[CCFR] Un an après l’arrestation de notre camarade, notre solidarité pour lui demeure intacte

Communiqué
Liberté pour Flo
Arrêt de l’isolement carcéral et des poursuites contre notre camarade


Il y a un an aujourd’hui, plusieurs militants révolutionnaires ont été interpellés et placés en détention suite à une enquête les soupçonnant de préparer des attaques contre des symboles et des personnes représentant l’État.
A ce jour, rien de nouveau. A ce moment les articles de presse, n’ont avancé qu’au conditionnel de potentiels préparatifs de soi-disant projets « d’attentats ». La DGSI n’avait communiqué avec plusieurs médias qu’avec un vocabulaire nécessaire pour faire croire à un quelconque danger de la part de ces militants « d’ultra-gauche ».
A ce jour aucune preuve concrète n’a pu même conduire à avancer une date de procès.

Flo est aujourd’hui le seul des interpellés à rester en détention car présenté dès le début comme la tête pensante de son groupe. De plus, il est depuis placé à l’isolement. Celui-ci entraîne des troubles psychosociaux qu’aucun être humain n’est prêt à subir. Notre camarade s’est exprimé à ce sujet.


Ce traitement n’a pour nous qu’un but : lui faire avouer des projets qu’il n’avait pas l’intention de planifier. Mais nous adressons ici, une nouvelle fois, tout notre soutien à Flo et savons qu’il saura dépasser cette épreuve malgré ces conditions de vie exécrables.

Plusieurs d’entre-nous avons vécu et combattu aux côtés de Flo en Syrie contre l’État Islamique. Comme la plupart d’entre-nous, il s’y est rendu pour défendre les idéaux de l’administration autonome du nord du pays, seule alternative progressiste de la région : démocratie directe, droits des femmes, écologie, droits des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce n’est pas la première fois que des services étatiques s’en prennent à un volontaire français. L’un de nous a eu son passeport confisqué la veille de son second départ, la justice lui a donné raison depuis.


Pour rappel : prendre les armes pour partir combattre des organisations jihadistes n’est pas un crime. Nous n’attendions évidemment pas de l’État des remerciements pour notre combat, ce n’était pas le sens de notre engagement. Mais force est de constater que les responsables des entreprises françaises, comme le cimentier Lafarge et le pétrolier Rubis, qui ont versé de l’argent à l’État Islamique pour continuer leurs activités sont aujourd’hui loin d’être inquiétés. Il serait enfin temps que le traitement judiciaire au sujet de notre camarade et de ces entreprises soit conséquent.

Parce que l’engagement de Flo est le nôtre, parce qu’il est une réponse à une guerre civile et à des attentats meurtriers qui se sont déroulés sur notre propre sol, nous demandons la levée de son isolement ainsi que l’arrêt des poursuites judiciaires contre tous les interpellés.

La résistance, c’est la vie !
Berxwedan jiyan e !


Collectif des Combattantes et Combattants francophone du Rojava – CCFR
08.12.2021

#RiseUp4Rojava : 9 années de Révolution!

#RiseUp4Rojava

Du 17 au 19 juillet, la campagne #RiseUp4Rojava appelait à mener des actions de solidarité contre le fascisme Turc à l’occasion des 9 ans du soulèvement au Rojava. Nous y avons répondu modestement, avec des affiches que nous avons dérobées au fascisme français.

Les Kurdes et leurs allié.es sont sytématiquement criminalisé.es en Europe et particulièrement en France où l’outil antiterroriste a été utilisé le 23 mars dernier à l’encontre de réfugié.es Kurde, et le 8 décembre 2020 contre des partisans de la révolution en cours au Rojava.

« Ces raids étaient aussi violents que ceux que nous avons connus en Turquie »

Pour satisfaire des intérêts géopolitiques, la France (et l’Europe) collabore avec le régime fasciste et génocidaire d’Erdogan. Au nom de l’antiterrorisme elle mène de véritables raids démesurés et particulièrement violents.

De nombreuses voix se soulèvent contre ce prolongement du fascisme Turc en France:

Halte aux Arrestations des Kurdes en France ! https://blogs.mediapart.fr/objecteurs-de-conscience-de-turquie/blog/260321/halte-aux-arrestations-des-kurdes-en-france/commentaires

L’acharnement contre les Kurdes en France doit cesser ! https://travailleur-alpin.fr/2021/04/07/lacharnement-contre-les-kurdes-en-france-doit-cesser/

Tribune des Combattantes et Combattants Francophones du Rojava http://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/files/2021/07/CCFR_ArrestationUnDesNotres.pdf

De Erdogan à Macron: L’Internationale Terroriste. http://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/files/2021/06/NiErdoganNiMacron.pdf

Solidarité avec la communauté kurde et la révolution en cours au Rojava !

