Lettre depuis l’isolement, texte et dessin échappés de l’intérieur

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Lettre depuis l’isolement – Bois d’Arcy – Été 2021

Cela fait désormais depuis plus d’un mois et demi que l’envie de réécrire à propos de l’isolement me titille mais je n’arrive pas à m’y mettre, je n’arrive pas à me concentrer suffisamment. Soit mon esprit s’évapore dans le néant comme un petit nuage, soit il se condense en une sorte de mélasse si épaisse qu’elle bloque tout dans mon cerveau et me file des maux de tête. Bien que la première puisse être plus douce (comme être drogué jusqu’à l’abrutissement et l’hébétude), ces deux situations amènent un sentiment douloureux. En effet constater sa perte de capacité intellectuelle et assister à sa propre décrépitude sont d’une violence totale particulière. C’est dans cette condition mentale que je m’attelle à l’élaboration de ce texte. La volonté de faire comme une mise à jour de la situation vient du constat brutal de son aggravation. De nouveaux symptômes apparaissent tandis que les anciens s’accentuent et s’empirent sans qu’on y prête attention. Lorsque l’on se rend compte d’avoir complètement oublié que deux de ses ami.es (co-inculpé.es) avaient été mis.es en liberté (sous contrainte judiciaire), alors que ce fut la seule bonne nouvelle depuis son enfermement, c’est un véritable électrochoc. Le cerveau commence sérieusement à dérailler. Les problèmes de concentration, les difficultés à construire sa pensée, l’hébétude, la perte de repères temporels, les maux de tête, les vertiges, tous ces symptômes déjà énoncés précédemment, loin de disparaître avec le temps, se sont amplifiés et généralisés, ils sont devenus monnaie courante ou normalité. Mais à ceux là il faut en ajouter d’autres. Avant de les citer il faut comprendre quelque chose : à chaque fois qu’un nouveau symptôme, qu’un nouveau mal apparaît, on se dit que c’est temporaire, on attend que ça passe. Mais non ! Chaque nouveau mal qui pointe le bout de son nez n’est plus qu’un aperçu de ce qui va s’installer dans le long terme et devenir de plus en plus présent. Ces nouveaux « compagnons » sont donc : La perte de mémoire, tellement à l’ouest, sans aucun échange avec les gens ni aucun stimuli, les choses ne s’impriment plus. Les informations lors des coups de fil, des parloirs, des lectures, rentrent et ressortent sans laisser de traces ou à peine une vague sensation de quelque chose d’impalpable. C’est bien simple, si je ne note pas immédiatement mes horaires de sport et d’opprimade de la journée, dans la minute qui suit, impossible de s’en souvenir… En plus de cela, il y a les troubles visuels : il est désormais impossible de voir un sol droit, de niveau. Les sols penchent dans tous les sens en même temps et jamais les mêmes. On pourrait s’amuser à essayer de deviner de quel côté irait une balle si on la passait au sol, aucun des cotés serait étonnant. Mais bon, elles sont interdites, même les DIT… rusé.es ! Un autre symptôme des plus inquiétants est celui de la forte pression thoracique accompagnée d’une douleur aiguë au cœur, comme une pointe plantée en son sein. L’impression que le cœur bat non pas plus vite, mais plus fort comme s’il voulait sortir de la poitrine ainsi qu’un sentiment de fébrilité et ce, même pendant les moments de relaxation, qui sont les sessions de taï-chi-chuan ou de méditation. Cette douleur dura un mois complet de manière permanente, non stop avant qu’elle ne s’éloigne, pour revenir de temps à autre me rendre des visites inopinées. Mais aussi, le problème d’accès à son propre cerveau. C’est devenu courant, lorsque quelqu’un évoque un sujet ou un autre, de savoir avoir des connaissances à ce propos mais de ne pas y avoir accès, le lien pour y parvenir est rompu, ça connecte pas. Erreur 404 d’aucuns diraient… Et la peur s’insinue, et si ce n’était pas le chemin qu’on ne retrouve plus, et si c’était son savoir qui s’effilochait et disparaissait ? A toutes ces choses là s’ajoutent, comme dit plus haut, le constat de cette situation qui en lui même induit son lot de souffrance psychologique. Mais alors que fait-on ? S’inquiéter, demander à voir un médecin ? Oui mais en isolement c’est très compliqué d’aller dans l’aile médicale. On peut rétorquer qu’un médecin passe deux fois par semaine en C4 (quartier d’isolement du centre pénitentiaire de Bois d’Arcy). Oui mais en super speed, dans le couloir avec les surveillant.es, sans possibilités de garantir un semblant de secret médical et avec juste le temps de prendre trois notes et nous refourguer du doliprane en glissant qu’ici (en quartier