte antiterroriste et de la doctrine de la « sécurité globale », mais on les trouvait déjà dans les Lois Scélérates à la fin du 19° siècle. En 1872, dans sa Théorie du Code Pénal, Faustin Hélie définissait l’esprit dans lequel la législation antiterroriste est pensée aujourd’hui. Il écrit: « De là les incriminations multipliées […], pour ainsi dire, autours de leurs pas, comme autant de barrières pour arrêter dès leur premier essor, pour retenir chacun de leurs actes, pour les comprimer dans la pensée où ils [terroristes] germent. »
En effet, d’après le site Lexis360: « L’objectif essentiel d’une lutte efficace contre le terrorisme est en effet de neutraliser préventivement des actes potentiellement terroristes. […] A ce titre, l’incrimination autonome de l’association de malfaiteurs à caractère terroriste est devenue la clé de voûte d’une politique pénale tournée vers l’anticipation. »
Elle vise « l’incrimination de comportements périphériques à la commission de l’acte terroriste proprement dit« . Il faut dès lors définir les « circonstances » et les « intentions » qu’on peut présumer derrière ces « comportements périphériques » pour parvenir à démontrer un « engagement autonome dans une démarche de radicalisation à caractère terroriste s’orientant vers un possible passage à l’acte. »
On nage dans un trop plein juridique complètement absurde alimenté par des jurisprudences islamophobes.
En gros, un vague « esprit de projet » suffit à qualifier une association de malfaiteurs. Une personne peut constituer une association de malfaiteurs à elle seule. Ou encore mieux, même si une personne n’en a pas conscience, elle peut en faire partie et être condamnée.
Un ensemble immense de faits, gestes et paroles peuvent être criminalisés grâce à cet outil. C’est bien de ça dont il s’agit, quand Alexis, auteur du livre Hommage au Rojava et ancien combattant, explique que pour elleux: « Y’a plus de parole perdue. Que n’importe quelle chose qu’on pourrait dire ça serait la preuve absolue, ça serait la pièce à conviction, la charge la plus importante pour la DGSI en cas de judiciarisation d’un cas. Parce que, on va pas se mentir, les dossiers de la DGSI c’est beaucoup de subjectivité de quelques officiers un peu bureaucratiques et voilà quoi, des rond de cuir qui ne savent pas quoi faire que de les alimenter. Et eux ils attendent qu’une chose c’est d’avoir un peu de concrêt à mettre derrière, un support. Et ce support il peut venir que de nous la plupart du temps, c’est si on le donne ou pas. Et du coup ça c’est assez dur pour l’entourage de comprendre qu’en fait on peut pas parler librement, c’est pas possible » (Lundisoir, nomvembre 2021).
On pourrait d’ailleurs conclure avec ses mots :
« Le contrepouvoir politique que représentaient les médias historiquement a disparu en France et ça nous on le ressent en tant que volontaires ayant été au Rojava.«