#UniteInResistance #RiseUp4Rojava #RiseUp4Kurdistan #DefendKurdistan #SmashTurkishFascism

#UniteInResistance
#UniteInResistance
#UniteInResistance
#RiseUp4Rojava
#SmashTurkishFascism

[Le Monde diplomatique] Combattre les djihadistes, un crime ?

Le Parlement français a adopté de nombreuses lois « antiterroristes » qui permettent de substituer le soupçon à la preuve. Comble de la perversité, ces textes servent aujourd’hui de base juridique pour traquer ceux qui ont voulu combattre le djihadisme en Syrie. Avoir pris les armes contre l’Organisation de l’État islamique devient un élément à charge pour la machine policière. Par Philippe BAQUÉ.

En ce 8 décembre 2020, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) procède à l’arrestation de six hommes et d’une femme en Dordogne, dans le Val-de-Marne et en Ille-et-Vilaine. Présentés comme des membres de l’« ultragauche » et soupçonnés de préparer des actions violentes en France, ils sont mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste », un crime passible de trente ans de prison. Certains médias reprennent une « source proche de l’enquête » affirmant que ces personnes avaient formé une cellule clandestine en vue de commettre des attentats contre les forces de l’ordre. Le Point titre : « Syrie, SDF, fiché S : l’inquiétant profil du chef du groupe d’ultragauche » (13 décembre 2020).

Mais les formules sensationnalistes ne suffisent pas à masquer la fragilité du dossier. Les éléments saisis lors des perquisitions consistent essentiellement en des produits pouvant certes entrer dans la fabrication d’explosifs, mais communs (eau oxygénée, acétone, acide chlorhydrique), un fusil de chasse, un pistolet factice Airsoft, un casque de CRS (compagnies républicaines de sécurité)… Aucun des éléments rendus publics à ce jour ne prouve des intentions coupables ou un projet précis de passage à l’acte. Le parquet antiterroriste n’a fait aucune communication, alors qu’il est coutumier de l’exercice, et le procureur chargé de l’enquête a refusé de répondre à nos questions.

Ce qui est principalement reproché au supposé « chef » du groupe : avoir combattu en Syrie contre l’Organisation de l’État islamique (OEI, ou Daech). Une fois de plus, la DGSI tente de criminaliser des militants pour leur engagement au sein des forces arabo-kurdes de Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS), pourtant soutenues par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)… Entre 2015 et 2019, une trentaine de jeunes Français seraient partis se battre au Rojava, selon un calcul des militants. Au total, on compterait quarante-sept volontaires internationaux (dont onze Américains, sept Britanniques, cinq Allemands et trois Français) parmi les treize mille combattants (principalement kurdes, mais aussi arabes, yézidis, syriaques, etc.) morts en défendant la région autonome. Parmi les volontaires venus de France se trouvaient d’anciens militaires ou des individus désirant essentiellement en découdre avec les djihadistes de l’OEI. Figuraient aussi une poignée de militants marxistes, libertaires ou antifascistes, proches ou non d’organisations de la gauche anticapitaliste, et voulant défendre le processus révolutionnaire en cours dans le nord de la Syrie (1). Dès leur retour en France, ces militants ont pratiquement tous été convoqués et surveillés par la DGSI.

Dans son récit (2), M. André Hébert apparaît publiquement sous un pseudonyme afin de préserver sa sécurité et de ne pas individualiser un combat collectif. Après deux séjours au Rojava, ce jeune militant marxiste est désormais, comme plusieurs de ses camarades, « fiché S », c’est-à-dire signalé dans le fichier des personnes surveillées comme représentant un potentiel danger d’atteinte à la sûreté de l’État. En décembre 2016, des policiers de la DGSI lui ont confisqué son passeport et sa

carte d’identité pour l’empêcher de quitter le territoire. Ils agissaient en vertu d’une loi dite « antiterroriste » adoptée en 2014 pour empêcher de jeunes Français de rejoindre les rangs des djihadistes (3).