d’isolement) c’est propice aux mots de tête. Avoir un rendez-vous n’est pas toujours aisé mais plus dur encore est que l’on y soit emmené. Pour sortir du C4 toute la zone de détention doit être bloquée, ce qui entrave le fonctionnement de la prison. Lors du déplacement tout doit être clos et inaccessible, même à la vue, ce doit être une certitude de ne pouvoir ni voir ni être vu par un autre détenu. Le fait de devoir être accompagné d’un.e gradé.e et d’un.e surveillant.e durant tout le trajet et le temps du rendez-vous complique la logistique de leur journée et nécessite plus de personnel. Il est donc tout bonnement plus simple de laisser le détenu à son espoir qui s’égraine au rythme des minutes de sa montre jusqu’au moment où il se rend compte qu’il n’ira pas à son rendez-vous attendu de longue date. Pour ma part, par deux fois mon rendez-vous dentiste a été repoussé car on ne m’y a pas emmené alors que le dentiste et moi-même étions tous deux dans l’attente. Depuis début février je demande à être suivi par un.e psychologue, en cette fin juin1, toujours rien à l’horizon. Mon rendez-vous médecin généraliste a pu avoir lieu après un mois de demandes répétées mais surtout grâce à l’intervention de mes avocat.es. La docteur m’a affirmé oralement que ce dont je me plaignais était causé par la condition d’isolement, que c’était normal dans cette situation et que ça passerait quand je sortirai et ce sans toutefois me donner un certificat médical allant dans ce sens2… J’en déduis que tous.tes les isolé.es subissent les mêmes troubles et que ces souffrances sont banalisées, « c’est normal, ça passera ». C’est comme si on ne prenait pas en compte les graves atteintes physiques et mentales, comme si on me disait « tu souffres, on s’en fout c’est pas grave ». Et bien si c’est grave et quand bien même ça passerait à ma sortie, non, ce n’est pas normal de subir ça. Ne pas faire de certificat médical c’est participer à l’existence de ces faits, se rendre complice de la torture subie. Ce qui est intéressant de voir c’est que la mise en isolement crée des troubles psychiques et physiques qui ne peuvent être suivis correctement dû au fait que l’on soit en isolement. C’est le serpent qui se mord la queue, la spirale infernale. C’est un tel non-sens qu’il est difficile de croire que ce soit un accident. Désormais, un « système » a été mis en place, censé m’assurer que je puisse accéder à mes rendez-vous, à voir ce que cela donnera car l’occasion ne s’est pas encore présentée de le mettre en pratique. Ceci est un luxe obtenu du fait que je suis un relou quant à mes droits, ou comme dirait la direction : « exigeant sur mes conditions de détention ». Mais ici le respect des droits des détenus est à gratter, il ne s’applique pas automatiquement et en appeler au bon sens avec courtoisie pour qu’il existe, c’est comme faire sa miction dans un violon. Le régime végétarien, plus ou moins effectif, ne le fût qu’après avoir cité les articles de loi et menacé de faire intervenir mes avocat.es. Le problème de la hi-fi et des rendez-vous médicaux, de même : « avocat.es » ! Alors voila, pour le « qu’est ce qu’on dit ? » qu’on rabâche aux mômes, ici c’est pas « merci » ou « s’il vous plaît » mais « avocat.es ! » Bien que pas étonnant, c’est affligeant de constater que l’administration pénitentiaire (AP) impose un rapport antagoniste, que tout doive se gérer sous l’angle d’un rapport de force. Je me sais privilégié à cet égard, j’ai deux avocat.es déterminé.es à ce que mes droits soient respectés. Un luxe énorme dont bien peu ici, je suppose, peuvent se vanter. Privilégié aussi de maîtriser un tant soi peu la langue française et sa lecture-écriture afin de pouvoir exprimer clairement mes revendications et pouvant justifier de leur légitimité. Car bien que l’on puisse faire des réclamations aux surveillant.es pour certaines choses, le protocole officiel et le seul reconnu est l’écrit. Je n’ose imaginer le calvaire pour celleux qui ne parlent pas la langue ou qui ont des difficultés vis à vis de sa pratique écrite et qui bien évidemment ne peuvent, en isolement, demander un coup de main à un.e codétenu.e. L’AP étant comme son nom l’indique, une administration avec tout ce que cela implique, la patience acquise avec le temps n’est pas la moindre des qualités, tout comme la capacité à s’adapter à ce système protocolaire. Je me demande comment une personne non soutenue par un.e avocat.e, ne maîtrisant pas bien la langue, peut faire entendre ses droits et ne pas perdre patience. Et si perte de patience il y a, en cas de bafouement des droits comment cela finit-il ? Quelles dérives et