Le premier épisode d’une série de 5 podcasts sur l’Affaire du 8 décembre. Des témoignages exclusifs des inculpé·es et des mécanismes répressifs à l’oeuvre.
Un spectre hante aujourd’hui la République et la DGSI : “l’ultragauche”. En ce moment, au tribunal de Paris, est jugée l’affaire “du 8 décembre 2020”. Sept personnes, qui ne se connaissent pas toutes, sont accusées de vouloir “déstabiliser les institutions républicaines par l’intimidation et la terreur” sans qu’il y ait pour autant de “projet terroriste”. Une affaire qui a nécessité tout l’arsenal anti-terroriste et les moyens les plus liberticides, sans jugement, sans défense.
Le 8 décembre 2020 à 6h du matin, neuf personnes sont arrêtées aux quatre coins de la France, puis conduites dans les locaux de la DGSI à Levallois-Perret pour une éprouvante garde à vue de plusieurs jours. Comme l’affirme Coline Bouillon, membre du barreau de Val de Marne et avocate d’un des prévenus : “La procédure est déjà une peine en soi puisqu’elle a imposé à des personnes une garde à vue extrêmement difficile, au quatrième sous-sol des locaux de la DGSI, dans des conditions quasiment intenables.”
Le 11 décembre 2020, cinq personnes sont placées en détention provisoire, deux sous contrôle judiciaire et deux sont relâchées sans poursuite. Finalement, sept personnes sont aujourd’hui poursuivies pour “délit d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme”. Le Parquet national antiterroriste les accuse d’en son réquisitoire de vouloir s’en prendre « à l’oppression et au capitalisme », de vouloir « renverser l’État » et d’« attenter à la vie de ses représentants » ou encore de chercher à « s’en prendre aux institutions républicaines par l’intimidation et la terreur ».
En prison sans jugement
Si les contrôles judiciaires des prévenu·es leur interdisaient d’entrer en contact, ce n’est pas tout, comme le développe Coline Bouillon : “Ce n’est pas seulement le fait de ne pas pouvoir se voir entre co-prévenu·es. C’est le fait de devoir demander à une juge pour pouvoir aller voir sa mère, de devoir demander une autorisation pour aller voir un spécialiste médical à 50km de chez soi… C’est aussi le fait de se rendre toutes les semaines dans un commissariat, d’être pendant ce temps-là soumis·e à des surveillances, et j’en passe.”
W. se souvient de ses quatre mois à la maison d’arrêt d’Osny dans le Val d’Oise : “Au début, j’étais en DPS, “détenu particulièrement surveillé”. Dès que je sortais, il y avait un gradé et deux autres matons, du coup, il y avait des fouilles tout le temps : 50 mètres de trajet, trois fouilles. Après les 10 ou 14 jours dédiés aux nouveaux arrivants, j’ai été placé avec les autres taulards”.
Une lutte contre “l’isolement”
Un des sept prévenu·es, Libre Flot, accusé d’être le “chef” du groupe qu’il aurait “formé” et “entraîné”, a passé 16 mois sous les verrous, en isolement. Les rares moments hors de la cellule, à savoir le sport et la promenade, il les a vécus seul et sous haute surveillance.
Après le sport, c’est-à-dire 30 minutes d’exercice dans une pièce de la taille de deux cellules, vient la “promenade” : “Il faut savoir que tu es au quatrième étage, dont tu ne sors jamais, précise-t-il. Tu as le droit à une heure de promenade dans la cour de ce quatrième étage de l’isolement. C’est quelque chose qui fait 30 mètres carrés au sol avec des murs hauts de quatre mètres, donc le ciel c’est 20 mètres carrés avec des grillages et des barbelés. Cette promenade est tellement anxiogène que quand j’étais dedans, donc dehors, je demandais à en sortir.”
Après plus d’un an isolé derrière les verrous, ainsi que des tonnes de recours pour sortir de cette prison dans la prison, se profile la seule lutte a la portée de l’enfermé : “ça fait longtemps que, si on lit les lettres, ça a déraillé. Psychologiquement, mentalement, je perdais mes capacités intellectuelles… Donc la seule lutte qui reste, c’est une lutte politique face à une lutte politique, c’est la grève de la faim”. C’est donc après 37 jours sans manger que Libre Flot sera placé à l’hôpital-prison de Fresnes, puis libéré. Une lutte qui n’aurait pas pu être menée jusqu’au bout selon lui sans les soutiens extérieurs “en France et à l’étranger”.
Pour Coline Bouillon, “ce qui est significatif du caractère invivable de ces détentions provisoires, ce sont les condamnations qui ont été rendues concernant deux des détentions provisoires“. En effet, le tribunal administratif de Versailles a rendu coupable l’État sur les fouilles à nu à répétition subies par une des prévenu·es ainsi que pour le maintien illégal à l’isolement de Libre Flot. Finalement, difficile de différencier la peine et la procédure, à moins que la procédure ne soit déjà une peine en soi.