L’héritage des militants antifranquistes

Selon la notification du ministère de l’intérieur, si M. Hébert « parvenait à rejoindre à nouveau les rangs des combattants des Unités de protection du peuple YPG, son retour sur le territoire national constituerait une menace particulièrement grave pour l’ordre public, l’expérience opérationnelle acquise sur place étant susceptible d’être utilisée dans le cadre d’actions violentes de l’ultragauche révolutionnaire perpétrées contre les intérêts français ». En mars 2017, le tribunal administratif de Paris annulait l’arrêté du ministère de l’intérieur. « Le tribunal a battu en brèche le récit construit par la DGSI au motif que rien ne prouvait que les activités des YPG revêtaient un caractère terroriste, explique l’avocat de M. Hébert, Me Raphaël Kempf. Les magistrats ont aussi reconnu qu’il ne représentait pas un risque pour la sécurité publique lors de son retour en France. »

Mais la DGSI n’a pas lâché les militants engagés au Rojava et distille toujours des récits alarmistes, repris par une partie de la presse (4). En janvier 2021, M. Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, évoquait des militants revenus « aguerris » du nord de la Syrie et les associait à une nébuleuse de l’« ultragauche » ayant commis des dizaines d’actions violentes de « basse intensité » — dont une majorité contre des pylônes de téléphonie.

Ces militants tisseraient selon lui des liens « avec des mouvements panafricanistes, dénonçant les violences policières, environnementalistes ou contre l’islamophobie d’État » dont le but serait de « renverser les institutions républicaines » (5). Le Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava (CCFR) lui a répondu en affirmant contester le système politique en vigueur en France par des moyens autres que l’action violente : « En rentrant chez nous, nous ne nous attendions pas à recevoir la Légion d’honneur, ni même à être remerciés par qui que ce soit, mais nous ne pouvions pas imaginer que nous serions désignés comme des ennemis de l’intérieur et traités à l’égal des djihadistes que nous avions combattus (6). »

M. Hébert inscrit son engagement dans la lignée des militants internationalistes révolutionnaires enrôlés aux côtés des républicains espagnols en 1936. L’ouvrage collectif auquel il a participé (7) fait référence à Hommage à la Catalogne, le livre dans lequel George Orwell relate son combat aux côtés des miliciens du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM, antistalinien) durant la guerre d’Espagne. Pour les auteurs d’Hommage au Rojava, il est aussi important de relater le combat contre l’OEI que de témoigner de l’expérience « communaliste » en cours, fondée sur le socialisme, la laïcité, l’égalité entre hommes et femmes ainsi qu’entre groupes ethniques et religieux. « C’est pour soutenir cette révolution que nous sommes partis, explique M. Hébert. Nous étions des gens ordinaires et, à un moment de notre vie, nous avons tout quitté, lucidement et sans fanatisme, pour combattre aux côtés des populations du Kurdistan syrien. Mais, depuis 2016, la DGSI décide qui est un bon volontaire des YPG et qui est un mauvais volontaire. Ceux qui n’étaient pas politisés n’ont pas été inquiétés, mais ceux qui ont un profil militant sont surveillés et fichés. Les services de police nous utilisent comme des épouvantails dans un contexte politique tendu. »

Sous les bombardements turcs

Fin 2016, juste après avoir obtenu une licence à l’université, le militant qui se fait appeler Siyah est parti au Rojava pour un an et demi. Il y est retourné une seconde fois en février 2019, pour huit mois. Il a participé à de nombreux combats contre l’OEI, mais aussi contre l’armée turque et ses milices islamistes, lors de l’invasion d’une partie du Rojava en mars 2018, puis en octobre 2019, aux côtés

des FDS, abandonnées à l’époque par M. Donald Trump et par les Occidentaux. Durant les intenses bombardements de l’aviation turque à Afrin et à Ras Al-Aïn, Siyah a perdu des dizaines de ses compagnons kurdes, arabes ou internationalistes. Dès son premier retour en France, il a été interpellé par la DGSI : « Ils m’ont interrogé durant plusieurs heures sur mon engagement au Rojava, mais aussi sur tout mon passé de militant en France et en Europe, raconte-t-il. Devant ma mauvaise volonté, ils m’ont fait comprendre que j’avais plutôt intérêt à coopérer avec eux. Mais leur cadre d’intervention n’était pas légal, car le fait d’être allé en Syrie combattre aux côtés des forces kurdes n’est pas encore un crime… Désormais, je suis “fiché S” et cela me pose beaucoup de problèmes dans les aéroports quand je me déplace en Europe. Les policiers me prennent pour un islamiste. »