quelles conséquences ? Ne le savons-nous pas déjà ? Le moral évolue en dents de scie avec des moments de quasi-euphorie (ce qui n’est pas forcément rassurant) jusqu’à la démoralisation et une totale démotivation, et ce sans que rien ne se soit passé et que rien ne justifie ces sautes d’humeur. La situation psychique est instable, je me réjouis quand tout va « bien », tout en redoutant le creux de la vague qui implacablement se profile. En plus des proches qui se démènent pour m’offrir un parloir hebdomadaire, mon meilleur soutien est le soleil (bien qu’il commence à transformer la taule en fournaise). Je reste encore impressionné de constater à quel point les conditions météorologiques influencent mon état mental (météo : dépression le long des côtes mais chaud à l’intérieur des terres… 🙂 Pour tenir bon je ne me tourne pas vers l’avenir, je n’image rien de positif de peur d’être déçu et de subir un ascenseur émotionnel. Pas d’espoir, pas de déception. Je ne me projette donc pas et vis au jour le jour, répétant inlassablement ma routine. Une routine rigoureuse entre entretien physique, développement intellectuel et apaisement psychologique me donnant un cadre, une prise sur moi-même. L’autodiscipline est la seule chose qui demeure quand plus rien d’autre ne reste. Une autre technique pour garder le sourire : se mentir éhonteusement sur sa situation. Une légère différence dans la nouvelle cellule ? Waouh ! Elle est trop géniale De la bouffe industrielle ? Cool ! Si on y met du curcuma, du sel, du ras-el-hanout, du curry, des herbes de Provence, du cumin et de la harissa, c’est mon repas favori ! L’eau de la douche est chaude ? Elle est relaxante ! Elle est froide ? Elle est vivifiante. Ne pas voir le verre à moitié vide mais au deux-tiers plein… Alors il me manque (ou pas) que les confettis et les paillettes quand les proches déposent un CD nickel, un bouquin trop intéressant, un manuel de taï-chi-chuan ou de langue bien chiadé… Pîroz be ! En changeant de cellule, on s’aperçoit à quel point l’on doit réapprendre les sons. Inconsciemment, on intègre tout les sons de la coursive. Suivant la résonance des pas, les échos des voix, les roulements des chariots, le glissement des œilletons, le tintement des clés, les bips du portique de sécurité, les ouvertures et fermetures des portes, on devine ce qui s’y passe. Il est alors possible d’anticiper le moment ou les surveillant.es arrivent à sa porte. Cela peut paraître anodin, mais selon moi, il est très important de ne pas être surpris. Ne pas être surpris signifie anticiper le bruit ultra-sec et brutal des loquets et verrous. Se faire surprendre par ce son fait sursauter, donne un à-coup au cœur, une montée de stress et ce sans raison, c’est biologique, animal dirais-je. J’ai l’image en tête de la biche ou de la gazelle aux aguets, les oreilles attentives afin de ne pas être victime de la prédation. Bien que consciemment rien ne justifie un tel sentiment et que, à titre personnel, je n’ai aucun comportement agressif ou abus à déplorer de la part des surveillants. Je ne peux m’empêcher, comme un devoir vital, un instinct de survie, d’être toujours prêt, d’être toujours sur le qui-vive. Comme une manière de prendre possession de son territoire, de contrôler son espace ! Cela est sûrement dû au fait que bien que nos relations soient courtoises, elles ne seront jamais amicales et les surveillant.es ne seront toujours que des maillons de la chaîne de mon oppression. La dernière fois3, je n’avais pas trop évoqué les œilletons qui permettent de zyeuter les détenus au travers de la porte. Entre temps, ils y ont rajouté des grilles, ici aussi… Comme s’il y en avait pas déjà assez… Cela ne permet pas de nous observer sans qu’on le sache, car comme dit, on entend, cela ne sert qu’à isoler encore plus des êtres humains. Là où autrefois apparaissait un œil (image assez perturbante voire cosmique, soit dit en passant) il n’y a plus rien. Plus de lien visuel entre soi et « l’œil », uniquement le son (bientôt plus rien), encore un petit pas vers la déshumanisation de l’environnement carcéral. Ces contrôles s’effectuent toutes les deux heures environs, jour et nuit. Durant la journée, il faut donner signe de vie, sinon ça cogne à la porte, donc se réveiller si c’est le moment sieste. La nuit le contrôle est accompagné inévitablement de l’allumage des lumières (d’une durée plus longue suivant son auteur.ice). Les nuits où je dors très bien, je ne suis réveillé qu’une fois, sinon… Le plus pernicieux dans l’isolement est de rendre le réel irréel. Étant donné que l’on est en permanence seul.e avec soi-même, avec ses propres