Siyah souligne l’incohérence de l’État français, qui tente de criminaliser les volontaires internationalistes alors qu’il a lui-même envoyé ses forces spéciales appuyer les forces kurdes. « La DGSI sait très bien que les YPG ne sont pas un mouvement terroriste. L’État français est dans une espèce de névrose. Ses policiers tentent à tout prix de relier notre engagement là-bas à notre engagement ici. Ils cherchent depuis longtemps à criminaliser les mouvements révolutionnaires en France. Ils sont obsédés par les révoltes populaires, les “gilets jaunes”, les zadistes, les black blocs, et fantasment sur l’ultragauche et ses cellules clandestines. »

Les services de l’État utilisent les dispositifs du code pénal initialement prévus pour lutter contre le terrorisme à des fins de contrôle de mouvements politiques ou sociaux. « Cela peut paraître choquant que le ministère de l’intérieur empêche André Hébert, militant de gauche, de partir combattre Daech en utilisant une décision administrative permise par la loi antiterroriste de 2014, commente Me Kempf. Mais le problème vient de ces lois qui valident la possibilité de prendre des mesures de contrainte à l’égard de certains de nos concitoyens sur la base de simples soupçons. Ceux-ci proviennent des services de renseignement et ne sont étayés que par des “notes blanches”, des documents souvent sans date ni titre qui font état de ce que les services de renseignement prétendent avoir recueilli. »

Dans son livre Ennemis d’État (8), Me Kempf fait remonter l’origine de l’accumulation contemporaine de lois liberticides aux « lois scélérates » adoptées à la fin du XIXe siècle pour réprimer les anarchistes, et dont l’usage a très vite été étendu. Selon l’avocat, les lois d’exception votées pour lutter contre le terrorisme islamiste sont désormais utilisées contre des musulmans présumés « trop » croyants, des écologistes « trop » radicaux, des manifestants « trop » virulents, voire les opposants politiques. Les militants engagés au Rojava s’ajoutent désormais à la liste.

L’incrimination d’« association de malfaiteurs » fut introduite dans la deuxième des trois « lois scélérates » adoptées en 1893 et 1894. Elle a été complétée par la mention « terroriste » dans la loi du 22 juillet 1996, qui étendait son application, avant que les peines soient aggravées par d’autres lois en 2004 et 2016.

Un précédent, l’affaire de Tarnac

La juge d’instruction Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, rappelle l’opposition ancienne de son organisation à cette incrimination : « Pour nous, ce sont des infractions d’intention qui sont rédigées de manière assez floue dans leur élément matériel ou leur élément intentionnel. On n’est plus du tout dans la recherche d’un passage à l’acte et on ne va pas chercher au-delà des éléments intentionnels à avoir des intentions franches. Cette définition d’une incrimination est dangereuse, car elle crée un droit pénal très plastique dont les contours sont extrêmement souples (9). »

Par deux fois, l’« association de malfaiteurs terroriste » a déjà été utilisée contre des militants libertaires ou anticapitalistes. La première affaire concernait en 2007 des militants poursuivis pour le dépôt sous une dépanneuse de la police d’un objet incendiaire qui n’avait pas explosé. Ils furent condamnés à des peines de six mois à un an de prison ferme. La seconde affaire, dite « de Tarnac », a conduit à l’inculpation en 2008 de huit militants soupçonnés d’appartenir à une cellule « invisible » « ayant pour objet la lutte armée » et d’avoir saboté des caténaires de TGV. Après dix ans d’errance policière, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé le 12 avril 2018 la relaxe de tous les accusés.

Ce fiasco judiciaire illustre les dérives de l’antiterrorisme lorsqu’il est instrumentalisé à des fins politiques. Mais l’incrimination demeure, et elle vient d’être utilisée contre les sept personnes arrêtées à la mi-décembre.

Philippe Baqué

Journaliste.

Notes

(1) Lire Mireille Court et Chris Den Hond, « Une utopie au coeur du chaos syrien », Le Monde diplomatique, septembre 2017.

(2) André Hébert, Jusqu’à Rakka. Avec les Kurdes contre Daech, Les Belles Lettres, coll. « Mémoires de guerre », Paris, 2019.

(3) Loi no 2014-1353 du 13 novembre 2014.