pensées comme unique interaction, le monde réel ne se matérialise pas, les proches relatent un monde qui semble imaginaire (celui de l’extérieur) lors de moments qui, une fois terminés, semblent n’avoir été qu’un songe (les parloirs). La seule réalité (pathétique), c’est cette cellule, ces livres, ces salles des spores (hihi), cette douche, cette « pseudo-promenade » individuelle. Même les autres détenus dans les (vraies) promenades que l’on aperçoit au travers des grilles de sa cage semblent être dans un autre univers. On apprend ce qui se passe dehors, on est informé.e de ce qui nous touche sans pour autant le vivre, le ressentir. Apprendre la mort d’un.e ami.e affecte d’une manière si perplexe qu’il est impossible de le définir clairement. Tant de sentiments surgissent en même temps, ceux normaux, une tristesse profonde, le choc, l’incompréhension, mais cela se mêle à un sentiment d’irréalité. Bien que l’on sache la cruelle véracité de cette terrible perte, elle semble n’être qu’un cauchemar lointain. Ne participant pas aux obsèques, il n’y a pas de partage à ce moment-là avec les autres personnes qui l’ont aimé.e. Ni même ma possibilité de se confier à un autre détenu. À cela s’ajoute la nécessité de tenir le coup. Combat permanent pour ne pas sombrer, qui ne nous laisse pas le « loisir » de se laisser aller complètement à sa douleur, à son deuil. Les visites étant les uniques et très courts bols d’air frais, elles sont plutôt focalisées sur ce qui apporte de la joie et les sujets douloureux sont volontairement limités ou omis. Une fois encore, les sentiments et les émotions sont, par une sorte de mécanisme de survie, bloqués, relégués à plus tard, à la sortie… Combien de ces événements ont ils été amassés depuis le début de l’isolement ? Quel bagage émotionnel se trimballe-t-on ? Comment gérer lorsqu’on sortira ? Que se passe t-il si ce « bagage » craque plus tôt ? Oups… question(s) à remettre dans le sac. Cette réalité se limite à un espace si restreint qu’on en devient égocentré. Je me souviens avoir pensé à abréger un récit intéressant qu’un.e proche me relatait car j’avais besoin de partager des choses d’une futilité extrême (mais qui font mon quotidien). Futilité bien souvent très (pathétiquement) matérielle. En restant sur ma situation et mon isolement, il est « amusant » de constater le non-respect par l’AP de leurs lois. La circulaire du 14 avril 2011 stipule, en résumé, que l’on ne peut être placé en isolement pour les faits que l’on nous reproche (ou pour lesquels quelqu’un.e a été condamné). La raison doit être un comportement dit « inadapté » ou « dangereux ». Malgré cela la direction de la taule m’a imposée pendant six mois et a obtenu la prolongation de l’isolement en disant très clairement qu’elle se basait uniquement sur les faits reprochés et qu’elle reconnaissait que mon comportement n’a posé aucun problème. Donc, sans aucune gène, on bafoue les droits d’une personne et on lui applique la torture dite « blanche »… Tranquille ! Tenir le coup par ce qu’il n’y pas le choix, tenir le coup par respect pour soi et pour les sien.nes, tenir le coup grâce aux soutiens des proches : familles, ami.es, camarades. Merci à elleux pour ce soutien sans faille. Merci aussi à celleux que je ne connais pas et qui m’ont honoré du leur. Notes : Ce texte n’a pas vocation à expliquer le fonctionnement carcéral ni la prétention d’être représentatif de ce qu’est la vie en quartier d’isolement. Il n’a encore moins la prétention de théoriser les mécanismes officiels et officieux, les « outils » répressifs utilisés pour briser ou réduire la détermination des détenus, certain.es l’ont déjà fait avec extrêmement de brio. Ce texte n’a de valeur que pour ce qu’il est : un témoignage d’une personne particulière, à un moment donné, dans un lieu précis, ni plus ni moins. J’espère que le passage maîtrise de la langue française, lecture, écriture ne fait pas prétentieux, genre « je cause trop bien », ce n’est pas le but. L’idée est que si tu causes pas français ou si tu galères à la lecture-écriture bah t’es dans la merde pour faire valoir tes droits ! Est ce clair ou je me suis foiré ? Dois-je le refaire ? Hier il fut refusé à ma mère de déposer livres et Cds, soi-disant elle n’avait pas l’autorisation. Erreur d’un.e débutant.e ? Punition indirecte ? Beaucoup de galères au niveau des colis pendant tout l’été qui je l’espère seront bientôt réglées.4 Aujourd’hui en date du 6 septembre et après plusieurs demandes, un certificat médical où seulement la perte de mémoire et la douleur thoracique inscrites dessus fut délivré et toujours pas de psychologues.

Libre Flot

NB : les notes de bas de page ont été ajoutées par le comité de soutien

1La situation est toujours la même en octobre 2021

2Lors de l’audience de renouvellement de l’isolement au bout de 6 mois il est demandé au médecin de fournir un avis médical, ainsi qu’au SPIP de fournir un avis sur le comportement.

3 Voir lettre d’avril 2021 publiée dans l’envolée N°53 et sur le blog soutien812.net

https://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/files/2021/10/cellule-2-1024×392.jpg

4 Désormais et suite à des changements dans le fonctionnement de la taule, notre ami doit demander des autorisations pour chaque livre ou CD qui lui est déposé au colis et qui doivent être inspectés par le chef de la détention.

Dessin et p’tit texte échappé de l’intérieur des deux autres inculpés en détention…
Dans une cellule de Fleury Merogis

Poésie de couloir, pour nos cris dans les mouroirs

Écrire, pour panser et dévoiler ses maux, n’oublie pas de penser à réfléchir pour ne pas finir au cachot.

Oh toi prison, ton cœur de briques me laisse de marbre,

j’attends ta destruction pour m’asseoir au pied d’un arbre.

Ulcère je suis, saignant dans tes entrailles de fer et de ciment, rêve de ce jour, que celles et ceux que tu appelles cancer du système dégueulerons.

Oh toi liberté, je rêve de toi, parfois te parle, j’écris ton nom sur un murmure ou bien encore au fond de mes cellules, et je fantasme de pouvoir t’approcher, te caresser et de t’embrasser.

Je regarde par la fenêtre et ma vue est quadrillée, horizon perdu et mal encadré.

Tableau noir et peinture effacée, dans un esprit d’une enveloppe bétonnée.

Manu depuis Fresnes, août 2021

[Le club de Médiapart] Violences pénitentiaires et acharnement carcéral : stoppons la spirale répressive

En soutien aux militantes et militants visés par la répression antiterroriste depuis le 8 décembre 2020, plusieurs collectifs dénoncent le maintien à l’isolement d’un des inculpés et «la fabrication de figures de coupables instaurées par la gestion policière, judiciaire et carcérale».

Cela fait maintenant plus de 6 mois que sept de nos camarades sont poursuivis et mis en examen pour « association de malfaiteurs terroristes » suite aux arrestations du 8 décembre, un d’entre eux s’est vu renouveler son maintien à l’isolement le 8 juin dernier.

Alors que la prison est déjà en elle-même une terrible mise au ban de la société, destructrice des liens sociaux, impliquant de graves conséquences pour les enfermé·e·s et leurs proches, le directeur interrégional des Services Pénitentiaires d’Île-de-France, Stéphane Scotto, a rendu sa décision de prolonger de 3 mois supplémentaires l’isolement de notre camarade.

Un large mouvement national contre le système carcéral est entrain d’émerger.

La semaine dernière, une mobilisation était organisée pour réclamer la libération du militant palestinien George Ibrahim Abdallah. Le 30 mai dernier à Lyon et dans plusieurs villes de France, une première Journée Nationale contre les Violences Pénitentiaires était organisée à la suite du meurtre barbare d’Idir. Le 16 mars, un communiqué co-signé par L’Envolée, l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), l’A3D (Association des avocats pour la défense des droits des détenus), la LDH (Ligue des Droits de l’Homme), l’OIP (Observatoire International des Prisons), le SAF (Syndicat des Avocats de France), dénonçait la répression faite contre la diffusion de témoignages sur les violences pénitentiaires. Le 24 juin, le rapport du CPT (Conseil européen pour la Prévention de la Torture) déplorait les conditions de détention en France. L’agenda est rempli et la liste non-exhaustive.

Alors qu’aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent contre les crimes policiers et pénitentiaires, contre les mitards et l’isolement, contre l’impunité, contre l’incarcération et la fabrication de figures de coupables instaurées par la gestion policière, judiciaire et carcérale de la société, nous dénonçons le renouvellement du maintien à l’isolement du camarade inculpé.

Ces dernières années, les collectifs Justice et Vérité n’en finissent pas de se multiplier et les luttes s’étalent sur des années pour finir devant la CEDH quand aucun recours n’est plus possible en France. La population carcérale ne cesse d’augmenter, alors qu’elle est déjà parmi les plus élevées d’Europe, mais les injustices sont toujours aussi criantes. La « vie » en prison est insoutenable aujourd’hui et la loi que prévoit Éric Dupond-Moretti va aggraver cette situation.