(4) Matthieu Suc et Jacques Massey, « Ces revenants du Rojava qui inquiètent les services de renseignement », Mediapart, 1er septembre 2019.

(5) Jean Chichizola et Christophe Cornevin, « Laurent Nuñez : “Avec 170 sabotages perpétrés depuis mars 2020, l’ultragauche monte en puissance” », Le Figaro, Paris, 13 janvier 2021.

(6) « Opération antiterroriste du 8 décembre. Tribune du Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava en soutien à leur camarade incarcéré », Lundi matin, 2 février 2021.

(7) Collectif, Hommage au Rojava. Les combattants internationalistes témoignent, Libertalia, Montreuil, 2020.

(8) Raphaël Kempf, Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, La Fabrique, Paris, 2019. Lire Raphaël Kempf, « Le retour des lois scélérates », Le Monde diplomatique, janvier 2020.

(9) Laurence Blisson, « Risques et périls de l’association de malfaiteurs

[LundiAM] Tribune du Collectif des Combattantes et Combattants Francophones du Rojava

Tribune du collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava en soutien à leur camarade incarcéré paru dans lundimatin#273, le 1er février 2021.    

Le 8 décembre dernier neuf personnes étaient interpellées par la police antiterroriste et placées en garde à vue pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pour beaucoup, ces arrestations ont ranimé le souvenir de la dernière affaire antiterroriste associée par la presse à « l’ultra-gauche » : l’affaire dite de Tarnac.

Ce qui saute pourtant aux yeux, avec ces nouvelles arrestations, ce sont les différences de traitement médiatique : il y a douze ans, les 9 de Tarnac n’étaient pas encore dans leur cellule de garde à vue que l’affaire était déjà propulsée à la Une des journaux. Pendant plusieurs mois, les soubresauts de l’enquête avaient encore occupé une large place dans la presse. Aux « indiscrétions » policières répondaient des tribunes et des interviews. Des pans entiers du dossiers étaient régulièrement débattus dans les journaux. Toute l’instruction s’est d’ailleurs accompagnée d’une bataille médiatique (qui a notamment abouti au dessaisissement du juge d’instruction).

Le dénouement de l’affaire Tarnac a visiblement conduit à une jurisprudence tacite qui a rendu frileux le parquet antiterroriste à l’idée de se saisir d’enquêtes estampillées « ultra-gauche ». Une « jurisprudence » qui s’est visiblement terminée en décembre dernier.

Le relatif silence médiatique qui entoure cette nouvelle instruction peut être interprété comme une frilosité de l’accusation. Ou comme un changement de stratégie. Si c’est le cas, le raisonnement doit être peu ou prou celui-ci : fanfaronner c’est prendre le risque de nourrir un possible soutien vis-à-vis des personnes incarcérées. Et donner l’opportunité pour la défense, comme ce fut le cas par le passé, de rapidement attaquer et dégonfler l’accusation très politique qu’est celle de terrorisme. Si pour le moment, nous n’en savons pas davantage sur cette affaire que ce que les autorités ont bien voulu en laisser fuiter avec l’honnêteté qu’on ne pourra jamais leur accorder, nous avons reçu cette tribune écrite par des combattantes et combattants francophones du Rojava qui vient pourfendre la narration diffusée par les services de renseignement, la police antiterroriste, le parquet lui aussi antiterroriste et le ministère de l’Intérieur.