On pouvait lire ces derniers mois dans le métro de Paris : « Devenez surveillants pénitentiaires. Au coeur de la Justice » communiquant la volonté gouvernementale de renforcer une politique pénale contraire aux désirs de justice transformatrice ou réparatrice théorisées par le féminisme. A Rennes, la construction d’une nouvelle prison est actuellement en préparation.

Comment ne pas prendre à bras le corps le problème carcéral comme un élément essentiel d’un capitalisme toujours plus violent et d’un État toujours plus policier ? Les mesures disciplinaires et d’isolement en sont le paroxysme.

Nous dénonçons la fabrication de figures de coupables instaurées par la gestion policière, judiciaire et carcérale de la société.

Cette construction sociale commence à l’extérieur par la sur-occupation policière des quartiers populaires, par une criminalisation particulière des personnes sans papiers, non-blanches et/ou précaires. Une stigmatisation qui dépasse toutes les bornes de la décence comme lorsque des policiers se permettent de porter plainte contre Babacar Gueye après l’avoir abattu de 5 balles en 2015 dans le quartier Maurepas.

Cette construction de la culpabilité se poursuit à l’intérieur des prisons, par l’existence de la Détention Provisoire (DP) qui permet aux juges d’enfermer des personnes durant des mois, voire des années avant un quelconque procès, en dépit du principe de présomption d’innocence.

Cette sur-criminalisation se poursuit encore quand l’Administration Pénitentiaire (AP) met en place des mesures particulières contre certain·e·s détenu·e·s et prévenu·e·s. Telles que : le placement à l’isolement et en cellule disciplinaire (mitard), ou encore le statut de Détenu·e·s Particulièrement Signalé·e·s (DPS).

Ces mesures créent une prison au sein de la prison, elles déshumanisent des personnes et tentent de les faire passer pour des entités particulièrement dangereuses, des coupables idéaux/idéales, des condamnés d’avance. Le domaine du non-droit s’étend, notamment au non de l’antiterrorisme qui normalise ces mesures prétendument exceptionnelles.

Enfin cette gestion carcérale de la société normalise des mesures administratives d’enfermement (comme lorsque l’on enferme sans justice aucune des personnes pour le simple crime d’avoir traversé des frontières) ; et d’acharnement judiciaire après qu’un·e détenu·e ait purgé sa peine (comme c’est le cas de Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis plus de 10 ans, et des Mesures Individuelles de Contrôle Administratif et de Surveillance (MICAS). La culpabilité à perpétuité.

Nous dénonçons les mesures particulières de l’isolement et du mitard, assimilables à de la torture psychologique, ainsi que les violences carcérales. La mise à l’isolement, rappelons-le, empêche tout contact entre la personne isolée et les autres détenu·e·s, (les seuls contacts avec des êtres humains sont donc ses maton·ne·s ainsi que quelques rares parloirs) pendant une période de 3 mois, renouvelable indéfiniment.

Le camarade mis en examen dans l’affaire du 8 décembre, raconte son isolement qui dure depuis déjà plus de 6 mois. « Le lien social est pour l’être humain, un besoin vital. L’isolement s’apparente donc à de la torture. Non pas une torture physique existant par un fait ou un acte, mais une torture plus pernicieuse, invisible, permanente, existant par cette absence continue. »

Quand à la cellule disciplinaire, cachot au fond du cachot, c’est l’endroit où se concentrent le plus de violences. Ça n’est sans doute pas un hasard si tant de morts suspectes ont lieu précisément dans les mitards, à l’abri des regards. On peut citer le cas de Idir, mort en septembre dernier au mitard de Lyon-Corbas, deux semaines avant sa sortie. Ou celui de Zamani au mitard de Nantes en 2000, un mois avant sa sortie. Ou encore la mort de Jaouad en 2018. Et celle de Jules en décembre 2020 au mitard de Seysses, prison dans laquelle opère impunément une équipe de matons particulièrement violents surnommée « l’escadron de la mort ». La liste est longue, impossible de ne pas faire ce constat : la prison tue.

Nous, syndicats, organisations politiques et collectifs autonomes, nous opposons à :

– la construction de l’image de coupables et la présomption de culpabilité induite par la généralisation de la Détention Provisoire et des Centres de Rétention Administrative (CRA) ;

– l’acharnement carcéral sous toutes ses formes : Quartier d‘Isolement (QI), Quartier Disciplinaire (QD), Mesures Individuelles de Contrôle Administratif et de Surveillance (MICAS).

En conséquence, nous exigeons la levée de l’isolement pour le camarade mis en examen dans l’affaire du 8 décembre et la suppression de toutes ces mesures punitives et stigmatisantes.

Premiers Signataires :

  • Comité Soutien 812 – Rennes
  • Awa Gueye et le Collective Justice et Vérité pour Babacar
  • FRAP (Front Révolutionnaire Anti-Patriarcal)
  • UL CNT 35
  • UL CNT Lille
  • Comité Soutien812 – Tarnac
  • UCL Rennes
  • Réseau Entraide Vérité et Justice
  • Collectif Vies Volées
  • Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng
  • NPA 35
  • Comité Soutien812 – Francilien
  • AFA Paris Banlieue
  • ACTA
  • Fédération Anarchiste Rennes, La Sociale
  • Brigades de Solidarité Populaire – Île de France

[L’Envolée] Libre Flot: Lettre du QI de Bois d’Arcy

L’un des inculpé.es, en Quartier d’Isolement depuis le 11/12/20, nous a transmis cette lettre dans laquelle il parle de ses conditions d’incarcération. A écouter dans l’émission de l’Envolée du 7 mai 2021.

Pour moi qui ai vécu la majeure partie de ma vie de manière collective, j’avais pourtant récemment accepté les bienfaits de courtes périodes de solitude. En disant cela, j’ai comme un arrière-goût âpre dans la bouche tant mes semblables me manquent. Ce sentiment n’est pourtant pas justifié mais provient de l’amalgame dont, dans ce contexte, j’ai du mal à me séparer, entre solitude et régime d’isolement. Il m’est pourtant simple de constater que l’isolement est à la solitude ce que la lobotomie est à la méditation.

L’être humain étant un animal grégaire, le lien social est pour lui-elle un besoin vital. L’isolement s’apparente donc à de la torture. Non pas une torture physique existant par un fait ou un acte, mais une torture plus pernicieuse, invisible, permanente existant par cette absence continue. Les seules personnes que l’on entrecroise brièvement, avec qui on se dit réciproquement des « bonjour », des « tenez », des « merci » sont les surveillant.es. Tout est dans l’énoncé ! Aussi cordiales, polies et arrangeantes que peuvent être ces personnes (ce qui n’est pas forcément le cas partout et tout le temps), les surveillant.es, comme le nom l’indique, ne sont pas nos pair.es, ielles sont nos preneur.euses d’otage dont les seules revendications sont vénales (les salaires). S’attacher à cet ersatz de rapports sociaux, que je ne puis et ne veux me résigner à abandonner, soit dit en passant, se rapproche plus du syndrome de Stockholm qu’autre chose.

Contrairement aux responsables de ma présence ici (DGSI, juge d’instruction, juge des liberté) qui ne voient que l’ennemi fantasmé qu’ils montent de toutes pièces, je ne peux m’empêcher de voir la femme ou l’homme derrière le statut, derrière le ou la maton.ne. Je ne suis pas manichéen et, sans vouloir excuser leur rôle dans la mécanique répressive, je ne puis, une fois encore, m’empêcher d' »empathiser ». Je me demande quelles sont leurs parcours de vie, ce qui les a amené.es là, à maintenir des êtres vivants enfermés. Je regarde aussi bien le maillon que la chaîne dans laquelle il s’est lui-même imbriqué. Soumise aux mêmes logiques capitalistes de rentabilité économique que la société, l’administration pénitentiaire tire sur la chaîne, augmentant ainsi la pression exercée sur chacun de ses maillons. Cependant, je ne m’abuse pas moi-même à la façon d’un prestidigitateur me faisant regarder à gauche quand ça se passe à droite. En écoutant le maillon se plaindre, je n’en oublie pas pour autant que c’est autour du cou des enfermé.es que la chaîne se tend.

En isolement, ne pouvant sortir de sa cellule qu’accompagné par un gradé et un.e ou deux surveillant.es, on se sent tel un chien dans un chenil, en totale dépendance de la disponibilité de ses gardien.nes. Par conséquent les créneaux horaires de nos rares sorties doivent s’adapter malgré nous, selon les flux plus ou moins tendus de leur planning. Cela nous impose à être toujours prêt.es, sur le qui-vive ou au contraire être prêt.es pour rien et attendre sans rien pouvoir faire. Il est très courant de poireauter à la douche avant de pouvoir regagner sa cellule, parfois plus d’une demi-heure et, au moins une fois, cinquante minutes.

Quant à l’espace anxiogène qu’est la promenade individuelle, boite bétonnée où les 20m2 trouant le béton au-dessus de nos têtes sont recouverts de multiples grilles et barbelés, le temps y est long, lorsqu’il grêle et qu’après l’heure autorisée et suffisante, il nous est impossible d’appeler les surveillant.es et que nous attendons sans savoir quand nous pourrons regagner le chauffage de notre cellule. A se demander si ce n’est pas pour nous décourager d’y retourner et de rester dans nos cellules, limitant ainsi le travail des surveillant.es.