L’arrestation de l’un des nôtres

En décembre dernier, sept personnes ont été arrêtées par la DGSI et mises en examen pour « association de malfaiteurs terroriste ». Un ancien volontaire du YPG, les forces armées du Kurdistan syrien, a été désigné comme le meneur du groupe et incarcéré. De cette affaire nous ne connaissons que ce qui a fuité dans la presse. Quelques armes de chasse, des produits accessibles dans le commerce et « pouvant entrer dans la confection d’explosifs », des réunions en forêt, de prétendus aveux de membres les « moins impliqués » du groupe. En dehors de cela, rien : pas de liste de cibles, ni de projet défini de passage à l’acte. La justice antiterroriste reposant sur le procès d’intention, ces quelques éléments ont été interprétés comme la preuve de préparatifs d’une attaque contre les forces de l’ordre. Pour compenser la maigreur du dossier, l’attention s’est focalisée sur les personnalités des accusés : un « artificier à Disneyland », une personne qui aurait eu des contacts avec une guérilla colombienne et surtout un militant « parti en Syrie combattre dans un groupe affilié au YPG ». Ces « profils inquiétants » se sont retrouvés étalés dans la presse, avec une mise en scène grossière destinée à susciter la peur et à faire taire toute réflexion n’allant pas dans le sens des théories policières. La DGSI a orchestré ces fuites en livrant aux médias les identités et les photos (à peine floutées) des mis en cause. Pendant des jours, les éléments du dossier ont été transmis à la presse au mépris du secret de l’instruction. A longueur d’articles, les accusés ont été exhibés comme des trophées de chasse par la DGSI. La presse de droite et d’extrême droite s’en est donnée à cœur joie. Les projecteurs ont été braqués sur notre camarade : une photo en noir et blanc, avec un fin rectangle noir sur les yeux, une légende le décrivant comme « SDF », « ne travaillant pas » et « ayant combattu en Syrie ». Ce portrait trompeur du nouvel ennemi public numéro un repose sur un mélange de jugement de valeur sur son mode de vie et d’informations parcellaires sur son engagement politique. Notre camarade était en Syrie pour combattre Daech. Il a pris part en 2017 à la libération de Raqqa, la capitale du groupe jihadiste. Raqqa est aussi la ville où les attentats de Paris ont été planifiés et où la plupart de ses auteurs ont été entraînés. Si la France n’a pas connu d’attentats de grande ampleur depuis des années, c’est grâce à la libération de Raqqa à laquelle notre camarade a participé au péril de sa vie. En combattant en Syrie ce dernier a donc directement contribué à la sécurité des Français, ce que le tribunal médiatique s’est bien gardé de mentionner. Comment en effet faire rentrer dans leur narration à charge que l’accusé ait donné bien plus à la lutte contre le terrorisme que les policiers, procureurs et journalistes qui l’accusent aujourd’hui d’être un « terroriste d’ultragauche » ?

Pour comprendre cette affaire, il faut remonter au début de l’engagement de volontaires internationaux en Syrie. Entre 2015 et 2019, une trentaine de français ont répondu à l’appel des populations du Rojava pour protéger la paix en participant à la guerre de légitime défense contre Daech et l’armée turque. La DGSI a immédiatement établi un tri entre les « mauvais » volontaires, se réclamant d’une idéologie révolutionnaire, et les « bons » volontaires, anciens militaires ou apolitiques, qui pour certains ne furent même pas auditionnés à leur retour en France. Ceux qui étaient identifiés comme de potentiels membres de « l’ultragauche » se retrouvèrent systématiquement « fichés S » et firent l’objet d’une surveillance active, tout en étant coupables de rien d’autre que d’un délit d’opinion. Arrestations à l’aéroport, menaces sous forme de conseils paternalistes, pressions sur nos familles, nous sommes nombreux à avoir fait l’objet de tentatives d’intimidation plus ou moins voilées de la part des services de sécurité. Fin 2016, la DGSI fit irruption chez l’un d’entre nous pour lui retirer son passeport et sa carte d’identité, afin de l’empêcher de retourner au Kurdistan syrien. Le ministère de l’Intérieur affirmait alors que ce combattant du YPG pouvait être à l’origine « de graves troubles à l’ordre public » et était susceptible d’utiliser son expérience militaire « dans des attaques contre les intérêts français, en lien avec l’ultragauche révolutionnaire ». Ces accusations complètement fantaisistes furent balayées par le tribunal administratif de Paris quelques mois plus tard. Le ministère de l’Intérieur fut ensuite contraint de lui rendre ses documents d’identité et de lui verser des dommages et intérêts. En dépit de cette victoire judiciaire, nous savions que la DGSI nous garderait dans son collimateur et était prête à tout, y compris à des accusations sans preuves, pour nous faire rentrer dans le moule qu’elle avait créée : celui de dangereux vétérans d’ultragauche cherchant à importer la violence du conflit syrien de retour chez eux. Cette caricature a été construite dès le départ, ex-nihilo, avant même que l’un d’entre nous ne remette les pieds sur le territoire français. Même si de retour en France aucun volontaire n’a jamais été impliqué dans des actions violentes, la DGSI attendait patiemment l’occasion de piéger l’un d’entre nous, pour pouvoir enfin donner une crédibilité à ses fantasmes. L’année dernière, elle a communiqué à notre sujet par le biais de journalistes de Mediapart. Ces derniers, désireux de renvoyer l’ascenseur aux sources qui les informent sur d’autres sujets, ont déroulé le tapis rouge à l’argumentaire délirant du ministère de l’Intérieur. Un camarade parti en vacances en Amérique du Sud se retrouvait accusé d’avoir essayé de nouer des contacts avec une guérilla colombienne, un autre fréquentant la ZAD aurait prétendument tiré une fusée éclairante sur un hélicoptère de la gendarmerie, des dégradations d’antennes téléphoniques, de bornes Vélib ou de fourgons de police nous étaient également associées. Ces fables anxiogènes, parfaitement déconnectées de toute réalité, venaient confirmer ce que nous savions déjà : jusqu’à ce qu’il ait trouvé le coupable idéal, le ministère de l’Intérieur ne renoncerait pas à l’entreprise de diabolisation dont nous faisions l’objet.