Au contraire, il y a de la frustration et des créneaux raccourcis. Lorsque, par exemple, la session d’une demi-heure de sport est amputée de 5 minutes, juste avant le sprint final. Cela peut paraître anodin, mais pour qui ce sprint est l’apothéose, l’exaltation ultime du seul et unique mouvement, de la seule et unique dépense physique de la journée, cette privation a le goût malheureux du pain ôté de la bouche.

Avec le retour du soleil, il y a plus de monde qui sort lors des promenades. Les vraies promenades, dans les cours où les gens ne sont pas seul.es. Je les observe. Eux ne peuvent pas me voir à cause de la quadruple dose de barreaux et de caillebotis de ma fenêtre. Ils font du sport collectivement en petits groupes. Je les envie, ils sont vivants, ils PARLENT, ils CRIENT, ils RIENT, ils se motivent les uns les autres, bref, eux ils existent. Je pense que nous construisons notre vision de soi par ce que nous renvoient les autres, mais comment exister quand il n’y a pas d’autres ? Quand les autres ne nous voient même pas ? L’isolement aurait-il pour but l’annihilation de soi ? Avant même d’être jugé, je devrais cesser d’exister ? Et comment répondre à un juge quand on m’extrait et, comme tout juste accouché du néant, on me presse dans un dédale de questions s’apparentant à d’innombrables chausse-trappes ?

On pourrait se dire que ça va quoi, qu’il y a les parloirs, oui c’est vrai, encore heureux. Ces brefs répis permettent de voir des visages familiers et bienveillants et apportent une bouffée d’air frais. Mais les parloirs sont très courts, une demi-heure. Je ne peux qu’imaginer l’impact psychologique sur mes proches, venant de l’extérieur, passant sas, fouilles, verrous, attentes, etc… Pour finalement se retrouver en face de moi dans une micro boite, séparé.es les un.es des autres par un plexiglas. De mon côté, je passe, sans transition, de la stase cérébrale léthargique au « contact » humain sans temps d’adaptation et de toute façon on n’a pas le temps ! TOP CHRONO! Tout est à la course, entre discussions techniques de l’administratif, des besoins matériels, des procédures, etc… On abrège nos sujets pour économiser le temps. N’ayant pas de vie, je n’ai rien à raconter mais je n’ai pas le temps de le faire ! On court dans tous les sens mais on ne va nulle part et déjà le parloir est fini. Je ne peux ressentir qu’une certaine frustration et imaginer celle de celleux qui ont fait le trajet aller-retour pour si peu. Celleux qui ont pris une journée complète, la moitié d’un week-end pour une demi-heure insatisfaisante.

Pour ce qui est des parloirs prolongés d’une heure, covid oblige, ils sont annulés pour cause sanitaire. Franchement, quel est le rapport ? Le covid a le dos le plus large que le monde ait connu. Depuis le 8 décembre, presque 3 mois, je ne parle plus, je n’ai personne à qui parler (bien sur il y a les parloirs). Du coup, la pensée ne se transformant pas en parole et donc ne recevant pas de retour, n’arrive pas à se moduler, à se matérialiser, elle devient insaisissable, comme un brouillard confus. C’est comme une grosse boîte de lego renversée mais qu’on ne sache plus comment on emboîte deux pièces. J’ai l’impression d’être abêti, comme en état de choc, la capacité de penser m’aurait été retirée.

Écrire ce texte me prend plus d’une semaine et de nombreux maux de tête. Non, le covid n’a pas la carrure pour cela, j’ai été testé négatif durant cette période, donc l’isolement en est bien la cause. L’on dit que le propre de l’homme (et de la femme) est le rire. Mais seul.e, sans contact humain, le rire est impossible, l’isolement nous retire le droit à notre humanité. Pour garantir son humanité, devrait-on rire seul.e? Serait-ce s’adapter à cette situation ? Mais rire seul.e, pour certaines personnes, cela s’apparente à la folie et la folie, pour d’autres, mérite l’enfermement. Devrait-on enfermer les gent.es pour les conséquences de leur enfermement ? Je sais que ce n’est pas une idée nouvelle, mais les gens décidant de l’enfermement, de l’isolement ou des situations de détention des personnes, qu’elles soient condamnées ou présumées innocentes,devraient savoir à quoi ça correspond concrètement. Un juge donnant une peine me fait l’impression d’un multimilliardaire discutant au sujet du prix du pain.

(Je n’ai pas le temps d’écrire sur l’impact des continuels contrôles par l’œilleton de la porte. Contrôles de jour, apportant un sentiment d’être constamment épié et, de nuit, avec allumage de lumière, qui favorisent un sommeil, ô combien, continu et réparateur…)

Libre Flot, en isolement à Bois d’Arcy