En plus de chercher une revanche sur l’affaire Tarnac, les services de sécurité poursuivent depuis des années un double objectif : criminaliser l’internationalisme et nous utiliser comme des épouvantails pour stigmatiser l’ensemble de la gauche révolutionnaire française. En plein tôlé sur la loi relative à la sécurité globale, on peut reconnaître à la DGSI qu’elle fabrique des terroristes au moment opportun, au service d’un gouvernement qui nous conduit chaque jour un peu plus vers un Etat policier. Laurent Nuñez, faisant preuve d’une incroyable malhonnêteté intellectuelle, a récemment enfoncé le clou en rappelant dans une interview donnée au Figaro qu‘une « dizaine de militants d’ultragauche sont allés s’aguerrir au Rojava ». Alors que nous nous retrouvons collectivement mis en cause par le conseiller à l’anti-terrorisme du président Macron, une mise au point est nécessaire. Nous sommes allés au Rojava avec la volonté de défendre une révolution basée sur la démocratie directe, la coexistence pacifique entre communautés, l’égalité femmes-hommes et le juste partage des richesses, autant de valeurs dont l’Etat français se réclame sans jamais les appliquer. Pour ce faire nous n’avons pas cherché à nous « aguerrir », nous avons combattu les jihadistes de Daech au moment où, à Paris et à Nice, ils massacraient des centaines de personnes en profitant de l’incompétence des services de sécurité supposés nous protéger. Les termes « allés s’aguerrir » laissent supposer que le Rojava n’était qu’un prétexte, un moyen d’acquérir une expérience militaire que nous souhaitions en réalité utiliser dans notre pays d’origine. Nous répondions précisément à la logique inverse. Nous avions besoin de ces compétences militaires pour combattre Daech et défendre l’existence du Rojava mais avoir acquis un tel savoir faire ne signifie pas que voulions l’utiliser de retour en France, ou que la lutte armée serait subitement devenue le seul moyen d’action de notre répertoire militant. Nous ne sommes pas des amis de ce gouvernement, de ses chiens de garde et du système qu’ils servent, c’est un fait, mais nous les combattons par des moyens démocratiques et non par la violence comme nos accusateurs l’insinuent. La véritable prolongation de notre combat c’est le témoignage. Nous transmettons ce que nous avons vu et appris au Kurdistan à travers un livre dont nous recommandons la lecture à ceux qui voudraient essayer de nous comprendre, loin des clichés véhiculés par le ministère de l’Intérieur et par les médias à ses ordres [1]. Alors que la DGSI nous dépeint en comploteurs ou en vandales, nous avons en réalité passé ces dernières années à reprendre le fil de nos vies (paisibles). Nous continuons à militer pour défendre le Rojava, la mémoire de nos camarades tombés au combat, et les valeurs qui nous ont poussés à nous rendre là-bas. En rentrant chez nous, nous ne nous attendions pas à recevoir la Légion d’honneur, ni même a être remerciés par qui que ce soit, mais nous ne pouvions pas imaginer que nous serions désignés comme des ennemis de l’intérieur et traités à l’égal des jihadistes que nous avions combattus. Comme nous venons de le rappeler ici, nous avons suffisamment fait l’objet de calomnies de la part de la DGSI pour ne pas accorder la moindre crédibilité aux accusations portées contre notre camarade à qui nous réaffirmons notre confiance absolue et notre soutien sans faille.

Le CCFR (Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava).

[1] Collectif, Hommage au Rojava, Montreuil, Editions Libertalia, 2020, 160p.